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mardi 1 juin 2021

Aux promesses du vivant !

La part inconsciente de notre esprit est consciente de nous.
Ronald D. Laing

"Quel type de don mérite notre gratitude ? Le culte des ancêtres des traditions asiatiques est une inspiration intéressante ici, parce qu’il nous permet de changer la conception de ce envers quoi nous pouvons rendre grâce. Car il n’hérite pas de la folie douce caractéristique de la tradition occidentale, et probablement héritée du monothéisme anthropomorphique, suivant laquelle n’est un don impliquant gratitude que ce qui nous a été donné volontairement. Le Dieu judéo-chrétien, avec sa nature intentionnelle, consciente et volontaire, a fait muter le concept immémorial de don quotidien qui nous fait vivre (le fruit sauvage, l’eau qui désaltère, l’animal chassé), de manière que n’apparaisse comme un don que ce qui a été donné par une volonté consciente (la sienne). Par ce tour de passe-passe théologique, tout don qui n’est pas fait volontairement, et impliquant un sacrifice, n’est pas considéré comme un vrai don, il n’appelle pas gratitude : il est considéré comme un donné naturel, une ressource à disposition, un effet appropriable de la causalité matérielle qui régirait la “Nature”. C’est cette mutation qui a transformé nos rapports aux “environnements donateurs”. Lorsque plus tard l’on a cessé de croire en Dieu, renonçant aux bénédicités quotidiens pour le remercier du pain sur la table, nous n’avons pas su réinvestir cette gratitude vers ce qui nous donne effectivement le pain et l’eau : les dynamiques écologiques et les flux vivants de l’évolution qui circulent dans la biosphère et fondent sa continuité. Nous n’avons plus su qui remercier pour la joie d’être en vie, pour l’attachement mammifère à nos proches, pour les joies quotidiennes offertes par nos corps-esprit dessinés par l’immémoriale évolution. L’assimilation de cette nature vivante qui nous fait et nous reconstitue à une matière mécaniste et absurde a dérobé toute signification à la gratitude envers ce vivant qui pourtant nous fait vivre.

Or, le culte des ancêtres est une forme rituelle anthropologique qui a esquivé ce malentendu métaphysique : dans les traditions asiatiques où il a cours, nul besoin que les ancêtres aient eu la volonté ou l’intention de vous faire pour que vous leur deviez une certaine gratitude d’être en vie. Mais ici, le culte se décale : c’est aux ancêtres préhumains qu’il s’agit de rendre grâce, car ils ont été bien plus nombreux et bien plus généreux envers nous de toutes les puissances corporelles, mentales, affectives et vitales qui nous font, que ces quelques arrière-grands-parents qui nous ont légué un nom de famille, une montre en or, une maison de campagne ou un lopin de terre.

Peut-on imaginer des cultes de nos ancêtres préhumains qui feraient de nous des descendants moins oublieux ? Des rituels simples pour remercier, sans mélodrame ni religiosité outrée, ces ancêtres qui nous ont portés à bout de bras jusqu’ici, qui nous ont offert leurs puissances évolutionnaires et écologiques ? À quoi ressemblerait un autel à ancêtres destiné à tous ces aïeuls généreux ? Au petit mammifère placentaire, analogue à un mulot, survivant à l’extinction Crétacé-Tertiaire qui engloutit les grands sauriens, pour nous transmettre en relais le miracle de la vie sexuée, de la viviparité, de la plénitude affective de la parentalité. À la première cellule, qui, par endosymbiose, a incorporé en elle une bactérie devenue mitochondrie, organite qui actionne à chaque instant dans nos corps ce prodige qu’est la synthèse de l’énergie. À l’hominien couvert de fourrure, nu, qui a brillamment découvert le feu, et ce faisant originé, par la filiation comme par l’invention culturelle, la forme de vie que nous sommes.

Et, par extension, n’avons-nous pas besoin d’inventer des rituels de gratitude pour les pollinisateurs qui chaque année fabriquent le printemps végétal, vivrier pour nous ; pour la vie des sols dont la microfaune est le grand paysan acéphale ; pour les forêts bricoleuses du cocon respirable qu’est l’atmosphère ?

Peut-on imaginer d’injecter un peu de tout ce sens dans l’acte quotidien de saler ? Jetant une poignée de gros sel dans la casserole comme la sorcière dans la potion. Ou bien tapant trois fois rythmiquement de l’index sur la salière comme le moine zen sur son gong. Reconstituant ce faisant la salinité de la mer intérieure, celle de l’ancêtre que nous fûmes. Est-ce que cela pourrait faire remonter à la surface la sensation d’avoir été une éponge ? Pressentir les ancêtres qui bougent encore sous la surface de la peau. Qui nous fondent, qui nous ont légué nos puissances vivantes. J’étais éponge, bactérie, braise parmi les braises. De chaque forme de vie alentour peut naître une descendance pleine de possibles.
Levant nos verres, enfin : “Aux promesses du vivant !”

Morizot, Baptiste. « Manières d'être vivant. » 




samedi 14 novembre 2020

La lecture c'est l'aventure (6)

Ma libraire, acculée par la faim à me vendre un livre, a chopé le Covid.
Si elle avait écouté Castex, on n'en serait pas là. 

Pour Noël, le gouvernement a enfin tranché : les cadeaux seront roses pour les filles, et bleus pour les garçons. On pourra les retirer dans les librairies, toujours fermées pour cause de pandémie, mais réquisitionnées par un décret publié la nuit prochaine, et habilement rebaptisées Les Républicains Magasiniers (LRM). 
Les personnes issues de la minorité LGBTQAI+ seront priées de se faire dépister à l'accueil, Micron et Cachetext leur bricoleront bien un petit quelque chose pour qu'elles ne repartent pas les mains vides. 
Pour les petites villes dont les librairies ont été depuis longtemps réduites en cendres par la Fnac, Internet, les salons de massage, les cinémas multiplexes et les brasseries artisanales, plusieurs quincailleries-drogueries, aussi closes que certaines maisons d'avant-guerre pour ne pas nuire au tout-puissant Monsieur Bricolage, ont été sélectionnées au hasard pour pallier ce défaut de maillage du territoire par un comité de 9 Sages ayant revu récemment l'armée des 12 Singes. 
Parmi les divers présents proposés par l'équipe gouvernementale composée de Croquignols, de Ribouldingues et autres Filochards, les Rois Mages Magasiniers en CDD, on est toujours mieux là que chez Amazon, ma femme a choisi "Martine médite sur les joies du Discours de la servitude volontaire de La Boétie", une malicieuse parodie des blagues pourries (parce qu'enfantines) de Martine, qui connaissent à nouveau un vif succès auprès des plus âgés parmi les moins jeunes de nos aînés qui peuplent encore les Ehpads, anthologies de blagues de Martine republiées en versions toutefois expurgées pour ne pas se laisser griser et attraper la tête qui tourne, à nouveau disponibles dans la bibliothèque rose et préfacées par Christophe André, et non, je ne vous mets pas la couverture, vous la découvrirez vous-mêmes en allant chercher vos cadeaux. Comme ma femme est elle-même prénommée Martine, le livre la fait déjà bien sourire par avance, à lèvres déployées, comme une négresse blanche, et par les temps qui courent, ou plutôt qui se trainent avec plusieurs bastos dans le buffet, c'est déjà ça. 
J'ai opté quant à moi pour l'édition collector de « Hold-up » ce documentaire chaudement recommandé par les Décodeurs du Monde et dont tout le monde parle à la télé-caféteria de l'entreprise, qui prétend dévoiler la face cacher de l’épidémie, et qui attribue facétieusement l'invention du Covid-19 aux conspirateurs de tout poil, et même sans poil du tout.

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/12/covid-19-les-contre-verites-de-hold-up-le-documentaire-a-succes-qui-pretend-devoiler-la-face-cachee-de-l-epidemie_6059526_4355770.html

https://www.franceculture.fr/medias/hold-up-a-partir-de-faits-le-documentaire-est-bati-comme-une-vraie-entreprise-de-desinformation

Enfin, pour l'instant j'hésite encore entre ce DVD (dont j'attends beaucoup, surtout du bêtisier dans les bonus cachés) et le troisième tome du Shaolin Cowboy de Geoff Darrow, qui vient de paraitre chez Futuropolis, et qui a l'air au moins aussi magnifique que les deux précédents, désormais fleurons de ma bibliothèque, enfin quand elle sera remontée, parce que par solidarité avec les libraires, j'ai benné tous mis mes livres au garage, de façon à ne pas concurrencer le Super U, me condamnant à effeuiller de tristes livres virtuels empruntés dans des officines clandestines et compulsivement injectés dans ma tablette http://planete-bd.org/ 
En truandant un peu ma dérogation, comme la couverture du Shaolin est bleue, ça peut passer. Je ne sais pas pourquoi, je n'arrive à lire que des bédés, en ce moment, parce que lire me fatigue, et puis je ne peux pas taquiner ma muse graphomane d'une main et charrier des cartons de l'autre en même temps.


Au prochain déconfinement, s'il arrive un jour,
j'aurai jamais le courage de tout remettre en rayon.
Je crois que je vais faire un lot sur le bon coin à 10 €,
ça va être vite vu.
Si l'idée de vous faire imposer vos cadeaux de Noël par le gouvernement vous emplit d'une terreur indicible, ayez une pincée de compassion pour les gens qui croient qu'on va leur injecter des nanoparticules agissant comme des cookys liquides avec le vaccin du Covid, et dites-vous bien que ça aurait pu être pire : si on n'avait pas été en démocratie, on aurait pu, comme en Biélorussie, recevoir pour Noël et par la poste, enveloppée d'un hideux papier kraft, la bande-son de Saw 6, un vrai gâchis parmentier et auditif. Et là, c'eut été gore.
Ou la réédition de Fahrenheit 451, parce que c'est tendance.

mercredi 4 novembre 2020

La lecture c'est l'aventure (5)

Un dessin de Xavier Gorce
peut être exigé
en début d'article, 
sauf dérogation préfectorale

La Belgique, qui procède comme la France à un deuxième confinement en raison de l’aggravation de l’épidémie de Covid-19, a décidé que les librairies, qui avaient dû baisser le rideau pendant deux mois, resteraient cette fois-ci ouvertes. Le soulagement dans la profession est palpable. « C’est une excellente nouvelle, atteste France Verrier, qui dirige Les Yeux gourmands, une petite librairie de Saint-Gilles, en région bruxelloise. Non seulement le livre est considéré comme important, mais il figure désormais sur la liste des biens « essentiels », ceux qui permettent d’échapper aux fermetures, au même titre que les magasins d’alimentation, les magasins de bricolage, les jardineries, les papeteries, ou encore les merceries
https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/11/03/reconfinement-en-belgique-les-livres-sont-consideres-comme-essentiels_6058364_3246.html

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Sinon, j'ai aussi une aventure souterraine de Mélanie Mélanome (dont elle s'est pas vantée) au Royaume des ouvrages interdits à l'achat en magasin en France : pour ne pas me contenter de me regazéifier avec mon propre gaz, ma femme m'a prêté un court roman coréen, alors que j'attendais ma première perfusion d'immuno à l'hosto.

La qualité de l’écriture est inconnue sous nos (mes) latitudes : 
aucun affect ne transparait, et le narrateur décrit avec clarté et une lucidité non-léthale (il est coréen, c'est pour ça) des faits et des situations insoutenables et inconvenantes, sans le moindre pathos.
« Les morts n’ont pas de tumeur » : si ça finit pas sur mon, blog, on aura du bol !





samedi 31 octobre 2020

La lecture, c'est l'aventure (4)

Localisation des épisodes précédents
consultations sur rendez-vous et sur devis uniquement.
Les historiens de l'an 3000, dont l'existence est de plus en plus hypothétique, prétendront avoir exhumé des indices attestant l'existence des épisodes 1 à 3 de La lecture, c'est l'aventure dans la colonne des archives, sur la droite de votre écran. 
Je doute avoir rédigé tout ça tout seul.
Dieu a dû me filer un sacré coup de main, en catimini, fidèle à sa traîtrise habituelle. Ca ne peut être que lui qui me réveille tous les matins à 5 heures et m'enchaine au clavier.
Priez pour n'être pas parmi mes correspondants. Le cas échéant, bon courage à touffes et à troutes.

Sourire du matin (plutôt rare sur internet en ce moment) en découvrant grâce au blog d'Anniceris (auquel je n'entrave usuellement guère plus que ce qu'un passant lambda décoderait en débarquant nuitamment sur le mien) et à son article "Nul n'est prophète dans sa propre tête" qui fait référence à un blog encore plus criptyque au frontispice duquel je lis une profession de foi dûe au "Pater Taciturnus  (??) que j'aimerais faire mienne, mais c'est pourtant la sienne :  
(si vous avez décodé cette phrase du premier coup vous devriez aller vous faire dépister. Si vous ne l'avez toujours pas encore comprite au bout de trois jours, aussi)

"Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"
Pourquoi ce blog ? Je pourrais invoquer pour seule justification la lâche excuse d’Adam : 
 « c’est ma femme qui m’a dit de le faire ». Pour ce qui est du contenu, il s’agira avant-tout d’un exutoire à mon impuissance à faire partager mes enthousiasmes. J’y ferai également part de certaines de mes perplexités, dans l’espoir qu’un visiteur de passage me fasse bénéficier de ses lumières. Pourquoi Pater Taciturnus ? C’est évidemment un hommage au pseudonyme « Frater Taciturnus » utilisé par Kierkegaard. Mais le pseudo original était déjà pris, et j’ai maintenant plus l’âge d’être appelé pater que frater(...)
"Taciturne, fatigué … ça fait envie!
- J’espère!
- On pressent une accumulation de références culturelles destinée à masquer une personnalité assez profondément dénuée d’intérêt …
- C’est exactement cela … vous voulez que je vous cite un passage de Platon à l’appui de cette idée ?"

C'est quand même plus élégant comme déclaration d'intention auto-dévalorisante (si j'ai bien compris, à chaque fois que le mec va faire un article, pour complaire compulsivement à Kirkegaard, il postule qu'il va perdre une bonne occasion de se taire) que moi qui avais démarré ce blog pour soi-disant témoigner de mes progrès dans la lutte contre la cyberdépendance pornographique. 
Pour Pater Taciturnus comme pour moi, le succès de l'entreprise était tout entier contenu dans les prémisses, comme les métastases sont en germe de soja dans le mélanome, comme on s'entend parfois  répondre dans les restaurants asiatiques où l'on avait ses aises, par la patronne soudain dévêtue au fond du verre de saké une fois vidé, quand on l'interroge sur la recette de l'ingrédient secret. 
Pour en revenir à la consommation de la chose littéraire, de loin préférable au radotage interné sur internet, le temps que je parvienne à affirmer que les libraires sortaient renforcés du Covid, ils avaient déjà tous refermé leur échoppe. En se félicitant d'avoir fait plier la Fnac, les espaces Cthulhurels Leclerc, et même le rayon livres de mon Super U, qui est depuis tout à l'heure sous une bâche. 
Je le sais parce que Tyler Durden a monté une brève là-dessus au journal régional ce midi. 
Du point de vue subjectif des livres eux-mêmes, qui dépérissent puis succombent assez vite de n'avoir pas été lus, c'est loin d'être une victoire, bien qu'ils aient refusé de répondre aux questions de notre reporter dépêché sur place.

Charlie Hebdo reste en vente et se pavane sur les présentoirs presse.
Une loi va sans doute être passée cette nuit pendant qu'on dormira, enfin, surtout vous,
pour rendre son achat et sa lecture obligatoires, avec questionnaire de contrôle
des connaissances corrigé par Darmanin en ligne,
et gare aux antisèches griffonnées au dos de la dérogation...

... mais les livres sont désormais interdits à la vente. Sauf sur les plateformes.
Enrichir Jeff Bezos au détriment du commerce de proximité,
c'est désormais envoyer un message fort au gouvernement.
Cherchez l'erreur. 

Il ne faudrait quand même pas accabler Emmanuel Macron, cet homme actuellement obligé de :
- défendre Charlie Hebdo et le droit au Blasphème jusqu'au Liban, s'élevant courageusement contre l'Arabie entière après leur avoir vendu des armes très performantes.
- de réinjecter des milliards qu'il n'a pas pour perfuser l'économie réelle et éviter qu'elle clabote tout de suite.
- de filer d'autres milliards aux pauvres pour éviter le chaos autocide (je suis d'accord, ça ne sonne pas aussi bien que ça devrait) dans les rues, bien que les djihadistes soient maintenant eux aussi confinés et réduits à égorger des sacristains virtuels dans des basiliques en 3D
- de faire des concours de testostérone avec Erdogan
- et de replonger le capitalisme marchand et financier sous coma artificiel, sans savoir si on pourra le réveiller une seconde fois, même avec un défibrillateur nucléaire, réanimation qui sera sans doute loin d'être la dernière. 
Toutes choses qu'il n'avait pas du tout prévues de faire au cours de son premier mandat. 
Le soir, quand il rentre du bureau, il a du mal à s'acquitter des trois minutes de méditation de pleine conscience que lui a suggérées son ami et confident Christophe André pour retrouver un peu d'oxygène et lâcher-prise sur ses dossiers dans sa tête.
Tant qu'il est chaud, il devrait peut-être en profiter pour annuler Noël, ou au moins le reporter jusqu'au 14 juillet prochain, avant que la grogne des libraires l'accule à la réouverture, provoquant des contaminations géantes au Musso d'automne (qui n'est pas un champignon) ou pire, au Werber d'hiver (une vraie truffe, mais moins chère au kilo) pour complaire à la frange de son électorat pour qui le shopping en librairie reste d'une urgence vitale, même si le pronostic n'est pas engagé, car après quelques milliers d'heures de vol sur des simulateurs de fauche à l'étalage, on peut se bâfrer comme un porc de chien d'infidèle en tchourant tous les livres qu'on veut sur internet. 
Douce Frange, dont je suis fier de faire partie, bien que j'aie peu le temps de lire en ce moment avec tous les trucs qui me passent par la tête quand je lis tous les articles sur le Cioran-19 dans Le Monde sans chapeau. 
Macron m'impressionne donc favorablement, pour une fois. 
Et je préfère que ça soit tombé sur lui que sur un de ses prédécesseurs. 
Il a un peu plus de plasticité neuronale, à mon avis.
c'était la rubrique "on connait pas son bonheur jusqu'à ce qu'on le perde", et ça ne va plus tarder.
Mais alors, quand même, c'est curieux, d'un côté Macron défend Charlie Hebdo, de l'autre le gouvernement interdit la vente des livres. Du coup, acheter Charlie devient un acte politique pro-LRM, mais on peut encore trouver le dernier Emmanuel Carrère en ligne pour faire du Yoga sur Internet, comme disait ma fille à 6 ans quand elle me surprenait sur des sites de pranayama clandestin, ce que ma religion m'interdit de faire.  
Avec tout ça, mes repères sont chamboulés, Blasphémator® ne sait plus à quel saint se vouer, car si on conditionne un chien d'infidèle comme moi à distinguer un cercle d'une ellipse et si on lui montre ensuite des ellipses de moins en moins allongées, à un certain moment, il devient incapable de les distinguer d'un cercle. Il a alors un comportement de névrose expérimentale, et manifeste soit de la stupeur, soit de la rage.
Je n'ai pas de colère en moi, ça ne ferait pas bon ménage avec mes défenses immunitaires, mais je crois que je vais me réinscrire à la bibliothèque, en attendant que ça se tasse.


Avec tous ces stop Angot du petit commerce confiné, 
c'est pas très commode pour la vendre sur le bon coin. 
Surtout qu'en général, les gens m'appellent 
pour savoir si la lampe ne serait pas aussi à vendre.

Déjà rien que le titre,
mes métastases en frémissent d'aise.
Comme la Réalité Réelle Ratée dépasse cette semaine mes rêves de déception les plus fous, dans le peu de temps qu'il me reste à consacrer chaque soir à la lecture, je choisis de confier le ravalement de mon cerveau à de la non-fiction : Malaurie (ma femme m'a retrouvé l'édition de poche des Derniers rois de Thulé, qu'Elle Soit trois fois Bénie, et surtout que Je Vienne à table quand Elle m'Appelle) et Morizot
J'ai acheté son bouquin quand c'était encore autorisé, bien que ça eut été sans doute plus excitant de l'acheter lors du Black Friday des libraires interdit par la Préfecture, mais avec toutes ces histoires je n'ai pas encore trouvé le temps de l'ouvrir. 
Vous conviendrez que j'ai bien fait de proclamer par anticipation, et ce à plusieurs reprises, mon futur silence bloggesque.
Surtout que même si je ne me sens pas plus malade que d'habitude, mes aller-retours fréquents avec l'hôpital sont presque aussi chronophages que ma correspondance privée et publique. J'ai d'ailleurs trouvé dans l' enquête nationale de mesure de la satisfaction et de l'expérience des patients hospitalisés une question portant sur mon niveau de satisfaction de la vie, à laquelle je n'ai pas encore répondu. J'attends d'avoir un jugement plus nuancé, surtout si je trouve une petite infirmière black à l'hosto, qui serait d'accord pour me faire mes injections non léthales.

vendredi 23 octobre 2020

La lecture, c'est l'aventure (3)

La lecture, c'est l'aventure, c'est une saga rédactionnelle qui s'étend à ce jour sur trois épisodes : 

Ce n'est pas le meilleur livre
que j'aie lu sur le yoga,
mais c'est le seul.

Le seul livre que je parvienne à lire sans confusion perceptive aliénante sur tablette, c'est le Yoga d'Emmanuel Carrère, mais cette lecture me navre, pour lui comme pour moi. Sans parler de Fanny Ardant, posée en VHS sur l'étagère. Je ne vais pas en dire du mal, ça me nuirait, je me rappelle avec une acuité douloureuse d'un commentaire tranchant sur le forum café éveil qui disait "mais son karma n'est pas le mien, et ne peut pas le devenir, tant que je ne le condamnerai pas. Et je ne le condamne pas, car pour sûr je ne le souhaite pas", mais Carrère et ses défaillances narratives, Manu et ses embarrassantes révélations sur lui-même, toute cette intimité suffocante avec ses dysfonctionnements qu'il nous partage de livre en livre, lui et sa dépression de pleine conscience, lui dont j'apprécie tant le verbe quand il parle des autres, devient mon modèle répulsif absolu de névrose expérimentale attrapée en se regardant écrire sur soi, incarnant tout à fait ce qu’il ne faut pas faire et qu’il est éprouvant de voir faire aux autres.
En plus ça fait 15 ans que je fais pareil sur mon blog, c'est de plus en plus compliqué à démouler, et ça ne m'a jamais rapporté un radis; et à force d'arroser mon jardin avec du ciment, Dieu a fini par me couper l'eau, donc en principe Yoga me dispense pour aujourd’hui du besoin compulsif de coucher mes états d'âme (si tant est que j'en aie une) sur le papier des grossiers de l'écran. 
Comme l'a dit Beigbeder lors de l'émission Le flasque et l'enclume, « On a affaire à une autobiographie qui se ment à elle-même. C'est comme les bloggueurs patients qui mentent à leur psychanalyste : ça ne peut pas marcher.  » Comme chez Warsen, quoi, sauf que Warsen n’est pas édité chez P.O.L, d'ailleurs il ne m’édite pas autant qu'il le prétend, mais s’auto-édite à un seul exemplaire et surtout radote tout seul devant son écran; et il prend du lithium, comme Carrère, et comme beaucoup de bipolaires. Y'a pas de quoi être fier, tralalère. Sans parler du fait qu'à la suite d'une lombalgie carabinée, pas plus tard que la semaine dernière, j'avais retrouvé une réserve secrète de di-antalvic, un anti-inflammatoire à la fois interdit et périmé, je m'enfilais ça avec des cachets de lamaline (le comprimé fourré à l'opium qui ne rend pas malin, selon ma femme qui en a trop pris) pour faire descendre, comme on disait dans les troquets avant-guerre, et puis il a suffi que ma généraliste brandisse la menace pangoline, prétexte bon à tout faire passer par décret, disant que ceux qui vivaient par l'anti-inflammatoire offraient une voie d'accès en open bar à la vermine covidienne, encore pire que s'ils avaient investi dans un paillasson marqué "bienvenue" en lettre fluo à l'entrée de leur organisme, et ça m'a tout coupé. Finalement, je me suis remis droit tout seul, en faisant des travaux sur un escabeau. Mon ordinateur a passé huit jours sous une bâche au milieu des gravats, ça l'a rendu plus humble, et la peur a changé de camp, comme dit notre bon président.


Délivrez-nous des bandeaux
qui masquent les illustrations de Manchu.
Dans la foulée de cette confession tronquée d'un homme manifestement brisé par la posture de son ego bien plus que par sa posture de yoga, et qui après avoir été jadis un bon écrivain me rappelle maintenant les pires heures de mon blog, pas plus tard que la semaine dernière, alors pour revenir au réel je n'ai plus guère le choix, sinon lire encore plus de SF que d'habitude, je rachète du Peter Watts en urgence, lui qui pratique allègrement la transition disruptive de registre narratif, entre ses intrigues hard science et un fonds de désabusion sur le potentiel humain sans doute né de ses trouvailles quand il était biologiste marin.
"Nous explorons des domaines au-delà de la simple compréhension humaine. Parfois ses contours sont tout simplement trop complexes pour nos cerveaux, à d'autres moments ses axes même s'étendent dans des dimensions que sont incapables de concevoir des esprits construits pour baiser et se battre sur des prairies préhistoriques. Tant de choses nous contraignent, dans tant de directions. Les philosophies les plus altruistes et les plus viables échouent face à l'intérêt personnel, cet impératif brutal du tronc cérébral." pouvait-on lire dans Vision aveugle, que j'avais eu un mal de chien à décrypter : une intrigue mêlant space opéra, hard-science, vampirisme, entrelardée de philosophie et de questionnements sur la nature de la conscience.
Ses thèmes récurrents sont l'illusion du libre-arbitre, la pensée consciente (prétendument) rationnelle qui n'est en fait qu'une justification a posteriori de processus inconscients issus des parties les plus anciennes et les plus primitives du cerveau humain, eux-mêmes n'étant que le fruit de phénomènes chimiques et électriques précisément déterminés par les lois de la physique, vous voyez le genre, on ne se poile pas tous les jours dans ses astronefs, c'est assez dense. 

"Haka", de Caril Férey, qu'on m'a suggéré puis prêté, c'est encore pire, on dirait du Ellroy français. J'aurais jamais cru dire ça un jour, mais c'est trup punk pour moi. C'est comme d'autres avec les chanterelles, je ne peux plus manger de ça, je ne le digère plus. A ce stade, mon cancer virtuel est en nette régression, mais la récidive est à la portée d'un simple clic. Donc pas de déclaration d'intention propre à faire ricaner Dieu, comme le radotait Carrère avant moi.

J'ai pris une bonne claque
dans la salle d'attente de l'oncologue
Entretemps, un copain disruptif, je veux dire par là que je le vois par intermittence depuis 35 ans, a fait de sa maladie passée un roman très vigoureux qu'il m'envoie gracieusement et par la poste, c'est un récit de fureur et de haine envers la science médicale, avec une puissance poétique dont je ne le soupçonnais pas. Et dont je serais bien incapable, bien que personne ne m'ait questionné à ce sujet.

Et pendant que livres lus, non lus et à moitié lus s'empilent et s'enlacent au pied du lit et dans l'iPad, ça fait bien un mois déjà que je tente de conclure cet article faussement enjoué par le biais de l'autofiction du langage parlé pour vanter les vertus de la lecture, ce qui est bien la preuve que blogage et déblogage ne sont plus adaptés à mes besoins, si jamais ils le furent. 
Les raisons qui m'ont conduit à ouvrir ce blog, elles, perdurent, c'est juste que l'outil n'était pas le bon. 
Vive le silence et la méditation, mais attention aux velléités autobiographiques, surtout celles qui traitent de cyberdépendance virtuelle, d'auto-addiction, et de rédemption de l’objet fascinatoire.

quand elle n'est pas en service, ma libraire potasse
des manuels traitant des cosplays Scooby Doo 
Je retourne en librairie, au moins ça c'est une des bonnes nouvelles, avec le fait que les libraires sortent renforcés du Covid; quand un ouvrage que j'ai mis dans l'iPad comme s'il m'avait été prêté par un ami m'a tapé dans l'oeil, je vais dans la librairie de la ville, tenue par des meufs pas trop bonnasses vu que sinon elles passeraient pas leur temps à lire des livres et à essayer d'en vendre, mais elles sont sympas quand même, et on peut tout commander par internet. Internet qui, rappelons-le, n'est pas mon ami, ou alors comme le serait un vieux pote un peu relou qui me proposerait toujours de me consoler avec des techniques de gavage qui ne pourront jamais niveler mon trou béant, qui était déjà à l'origine de la création de ce blog, même si je le remplissais avec autre chose, sans parler des impératifs de mon tronc cérébral, et surtout dans une phrase où l'on place l'adverbe de temps toujours il faut tout de suite après coller son antidote jamais car ces deux redoutables éternités ne sont que faussement accessibles à l'esprit humain.

Voilà pour aujourd'hui, je vais persister à soigner ma lombalgie par des travaux intérieurs sur un escabeau, jusqu'à ce que je ne puisse plus bouger l'autre épaule; je remets mon ordi sous une bâche, et la bâche sous les gravats, ça le rendra plus humble.  Et moi donc. Parce que n'empêche même que quand même, si le langage reste l'ultime frontière de notre dernière liberté, et n'empêche melba que même si que la lecture, c'est l'aventure, au départ c'est la peinture, que c'est l'aventure.

(à suivre)

mardi 20 octobre 2020

La lecture, c'est l'aventure (2)

2 géants au pied de mon lit,
dont un sur la couverture.
Malgré la frugalité spirituelle des programmes Netflix, en plus c'est comme sur arte.tv, y disent jamais à quelle heure ça passe, y'a quand même de quoi faire des fictions stimulantes en Amérique, j'veux dire, Trump est une dystopie à lui tout seul pendant encore au moins 16 jours, mais quand Barack Obama adoube le nouveau recueil de nouvelles de Ted Chiang, l'espoir peut renaître, même pour ceux tombés du côté obscur de la lecture, i.e. ceux qui ne lisent plus beaucoup parce qu'ils regardent trop de films et de séries... rien ne contraint les producteurs à se cantonner à des calvaires doloristes à servantes écarlates ou des extinctions civilisationnelles feutrées, bien que légèrement anxiogènes car filmées en très basse lumière grâce à notre nouvelle génération de caméras hypersensibles, comme Tales from the Loop
Au temps jadis, les productions de l'imaginaire risquant d'engendrer des lésions cérébrales, les films et les séries pénibles, c'était ma nourriture, ma came et mon pied, maintenant ça m'ennuie vite, et je trouve ça toxique.
Et les films coréens violemment nihilistes et désespérés ont plus de vitalité que les feuilletons à la mode. Même quand il y a trop de sauce piquante, comme chez Na Hong Jin. Par exemple dans 황해 et aussi dans 곡성, encore plus tordu et malaisant dans sa méditation sur Le Mal, sa permanence, ses horaires d'ouverture. Alors, constatant les impasses de l’imaginaire industriel d'aujourd’hui, incapable de me féconder utilement, alors que le mélanome y parvient sans peine, je me suis re-tourné vers la littérature spéculative, comme quand j'étais petit et qu'il n'y avait que les livres pour geeker. Je me rappelle tout d'abord d'une histoire de temps figé un peu plus affûtée que celle de Tales from the loop, ce qui est une référence à peine voilée à la première partie de cet article dont le résumé prendrait plus de temps que la relecture.

Le secret de la hideur de ces couvertures
s'est perdu dans l'abîme du Temps
.
J'exhume alors mon exemplaire fossile de L'invention de Morel, écrit dans les années 40, l'auteur est adoubé par Borges dans la préface, excusez du pneu, mon édition papier est jaunie et cassante, mais la texture du récit reste sans équivalent sur terre. Ca ferait sans doute un bon épisode de Black Mirror, mais le livre se suffit à lui-même, la narration à la première personne exsude suavement des trésors de malignité et de torvitude, mot qui ferait mieux d'exister dans les meilleurs délais. On tutoie un pur bloc idéal d'imaginaire. Ensuite, toujours taraudé par l'obscur besoin d'histoires cherchant des noises à la temporalité, j'ai envie d'approfondir ma connaissance de Christopher Priest, un auteur anglais que je ne connais pas très bien, mais j'ai oui-dire qu'il n'a pas son pareil pour semer la ribouldingue dans les flux causaux et/ou spatio-temporels; je lis d'abord Futur Intérieur : on dirait un Philip K. Dick inédit des années 60, un peu raté, comme certains des meilleurs Philip K. Dick des années 60, mais c'est très frais de le découvrir maintenant. Je me rappelle alors d'un blog spécialiste de Priest qui s'appelait « l’armurerie de Tchekhov », dont l'absorption me permettrait sans doute de me la péter au-delà du mal que ça me fait déjà, en mémorisant ce qu'on peut penser de Priest sans en avoir lu un traître mot, mais pour l’instant le site est down.

C'est son livre le plus connu, 
grâce au film qu'en a tiré Nolan.
Mais beaucoup d'autres sont troublants,
du point de vue de la "défaillance narrative",
comme il le dit lui-même.
Peut-être que Tchekhov nettoyait son arme, et que le coup est parti. Si Tchekhov est mort, casse la noeud tienne, j'ai les moyens de le ramener à la vie, puisque le futur c'était mieux avant, moi aussi j'ai une grosse machine à remonter le temps, puis le laisser suspendu à sécher sur le fil à linge, non mais sans blague. Je passe d'abord quelques minutes au bord de sa tombe, assis les jambes ballantes dans le trou fumant, puis me revient en mémoire la fameuse Internet Wayback Machine, qui restituait jadis en trois clics l'état du Web à la date de votre choix. (pour les états du Web antérieurs à 1930, prévoir un devis + un délai de livraison, quand même.)
Allez, un petit tour dans la machine : 
Le problème de ce Tchekhov, c'est qu'il semble assez affûté sur son sujet, mais qu'il divulgâche sans vergogne tous les romans qu'il chronique. Désireux de conserver une certaine fraicheur aux défaillances narratives de Priest, je me tourne alors vers un site semi-pro dont j'ai un bon souvenir, le cafard cosmique, lui aussi disparu en mer virtuelle :
Je fais semblant de me rappeler plein de trucs depuis tout à l'heure, mais le retour à la lecture, surtout sur papier, me fait prendre conscience de mes troubles de l'attention et de la mémoire, et entreprendre par là même un début de rééducation. Cela fait une bonne quinzaine d'années que j'ai perdu mon appétit de lecteur, j'achète encore des livres, mais ils s'entassent le plus souvent au pied du lit.  Faut dire qu'avec toutes les séries que je me tape à la télé quand ma femme est éteinte, sans parler du temps passé à trackquer les pépites dans les cyberbosquets, je n'ai plus guère le temps de lire. 

c'est pas de la SF de tapette
Bon, j'ai quand même lu trois ou quatre Priest empruntés à une bibliothèque virtuelle dans mon iPad l'an dernier, ou peut-être était-ce l'année d'avant. Tout va si vite, maintenant. Il me reste quelques images dérangeantes du Prestige, de la Fontaine Pétrifiante et des Extrêmes, mais j'ai tout oublié de la Séparation, et du recueil de nouvelles composant l'Archipel du Rêve. A tel point que je relis la même nouvelle qu'il y a six mois, quand j'ai lâché l'affaire, avec le même ravissement épouvanté. 
Le Monde Inverti, dans mon souvenir, est stupéfiant, mais semble scénarisé par Peeters et dessiné par Schuiten. C'est une vraie honte mémorielle.
Avec son concept de défaillance narrative, bien pratique aussi pour finir ses histoires de façon décevante, Priest me fait penser à la névrose expérimentale, ce phénomène découvert par l'école pavlovienne qui se produit lorsqu'un animal est amené au-delà de ses capacités de discrimination, c'est-à-dire lorsqu'il est confronté à deux stimuli différents, mais tellement similaires qu'il ne lui est pas possible de les distinguer. 
Quand le chien n'est plus capable de discriminer l'ellipse du cercle, il présente une névrose expérimentale. Soit il est très abattu, soit il aboie très fort tellement ça craint dans son esprit de chien, soit il mord l'expérimentateur. C’est souvent ce qui arrive aussi au lecteur de Priest, confronté à des versions contradictoires et non-miscibles des événements. 
Qui croire ? l'un des narrateurs décrit un cercle, l'autre une ellipse. Et le récit s'acharne à ne pas trancher. C'est pourquoi il vaut mieux emprunter ses livres sur internet, plutôt que de risquer de mordre un libraire. Lire des romans brindezingues sur écran tactile sans mettre mes doigts partout pour tester la validité de l'énoncé, c'est un challenge Lunes d’Encre inédit.

(à suivre)

mercredi 7 octobre 2020

La lecture, c'est l'aventure (1)

"Peut-être que notre erreur, c'est d'avoir allumé la télé." m'avait dit ma femme quand je l'ai éteinte.
La télé, pas ma femme. 
J'avais trouvé ça magistral, comme réponse, d'autant plus que jusque-là, je n'avais encore posé aucune question, on avait juste regardé une série décevante, genre la saison 3 de Killing Eve, pathétique pantomime vidée de sa substance, et je ne me doutais même pas qu'on avait un problème, alors j'avais continué à télécharger comme un sourd. 

Eddie "Pandémiaou" Van Halen au Hellfest

(collection privée)

Faut dire que j'ai tant d'acouphènes que j'ai chaque jour l'impression d'être allé voir AC/DC hier soir, surtout à tribord, ce qui me rajeunit quelque part mais pas là où je pense, alors que la dernière fois que je les ai vus en vrai c'était en 1980, et que musicalement parlant j'aurais mieux fait d'aller voir Van Halen, dont le guitariste vient de nous quitter à 65 ans après « un long combat » contre le cancer, c'est ça les guitar-heros, moi j'ai un copain chanteur pas connu (mais pas oublié par ses potes, ni par ses potesses, poétesses plus ou moins azimutées car lui-même était beaucoup plus fractal qu'il ne le laissait croire) qui vient de nous quitter après une longue maladie qui fut plutô (chien de mickey, comme il avait coutume de dire) courte, certes il y eut combat mais je crois bien que mon copain l'a gagné, renonçant à son corps (parti en live vers l'amor) plutô qu'à ses idées sur la médecine, c'est peut-être pour ça qu'il n'a pas fini dans le journal, sauf dans le mien, j'en parlerai ailleurs, ou pas, anyway, pour l'instant, assez d'décès ! pourrait-on s'exclamer dans le Haut-Karabakh comme dans le Bas, sur la Terre comme au Ciel.

"Le désert n'ayant pas donné de concurrent au sable, grande est la paix du désert" disait Henri Michaux. Partout ailleurs, ça crisse et ça coince. C'est ce que je vois dans ma télé. Mais "peut-être que notre erreur, c'est d'avoir allumé la télé" : je m'en souviens, c'est ma femme qui m'avait mis la puce à l'oreille. Dit comme ça, il était clair qu'il ne restait à notre couple que très peu de séries à vivre. Voire même de mini-séries. Ils font ça maintenant, c'est bien pratique, on n'est pas obligé d'en regarder 5 fois 10 heures pour savoir s'ils se moquent du monde. Ou pas, comme le suggèrent les formateurs dans les stages de méditation de pleine conscience. Je dis ça sur le mode victime, mais devant une télé allumée on est souvent une victime consentante. Quand elle est éteinte, déjà moins.
Ma femme, pas la télé, est toujours d'une exquise délicatesse, et je lui en sais gré, quand elle explique à nos amis que tel le chasseur du Néolithique, je ne peux consommer dans ma télé que ce que j'ai rapporté de ma chasse, parce que c'est quand même un peu embarrassant, pour elle comme pour moi. Sans parler des invités, qui s'enfuient alors en hurlant/ricanant. Mais je ne me lancerai pas pour autant dans la rédaction d'un précis de psychopathologie du téléchargement. 
Je n'ai pas pied.
Mieux vaut la laisser éteinte.
La télé, quand elle se prend pour ma femme.
Elle a quand même été bien contente (ma femme, pas la télé) quand, bravant mes présupposés culturels, je lui ai fait montrer projeté Big little lies, par exemple, qui n'est finalement pas du tout un Desperate Housewives de bord de mer, comme y disaient dans Télérama, mais une étude plutôt bien écrite et joliment réalisée sur les violences conjugales, avec de très bons acteurs et actrices, et une épatante bande-son. 
Mais il faut disposer de 7 fois 50 minutes à investir en temps de cerveau disponible. 
Et qu'est-ce qu'on va faire de ça, si on n'est pas branché violences conjugales ?
Je voulais voir Big little lies pour Jean-Marc Vallée, qui avait signé Sharp Objects, il y rendait la laideur jolie, et pour Monterey, où on était allés avec ma femme et les enfants, mais sans la télé. 


Autre exemple : après avoir regardé la mini-série Devs en me disant que j'avais globalement perdu mon temps, que ça aurait pu tenir dans une nouvelle de SF de 150 pages, je me suis entêté, et j'ai voulu essayer Tales from the Loop, autre mini-série estampillée SF, mais là je me suis rapidement senti glisser le long du plan incliné d'une entreprise crapuleuse exploitant chichement la pente savonneuse de postulats rebattus comme de la viande froide :
"et si le temps s'arrêtait ?" 
"et si une gamine faisait un saut de 30 ans dans le futur et s'y retrouvait confrontée à elle-même plus âgée ?" 
"et si on pouvait intervertir les âmes et les corps ?" 
"et si Jonathan Pryce, l'immortel interprète de Sam Lowry dans Brazil, jouait un physicien quantique, vieillard neurasthénique arrivé au bout du bout, et qui le sait ? mais dis donc, la vache, il est aussi vieux que ça maintenant Jonathan Pryce ? mais alors, quelle heure il est-il donc ??"

Riven était une balade contemplative
à la recherche de ses clés de bagnole
Qu'il est doux et vénéneux de regretter l'époque où le progrès technique était synonyme d'avancée humaine : l'imagerie rétrofuturiste de Tales from the Loop, douillette et luxueuse, m'a de plus évoqué pour pas cher de l'heure des jeux vidéo tombés dans l'oubli comme Myst et sa suite Riven, souvenirs très chaleureux vu qu'on ne croisait âme qui vive dans ces mondes virtuels, sinon des fantômes, qui pullulent aussi de manière infectieuse dans Tales from the Loop.
L'esthétique années 80 nimbe l'uchronie mélanco-ramollo d'une patine contemplative qui finit par se confondre avec le message lui-même : le futur est fichu, nous ne retrouverons jamais ce que nous avons perdu, fuyons vers le passé, et restons-y, sous une forme ou sous une autre.
Est-ce là le message que l'Amérique veut s'envoyer à elle-même et partager aux abonnés payants des sites de téléchargement illégal qui croient niquer Babylone à peu de frais ? 
Autant Devs creusait sobrement son sillon dans l'essai cérébral sur le déterminisme et le libre arbitre en restant sec sur l'émotionnel, autant Tales from the Loop en dégouline, et pas du meilleur, je ne sais pas si vous avez déjà été dépendant affectif, je ne vous le souhaite pas, mais en visionnant les premiers épisodes, qui sont autant de petites historiettes autonomes et tristouilles, j'ai ressenti l'appel discret mais vibrant de la super-glu du chagrin, je n'ai pas pu dépasser l'épisode 4, série trop déprimante quant à la splendeur ternie du positivisme, sous couvert de fabulettes poétiques en spleen mineur. Et la lecture, dans tout ça ? j'y viens, j'y viens. Ce sont quand même toutes ces histoires d'amour ratées avec ma télé qui m'ont ramené vers les livres.

samedi 2 mai 2020

Toutes mes statues ont des ailes de pierre







Si tout se casse la gueule, j'aurai bien fait d'acheter ce recueil de nouvelles de Craig Strete pour trois francs six sous sur Amazon avant qu'y ferment. L'auteur, que j'avais croisé dans la revue Univers de Yves Frémion du temps où les revues de science fiction prophétisaient allègrement que tout allait se casser la gueule, est lui-même sujet à controverse, et ressemble en cela aux personnages qu'il imagine.









samedi 11 avril 2020

« Beaucoup de scientifiques ont averti qu’une pandémie se préparait, et personne n’a semblé les écouter »

Dans son roman « L’Année du lion », paru en France en 2017, l’écrivain sud-africain Deon Meyer avait anticipé l’actuelle épidémie due au coronavirus.

Propos recueillis par Maryline Baumard Publié hier à 09h00, mis à jour hier à 14h21

L’écrivain Deon Meyer, à Stellenbosch,
en Afrique du Sud, le 23 janvier 2020.
Une voiture abandonnée sur une route déserte, un peu de nourriture périmée. C’est dans cet environnement qu’un père et son fils, tous deux survivants du « viruscorona » qui vient de décimer 95 % de la population mondiale, sont attaqués par des chiens sauvages. Ainsi commence L’Année du lion, un roman de Deon Meyer que la France a pris en 2017 pour un récit postapocalyptique. Personne n’imaginait à l’époque que cette fiction racontait déjà l’actuelle pandémie liée au coronavirus. Pas même son auteur.
L’écrivain sud-africain avait pourtant fait valider scientifiquement que le coronavirus était bien l’agent pathogène le plus dangereux pour la race humaine et la planète. Il avait travaillé sur sa transmission et ses conséquences sur nos sociétés mondialisées, du passage de l’animal à l’homme à la contamination intercontinentale, en passant par la fermeture des frontières ou les détournements de masques de protection, devenus armes de cette drôle de guerre…
Trois ans après la traduction du roman en français, la trame qui le sous-tend, improbable hier pour une imagination moyenne, est devenue réalité. Drôle de préfiguration ! Y compris pour Deon Meyer, qui s’est replongé dans ses notes, lui-même un peu effrayé de découvrir que son roman avait anticipé une catastrophe planétaire.

Une humanité décimée par un coronavirus, c’est le point de départ de L’Année du lion. Comment vous est venue cette idée ?
Pour être honnête, avec L’Année du Lion, je voulais d’abord explorer notre monde après qu’un virus eut décimé la population mondiale, et pas tant la pandémie elle-même. Il se trouve que les récits de l’expérience chaotique des personnages durant la pandémie n’ont cessé de s’inviter dans le livre, ce qui m’a obligé à faire des recherches sur la nature des pandémies et à essayer d’imaginer ce que ce serait de vivre une telle situation.
Pour mettre en scène ce monde fictif postapocalyptique que je voulais, je devais tuer 95 % de la population mondiale, mais laisser toutes les infrastructures intactes. Mes recherches pour le roman ont été faites après l’apparition de la grippe aviaire H5N1 de 1996 et de la grippe porcine H1N1 de 2009-2010. Ces deux crises terrifiantes, ainsi que les épidémies récurrentes d’Ebola en Afrique, m’ont donné l’idée d’explorer la possibilité qu’un virus soit à l’origine de l’apocalypse dont j’avais besoin.
Alors j’ai commencé à chercher un expert de classe mondiale en matière de virus et je suis tombé sur le professeur Wolfgang Preiser, chef du département de virologie médicale de l’université de Stellenbosch.

L’idée vous paraissait-elle farfelue, à l’époque, quand vous l’avez posée comme base de votre roman ?
Plus j’approfondissais mes recherches à l’époque, moins l’idée me semblait farfelue. Beaucoup de gens très intelligents, tous des scientifiques très respectés dans divers domaines, avertissaient qu’une pandémie se préparait et que ce n’était qu’une question de temps avant qu’un virus ou une bactérie ne fasse de vrais ravages. Ce qui m’a fasciné alors, c’est que personne ne semblait les écouter. N’est-ce pas d’ailleurs la même chose avec la montée des superbactéries à cause de l’abus d’antibiotiques ? Ou avec le réchauffement climatique, bien que de plus en plus de dirigeants mondiaux semblent maintenant prendre cette question plus au sérieux ?

Pourquoi un coronavirus, et pas Ebola ou un autre agent pathogène ?
J’avais demandé à Wolfgang Preiser d’identifier un virus qui pourrait tuer 95 % de la population mondiale. Magnanime et indulgent, le professeur a non seulement joué le jeu avec enthousiasme, mais il a aussi fait appel à un illustre collègue à lui, le professeur Richard Tedder, de l’University College de Londres, pour qu’il l’aide. Tous deux ont identifié le coronavirus comme le meilleur candidat, bien qu’ils aient dit que mon chiffre de 95 % était bien trop pessimiste, et m’ont donné tous les détails sur la façon dont cela pourrait se produire. Détails que j’ai inclus dans le roman.

Racontez-nous, pour ceux qui n’ont pas lu le roman, quelques-uns de ces détails de la transmission telle que vous l’aviez décrite…
Eh bien, quelque part en Afrique tropicale, un homme est allongé sous un manguier. Cet homme est affaibli parce qu’il est séropositif et ne bénéficie d’aucun traitement ; en plus, il est porteur d’un coronavirus. Mais rien d’étrange à cela, les coronavirus sont assez courants ; avant la pandémie, on en connaissait au moins quatre qui provoquaient des symptômes de grippe ou des rhumes chez l’humain.
Les coronavirus sont également présents chez les animaux, les mammifères et les oiseaux. Or dans le manguier, il y a une chauve-souris, porteuse d’un autre type de coronavirus. Cet animal malade défèque sur le visage de l’homme allongé. Les excréments liquides entrent en contact avec ses yeux, son nez ou sa bouche, ce qui introduit le second coronavirus dans son système respiratoire, avant que les deux coronavirus se multiplient ensemble à l’intérieur des mêmes cellules de sa trachée. Là, leur matériel génétique se combine, donnant naissance à un nouveau coronavirus, extrêmement pathogène, qui peut facilement infecter d’autres personnes par simple inhalation.
L’homme du manguier vit dans une communauté pauvre, où les gens s’entassent les uns sur les autres et où l’incidence du VIH est élevée. Evidemment, il infecte rapidement d’autres personnes. Et le nouveau virus se répand dans la communauté, en continuant de muter. Et une de ses mutations le rend capable de se transmettre facilement dans l’air et de contaminer des personnes en les laissant asymptomatiques assez longtemps pour qu’elles en infectent beaucoup d’autres avant de mourir.
Un des membres de la famille de l’homme du manguier, touché lui aussi, travaille dans un aéroport de la ville voisine et tousse sur une passagère, juste avant que cette femme ne prenne un vol pour l’Angleterre, où se déroule alors un grand événement sportif international…

Si l’on remplace la chauve-souris par le pangolin, la chaîne de transmission ressemble à ce qu’on a connu…
Dans mon roman, tous les pays développés ont bien sûr un protocole à appliquer en cas de maladie infectieuse mortelle. Comme la plupart des pays en développement, qui ont aussi des plans détaillés pour ce genre de scénario. Il y avait des directives et des systèmes pour contrer une épidémie. En théorie, ils auraient dû fonctionner. Mais la nature n’a pas tenu compte de ces théories. Et la faillibilité humaine non plus…

Tout de même, le fait de vivre sur le continent africain ne rend-il pas un écrivain plus sensible à cette thématique des pandémies ?
Très certainement. Et pas seulement à cause du VIH/sida et du virus Ebola. La pauvreté, la densité de population dans les villes, les systèmes de santé fragiles, la corruption et les dirigeants irresponsables créent des conditions de circulation rapide des virus.
Je dois m’empresser d’ajouter que l’Afrique du Sud a beaucoup de chance d’avoir un dirigeant comme le président Cyril Ramaphosa en ce moment, mais même lui et son gouvernement sont aux prises avec l’horrible héritage de notre ancien président kleptocrate Jacob Zuma et de ses acolytes, qui ont pratiquement détruit notre pays sur le plan économique. Notre capacité à lutter aujourd’hui contre le Covid-19 est d’ailleurs sérieusement entravée par cette situation.

Vous sentez-vous visionnaire ?
Les véritables visionnaires sont les professeurs Preiser et Tedder, et tant d’autres scientifiques qui nous ont mis en garde, mais nous ne les avons pas pris au sérieux. Tout ce que j’ai fait, c’est extrapoler leurs informations et essayer d’imaginer une pandémie et ses conséquences.
Je dois admettre que je ne trouve aucun plaisir à avoir anticipé ce qui est en train de se passer. Les personnes qui ont perdu des proches dans ces circonstances très difficiles souffrent terriblement. Personnellement, ma fille vit en Italie – j’ai le bonheur qu’elle soit en bonne santé –, ma mère a presque 90 ans, et moi, j’en ai quasiment 62. Ajoutons que j’ai fumé pendant une grande partie de ma vie. Donc j’ai un peu de souci à me faire…

Depuis L’Année du lion, vous êtes passé à autre chose, vous avez écrit d’autres livres. A quel moment de l’apparition de cette pandémie ce souvenir a-t-il refait surface ?
Le souvenir de ce roman m’est revenu tout à coup alors que, à la mi-janvier, le virus se répandait très rapidement à Wuhan et qu’on a commencé à en parler par-delà les frontières chinoises. L’affaire a vite pris un tour tel que j’ai remis le nez dans mes notes de recherche de 2015-2016 pour l’écriture de L’Année du lion. Et je me suis fait peur…

On dit que la politique, c’est l’art de prévoir… Cette crise ne montre-t-elle pas que les gouvernants manquent cruellement d’imagination pour dessiner leur champ de prévisions ?
Les grands dirigeants ne manquent pas d’imagination. A leur décharge, ils ont peut-être eu tellement de sujets à gérer ces dernières années – l’économie mondiale, la crise des réfugiés, le terrorisme, le Brexit, un imbécile à la Maison Blanche, la montée des extrêmes droites et des nationalismes, la menace croissante du réchauffement climatique – qu’ils n’ont tout simplement pas eu le loisir nécessaire pour s’inquiéter des pandémies virales. Ni l’argent nécessaire pour s’y préparer, d’ailleurs.
Pour moi, nous vivons dans un monde divisé et largement débordé par ses problèmes écologiques, économiques et politiques. Même les très grands hommes politiques n’ont ni les moyens ni le soutien nécessaire pour faire tout simplement ce qu’il faudrait. En tant qu’électeurs, nous devons également en assumer la responsabilité. Si nous ne commençons pas à nous unir derrière les dirigeants qui veulent penser un monde durable, nos enfants en paieront le prix.

Ne considérez-vous pas aujourd’hui que la littérature s’impose comme un meilleur moyen d’anticiper l’avenir, plus efficace que la politique ?
Oui, je crois que la littérature est la meilleure façon d’anticiper l’avenir. Elle l’a toujours été, mais, pour être juste, il faut dire que la littérature s’est aussi beaucoup trompée. D’ailleurs, si la littérature permet de mieux anticiper, c’est peut-être parce que les auteurs ont le luxe de spéculer sans conséquences.

L’Année du lion, de Deon Meyer, traduit de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert, éd. Seuil, 2017, 640 pages, 23 euros.