Mon frère puîné, qui partage avec moi un certain nombre d’idiosyncrasies
bien que nos parcours respectifs aient été fort dissemblables, étudie et pratique depuis des années la méthode Alexander.
Il m’envoie ce petit texte de son cru, qui ne manquera pas d’intéresser Dado
et ses thuriféraires.
"Presque tous les êtres civilisés sont dans un état dans lequel la perception sensorielle (…) est relativement imparfaite et trompeuse, et il s’ensuit naturellement qu’on ne peut compter sur elle pour la rééducation, le réajustement et la coordination, ou dans nos tentatives pour corriger quelque chose que nous savons aller mal dans nos êtres psychophysiques." (Frederick Matthias Alexander)
Dans la vie de tous les jours, certaines habitudes, certaines manières d’être et de faire, certaines attitudes, ou encore certains mouvements, sont si profondément inscrits en nous qu’ils opèrent généralement en dehors de tout contrôle conscient de notre part. Et pour peu qu’ils apparaissent à notre conscience, celle-ci aura vite fait de les estampiller "naturels", "ordinaires", "normaux", "allant de soi". Issus de notre patrimoine génétique (prédispositions innées) et environnemental (éducation acquise), ils nous suivent comme nos propres ombres, et à notre insu, ils nous dominent très souvent dans le choix de nos conduites et de nos manières de réagir. Pourtant, aujourd’hui, personne ne va contester le fait que le monde civilisé contemporain, avec son haut niveau de stress et son évolution rapide, nous impose d’être plus attentifs que jamais à nos mouvements, nos manières de réagir, nos instincts et nos habitudes, en tout cas beaucoup plus qu’au temps où l’environnement, la culture et les mœurs changeaient peu d’une génération à l’autre. Il y a là un problème à l’échelle planétaire : d’un côté des habitudes acquises de manière instinctive et subconsciente – processus normal de développement de l’individu depuis la nuit des temps – et de l’autre, un environnement exigeant un comportement contrôlé de plus en plus consciemment. Or, comme FM Alexander l’a montré au 20ème siècle, il se trouve que lorsque, pour une raison ou pour une autre, on cherche à la modifier, la force d’habitude de la "manière de faire" ordinaire que chacun développe au cours de sa vie peut s’avérer colossale, voire quasiment insurmontable. Les comportements les plus difficiles à diriger consciemment sont précisément ceux qui sont liés à notre vie de tous les jours, voire à notre survie, et le cœur du problème est que, à priori, notre manière habituelle de les mettre en œuvre nous apparaît comme le seul moyen connu et possible dont nous disposons, pour atteindre les buts que nous nous fixons - déjà connus eux aussi. Nous avons donc naturellement tendance à ne pas souhaiter changer cette manière habituelle, car si l’habituel est connu et permet d’atteindre certains objectifs connus, l’inhabituel est inconnu, et l’inconnu, c’est le risque d’inconfort, d’échec, voire peut-être de danger.
Et pourtant, si on laisse de côté les situations extrêmes où nos instincts ont généralement les pleins pouvoirs, il est clair que dans l’immense majorité des cas, une direction consciente de notre "manière habituelle de faire", peut s’avérer non seulement possible, mais aussi souhaitable et bénéfique. Les métiers artistiques (musiciens, comédiens, danseurs etc.) ont vite compris les bienfaits que pourrait leur apporter la Technique Alexander, mais comme elle concerne la coordination générale de l’individu, n’importe quel secteur d’activité peut également en tirer parti.
Travail sur l’être humain considéré comme un tout vivant et indivisible, l’approche d’Alexander est aujourd’hui unanimement reconnue pour son réalisme, qui oblige à travailler de manière indirecte. En effet, lorsque nous cherchons à modifier une habitude de manière directe et immédiate, nous mettons une fois de plus en œuvre… notre manière habituelle de faire ! Mais comment pouvons-nous espérer nous comporter d’une façon nouvelle tant que nous nous comporterons selon nos habitudes? Par nature, les deux manières de faire s’excluent mutuellement.
C’est pourquoi F.M. Alexander disait : "mon travail ne consiste pas seulement en ce que j’ai fait, mais aussi, et surtout, en ce que je n’ai pas fait."
Le premier pas pour sortir de l’ornière du connu, consistera donc à refuser de répondre, en tout cas de manière habituelle, à un stimulus donné, quitte à ce que ce refus entraîne une absence de réponse immédiate et observable, un "non-faire", au sens habituel du mot "faire" (action physique, observable). Ce refus de consentir immédiatement à l’exécution d’un schéma habituel est appelé "inhibition" dans le jargon de la Technique Alexander, et n’a rien à voir avec la notion freudienne du même nom. Il ne se traduit pas par des mouvements à effectuer dans le but d’obtenir un résultat donné, mais se situant en amont de l’action physique, il déblaie le terrain pour une exécution optimale et rénovée (au sens de "à nouveau neuve", car consciemment libérée de toute idée préconçue) de ces mouvements.
Un autre aphorisme d’Alexander nous renvoie de manière cinglante à ce principe de base de sa technique : "Vous ne pourrez pas faire ce que vous ne savez pas faire, si vous continuez à faire ce que vous savez faire."
En ce sens, l’inhibition est un acte de volonté, premier et indispensable jalon dans le processus de la direction consciente et constructive de la conduite de soi. Entre la pensée et l’action, elle permet plus qu’un rapprochement : c’est un premier pas vers un décloisonnement, et l’élève en Technique Alexander sera progressivement amené, par son travail et sa propre expérience, à abandonner cette conception habituellement très répandue, et pour cause, de la dichotomie entre le corps et l’esprit, ou encore entre la pensée, les émotions et le mouvement."
Extrait de Sept articles sur divers aspects de la Technique Alexander :
"F.M. Alexander a découvert qu’il est nous est possible d’utiliser avantageusement nos pouvoirs de choix conscient. Décider de ce que nous nous autorisons nous donne la liberté de répondre d’une manière appropriée aux stimuli de l’environnement. Nous trouvons notre autonomie essentielle et notre humanité dans notre capacité de choix conscient. C’est le grand bénéfice que confère la Technique Alexander. Libérer plus de notre potentiel fait avancer l’espèce humaine et améliore notre bien-être. D’un autre côté, quand nous sommes prisonniers d’habitudes qui limitent notre développement, nous restons figés intellectuellement, émotionnellement et physiquement. C’est pourquoi nous ne pouvons exiger le bien-être comme un droit. Nous devons le créer. La plupart des gens qui suivent la Technique Alexander vérifieront qu’elle produit des résultats inattendus qui ne se limitent pas au corps.
(…) Un des aspects les plus libérateurs des leçons en Technique Alexander est l’utilisation de la conscience pour gagner le contrôle de nos pensées et de nos émotions. Cela arrive avec l’acquisition progressive de la capacité à inhiber : être capable de suspendre nos réactions aux stimulations de l’environnement jusqu’à ce nous puissions choisir de répondre au moment choisi, calmement et posément, comment nous voulons répondre – plutôt que d’être l’esclave du téléphone, de la montre, de la télévision, des feux routiers, du patron, des enfants, de l’angoisse… Cela devient possible une fois que nos corps ne sont plus attachés à des réponses stéréotypées."
L’extrait de “Sept articles” fait quand même marchand de tapis… Est-ce qu’en plus de sauver le monde, la méthode Alexander fait aussi la vaisselle ?
Mais peut-être que tu nous as mis le plus mauvais extrait pour qu’on soit agréablement surpris en lisant le reste ? ;p
Rédigé par: Dado | le 07 septembre 2006 à 17:07|en fait je n’en sais rien. La curiosité ne m’a pas poussé jusqu’à présent à “tester” la méthode, ce qui serait la meilleure façon d’arriver à en penser quoi que ce soit, et mon frangin semble s’être habitué à l’idée de faire la vaisselle tout seul.
Rédigé par: john | le 07 septembre 2006 à 21:34|En gros, on dirait qu’Alexander s’est mis en chemin vers la redécouverte (en bon autodidacte qu’il était) des 5 agrégats (http://www.dhammadana.org/dhamma/5_agregats.htm), qu’il a dérivé vers la Pensée Perceptive… et à ce moment-là du récit, je finis toujours par m’endormir.
Est-ce qu’il n’y a pas, dans sa proposition, l’idée de rompre avec un fonctionnement, certes routinier, mais hatif devant la vie. En proposant de suspendre certaines attitudes, on dirait qu’il invite à prendre le temps, avant d’agir.
Rédigé par: Bruno | le 08 septembre 2006 à 14:26|