dimanche 29 novembre 2020

Black Fridays (3) : Gros rabais sur les bourreaux graciés

Après ma diatribe contre ce pauvre Segalen envoyée dans les vitres moquettées du président du groupe de Réalité Réelle Ratée (le gRRR), j'ai été bien puni par la Réalité Réelle, qui pour une fois ne m'a pas Raté : en arrivant au bureau le lendemain, j'ai été contraint par le destin de bricoler en 4eme vitesse une nécrologie de Noëlla Rouget, et plus vite que ça, une fervente catholique au parcours exemplaire dont j'ignorais tout et ne pensais rien (un peu comme Segalen mais en pire), qui venait de mourir à 100 ans, et qui était native d'Angers, où comme chacun sait on opère sans danger des plus jeunes aux plus âgées, on peut presque tout changer, excepté ce qu'on ne peut pas.

Ne clique pas, ça ne fera rien.
C'est un jpeg.
On a obtenu cette archive de l'INA en HD vers 11h 15, et comme c'était pour le journal de midi, il a fallu sortir les boosters pour la retailler selon nos besoins. Heureusement que dans le milieu très fermé du Landerneau du montage vidéo, on m'appelle le Boucher de Belgrade.  Mon camarade journaliste s'est basé sur l'article du Monde pour rédiger le texte.

Je vous joins l'article, en principe réservé aux abonnés, et très instructif, pour votre édification.
J'ai une dispense papale, je suis en mission pour le Seigneur.
On se retrouve après la lecture, en dessous de l'article.


RÉCIT Morte dimanche à l’âge de 100 ans, l’ancienne institutrice a mené bien des combats. Résistante, cette fervente catholique, hostile à la peine capitale, a contribué à sauver de la mort l’ancien employé français de la Gestapo qui avait précipité sa déportation à Ravensbrück.

Nous republions ce récit paru dans Le Monde le 11 septembre 2019 à l’occasion de la mort, dimanche 22 novembre, de Noëlla Rouget.

Noëlla Rouget aura 100 ans le 25 décembre. C’est, à bien des égards, une rescapée. De l’âge, de la guerre, des camps, mais aussi de la haine. Voilà donc devant nous cette femme qui a traversé un siècle, son portrait tel qu’il nous apparaît : chevelure blanche peignée avec soin, petite croix en or enfouie dans le corsage. Et, sous ces apparences à la fragilité trompeuse, ce caractère que l’on sait d’acier trempé, on l’a appris en découvrant son destin avant cette rencontre dans une maison de retraite de Genève. Elle raconte son long voyage dans la vie, avec, au fond de la prunelle, l’ironie ou la surprise de ceux qui ont su si longtemps faire la nique à la mort.
Face à son lit, sur un secrétaire, est posée une photo d’elle prise à Angers, du temps où elle s’appelait Noëlla Peaudeau. C’était il y a une éternité ; elle avait 20 ans et une indomptable crinière de jais. La presque centenaire contemple ce cliché, cette autre elle-même, comme un pense-bête, un miroir de la mémoire, tandis qu’elle tâtonne dans les souvenirs. Et puisqu’une image est ce qui reste du temps qui passe, pour mieux se représenter son histoire, il faut ajouter une troisième figure, extraite de ses albums personnels dans les années 1960 : la voici cette fois en élégante quadragénaire, paradant dans des robes de gala à des dîners chics, ou se promenant sur les rives de la Méditerranée, en tenue d’été. Trois époques, trois femmes, et un singulier parcours…
Noëlla Peaudeau a donc 20 ans au printemps 1940, quand les Allemands débarquent dans le Maine-et-Loire. Son père, Clément, fonctionnaire des chemins de fer, sa mère, Marie, femme au foyer, lui ont enseigné l’humanisme, une morale tirée au fil à plomb et l’absolue croyance en une force supérieure. « Mes parents m’ont transmis une foi chrétienne profonde et des principes de comportement », raconte-t-elle. La gamine est placée dans le pensionnat catholique Saint-Laud, une institution réputée d’Angers. Son frère Georges sera ordonné prêtre dans les années 1930.

Amoureux et résistants

En raison de la guerre, Noëlla doit abandonner le rêve de suivre des études de lettres et devient institutrice à Saint-Laud. Elle enrage de voir parader l’occupant dans la ville. Lui vient très vite, vague mais tenaillante, « l’envie de les ennuyer ». Croisant un étudiant qui lui tend un tract, elle lui demande comment elle pourrait se rendre utile. Ainsi démarre son apprentissage dans la Résistance. Elle est d’abord chargée de distribuer les appels à la rébellion, puis de les fabriquer en les tirant sur des ronéos. Devenue ensuite agente de liaison, elle fait passer messages, valises et armes sur son vélo sans frein. Elle adhère en 1941 au mouvement gaullien Honneur et patrie, puis au réseau Buckmaster Alexandre Privet, monté par les services d’espionnage britanniques.

En ces obscures années, elle rencontre Adrien Tigeot, un bel homme au visage inquiet, au front large et franc, dont les projets se sont également fracassés sur les écueils du temps. Il a dû renoncer à des études d’ethnologie et est entré à l’Ecole normale, moins prestigieuse, à l’époque, que l’université. Il a rejoint la Résistance, dans un réseau rattaché au Front national, d’obédience communiste, et se dit tiraillé entre ses idées marxistes et une foi traversée de doutes. Noëlla et Adrien, celle qui croyait en Dieu et celui qui ne demandait qu’à y croire, se fiancent. Une photo datée du 30 mai 1943, prise à Corzé où l’instituteur est stagiaire, les montre s’amusant avec une carriole d’enfant. Les bans du mariage viennent d’être publiés quand Adrien est arrêté, le 7 juin, en même temps que deux autres camarades normaliens.

Noëlla est à son tour appréhendée deux semaines plus tard. Deux hommes de la Gestapo se présentent chez ses parents et l’emmènent. La prisonnière croit d’abord que les deux sbires sont Allemands, avant de découvrir, bien plus tard, que l’un d’eux au moins est Français. Son nom : Jacques Vasseur.


Rouage zélé et cynique

Ce n’est pas une de ces petites frappes, un de ces êtres sans instruction et sans étoffe que la Gestapo embauche régulièrement comme supplétifs. Il est issu d’une famille aisée, originaire du Nord, qui a déménagé à Angers. Jacques Vasseur a fait HEC à Paris. Alors que des postes séduisants lui étaient proposés ailleurs, il est revenu dans la ville où vit sa mère, Yvonne. Son père étant décédé, il entretient avec elle une relation fusionnelle et castratrice. Yvonne l’a déguisé en fille jusqu’à l’âge de la scolarité. A son procès, des années plus tard, l’homme avouera n’avoir jamais couché avec une femme, « pour ne pas faire de peine à Maman ». Dans toutes ses correspondances, il écrit « Mère » et « Maman » avec une déférente majuscule.

Une de ses grands-mères étant Allemande, il passe ses vacances d’avant-guerre chez elle, à Heidelberg (Bade-Wurtemberg). Parfaitement germanophone, il est fasciné par la montée du nazisme qu’il voit à l’œuvre outre-Rhin. En France, il adhère très vite au Parti franciste, un des grands mouvements collaborationnistes. Embauché en 1942, à tout juste 22 ans, comme simple interprète à la Sicherheitsdienst, un service de la Gestapo, il devient peu à peu un rouage essentiel du bureau d’Angers, centre important qui sévit dans tout l’ouest de la France. Il ne tarde pas à s’y faire remarquer par son zèle et son cynisme. Il sillonne la campagne, se fait passer pour un réfractaire ou un maquisard, gagne sur sa bonne mine la confiance des paysans, leur demande l’asile avant de les arrêter puis de les faire déporter ou passer par les armes. Il infiltre puis démantèle plusieurs réseaux résistants de la région, et participe même aux séances de torture dans les locaux de la rue de la Préfecture.

Les survivants raconteront comment, impassible, ce tortionnaire mangeait des cerises tandis qu’on massacrait une femme devant lui, comment il brûla la pointe des seins d’une autre ou s’acharna sur une victime qui était enceinte. D’autres malheureux témoigneront des coups de nerf de bœuf ou du supplice de la baignoire, sa façon d’exercer une pression morale sur les couples en les plaçant face à face. Le tout avec une méticulosité teintée d’une morbide jubilation et d’un sentiment de toute-puissance.


« L’homme à la raie au milieu »

Pour tous, ce bourreau est « l’homme à la raie au milieu », bientôt nommé à la tête de la Section IV, chargée de la répression des activités anti-allemandes. Ses appointements mensuels s’élèvent alors à 3 740 francs, une belle somme pour l’époque. A la Libération, il sera personnellement rendu responsable de 430 arrestations sur la période 1942-1944, avec, à la clé, 310 déportations et 230 morts, fusillés ou vaincus par le régime concentrationnaire.

Tombée aux mains de Vasseur, la jeune Noëlla est incarcérée dans l’aile allemande de la prison du Pré-Pigeon. Elle en sera extraite à quatre reprises pour être interrogée par la Gestapo, et dit aujourd’hui n’avoir eu à subir que des gifles. Arrive alors le moment d’une confrontation avec son fiancé, Adrien Tigeot. Elle manque de s’évanouir en le voyant apparaître. « Il avait été torturé. Il était méconnaissable. » Ce sera la dernière fois qu’elle le verra. Le 13 décembre, il est fusillé, avec six camarades, dans la clairière de Belle-Beille.

Juste avant d’être conduit au poteau, le condamné a envoyé un mot d’adieu à sa fiancée. « Une belle lettre », confie simplement la vieille dame. Il y est écrit notamment, d’une main où ne se devine aucun tremblement : « Puisque je ne suis plus, il faut que tu m’oublies, ma chérie, que tu vives. Notre grand amour est fini, il faut que tu guérisses ta plaie, que tu aimes encore. Ne fais pas un mariage de raison, ma Noëlla adorée, aime ton mari, sois heureuse, très heureuse, fais-le pour moi. »

Noëlla ne découvrira ce testament spirituel qu’à la Libération. Après plusieurs mois de détention, elle est extraite du Pré-Pigeon, sans même une parodie de jugement, pour être envoyée, le 9 novembre, au camp de Compiègne. Elle y écrit à ses parents. « Je serai transférée dans un autre camp. N’envoyez plus de colis. Attendez ma nouvelle adresse. » Le 31 janvier 1944, elle est intégrée à un convoi de 959 femmes, déportées à Ravensbrück. Là-bas, dans l’enfer concentrationnaire du block 27, le matricule 27240 côtoie, pendant quatorze mois, les pires atrocités qu’un individu puisse vivre et la plus belle et incoercible des fraternités. Sa foi en Dieu et en les hommes n’en est pas même égratignée. Au contraire, elle la soutient dans l’épreuve. « Nous organisions des prières derrière le block. » A Ravensbrück, elle se lie notamment avec Geneviève de Gaulle, la nièce du Général, et avec Germaine Tillion, dont la mère Emilie sera désignée sous les yeux de Noëlla pour partir vers la chambre à gaz.


Fin de cavale pour le bourreau

Quand elle est libérée, le 5 avril 1945, la jeune femme ne pèse plus que 32 kg et souffre d’abcès tuberculeux dont elle mettra plus de vingt ans à guérir. C’est une morte vivante qui revient à Angers, où l’attend l’injonction posthume de son fiancé à tourner la page. Sur les conseils de Geneviève de Gaulle, elle part se requinquer à Château-d’Œx, en Suisse. Navrées de la voir si déprimée, des amies la traînent à un bal. « Je restais dans un coin à bouder. Un militaire m’a demandé si je voulais danser. J’ai fini par l’épouser. » Noëlla se marie avec André Rouget en 1947 et s’installe à Genève, où le couple a deux garçons. Les années passent, censées cautériser toutes les plaies. Elle devient cette quadragénaire active et un brin mondaine, non pas oublieuse, plutôt formidablement résiliente.

Mais le passé revient toquer à la porte au début des années 1960, quand son frère lui annonce que Jacques Vasseur vient d’être retrouvé. « L’homme à la raie au milieu » a continué à sévir après le Débarquement, y mettant même un surcroît de rage destructrice. Il avait fui en août 1944 en Allemagne, dans les fourgons de ses « employeurs », et avait disparu dans la nature du côté d’Heidelberg. Il avait été condamné à mort par contumace le 11 septembre 1945 par la cour de justice d’Angers.

Le 21 novembre 1962, Jacques Vasseur est arrêté par hasard au domicile de sa mère qui, pour fuir la vindicte angevine, est repartie dans le Nord, à La Madeleine-lez-Lille. Son fils l’a rejointe dès 1945 et vit depuis clandestinement dans le grenier de la maison. Pour préserver ce secret, Yvonne ne laisse rien au hasard et pousse la précaution jusqu’à ne jamais acheter deux biftecks chez le même boucher.

Durant ses dix-sept ans de réclusion volontaire, son fils n’a cessé d’étudier. Il se passionne pour la cosmogonie, les mathématiques, apprend huit langues, dont le russe, le japonais et le sanscrit, traduit Tchekhov et Dostoïevski. Il a aussi réalisé une anthologie de 6 000 proverbes de tous pays, compilés dans un épais cahier. Mais la visite de deux gendarmes, pour une raison futile, un jour que sa mère s’est absentée et que Vasseur fait de la plomberie dans la cuisine, révèle sa présence. Il se trahit bêtement, ne résiste pas, semble au contraire soulagé d’arriver au bout de sa cavale.


Abominable litanie d’exactions

Noëlla Rouget se rend à Rennes pour une confrontation. « J’ai été surprise par son impassibilité et son arrogance. » Elle doit une nouvelle fois affronter sa froideur hautaine lors du procès qui s’ouvre devant la Cour de sûreté de l’Etat, à Paris, le 20 octobre 1965, sous le chef d’« intelligence avec l’ennemi ». Elle est là, parmi les 190 témoins qui se succèdent pendant quinze jours et rappellent un à un l’abominable litanie des exactions de Vasseur.

Jour après jour, l’envoyé spécial du Courrier de l’Ouest, le quotidien régional d’Angers, noircit les colonnes de ses méfaits, s’étonne comme d’une « énigme » du contraste entre ces abominations et la personnalité « falote » de l’accusé. Lui nie ou, quand il ne peut vraiment pas, minimise. Il se dit « mû par un sentiment d’honnêteté élémentaire », affirme avoir aidé des gens et être victime de « l’ingratitude humaine ». Mais, au sujet de ses accusateurs, il lâche comme autrefois, d’un ton glacial : « Nous verrons tout cela quand nous les aurons sous la main. » Le journaliste du Monde chargé de suivre l’audience ne peut cacher son dégoût : « De tout cela se dégage une impression pénible de mensonge et de veulerie. » Vingt ans après, le procès réveille, en même temps que les souvenirs, les rancœurs.

Physiquement, Vasseur a changé, il n’a plus la raie au milieu et arbore une moustache finement taillée. A la barre, sa mère supplie qu’on la fasse payer à sa place. Dans sa plaidoirie, Me Stanciu, l’avocat de Vasseur, affirme qu’« elle est coupable de l’avoir mal aimé pour l’avoir trop aimé ». L’avocat général Ducasse requiert la mort.

Dans la salle d’audience, Noëlla Rouget a déjà anticipé cette issue. Elle est hostile à la peine capitale, fondamentalement, hier comme aujourd’hui. « Le droit de mort, seul Dieu le possède, ce n’est pas aux hommes de décider », assure la vieille dame, d’un ton soudain péremptoire. Au nom de cette viscérale conviction, elle écrit, le 2 novembre 1965, au président du tribunal, en plein procès. Grande, belle, surhumaine supplique en faveur de celui qui a précipité l’exécution de son fiancé et sa déportation. « Les horreurs vécues sous le régime concentrationnaire m’ont sensibilisée à jamais à tout ce qui peut porter atteinte à l’intégrité tant physique que morale de l’homme, et j’ai rejoint les rangs de ceux qui pensent que, s’il faut combattre l’erreur, nous n’en avons pas, pour autant, le droit de disposer de celui qui a erré, qu’il faut lutter contre la maladie et non tuer le malade, de ceux qui font campagne pour l’abolition de la peine de mort. (…) Nous nous sentirions moins bonne conscience pour accuser nos bourreaux d’autrefois, devenus bourreau nous-mêmes, fût-ce par procuration… Et puis, si l’on veut bien y réfléchir, d’un côté nos milliers de morts, nos souffrances… de l’autre, la mort de Vasseur… Cela ne fera jamais le poids. »


Lettre à de Gaulle

L’avocat de Vasseur a beau citer cet appel à la clémence dans sa plaidoirie, le président de la Cour de sûreté, François Romério (1908-1993), reste sourd à cette apostrophe. Lui-même est un fervent adepte de la guillotine – dans les années 1980, il sera le fer de lance de l’association Légitime défense, hostile à l’abolition de la peine capitale. Vasseur est condamné à l’échafaud le 6 novembre 1965, après seulement trois quarts d’heure de délibération.

Anticipant le rejet du pourvoi en cassation, Noëlla Rouget écrit alors au chef de l’Etat, Charles de Gaulle, le 14 janvier 1966. « Parce que je crois en Dieu, en qui je reconnais le seul maître absolu de la vie et de la mort ; parce que je crois en mon pays, à son esprit humanitaire qui l’amènera bientôt, j’espère, par une réforme législative, à abolir la peine de mort ; parce que je crois en vous, Général, que j’ai suivi avec élan, il y a vingt ans, dans les rangs de la Résistance ; et aussi, peut-être… au nom de la grande affection qui me lie à votre nièce Geneviève, je vous supplie, M. le Président de la République, d’user de votre droit de grâce en faveur de Jacques Vasseur. »

Le 16 février, elle reçoit à Genève un bref mot à en-tête de la présidence de la République et du Conseil supérieur de la magistrature : « Vous avez bien voulu attirer l’attention de M. le Président de la République sur le recours en grâce présenté en faveur de Jacques Vasseur. J’ai l’honneur de vous faire savoir que le général de Gaulle a décidé de commuer, par voie de grâce, la peine de mort prononcée contre l’intéressé. » Vasseur sauve sa tête en même temps qu’un autre agent de la Gestapo, Jean Barbier, qui avait sévi à Grenoble. Sa peine est convertie en prison à perpétuité.

Mais l’attitude de Noëlla Rouget est largement incomprise des autres victimes. « Ma demande de grâce a provoqué une réaction très négative. Mes camarades me disaient que j’avais perdu l’esprit », résume-t-elle. A Angers, elle devient persona non grata. Elle doit s’expliquer dans une autre lettre à d’anciennes déportées, envoyée le 7 mars 1968, qu’elle relit aujourd’hui à haute voix. « J’étais là, au palais de justice de Paris. (…) A plusieurs reprises, il m’arriva d’entendre, de la bouche d’une ancienne victime de l’accusé, une exclamation de ce genre : “Pourquoi le juger ? Qu’on le remette entre nos mains, nous saurons bien le faire mourir à petit feu.” Dans les yeux de celui ou de celle qui parlait, je retrouvais alors la lueur de haine qui brillait dans le regard de nos tortionnaires d’autrefois. (…) Je pense, avec Jean Rostand, que “la civilisation marque un point, que l’humanité est gagnante chaque fois que, dans une conscience, l’horreur de détruire une vie a parlé plus haut que toute autre répugnance”. (…) Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de nous affranchir de l’esprit de vengeance qui nous retient prisonnières de ce cercle de haine dont nous avons tant souffert et nous empêche d’être disponibles pour des attitudes autrement constructives ? » Et plus loin : « Après avoir été des témoins de la haine portée à son paroxysme, devenons les promoteurs de la compréhension entre les hommes et du respect foncier de la vie. (…) Peut-être certaines auront-elles envie de me qualifier de traître à leur cause ? Je leur demande de s’accorder le temps d’une réflexion honnête et profonde. (…) Peut-être alors acquerront-elles un peu comme moi la conviction que c’était, agissant ainsi, être plus fidèle à la mémoire de nos mortes, qui avaient fait le sacrifice de leur vie en rêvant d’un monde plus fraternel. »


L’improbable dialogue

Cette espérance, cette certitude de la rédemption de tout être, la poussent alors à s’engager plus loin encore : pendant des années, elle va entamer une correspondance avec Vasseur, incarcéré à la prison de Fresnes, au sud de Paris, puis à la centrale de Melun. Elle écrit aussi régulièrement à sa mère, Yvonne. Au total, une cinquantaine de lettres et brouillons ont été exhumés par Brigitte Exchaquet-Monnier et Eric Monnier, un couple franco-suisse qui vit à Genève. Ce duo féru d’histoire a découvert ce personnage hors norme il y a dix ans et s’est lancé avec une dévorante passion dans sa biographie, recueillant son témoignage et suivant sa trace dans les archives françaises et suisses.

Improbable, subjuguant échange entre la résistante et le collabo. D’un côté, l’écriture longue et précise de la déportée. De l’autre, celle à la fois enfantine et imbue de l’ancien gestapiste. « J’espère que cette petite lettre vous parviendra et vous trouvera, ainsi que tous les vôtres, en parfaite santé », écrit ainsi Vasseur, comme s’adressant à une vieille amie. Le tortionnaire ne cesse de louer la hauteur d’esprit de son ancienne victime. « Qu’il me soit une nouvelle fois permis de vous remercier du fond du cœur de vos nobles initiatives en ma faveur… » « Ma Mère et moi, nous avons beaucoup admiré l’élévation de vos sentiments… »

Noëlla Rouget veut croire en lui. Elle met son attitude passée sur le compte de « la guerre, cette guerre qui légitime les pires horreurs, qui peut, d’un jour à l’autre, faire d’un honnête homme un assassin. » Vasseur lui répond avec componction : « Vous avez puissamment contribué à me réconcilier avec les hommes. » Mais il en revient toujours à se plaindre de leurs vilaines manières à son encontre : « Cela m’a touché plus que je ne saurais vous le dire, malgré la réputation de dureté ou d’impassibilité que l’on m’attribua. A vrai dire, j’étais comme un animal sur lequel on a trop frappé… » « De ce flot de passions, je ne veux garder le souvenir que des véritables exemples de charité chrétienne et d’amour du prochain, souvenir d’autant plus vif qu’ils n’ont pas été si nombreux… » Il se pose en victime, geint sur son sort, sur le mauvais traitement carcéral qui lui a fait perdre 20 kg, et s’inquiète pour sa santé. « On ne peut dire que j’aille tellement fort, tourmenté de diabète. Une épreuve que j’accepte. » Il critique le manque « de tact et de délicatesse » de l’administration pénitentiaire. « Je serai toujours heureux d’avoir de vos nouvelles et m’efforcerai d’y répondre, même au risque d’être fouetté à mort. »

Il dit son ennui en prison : « Ces lieux où le temps stagne, gris et monotone, et où nous vivons comme ces arbres puissants au bord d’un canal mort, boueux, sur lequel jamais rien ne passe. » Ce à quoi la rescapée du Pré-Pigeon, de Compiègne et de Ravensbrück lui répond : « J’ai eu aussi cette impression deux années de ma vie et, sur ce canal, contre toute attente, a soufflé un jour un grand vent, celui de la libération. Depuis lors, des hommes et des femmes rencontrés sur mon chemin, même peu nombreux par rapport à la masse m’ont fait oublier la “boue du canal”. Puisse semblable bonheur vous arriver un jour. »


Ni remords ni excuses

Jamais Vasseur n’exprime un remords, n’écrit un mot d’excuse ou d’explication. Le dialogue semble largement de sourd entre cette femme soucieuse de faire jaillir une étincelle de contrition et cet homme enclin à pleurer sur lui-même. Noëlla Rouget n’en participe pas moins activement à une campagne, qui débute dans les années 1970, afin que sa peine soit allégée. Le président Georges Pompidou la ramène finalement à vingt ans. Avec les remises de peine, le détenu est libéré en octobre 1983.

En prison, comme dans sa grotte de La Madeleine-lez-Lille, il a multiplié les travaux intellectuels, entre autres un recueil sur les origines des prénoms occidentaux. En 1974, il s’est marié avec une bibliothécaire allemande, Johanna, qui l’a aidé par correspondance dans ses recherches. Sitôt élargi, il disparaît et ne donnera plus de nouvelles à Noëlla Rouget. Il ne réapparaîtra que comme le personnage d’un roman publié en 2008 par Dominique Jamet, Un traître (Flammarion), inspiré de son histoire.

Un journaliste du bureau angevin d’Ouest-France, Benoît Robert, retrouvera finalement sa trace à Heidelberg, trente ans plus tard. Redevenu libre, Vasseur a vécu sans se cacher et a même publié des livres d’astronomie ou des histoires pour enfants. Le journaliste se rend sur place en 2014, découvre que Vasseur est décédé le 7 février 2009. Il tente d’entrer en contact avec sa veuve, la bibliothécaire, mais se fait éconduire brutalement. « Vous avez votre vérité et j’ai la mienne. Ça ne m’intéresse pas de parler de ça », lui répond Johanna, avant de l’insulter, en claquant la porte.

Ainsi donc, le gestapiste français ne se sera jamais racheté. A aucun moment, il n’aura renié ses anciennes convictions. Noëlla Rouget non plus, et c’est ce qui compte à ses yeux. Les trois femmes – la jeune fille rêveuse, la femme qui prêchait le pardon de la société et la vieille dame qui espère toujours en Dieu et en l’être humain – seront restées fidèles à elles-mêmes.


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En résumé : le Bien et le Mal, c'est un peu comme ce dont j'ai entendu confusément parler dans la vieille blague colportée par les Lakotas quand ils veulent dire du mal des Cherokees. C'est aussi un peu le même principe que les Tristus et les Rigolus.


Si une victime parvient à attendrir le coeur d'un bourreau, celui-ci connait une période un peu dépressive, puis il se convertit. Mais si un bourreau parvient à susciter de mauvaises pensées chez une victime, il le rend comme lui. En principe. Parce que en pratique, dans la Réalité Réelle ratée, comme le relate l'article, les victimes sont exécutées bien avant de pouvoir attendrir qui que ce soit, et les bourreaux se moquent bien du pardon accordé avec pourtant une grande élégance par leurs victimes. Ils ne se laissent pas facilement contaminer par la Grâce. (Il faut y mettre un peu du sien). Sauf si ça peut leur valoir des points de bonne conduite pour sortir plus vite du gnouf (j'ai vu ça trop souvent quand j'étais visiteur de prison pour les Alcooliques Anonymes)
Apprenons donc à repérer en nous les mauvaises odeurs, et à nous y soustraire en les acceptant, ça sera déjà pas une après-midi de fichue en l'air à lire des billevesées sur Internet. 
Notons aussi que le bourreau de Noëlla est peut-être devenu un mauvais homme du fait de n'avoir pu obtenir de satisfaction par les voies naturelles - il avouera n’avoir jamais couché avec une femme, « pour ne pas faire de peine à Maman » et qu'il était normausé au point d'avoir "la raie au milieu" (sic)
Je crois qu'il ne faut pas focaliser non plus sur "Noëlla, fervente catholique, au parcours exemplaire." Chrétienne ou pas, ce n'est pas la nature de sa foi, le truc important, c'est ce qu'elle te permet de faire (et que tu ne ferais pas si tu ne l'avais pas). Je m'abstiendrai de commenter des miracles qui ne me concernent pas, on pourrait me suspecter de jalousie. A la relecture, j'ai  aussi un problème de champignons et de chevreuils, mais on verra ça demain, l'article est déjà long.

samedi 28 novembre 2020

Black Fridays (2) : Soldes monstres sur nos articles religieux

Il n'y a pas que Michel Fourniret (article précédent) qui soit au-delà de la rédemption. 
Les monstres boxant le Réel dans sa catégorie, puant le self-control et le tabac froid par tous leurs orifices, les gars comme le docteur Le Scouarnec ou Anders Behring Breivik, qui n'ont que peu de considération pour la précieuse existence humaine, en tout cas celle d'autrui, sont heureusement rares, et interpellent le cyber-théologien que je suis devenu à mon corps pas trop défendu (mon nom de famille, en breton, désigne le recteur de la paroisse).
Et pourquoi donc que ces horreurs m'interpellent-elles ? 
et pourquoi l'existence du mal me poserait-elle problème ? 
au fond, tant que je prends bien mon lithium et mon pembrolizumab, que je fais bien mon qi-qong et ma méditation de pleine conscience, que je parle bien à ma femme et à mes employeurs enfants, que je ne refume ni ne jeroboam, également appelé double-magnum dans le bordelais où le Jéroboam contient 5 litres, que j'achète la musique que j'écoute au lieu de l'emprunter sur internet, que je fais un peu de sport, que je ne regarde pas de porno ni de chocolat, et surtout pas de porno chocolaté, quand je n’écris pas trop sur mes blogs pour m’épater la gallerie sur le toit de ma Ford intérieure, je ne me crois pas trop menacé d'entrer en collusion avec une cochonnerie d'abomination échappée des Enfers (virtuels ou réels) pour faire son marché d'âmes un jour de Black Friday. 
Et au pire, tant que je suis possédé par le démon du blog, les autres ne rentrent pas. 
C’est occupé, comme on dit dans les Territoires (en Palestine) et parfois aux cabinets.

"Ne fais pas à autrui ce que tu peux faire au cochon" 
semble nous murmurer cette abomination échappée des Enfers
du Casino de Perros-Guirec (archives D.R.)

Collusion me vient sous les doigts, c'est pas pour rien : synonyme de connivence en anglais, c'est bien vu, mais en français le terme désigne une entente illicite, le plus souvent secrète, entre deux ou plusieurs personnes pour nuire illégalement à un tiers, et en tant que tiers exclu plutôt que provisionnel, ça me parle; en tout cas si je respecte ma propre morale éthique, née d'une longue expérience de raclées prises dans le Multivers, le danger que je sois squatté par un ange déchu (genre Jean-Louis Murat) ou une entité démoniaque de classe XIV s'éloigne, et reste éloigné tant que je fais ce qu'il faut.
J’en parlais l’autre jour avec un ami qui m’avait inopinément brandi un extrait de Victor Segalen sous le nez. Nous eûmes alors ce dialogue, dont il ne m’appartient pas de dire s’il fut fructueux.
LJP : Je viens de trouver dans "Stèles" cette jolie formule en forme de promesse : 
"... cette ère unique, sans date et sans fin, aux caractères indicibles, que tout homme instaure en lui même et salue. A l'aube où il devient Sage et Régent du trône de son cœur."

JW : Beaucoup de poètes plus ou moins adoubés par Télérama susurrent cette promesse d’un avènement du Soi Bienveillant même envers les Mal_Comprenants, et dépendant presque uniquement d’une conjonction astrale de bonne volonté, d’une soif de renoncement, d’une Sagesse enfin sucée à ses pouces. 
En réalité, ils sont encore beaucoup moins nombreux à accéder à cet état intérieur, indicible, qui n’est ici qu’un produit d’appel pour entrer dans la Pléiade.
Pas étonnant qu'il ait fait une neurasthénie aiguë, ce Segalen dont j’ignore tout sauf ma hargne à le méconnaitre. 

LJP : Question d'humeur.
En ce moment j'ai tendance à préférer les fausses promesses à la Segalen aux vrais constats façon W.C. Fields : "On nait nu, mouillé et affamé. Puis les choses empirent."

JWJe retire ce que j’ai dit de Segalen. J’ai lu sa bio dans mon plumard, il n’a pas eu une vie facile, et pourtant si riche. En principe. Si l'on ne peut choisir son destin, on y contribue quand même, et le sien fut intense. La promesse de Segalen m’évoque celles qu’on entend aux AA, où elles sont réunies en un pack codex de 12 :
 https://www.aa-lorientespoir.fr/presentation-des-aa/les-12-promesses/
Evidemment, de loin ça ressemble à des serments d’ivrogne à effet cumulatif, mais faut pas les voir comme des stances à soi-même, plutôt comme le résultat acquis par la pratique des étapes qui, ça c’est pas banal, se comptent aussi par 12.
Je suis bien content de n’avoir jamais été très accro à la mystique AA et d’avoir laissé les addictions me re-grignoter la vie, sinon j’aurais beaucoup de mal à trouver une réunion ouverte ces jours-ci. Beaucoup de jeunes abstinents doivent être assez mal, ou contraints de faire avec WhatsApp.
Si Segalen rêvait de devenir Sage et Régent de son coeur, on comprend mieux pourquoi, à lire son parcours. Mais ça demande de la motivation, de la constance, et de la technique. Je pourrais écrire un anti-manuel, qui ressemblerait à mes blogs. Quand je cultive mes frustrations, je récolte des fruits bien amers. Ca ne me dissuade pas longtemps de persévérer diabolicoume. "On débarque nu et sans opinions. J’aimerais repartir de même. Soulagé de mes présupposés. » Conard WC.
Quand Segalen s’égarait dans ces galets, 
aux heures de marée basse de son esprit fragile, 
il peignait des naufrages à même la grève.
mais le règlement intérieur des Côtes d'Armor
finissait toujours par le ramener à bon port.

2ème couche (le lendemain)
JW : j’y reviens, parce que c’est crypté. « ... cette ère unique, sans date et sans fin » nous signale l’entrée dans l’intemporel.Pas forcément l'irruption de Dieu planqué sous le tapis ou derrière la tenture, mais on est quand même au-dessus et au-delà de la finitude humaine; « indicible », i.e. dont on ne peut dire grand chose.
"que tout homme instaure en lui même » : de l’utilité d’avoir exilé Dieu au large du bizness : comme on baigne désormais dans l’immortalité, entre amis choisis, faudrait pas que le Grand Barbu surgisse dans l’apparte nouvellement squatté, car les mystiques attestent qu’il ne saurait y avoir de place pour nous deux en cette affaire : soit le Tout-puissant est là, et prend alors tout le lit, soit l’Homme devient Sage et peut s’y étendre sans même enlever ses chaussures, puisqu’il est parvenu à s’y élever en tirant sur ses lacets. Tu vas me dire que je m’échauffe sur une poignée de syllabes, mais je me méfie de cette a-théologie rampante. Si Segalen parle de Sagesse sans divin, c’est peut-être l’influence de ses séjours en Orient. Mais comme tu te dis sensible à ses promesses, faut quand même bien regarder où tu mets les pieds. Michaux en était rentré transfiguré dans « Un barbare en Asie », qui me parlait plusse.
L'évolution des contenants suit la courbe de contamination,
mais aussi celle de la consommation pendant le confinement.
Et ça, même dans Hold-up, ils n'osent pas en parler.

La meilleure, c’est que j’ai tenté lundi soir de me connecter à ces réunions AA virtuelles, qui se substituent désormais aux vraies, étant largement en retard pour ma visite annuelle chez les Pochetrons peu connus. hé ben j’ai eu beau essayer de rentrer dans la réunion Zoom vers 20h10, le logiciel m’a mis en attente, puis m'a dit « l’hôte a une autre réunion en cours » jusqu’à 20h40. J’ai eu beau ameuter le staff par mails en rafale, bernique. 
les AA, c’est un club de + en + fermé !
pourtant j’ai bac + 12 en téléchargement illégal.
c’était bien la peine.
Le lendemain, je me suis trouvé avec le Rustica en lune ascendante, et ça s’est fini dans le journal, où je me suis une fois de plus pris au piège de me croire Sage en balivernant sur mon environnement au lieu de regarnir les nouveaux rayons de ma bibliothèque de tous les livres dont le soir épuisé je ne puis parcourir que la tranche, avec le sentiment d’être passé à côté de quelque chose. Au moins mon nouveau bureau me permet de me concentrer pleinement, car je n'y suis plus à portée de voix humaine. Amère victoire, dont Segalen lui-même tirerait des strophes inédites.

A Lorient, on a un peu trop vite fêté les promesses des AA
en oubliant de mettre les principes au dessus des personnes (illustration Mezzo)
Mais comme d’hab, j’ai oublié l’essentiel dans mon exégèse segalenesque d'hier.
Je voulais te faire un comparatif entre les prières qui marchent, qui produisent des effets mesurables et reproductibles en labo, et celles dont l’ambivalence menace de les condamner à rester du vent avec la bouche, comme disait le Rimpoche tibétain rencontré dans le saumurois en 2006.
- déjà il y a deux familles de prières, entre celles qui te viennent de l’extérieur, par la culture, et celles que tu te forges quand y’a force 9, comme tu prendrais un ris, dévot, en ton âme. 
http://complots-faciles.com/blog/
1/ dans les extérieures qui me touchent, je range la prière de la Sérénité, que ceux qui le désirent entonnent en fin de réunion AA en se tenant par la main. C’est chou. Et je puis attester de l’efficience de la formule, dans mes débuts d’arrêt du débit.  
Alors que sa soeur de lait, née chez le marchand de beurre, et citée dans le wiki, la Prière de saint François, je l’ai toujours tenue à distance; trop bisounours pour moi. Je vois aussi la célèbre prière cherokee de la voie de la beauté, qui ne mange pas de pain :
que mon grand-père ne m’a pas assez serinée sur le sentier des douaniers à Perros-Guirec, sinon on n’en serait pas là ;-)

 

2/ les intérieures, celles qu’on se bricole dans l’intimité hyper-secrète : ah ben là c’est secret. https://johnwarsen.blogspot.com/2008/08/les-mots-vols.html

3/ hors catégorie : les contes, qui suggèrent une attitude, plutôt qu'un mantra ou une invocation; comme la vieille histoire cherokee, qu’on confond souvent avec la blague lakota sur les deux chiens qui s’enculent, et pourtant elles n’ont rien à voir :
Un matin, un vieux Cherokee voit son petit-fils en colère, suite à une dispute avec son meilleur ami. Il vient vers lui, et lui raconte une histoire, celle d’un combat ordinaire - celui que mène chaque être humain sur Terre.
"Parfois," dit-il : "il m'arrive également de ressentir de la haine contre ceux qui se conduisent mal. Cette colère ne blesse pas mon ennemi, et elle m'épuise. C'est comme avaler du poison et désirer que ton adversaire en meure. Souvent, j'ai combattu ce sentiment. En fait, un constant combat a lieu, tous les jours, à l’intérieur de moi-même. Et ce entre deux loups."
"Deux loups, grand-père ?"
"Oui, deux loups. L’un est méchant. Il ne connaît que la colère, l’envie, la jalousie, la tristesse, le chagrin, l’avarice, l’arrogance. L’apitoiement et un sentiment d’infériorité le poussent au ressentiment, au mensonge et à la vanité. L’autre est bon. Il connaît la paix, l’amour, l’espérance, la sérénité, l’humilité, la bienveillance, l’empathie, la générosité, la vérité, la compassion et la foi." 
Intrigué, le petit-fils réfléchit et demande:
"A la fin, grand-père, quel loup remporte ce combat ?"
Aussitôt, le vieux Cherokee se tourne vers son petit-fils, le regarde dans les yeux, et lui répond :
"Celui que tu nourris. Celui que tu décides de nourrir."

Au départ, les prières sont aussi retorses que la femme des autres, il faut trouver la sienne. Bashung parlait aussi, dans Madame rêve, de ces prières « qui emprisonnent et vous libèrent », c'était très explicit lyrics pour moi, explicite de quoi, j'ai oublié, mais là, ça donne envie de creuser, quand même, moi je dis. En ce moment, je ne suis pas assez dans la merde pour prier, ou alors j'ai un problème de vision nocturne (de nombreux domaines de ma vie laissent à désirer en 2020, sans parler du virus que je n'ai pas encore chopé, mais vu mes autres problèmes de santé, je ne suis pas pressé. Je vais prier pour mieux voir la merde dans laquelle je suis, puis je prierai pour m'en sortir. Je te rappelle.)
La prière c’est comme la méditation, ou de nouvelles chaussures un peu étroites, faut être assidu pour s’y faire. Il y a aussi les activités re-liantes à l'univers, comme peinturer des cailloux, graphomaner jusqu’à point d’heure, si on est dans le bon esprit, on en retire sans doute des bienfaits. voilà voilà. En ce moment l'écriture l’écriture me soigne, ou bien je me soigne par l’écriture, en tout cas je sens que ça fait du bien par où ça passe. Et c'est ma seule pratique régulière, donc c’est pas comme ça que je vais trouver le temps de lire Segalen, et encore moins Coatalem (un gars qui a écrit sur Segalen et qui le connait comme sa poche). Déjà, si je parviens à appliquer la moitié des conseils que je viens de m'édicter, on sera pas mal.

A part indisposer des vieux potes âgés par mes saouleries imbuvables, j'ai un peu lu les journaux, et ainsi découvert que l'assassin de Samuel Paty désapprouvait tout à fait le «Caprice des Dieux», un fromage qu'il jugeait polythéiste, alors que moi je l'ai toujours trouvé fadasse. 
Du coup, Blasphémator® en a acheté 3 palettes, et il a bien du mal à reboutonner sa soutane.

vendredi 27 novembre 2020

Black Fridays (1) : Michel Fourniret, tout doit disparaitre



En plus,  c'est pas pour dire, 
mais Michel Fourniret
n'est pas du tout ressemblant.

Janvier 2003

Estelle Mouzin est enlevée, embêtée très fort puis zigouillée à mort par Michel Fourniret, au terme d'un calvaire comme seuls les enfants peuvent en endurer, car les adultes, trop douillets, en mouriraient tout de suite. Dès l'annonce de sa disparition, des gendarmes insuffisamment formés aux logiciels Adobe commettront à l'aide de grossiers trucages des portraits hideusement vieillis de la jeune victime, à partir de la même photo d'Estelle Mouzin, photocopiée jusqu'à plus soif, sur des versions  de Photoshop mal mises à jour. Depuis 17 ans, ces photos retouchées hantent les commissariats, et à chaque fois que vous allez dénoncer votre voisin qui viole quotidiennement les règles du confinement, vous les contemplez hagard dans le couloir de la gendarmerie, en attendant que le brigadier enregistre votre plainte, et elles distillent en vous un profond malaise. Grâce à l’article 24 de la proposition de loi dite de « sécurité globale », ces gendarmes vont bénéficier de l'impunité, et leurs forfaits graphiques resterons impunis. Ils seront floutés.


Le canard enchainé du 25.11.2020

Mars 2020 :

Michel Fourniret avoue, pour Estelle, c'est lui qui a fait le coup. C'est pas trop tôt. Ca fait 17 ans qu'il fait tourner les parents des victimes, les inspecteurs et les avocats en bourrique, dix-sept ans que Fourniret fait du Fourniret, pervers insaisissable et manipulateur. (Le Monde)
Et pendant ce temps, que fait la police ? 
Elle floute ses selfies en démantelant les camps de migrants. 
On est tranquilles.

Violences policières : pour le Black Friday, une achetée, une offerte.
Ou alors, les flics ont beaucoup progressé sur Photoshop.


Enfin, presque tous.

Fourniret a été condamné deux fois à perpétuité - en 2008 pour avoir tué sept jeunes femmes, en 2018 pour l’assassinat d’une huitième. Il pourrait faire autre chose que des blagues pourries : en 2005, il écrivit à Eric Mouzin, le père d'Estelle. Il souhaitait lui dire qu’il n’était pas impliqué, mais qu'il avait quand même des choses à lui dire « de père à père, raconte Me Seban. C’est d’une perversité absolue : se mettre au même niveau que celui dont on a causé le malheur. » L'entrevue n'aura finalement pas lieu. En 2007, c’est au parquet général de Reims (Marne) qu’il écrivait pour demander « la jonction de trois dossiers » de disparitions de jeunes filles à son procès, prévu l’année suivante : Marie-Angèle Domece (disparue en 1988), Joanna Parrish (1990), et Estelle Mouzin. Requête rejetée car trop tardive, le procès ayant déjà été audiencé. En 2018, finalement entendu dans le cadre des affaires Domece et Parrish, Fourniret avait formellement avoué ces deux meurtres, et avait déclaré « ne pas nier être impliqué » dans l’affaire Mouzin. « Des aveux en creux », pour les avocats du père.

La confusion aura été entretenue de bout en bout par cet alibi : un coup de téléphone passé à son fils depuis la Belgique, à une heure qui rendait impossible sa présence à Guermantes au moment des faits. Le 21 novembre 2019, l’alibi disparaissait : Monique Olivier, ancienne épouse condamnée à perpétuité elle aussi, racontait à Sabine Khéris qu’elle avait passé ce coup de téléphone à la demande de son mari, absent ce jour-là. Placé dans une position intenable, Michel Fourniret livrait une semaine plus tard ce début d’aveu déroutant, à la Fourniret : « Si cette petite-là avait croisé mon chemin, je vous le dirais. Mais je n’en ai pas souvenance. Dans l’impossibilité où je suis de vous dire “oui, je suis responsable de sa disparition”, je vous exhorte à me considérer comme coupable. »
« Il n’aime rien tant que le rapport de force, décrit Me Seban. Sa perversité, c’est de dire : je ne parlerai que si vous travaillez. Je suis Fourniret, je fais des choses extraordinaires, donc je ne réponds qu’à des enquêteurs extraordinaires capables de découvrir ce que j’ai fait. » Lui qui se décrit comme « un joueur d’échecs » fera ce compliment à Sabine Kheris : « Jouer avec un partenaire tel que vous, ça en vaut la peine. »
L'article dont j'ai extrait ce paragraphe est bourré d'autres blagues narcissiques émanant du désopilant « tueur en série français le plus abouti », comme le décrit l’expert-psychiatre Daniel Zagury.

Michel riait beaucoup
à ses propres blagues
(photo d'archives)

Novembre 2020 :

Michel n'est pas très en forme. Fin octobre, il a dit à la justice avoir enterré Estelle Mouzin aux alentours du château du Sautou, son ancienne propriété dans les Ardennes. Mais l’homme de 78 ans n'est plus le fringant psychopathe, à l'oeil vif et au silence pétillant qu'on a connu : il a été retrouvé inanimé dans sa cellule de Fresnes (Val-de-Marne) vendredi matin 20 novembre, et hospitalisé à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Son état de santé, qui s’est beaucoup dégradé cette année, ralentit l'enquête. En octobre, il avait beaucoup baladé la juge d’instruction Sabine Kheris pour réactiver ses souvenirs sur la disparition d’Estelle. Monique Olivier, son ex-femme s'en était agacée face à lui : « Mais si, souviens-toi, tu m’avais dit que tu l’avais mise là. » 
Un peu comme dans la chanson de Reggiani "Arthur, où t'as mis le corps ?"  


les gendarmes de plus en plus forts (sur Photoshop, en tout cas)
"Arthur, où t'as mis le corps
S'écriaient les inspecteurs
- Bah j'sais plus où j'l'ai foutu, les mecs
- Arthur, réfléchis, nom de d'là
Ça a une certaine importance
- Ce que j'sais, c'est qu'il est mort
Ça, les gars, j'vous l'garantis
Mais, bon sang, c'est trop fort
J'me rappelle plus où que j'l'ai mis"

Le château du Sautou, et ses quinze hectares de parc, est un lieu fondateur dans la trajectoire criminelle des époux Fourniret. Deux victimes y ont été retrouvées : Elisabeth Brichet et Marie-Jeanne Desramault. 
Le chateau de Sautou vous accueille toute l'année
pour vos mariages et vos bar-mitzvahs, 
mais surtout pour vos inhumations 
(envoi de documentation sur demande, sous pli discret)

Une troisième, Céline Saison, non loin, au bout d’un sentier forestier qui mène au Sautou.
Cet édifice du XIXe siècle est aussi le fruit d’un des épisodes les plus invraisemblables du parcours du tueur en série. Car le Sautou est indissociable de l’histoire du trésor du « gang des postiches ».
En 1987, Michel Fourniret partage sa cellule de Fleury-Merogis (Essonne) avec un braqueur de haut vol, Jean-Pierre Hellegouarch, un « beau mec », comme disent les policiers de l’époque. Il est proche du groupe d’extrême gauche Action directe, et a eu comme codétenu un Italien, qui a été incarcéré avec un ancien du « gang des postiches », lequel lui a confié un secret : une partie du butin de cette équipe de braqueurs grimés avec des perruques serait enterrée dans un cimetière de la région parisienne. Jean-Pierre Hellegouarch transmet l’information à son épouse, Farida Hammiche. Mais la jeune femme est effrayée de déterrer, seule, un trésor dissimulé à côté d’une tombe. Le braqueur pense alors à son ancien compagnon de prison, qui vient d’être libéré. « C’était un terrassier avec ses grandes mains, quelqu’un de l’autre monde, du monde du travail, pas du monde des voyous, je lui faisais confiance, raconte Jean-Pierre Hellegouarch, en évoquant Michel Fourniret. Je me suis bien trompé. »
Oui, c'est quand même un manque d'éthique assez gênant dans la carrière jusqu'ici classieuse de Michel.

Si le gang des postiches avait eu
des clés à molette, on n'en serait pas là
Le couple Fourniret et Farida Hammiche exhument une caisse à outils pleine de lingots et de louis d’or. Celui qui n’est pas encore un tueur en série décide de garder la quarantaine de kilos de métal précieux pour lui, et d’assassiner la femme de Jean-Pierre Hellegouarch. Ce meurtre crapuleux, il le qualifiera de « transfert de propriété » en audition. Il lui permet surtout de financer la suite de ses activités criminelles. En 1989, à l’aide d’un notaire véreux, il achète en liquide – pour 1,2 million de francs – le château du Sautou. Alors que Michel Fourniret joue au châtelain, à 250 kilomètres de là, la brigade criminelle du 36 quai des Orfèvres, soupçonne Jean-Pierre Hellegouarch, libéré depuis, de financer Action directe. Une perquisition est lancée à son domicile.
« On trouve une carte topographique, avec un emplacement entouré dans les Ardennes, le château du Sautou, raconte Jean-Louis Huesca, ancien inspecteur à la Crim’. C’est à côté de la frontière franco-belge, et on se dit qu’Action directe pourrait bien se servir d’un endroit comme ça comme lieu de passage. On demande au SRPJ de Reims de faire des surveillances. » Lequel transmet la requête à la police aux frontières, qui écrit en août 1989 : « La surveillance du château est globalement assez difficile du fait de son isolement, de la proximité de la frontière, de la présence des chiens et des accès privés… Des allées et venues ont pu être observées à l’approche du château et il n’est pas exclu que des personnes y habitent en permanence. »

Black friday :
tout doit disparaitre.
Bon, ça, c'est fait.
« Les surveillances n’ont rien donné, explique Jean-Louis Huesca, au bout de quelques mois, on décide de fermer la porte comme on dit dans les enquêtes et d’aller sur place pour perquisitionner. » Il raconte au Monde : « Il y a donc ce château d’apparat et à droite le pavillon de chasse, occupé puisqu’on y trouve le gardien des lieux. C’est un petit monsieur sans importance, un peu passe-partout, surpris de nous voir. On est arrivés à six policiers de Paris, plus deux de Reims, il s’inquiète de voir tout ce beau monde. Mais très vite, il comprend qu’on ne vient pas pour lui. Il nous dit qu’il s’appelle Michel Fourniret, qu’il est le gardien, qu’il n’y a pas de propriétaire parce que le château est en vente, et qu’il fait les visites. Il y a là aussi une femme plus grande que lui, très effacée, qui laisse son mari parler. Je vais entendre ce monsieur. Il va m’indiquer qu’il est connu des services de police pour des affaires de mœurs, mais qu’il s’est rangé des voitures et qu’aujourd’hui il travaille comme gardien. » La brigade criminelle enquête sur des présomptions de financement du terrorisme, elle ne recherche pas quelqu’un condamné pour viol ou agression sexuelle.
Ainsi, les policiers ont marché sans le savoir sur les cadavres de Marie-Jeanne Desramault et d’Elisabeth Brichet. L’adolescente, enlevée le 20 décembre 1989, a été enterrée au Sautou alors même que les lieux étaient sous surveillance. Jean-Louis Huesca, l’ancien inspecteur de la Crim’, ne découvre qu’une vingtaine d’années plus tard, après l’arrestation et les aveux de Michel Fourniret, que le faux « gardien du Sautou » est un tueur en série. De nouvelles fouilles sont prévues au château le 7 décembre, là où il affirme désormais avoir caché le corps d’Estelle Mouzin.

Aah non, là c'est pas lui.
Faut pas voir le mal partout.
Je vais aller mater de vieilles plaidoiries de Dupont-Moretti pour voir si je peux pas bricoler un truc pour faire amnistier Fourniret pour décrépitude raisons médicales, en profitant de la confusion qui accompagne les agapes du Black friday, de la fin du confinement et du moratoire sur les violences policières courageusement adopté par Darmanin, manin et demi. 
Quitte à faire flouter Michou.
Hier soir, quelqu'un me reprend, après que j'aie prétendu avoir assisté à l'incinération d'un ami : 
"ah non, attention, l'incinération est un terme qu'on doit réserver aux ordures, quand c'est un humain on parle de crémation. 
- D'accord, mais les humains qui sont des ordures ? 
Elle a ri. Que pouvait-elle faire d'autre ? 
Et encore, je ne lui ai pas fait la blague de Fourniret : 
« C'est un méchant homme, un pédophile invétéré et enfiévré, qui entraine sa jeune et future victime dans les bois, la nuit tombe, il y a des bruits étranges, ça craque à chaque pas, le petit garçon pleurniche : « j'ai peur ! » alors l'homme lui répond, agacé : « tais-toi ! moi aussi, j'ai peur, et en plus après, il faudra que je rentre tout seul, dans le noir..... ! » Je crois bien l'avoir lue dans un livre d'Emmanuel Carrère, lui qui citait récemment, dans Yoga, l'Evangile "Good copte, bad copte" de Thomas : « Si tu fais advenir ce qu’il y a à l’intérieur de toi, ce que tu fais advenir te sauvera. Si tu ne fais pas advenir ce qu’il y a à l’intérieur de toi, ce que tu n’auras pas fait advenir te tuera »

Quand ils sont petits, les pédophiles ont peur du noir.
Comme tout le monde.
Je vais pas lui jeter l'Abbé Pierre, tant que je prends mon lithium, tout va bien, mais quand même, il y a des choses à l’intérieur de moi qu’il vaut mieux ne pas faire advenir.
J'en parlerai sans doute ces prochains jours, puisque j'ai l'air si décidé à entonner le cantique de la racaille. Ca sera pas pire que quand je bavais sur Breivik. Plus instructif, sans doute : le trombinoscope des fugitifs les plus recherchés d'Europe. Comme les champignons, sachez les reconnaitre, pour ne pas en ramasser de vénéneux. Là encore, tout doit disparaitre, et c'est pas la peine de les ramener au commissariat, si vous voyez ce que je veux dire.