lundi 30 mars 2020

Yves Cochet : « il est souvent trop tôt pour voir s’il est déjà trop tard »

Yves Cochet : « Avec mes copains collapsologues, on s’appelle et on se dit : “Dis donc, ça a été encore plus vite que ce qu’on pensait !” »
Par Vanessa Schneider
Publié aujourd’hui dans Le Monde à 08h29

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ENTRETIEN
L’ancien ministre de l’environnement, qui se prépare à un effondrement du système depuis des années, voit l’actuelle crise sanitaire conforter ses théories. Et regrette de n’être pas pris plus au sérieux en ces temps de confinement.

Nous étions allés le voir dans sa longère bretonne où il préparait la fin du monde. Il venait de sortir un livre, Devant l’effondrement. Essais de collapsologie (Les liens qui libèrent), et on le regardait comme un doux dingue, un drôle de Cassandre. C’était en septembre 2019, autant dire il y a une éternité. Avec l’arrivée du coronavirus et le confinement, fini de ricaner : et si Yves Cochet avait eu raison avant tout le monde ? Joint, cette fois, par ­téléphone, l’ancien ministre de l’environnement de Lionel Jospin a la pudeur de ne pas fanfaronner. Certes, il avait écrit noir sur blanc qu’une pandémie pourrait déclencher l’effondrement généralisé – page 123 de son livre –, mais il n’en rajoute pas.
« J’aurais plutôt pensé que cela viendrait d’une crise du pétrole ou d’une catastrophe climatique », reconnaît-il. Il avait prévu la fin du monde entre 2020 et 2030, il a été un peu pris de court. « Avec mes copains collapsologues, on s’appelle et on se dit : “Dis donc, ça a été encore plus vite que ce qu’on pensait !” » Il va sans dire que la situation actuelle apporte de l’eau à son moulin. « Tout cela montre que la mondialisation nous fragilise et rend vulnérable notre économie. Nous sommes trop interdépendants, il n’y a pas assez de résilience locale. Il faut absolument essayer de créer des biorégions qui seraient autonomes en énergie et en alimentation. »

Une longueur d’avance en matière de confinement
L’ancien leader des Verts, qui se prépare à l’apocalypse depuis des années, a pris un sacré coup d’avance en matière de confinement. Dans la maison qu’il ­partage avec sa fille et ses deux petits-fils, il dispose d’un puits doté d’une pompe à bras, de trois citernes comportant chacune 1 000 litres d’eau de pluie, d’un étang dont l’eau peut être filtrée et de bois pour se chauffer pendant cinq ans. « On avait prévu le coup depuis quinze ans. Nous sommes autonomes en eau et en énergie », se félicite-t-il. En matière alimentaire, il n’est pas encore au point et doit se déplacer comme tout le monde avec son autorisation sur papier à l’hypermarché du coin. Un point faible qu’il s’applique à réparer : il s’est acheté des graines et quelques serres et compte bien voir pousser mâche, haricots, tomates et radis dans sa ­ parcelle. Le confinement à la campagne n’a pas le même goût qu’en ville, il l’­admet volontiers : « Contrairement à ceux qui sont bloqués dans leur HLM au onzième étage, nous sommes des ­privilégiés. On a du calme et un bois pour se promener. »
Dans sa petite communauté (il héberge un woofeur, qui bricole pour lui en échange d’une place pour sa caravane, et la petite copine de l’un de ses petits-fils), il respecte les règles en vigueur et les gestes barrière. « S’il n’y avait pas l’immense malheur du monde, on serait presque heureux, constate-t-il. On déjeune ensemble dehors, on ne s’embrasse pas. On a de l’alcool et du gel pour se désinfecter les mains. Et, comme ­personne ne vient nous voir, on est rassurés ! » Sa fille a fermé son cabinet d’ostéopathe ainsi que le temple hindouiste installé à la place de l’ancienne piscine. « Avec un de mes petits-fils, qui est également converti, ils font des chants et des prières pour améliorer la situation, mais je n’y crois pas trop », sourit-il.

Pas donneur de leçons
Au-delà de la crise sanitaire, l’écologiste planche déjà sur les scénarios qui pourraient entraîner un effondrement global du système. « Les chauffeurs routiers, déjà exploités, n’ont plus la possibilité de s’arrêter dans les restoroutes, qui sont fermés, note-t-il. Quand ils en auront marre de manger des sandwichs industriels, on peut imaginer qu’ils décident de s’arrêter de rouler, leur défection provoquera alors la rupture de la chaîne alimentaire. » La fin du monde, Yves Cochet n’est pas sûr et certain qu’elle ait lieu ce coup-ci. S’il pronostique une grave crise économique à l’automne, il ne se mouille pas trop quant à son ampleur : « Tout dépendra du nombre de morts, estime-t-il. S’il y en a beaucoup, on peut basculer dans de l’incontrôlable, de la panique, des émeutes, des scènes de pillage, le chaos social. » Il concède néanmoins, en citant Pierre Dac, qu’« il est souvent trop tôt pour voir s’il est déjà trop tard ».
L’ancien ministre se garde de donner trop de leçons au pouvoir en place. « Ils ont merdé sanitairement, ils ont fait des erreurs d’estimation au début et n’ont pas commandé assez de gel, de masques et de tests. Le confinement a un peu tardé, mais à présent la situation est assez bien gérée. » Le premier discours d’­Emmanuel Macron lui a plu – « un vrai discours présidentiel, du sérieux, c’est ce qu’il fallait faire ». Il apprécie le ministre de la santé, Olivier Véran, et a un faible pour le directeur général de la santé, Jérôme Salomon : « Il est épatant, je l’adore. Tous les soirs, je le regarde à la télévision à 19 heures. Il est bonhomme, habile, il se donne à fond. » Il a tout de même un petit regret : personne au ­sommet de l’État ne songe à lui demander son avis : « Aucun de ceux qui réfléchissent à cette situation depuis des années n’a été appelé, déplore-t-il. C’est dommage, car on a écrit des livres et des articles qui pourraient aider à la réflexion. » Et de soupirer : « Ils ne nous prennent toujours pas au sérieux. »

dans la même collection, en voie de réimpression sur du PQ recyclé dès qu'on aura été livrés :
https://johnwarsen.blogspot.com/2019/02/le-succes-inattendu-des-theories-de.html

dimanche 29 mars 2020

#Je_suis_Charlie_Corona (2)


Moins con, tu meurs aussi,
mais d'autre chose.
"Est-ce que ce ne serait pas génial d’avoir toutes les églises pleines ?" a affirmé le président américain. C'est vrai, il ne resterait plus qu'à souder les portes, et on aurait déjà un souci de moins. (celle-là, sans me vanter, elle est très #Charlie, mais elle me fait aussi penser à Hervé le Tellier)
- J’ai lu dans le Monde que les travailleuses du sexe avaient plié boutique, du fait de l’absence de clients. Pourtant, on m’avait dit que les commerces de bouche restaient ouverts.
Bonjour les fake news en temps de guerre.
On peut faire à peu près la même avec le marché des petits droguistes de quartier qui s'effondre.
En même temps, je dis ça et j'apprends par ma soeur qui bat le beurre et qui reçoit des mails de Damart de l'autre main, qu'une prostituée atteinte du coronavirus a été interpellée, treize clients potentiellement contaminés. J'en tousserais presque. Les abolitionnistes auront maintenant un argument en inox, et les moralistes vont pouvoir prouver scientifiquement que celui qui vit par la bistouquette a bien péri par la bistouquette. Mais alors que je tente bien tardivement de percer dans le comique de stand-up en restant assis à mon bureau, j'admets sans fausse honte que le plus fort, dans le genre épineux des blagues virales sur le virus, c'est Ramon Pipin. Il en sort une quantité industrielle par jour, à croire qu'il sous-traite avec la Corée, c'est le le stakhanoviste du tweet boyautant. Et en plus, certaines sont franchement amusantes.  Bien qu'elles témoignent de la même gymnastique mentale digne d'un cruciverbiste de bon niveau. S'il n'avait pas la polio, il pourrait faire du stand-up debout. Tout comme moi si je n'étais pas sociopathe de classe R.



Là, j'ai enfin trouvé mon maitre cinquante.

Et je ne vous parle même pas des blagues reçues en vidéo, souvent beaucoup plus lourdes que celles de fabrication française (et pas par leur poids en kilooctets) et qui bouffent toute la bande passante réservée aux services d'urgence. Espagnols et Portugais y rivalisent d'inventivité et de sauce Tabasco  pour nous faire capter le tout le piment de la situation. Je suppose que les Italiens en envoyaient aussi au début de la pandémie. On ne les entend plus beaucoup dans ce registre.
Vais-je parvenir à trouver drôle cette économie mondialisée qui se délite sous mes yeux et qui aura sans doute bien du mal à repartir après avoir passé quelques semaines au lit ? ça prouve bien qu'elle n'était pas en très bonne santé, et ne pouvait fonctionner que dans l'agitation permanente de ses flux de spoliation (financiers, productifs, humains) et je ne parle pas d'éventer l'intrigue.

L'humour noir repeint le Réel de sa poix épaisse et parfois malodorante, tentant de plier le fatum à sa volonté pour jouir d'une illusion de maitrise pendant toute la dégringolade : une fois de plus c'est l'égo qui s’excite tout seul et tente pathétiquement de se prouver à lui-même sa propre existence face à un arrivage aussi massif de nouvelles preuves de l'impermanence des phénomènes.
L'ego, toujours l’ego, qui se fout de notre gueule, disait Orroz à propos d'autre chose, lui qui avait mis son masque à l'envers en écoutant de travers la chanson du Roi Dagobert.
Pour dépasser cela, ajoutait-il avant que je l'interrompe nerveusement, une seule solution: piéger l’ego, lui faire plier les genoux, le faire revenir à sa seule fonction positive : la dignité.


Pourquoi je ne me suicide pas ?
Parce que la mort me dégoûte autant que la vie.
Emil Michel Cioran, "#Je_suis_Carambar"

Pour cesser de taper sur le même clou psychique, on peut aussi se dégourdir les jambes virtuelles en visitant des expos en ligne comme «Le Louvre médiéval» ou «Les antiquités égyptiennes».
Je suis tombé en arrêt devant une toile intitulée "A votre bunker m'sieur dames", qui sera  prochainement mise aux enchères au profit des soignants, c'est vrai que c'est très reposant pour les yeux tout ce noir, moi ça me Soulages.
#Ramon Pipin sors de ce corps ! 

#On_est_cui

La Nature n'est pas forcément finaliste, au XIVeme siècle la Peste Noire a tué un Européen sur 2 alors que la pression démographique sur l'environnement était minime. En plus j’ai vérifié sur Google, au dernier moment elle a été refoulée à l’aéroport de Karachi en refusant qu’on fouille ses bagages, du coup elle a été contrainte de se répandre en auto-stop et la dissémination a été un peu plus laborieuse, à l'époque on savait prendre son temps pour vermifuger l'Occident chrétien. Simplement, nous cohabitons avec les formes de vie qui nous ont précédé, et qui nous succèderont. Il nous a fallu quelques centaines de milliers d'années pour assurer notre suprématie & dictature sur les autres espèces vivantes, mais dans Game of Thrones aucune famille ne reste assise très longtemps sur le Trône, et quand votre tour arrivera je vous suggère de bien l'essuyer avant d'y poser vos fesses.

Et pour finir, je vous jure que c'est vrai, hier matin un démarcheur téléphonique m'a appelé. Un Démarcheur Téléphonique ! Cette race qu'on croyait plongée dans un sommeil cryogénique par ses employeurs depuis le 17 mars sans oser l'espérer éteinte.
En voyant que c'était un appel en 01 86, j'ai failli raccrocher, et puis je me suis cru plus malin que les autres, je me suis cru dans mon bon droit, et puis aussi ça faisait 8 jours que je n'avais plus parlé à un être humain, depuis que ma femme ne me cause plus, elle qui a choisi de partager ma fin de vie confinée avec moi en pensant que peut-être que ça sauverait notre couple, mais surtout parce que j’ai planqué le toner de l’imprimante qui lui permettrait de se tirer une attestation de déplacement dérogatoire pendant ma sieste, et j'ai commis l'imprudence de dire "Allo ? ".
Après tout, ça pouvait être Edouard Philippe me demandant s'il me restait une chambre de libre pour le week-end. On sait jamais. J'ai bien désinfecté celles de mes parents avant de les mettre sur Airb'nb. Tandis que le bonimenteur déballait fébrilement sa camelote orale, je me suis successivement fait les remarques suivantes :

Ceci n'est pas un encart publicitaire
- il est noir
- il tousse
- il cherche à me vendre une complémentaire santé.
- il a bien choisi son moment.
Outré, mais en essayant de ne pas rire, je lui ai rapidement répondu que j'étais scandalisé qu'il appelle pendant la crise. Et j'ai raccroché. Quel con. (je parle de moi) et quel manque flagrant d'empathie. Comme si je n'étais pas scandalisé d'habitude. Comme quoi bonne humeur et hypocrisie ne sont pas incompatibles. D'habitude, voyant l'indicatif, dont j'ai punaisé au mur une liste des numéros gagnants au loto des casse-couilles, je laisse sonner dans le vide. Là, c'était une occasion d'un peu de chaleur humaine à peu de frais. Encore raté. J'ai désinfecté le téléphone, en méditant sur nos intentions réelles : on ne sait pas ce qu'on croit, et en général, c'est le contraire de ce qu'on pense,  comme le dit si bien Buck Danny

vendredi 27 mars 2020

#Je_suis_Corona_Charlie (1)

Cette blague n'est drôle que depuis la semaine dernière
et sera périmée début mai.
Normalement.
Ce matin j’ai vu passer deux petites perdrix dans la rue. Pas deux travailleuses du sexe mises brutalement au chômage par l’affreux jojo de virus qui se seraient mises à chasser le client dans ma rase campagne, non, des vraies perdrix, quoi, en poil de peau de perdrix naturelle à plumes ! 
Elles arpentaient le trottoir, tranquilles, le trafic routier s’étant évanoui dans l’azur soudain cristallin d'où Sainte Greta nous surveille, d’un oeil incrédule mais l'autre est secrètement réjoui, de la malice s'y devine, ce qui lui procure un doux strabisme qui ajoute à son charme. 
Dans la mer, les pêcheurs ont renoncé à jeter leurs filets, personne n’achète plus de poissons, ceux-ci en restent bouche bée, des heures durant debout dans le courant jusqu'à point d'heure. Les morues dodues et les petits maquereaux en oublient de faire leurs devoirs dans leurs beaux pyjamas à rayures, même que leur mère a bien du mal à les remettre au télétravail dans leurs boites de vin blanc. Seule la marée descendante, qui n'a pas osé se mettre en congé maladie pour ne pas faire de tort à sa soeur la montante restée bravement au bureau pour sauver l'honneur de l'horaire des marées dans l'almanach du marin breton, parvient à les calmer en les éloignant deux fois par jour des zones de pêche.

Celle-ci est bien bête, mais en plus elle est raciste.
Ca fait plaisir de voir que l'esprit gaulois survit
plus de 9 heures sur une surface plastique.
Des perdrix dans la rue, et la semaine dernière c'était une biche dans le petit bois derrière chez moi, à trente mètres de la fenêtre du salon. 
Je regrette sincèrement de ne pas avoir acheté de fusil par correspondance chez Manufrance tant qu'ils étaient encore ouverts. Partout, la nature reprend ses droits imprescriptibles, comme si le monde civilisé tout entier basculait (dans une transition écologique contrainte mais implacable) vers quelque chose qui commence à ressembler à la zone interdite de Tchernobyl, sans les cameramen de M6 planqués dans les branches. 
Et cette nuit les poules se sont mises à brailler comme si on les attaquait. J’étais en train de visionner les 4 Téraoctets de films téléchargés d’avance en prévision de la prochaine coupure d’Internet. C'est du boulot. Je suis vite descendu au poulailler, laissé en libre accès pendant la crise. Je m’attendais un peu à découvrir mes poules en train de se faire embrouiller la tête par des racailles de renards issus de la (bio)diversité : j’ai lu dans le Monde qu’ils s’étaient enhardis depuis la disparition des humains dans les zones périurbaines, mais aussi que dans les banlieues, le trafic de drogue avait pris un sacré coup depuis les mesures de confinement. Mais au lieu de voir déguerpir des prédateurs la queue basse, déconfits de n’avoir pu embobiner mes poules en leur vendant du shit coupé au henné, j'ai vu détaler ce connard de chat migrant à qui nous avons fermé la chatière depuis plusieurs mois, nous l'avons déjà reconduit plusieurs fois à la frontière tellement il est con et inintéressant, et pourtant nous sommes très chats, mais rien n'y fait, il revient toujours.
Donc, fausse alerte. Ce n'était que la faune domestique faisant honte à la sauvage.
Plus pour longtemps : je vais regarder tout de suite sur Internet si Manufrance n'a pas rouvert.

Qui c'est qui fera moins le malin
quand il apprendra le rattrapage géant
des cours de l'été prochain ?
Aux USA, Trump avait promis de démembrer l'Obamacare, mais en fait, il a que la gueule, et le système de santé n'est pas si déglingué que ça : munis de leurs ordonnances (prescrites par des médecins compétents et à leur écoute), des milliers d'Américains ont fait la queue devant les armureries dans l'ordre et le calme, pour s'y voir délivrer dans tout le pays des armes de poing  et des fusils d'assaut contre le méchant virus.
C'est un simple réflexe culturel, une crispation identitaire, face à l'Impensable, les pauvres, ils se raccrochent à du connu : Stephen King et les flingues. Pourtant, King a pris position pour un contrôle strict des armes à feu.
Les premiers béta-testeurs, en tout cas ceux d'entre eux qui n'ont pas été éliminés entretemps par une surdose de chloroquine, témoignent de leurs premiers succès contre la maladie :  "le seul truc un peu chiant, c'est de bien viser entre les deux yeux de la bestiole à travers le microscope."

Trump a aussi promis de mobiliser Iron Man et Captain America dans la crise sanitaire, il prétend qu'ils sont retenus par un petit contretemps en Afghanistan ou en Syrie, j'ai pas bien écouté, mais selon le porte-parole de la Maison-Blanche, ils devraient arriver sur site d'un jour à l'autre. J'ai trop hâte de voir mes héros en vrai.

Un peu d'optimisme : selon cette prophétie,
au moins un être humain a survécu en 2040.
On ignore si les magasins de PQ existent encore.
Bon, d'accord, celle-là, je viens de l'inventer, mais combien de blagounettes plus ou moins drôles avez-vous subies / échangées / lancées depuis une semaine ? c’est un fait, les calamités naturelles stimulent le mauvais esprit. Comme si c'était un vaccin, qu'on sait par ailleurs totalement inefficace, contre l’horreur annoncée en cours, mais on y va quand même. A force d’en lire, j’en sécrète moi-même par imitation, le cerveau creuse son sillon puis s'y vautre, avec autant de volupté qu'il le faisait naguère pour la rechute dépressive, mais il n'y a pas de dépressifs en temps de guerre, et pour les blagues comme pour le reste c’est toujours plus sympa de se fabriquer ce dont on a besoin, on se met ainsi à l'abri de la pénurie, surtout si les effondrologues remportent prochainement le jackpot.

mercredi 25 mars 2020

« Je ne veux pas passer à côté de ce que l’épidémie nous dévoile de nous-mêmes »

Entre le 29 février et le 6 mars, juste avant que l’Italie n’entre en confinement total, le  docteur en physique théorique et romancier italien Paolo Giordano, auteur de "La Solitude des nombres premiers", a écrit "Contagions". 
Un best-seller potentiel promis à un flop total, tant que les libraires restent morts.
Le Monde en publie des extraits, consultables par tous.
Avant d’être des urgences médicales, les épidémies sont des urgences mathématiques. Car les mathématiques ne sont pas vraiment la science des nombres, elles sont la science des relations : elles décrivent les liens et les échanges entre différentes entités en s’efforçant d’oublier de quoi ces entités sont faites, en les rendant abstraites sous forme de lettres, de fonctions, de vecteurs, de points et de surfaces. La contagion est une infection de notre réseau de relations (…)
L’épidémie nous encourage à nous considérer comme les membres d’une collectivité. Elle nous oblige à accomplir un effort d’imagination auquel nous ne sommes pas accoutumés : voir que nous sommes inextricablement reliés les uns aux autres et tenir compte de la présence d’autrui dans nos choix individuels. Dans la contagion, nous sommes un organisme unique. Dans la contagion, nous redevenons une communauté. 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/24/paolo-giordano-je-ne-veux-pas-passer-a-cote-de-ce-que-l-epidemie-nous-devoile-de-nous-memes_6034192_3232.html#xtor=AL-32280270

lundi 23 mars 2020

Le dénigrement du masque en Europe suscite la consternation en Asie

Désolé, Don Diego. Vous n'avez pas bien compris
la consigne avant d'aller au Super U.
Encore un article du Monde, et après j'arrête.
Paru dans l'édition du 21/3/2020

Le port préventif du masque a contribué à juguler les contaminations dans les pays développés d’Extrême-Orient, où l’appel à ne pas en porter en France si l’on n’est pas malade est vu comme une grave erreur.
Par Brice Pedroletti

Le confinement généralisé de la population en France, après l’Italie et l’Espagne, rend perplexes les pays développés d’Asie. Ceux-ci voient tout à coup des sociétés aux économies sophistiquées n’avoir comme seule solution pour contrer l’explosion des contaminations que de recourir à une méthode primitive, au coût économique immense, que seule la Chine autoritaire, la première touchée par l’épidémie, a dû mettre en œuvre.
En serions-nous arrivés là si nous n’avions pas regardé de haut les mesures prophylactiques mises en place par les tigres asiatiques ? Celles-là même qui ont permis à Taïwan, Hongkong, la Corée du Sud et Singapour, et aussi, jusqu’à aujourd’hui le Japon, de se protéger d’une propagation exponentielle du virus. Voire, comme pour la Corée du Sud, de la juguler.
Une telle riposte, aux allures de ratage, laisse aujourd’hui un goût amer à ces pays qui doivent désormais se barricader contre l’arrivée de personnes infectées, venues non plus de Chine directement, mais de pays contaminés dans un deuxième temps.
Tous ces Etats asiatiques ont tiré des leçons de l’épisode de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) survenu en 2003, du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) en 2015 et de plusieurs accès de grippe aviaire. Les aéroports de la région s’étaient alors dotés de caméras infrarouges mesurant la température des passagers, une mesure écartée en France au prétexte que « son efficacité n’est pas prouvée ». Les voyageurs ont pris l’habitude de remplir des formulaires de santé pour les remettre à des préposés en blouse blanche.
Face à l’épidémie de Covid-19, ces protocoles ont été très vite activés et enrichis de nouveaux dispositifs, afin d’établir la traçabilité des personnes déclarées plus tard infectées. Des mises en quarantaine ont ciblé les individus venant de zones infectées, ainsi que des restrictions à l’entrée du territoire – du moins à Taïwan, Hongkong et Singapour.
La mise à disposition de gels hydroalcooliques dans les lieux publics et la désinfection régulière des surfaces ont été la règle depuis le début. Enfin, les gouvernements se sont vite assurés que des masques étaient disponibles – tout en en réservant suffisamment, et de qualité supérieure, au personnel médical. Certains pays comme la Corée du Sud ont misé sur le dépistage massif, avec succès.

Mode de confinement ambulant

En France, comme dans le reste du Vieux Continent, cette chaîne prophylactique est largement incomplète, du moins vue d’Asie. Ainsi du port préventif du masque, qui n’est autre qu’un mode de confinement ambulant et individuel très largement présent dans la panoplie de la région.
A Hongkong, le microbiologiste Yuen Kwok-yung qui conseille le gouvernement de la région autonome et a fait partie de la délégation de scientifiques qui a visité la ville chinoise de Wuhan en janvier, épicentre de l’épidémie, a immédiatement préconisé le port « universel » du masque du fait des caractéristiques du virus, très présent dans la salive : pour se protéger soi, mais aussi les autres, en raison de la contagiosité de personnes asymptomatiques ou ressentant peu de symptômes.
Le masque relève en Asie du « bon sens » : une rame de métro bondée où des gens discutent entre eux, soupirent et toussent est le scénario idéal de propagation de l’infection. Dans les villes chinoises, il est ainsi devenu au plus fort de l’épidémie interdit de se déplacer sans masque – ce qui a permis d’autoriser les sorties, tout en régulant leur fréquence au niveau de chaque immeuble. « Vous voulez stopper l’épidémie ? Mettez un masque ! », a lancé Hu Shuli, la fondatrice du site d’information chinois Caixin, dans un édito daté du 19 mars à l’attention des Occidentaux.
Née il y a des décennies au Japon, où c’est une politesse pour les gens se sentant malades d’en porter, la culture du masque s’est généralisée lors de la crise du SRAS dans toute l’Asie du Nord-Est. En Chine, la pollution de l’air en a fait un attribut normal du citadin, qui en fait des réserves chez lui.
Aussi, les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), reprises par les pouvoirs publics en France, de n’en porter que si l’on est « malade » ont dérouté en Asie, tout comme l’argument selon lequel les différentes normes de masques rendent compliquée son utilisation.

Résultat du déni initial

Cela a nourri une culture du déni, et du dénigrement : des vidéos d’incidents montrant des Asiatiques conspués précisément parce qu’ils portaient des masques dans le métro à Paris ont profondément choqué en Asie. Comme le fait que le personnel en contact avec le public français – les policiers, les caissières, les serveurs et le personnel médical non urgentiste – susceptible de propager le virus n’en porte pas. Le port de masque est même parfois proscrit pour le personnel de vente en France par crainte de « faire fuir le client » – l’inverse de l’Asie où un vendeur sans masque indispose.
L’autre argument mis en avant en Europe est de prévenir la pénurie de masques pour le personnel médical. Or, celle-ci a bien lieu, alors que la Chine a rétabli ses stocks et souhaite en livrer aux Etats européens. Les pays d’Asie ont connu des difficultés d’approvisionnement en masques en janvier. La Corée du Sud a mis en place des mesures de rationnement. D’autres ont dopé leurs productions face à la demande.
A Hongkong, des fabriques ont surgi pour en confectionner. A Taïwan, des associations industrielles ont uni leurs forces pour monter soixante lignes de production en un mois. En Chine, General Motors et le constructeur de voitures électriques BYD ont décidé d’en fabriquer en masse. Une réponse dans l’urgence en forme de leçon pour l’Europe.

dimanche 22 mars 2020

Le renouveau de la SF italienne

" Je vous écris d’Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours. Les courbes de l’épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l’était par rapport à nous il y a quelques semaines.

Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés. Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu’une grippe», et ceux qui ont déjà compris..." 
J'aurais pas cru trouver une aussi bonne nouvelle de Science-Fiction sur un blog intitulé "Profession gendarme". Mais c'est vraiment très bon.

http://www.profession-gendarme.com/lorsque-tout-sera-fini-le-monde-ne-sera-plus-ce-quil-etait/


Je crois qu'il faut encourager les vocations littéraires chez les forces armées, soumises à rude épreuve ces derniers jours, car écrire apaise, et comme le disait le Général, "un pays dans lequel il existe 350 sortes de fromage est difficile à confiner." C'est pourquoi je m'en fais l'écho. La dernière fois que j'avais lu de la SF italienne, c'est quand Paolo Bacigalupi avait écrit quelques romans effondristes à une cadence effrayante (La Fille automate, Water Knife). La fois d'avant, c'est quand Léonard de Vinci avait prophétisé l'hélicoptère de la sécurité civile dédié à l'aide médicale d'urgence, juste avant de se crasher avec Thierry Sabine et la Joconde. 
A côté, on sent bien que les Français tâtonnent encore avec leur pâlote resucée de Shining :

https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/03/21/journal-d-un-parent-confine-semaine-1-comment-je-suis-devenu-instit-par-interim_6033980_4497916.html


Sur le fond, et en bien plus concis, la nouvelle italienne du gendarme m'évoque celle de Ian Watson "La machine à voyager très lentement dans le temps", dans laquelle l'écrivain anglais imaginait que Dieu s'auto-confinait dans une machine temporelle qui marchait à l'envers pendant 40 ans... pour aller sauver l'humanité dans le futur, sinon c'est un peu vain, et je ne peux vous en dire plus sans déflorer l'intrigue, mais si vous avez 20 minutes devant vous, n'hésitez pas à la lire.

samedi 21 mars 2020

La vengeance des chauves-souris (3)

Ce livre redevient d'actualité.
Chic, je vais pouvoir le relire.
Mes chers compatriotes, 
chez vous, je ne sais pas, mais chez moi, j'ai l'impression que cette crise sanitaire et sociétale qui nous isole chacun dans sa bulle commence paradoxalement à nous rapprocher, et à resserrer les liens entre membres de la famille élargie, mêmes chez ceux d'entre nous qui ne sont pas adeptes du SMAO (sadomasochisme assisté par ordinateur.) 
Nous communiquons plus qu'auparavant, grâce au foisonnement de ces outils cybernétiques qu'on dirait mis à notre disposition en prévision de temps difficiles (1) et nous avons cessé de pratiquer le double langage, les allusions perfides et les invectives grotesques, alors que nous étions vraiment enferrés dans une communication stérile. C'est d'ailleurs pourquoi ces outils étaient tombés en déréliction au sein du collectif, nous préférions de loin prendre le téléphone pour nous engueuler de près lorsque l'un d'entre nous dépassait les bornes de la décence. 
 - Notre fille, qui vit actuellement en Corée et dont le cantonnement partiel a été récemment levé, se dorait la pilule hier sur la pelouse d'un grand ensemble de Séoul en savourant sa libération dans l'attente de savoir si les cours universitaires vont reprendre ou pas, et elle remarquait que jamais des situations de panique et/ou de pénurie n'auraient pu s'installer là-bas comme chez nous, car c’est pas que les Coréens ne soient pas égoïstes, mais il font passer le bien commun avant la satisfaction personnelle. Diable ! ces damnées faces de citron se seraient peut-être aperçus que l'un découlait de l'autre, dans une sorte de ruissellement logique. 
C'est vrai que face à ça, le prestige intellectuel du siècle des Lumières, c'est du rayonnement fossile (reliquat de la période d'intense chaleur qu'a connu l'univers, 380.000 ans après le Big Bang) et on peut aller se rhabiller avec, ou le découper pour essayer d'en faire des masques à l'aide des nombreux tutos trouvés sur internet.

- Les publicitaires ne perdent pas le nord : ma soeur, qui vit en Haute-Savoie, a reçu un spam Damart lui rappelant que c'était le printemps, que la contagion arrive et qu'elle n'a rien à se mettre. Quoi de plus gênant que d'être placée sous assistance respiratoire à l'hopital d'Annecy dans une petite robette de l'année dernière ? Et que du coup, la livraison était OFFERTE, avec des rabais conséquents. Elle m'a dit qu'elle allait leur écrire, pour savoir s'ils vendent aussi des masques thermolactyles. Je vous tiendrai au courant de la réponse.
J'ai parcouru leur site, si la pénurie de masques perdure du fait de notre désindustrialisation, et si la situation de l'hôpital public persiste à se dégrader du fait du grignotage du plan de santé ourdi par le gouvernement depuis des lustres, Damart sort une très jolie collection de coussins avec imprimés fleuris pour étouffer ses enfants s'ils toussent trop, c'est bien pratique. Mais les enfants sont peu touchés par le virus, sauf comme porteurs sains, tout le monde sait ça. Tant pis.
- Mon frêre, qui vit à Bruxelles, a sobrement prophétisé : Ils sont fous, ou alors tous morts gisant par terre dans leurs bureaux, et les newsletters et pubs continueront d'être envoyées automatiquement tant que leur système informatique n'aura pas été mis hors service.
Puis il nous a raconté la dernière histoire de Big Brother belge.
Encore plus fou que chez Damart : l'administration communale de Schaerbeek.
Le 1er janvier le stationnement est devenu payant dans toute la commune (la 2eme la plus peuplée de la région bruxelloise), même les rues calmes et sans commerces comme la nôtre. D'un seul coup et tous les jours sauf dimanche / jours férié, de 8h à 21h. Même pas moyen de remettre un ticket après 2h pour ceux qui n'ont pas de carte de résident, il faut bouger la voiture. Imaginez quand des amis ou des proches rendent( visite (par ex. grands parents qui viennent de loin pour garder des petits enfants)... La vie sociale est impactée, il y a eu une interpellation citoyenne à la maison communale, 800 personnes, cela fut très houleux et ils vont revoir leur copie, enfin c'est ce qu'ils ont dit. En attendant, les horodateurs high-tech flambants neufs, sabotés dès les premiers jours dans notre rue, et sûrement partout ailleurs, ont été très vite remis en état, et c'est même plus des agents qui verbalisent, c'est des voitures qui passent avec un scanner comme les voiture Google... 
Et vous savez quoi? Elles sont passées dans la rue cette semaine, alors que les gens sont confinés !!!
C'est vrai que c'est un coup à ressortir de la cave le fusil à pompe de l'oncle Léopold, pas utilisé depuis la glorieuse épopée de Tintin au Congo, et à se poster à la fenêtre. J'ajoute dans le fil de la conversation familiale que si j'étais Français et que ça m'arrive, j'aurais vraiment envie de tout péter, parce que c'est carrément du niveau du film « Brazil », mais que si j'étais Belge, je me retiendrais, parce que j'aurais plus de self-control. 
Ça ne peut que mal finir, sur le moyen terme. Il n'y a pas assez de gardiens pour la prison. Et il y a des gens qui sont dix fois plus embêtés que nous ne le sommes actuellement. J'ai une pensée émue pour les soignants, les putes et les toxicos. J'ai aussi lu dans le Monde que des SDF avaient été verbalisés pour non-respect du confinement. Ils auraient tendance à se regrouper, et à se croire tout permis. Que dire, que faire et qu'en penser ? Prenons soin de nous, on n’a encore rien vu en termes d’épidémie, je pense.
Pour finir sur une note d'espoir, mon père, cet incurable, conclut que dans son journal préféré, qui est le même que le mien, mais je ferais mieux de m'abonner à Médiapart, il y a des gens bien (psys, sociologues, ...) qui ont écrit qu'avec le confinement, il va y avoir un supplément important de pétages de plombs. Au moins, j'étais prévenu ... Mais je ne désespère pas que cela soit encore réversible.
Bon, d'accord, c'est pas très crédible comme note d'espoir. Voici la mienne : ce matin sur allociné, j'apprends par un encart publicitaire la sortie prochaine d'un rimaique du Croquemitaine, pas la version virale et invisible, non, la standard, 



ce qui veut forcément dire qu'à la date du 17 juin nous serons libérés, et prêts à aller nous enfermer au cinéma voir des films d'horreur du mec qui a réalisé Sortez !
J'ai hâte.
Enfin, j'ai surtout hâte d'attraper un publicitaire testé positif par son col de chemise, de le mettre dans un micro-ondes et de le passer 30 secondes sur "décongélation douce" (200 watts, pas plus) c'est un traitement expérimental certifié efficace sur un blog naturopathe : j’ai la quasi certitude que le virus n’y survit pas. 

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(1) il devient raisonnable d'espérer avoir pris une peine préventive incompressible de 6 semaines, courant donc jusqu'à début mai. Ce pronostic sera remboursable s'il est dépassé, sur simple présentation du ticket de caisse et de la dérogation datée et signée du jour de la ponte.

mercredi 18 mars 2020

Coronavirus : « La façon dont l’épidémie a été gérée en Corée du Sud devra servir d’exemple »

dans Le Monde, daté du jeudi 19 mars (paru mercredi)

Coronavirus : « La façon dont l’épidémie a été gérée en Corée du Sud devra servir d’exemple »

Dans ce pays, où les commerces et transports n’ont pas été fermés, l’épidémie a été maîtrisée grâce, notamment, au civisme de la population, en contraste avec l’atmosphère de panique en Occident, observe, dans une tribune au « Monde », Christophe Gaudin, universitaire français en poste à Séoul.

Tribune. Dans son Essai sur le don, paru en 1923-1924, l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950) forgeait un concept devenu célèbre, celui de « fait social total », dont il se servait pour cerner un certain ordre de phénomènes qui, disait-il, « mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions ». C’est bien sûr le cas des épidémies qui, lorsqu’elles frappent, font aussitôt office de révélateurs et offrent pour ainsi dire une vue en coupe de la société tout entière.
Inutile, d’ailleurs, de remonter jusqu’à la peste noire ou la grippe espagnole (qui d’ailleurs toutes deux provenaient déjà d’Extrême-Orient) pour s’en convaincre. Même dans le cas d’un virus, par chance considérablement moins mortel tel que le SARS-CoV-2, nos sociétés se révèlent dans l’épreuve plus fortes ou plus fragiles – c’est selon – qu’on ne le croyait. Cette pandémie a en effet ceci de remarquable qu’elle est la première à se répandre à une telle allure sur une telle échelle, pour ainsi dire en temps réel. En quelques semaines, le foyer de l’infection s’est déplacé de l’Asie à l’Europe, permettant toutes les comparaisons, et mettant au jour des vérités fort désagréables pour l’Occident.
Contamination très rapide
Prenons le cas de la Corée du Sud, le premier pays à avoir été touché massivement hors de Chine. Elle a particulièrement joué de malchance puisque l’épidémie s’y est répandue comme une traînée de poudre dans une secte protestante à la mi-février. Des milliers de personnes qui priaient en se donnant la main ont été contaminées du jour au lendemain, réunissant toutes les conditions pour une explosion.
Or ce qui saute tout de suite aux yeux si l’on trace le parallèle avec la France ou l’Italie, qui pourtant ont eu davantage de temps pour voir venir, c’est que le pays n’a à aucun moment été mis en quarantaine. A l’exception de Taegu, la ville du sud où l’épidémie s’est déclarée et a jusqu’à présent pour l’essentiel été contenue, les commerces n’ont jamais fermé. Les transports ont continué à circuler normalement. A aucun moment, on n’a assisté à une quelconque ruée sur les produits de première nécessité – il suffit de se rendre dans n’importe quel supermarché pour s’en apercevoir. Si le système de santé a été éprouvé comme partout, il n’a jamais été question, comme en Italie, de faire un tri parmi les malades.
« Fait social total » en effet, l’épidémie offre l’occasion d’une introspection urgente dans les pays occidentaux. En s’arrêtant aux particularités de tel et tel pays voisins, pour mettre en regard par exemple la France et l’Italie, critiquant ou valorisant telle décision quotidienne dans la gestion de la crise, on ne parviendrait qu’à noyer le poisson. Un fait énorme, aveuglant dans son évidence, se donne ici à voir à l’échelle mondiale, lorsqu’on compare ce qui est comparable à travers les continents, à savoir des pays riches et qui se réclament de la démocratie. Ce fait, c’est la façon dont l’épidémie a été tout de suite maîtrisée en Corée et au Japon (à Taïwan, pour l’instant, elle n’a même été constatée que de façon résiduelle), par rapport à l’atmosphère de panique qui se répand en Occident.
Des décennies de déchirement du tissu social
Pour le dire nettement, ce qui se donne à voir dans cette épidémie, ce sont les conséquences de décennies de déchirement du tissu social. Cela se voit dans l’état de misère objective où l’hôpital public a été plongé au fil des coupes budgétaires, mais aussi dans les conséquences du libre-échange et de la désindustrialisation. Les deux sont liés, puisqu’ils expliquent que la France est incapable d’équiper en masques et en gel sa population, voire son personnel hospitalier… La Corée a interdit l’exportation de ces produits, réquisitionnés par l’Etat et disponibles un peu partout, notamment dans les bureaux de poste. C’est toute une politique d’économies à courte vue, de délocalisations, d’abaissement systématique de la puissance publique dont les effets apparaissent avec toute la clarté désirable.
On pourrait même dire que la mise en regard de la Corée du Sud et de l’Italie, dont les PIB par habitant sont très proches, est d’une éloquence féroce à cet égard. La presse rapporte chaque jour des choses incroyables, inimaginables il y a seulement dix ans. Je pense notamment à ces cargaisons de respirateurs artificiels et de masques qui partent aujourd’hui de Chine en direction de l’Italie.
« Ce sont deux modèles sociaux dont l’incurie se révèle dans cette crise : la concurrence déchaînée de tous contre tous en Occident, et l’opacité de la dictature chinoise »
Mais il y a plus, dans la mesure où ces événements nous forcent à regarder en face le déclin du simple civisme. Si la vie sociale a pu se poursuivre à peu près telle quelle en Corée, sans cloîtrer tout le monde chez soi, c’est aussi parce qu’il règne dans la population un certain sentiment de responsabilité. Chacun se sent responsable de soi, en faisant ce qu’il faut pour ne pas contaminer les autres. Sans doute, on ne saurait reprocher aux Européens de ne pas mettre des masques que leurs gouvernements sont incapables de leur fournir… Pourtant, rien n’interdit de voir un mauvais présage dans la façon dont les étalages ont été dévalisés, comme dans un pays en guerre. On n’ose imaginer ce que tout cela donnerait face à un danger plus considérable.
On ne peut qu’être frappé, avec la distance que donne l’étranger, de voir combien cette déliquescence confirme que ce sont en définitive deux modèles sociaux dont l’incurie se révèle dans cette crise : la concurrence déchaînée de tous contre tous en Occident, tout autant que l’opacité de la dictature chinoise qui n’a révélé la gravité de la situation que lorsqu’il a été trop tard. On entend beaucoup dire, partout dans le monde, que cette épidémie est un événement fondateur, qu’il y aura un avant et un après… Il faut espérer que la façon dont l’épidémie a été en revanche maîtrisée dans les démocraties asiatiques saura servir d’exemple aux uns et aux autres.
Christophe Gaudin est maître de conférences en science politique à l’Université Kookmin, Séoul (Corée du Sud).

vendredi 13 mars 2020

La vengeance des chauves-souris (2)


Ce matin vers 11 heures, tous les petits vieux qui avaient écouté hier soir Président_Macron® parler de mobilisation nationale, de solidarité intergénérationnelle et surtout de protéger nos ainés dans le poste, se sont sans doute dits c'est bon y nous couvre, on peut y aller, et étaient très occupés à piller méthodiquement le Super U.
C'est l'effet "mes chers compatriotes", à tous les coups, ça marche.
Au rayon charcuterie, où j'ai pris double ration de museau avec langue puisque la semaine prochaine nous serons tous morts, d'abord j'ai bien fait rire la vendeuse avec ma blague, du coup elle m'a fait cadeau de l'entame du museau, ensuite elle m'a dit que depuis 8h30 ce matin c'était l'émeute dans les rayons, et les prémisses de la guerre civile aux caisses. 
Au train où vont les choses et à l' avion où elles ne vont plus, on ne peut pas dire que le gouvernement n'a pas tout fait pour établir les bases d'une saine confiance collective dans la psychose de masse, le chaos à nos portes et l'auto-réalisation des pires prédictions en germe dans les bouquins les plus mal écrits de Stephen King, et on peut s'attendre d'un instant à l'autre que les rassemblements de plus d'une personne soient interdits sur tout le territoire. 
Même les effondrologues trouvent que c'est un peu abusé.
En slalomant entre ces cohortes de petits vieux agrippés à leur caddie et angoissés de trouver le rayon sucre déjà bien dégarni, j’essaye de ne pas me sentir supérieur à eux, parce que j’ai bien observé le travail d’épouvante distillé par les média nationaux depuis une quinzaine, et puis aussi parce que ce n’est qu’une question de temps pour que je devienne leur semblable, et je songe à ce passage du «Limonov» d’Emmanuel Carrère lu récemment suite à une suggestion d’un lecteur du Monde pour comprendre l’exalté russe qui avait fait chuter Benjamin Griveaux, le candidat visionnaire qui rétrospectivement avait compris avant tout le monde que les Municipales 2020, tout le monde allait s’en branler :
« Je veux parler (…) de la façon dont chacun de nous s’accommode du fait évident que la vie est injuste et les hommes inégaux : plus ou moins beaux, plus ou moins doués, plus ou moins armés pour la lutte. Nietzsche, Limonov et cette instance en nous que j’appelle le fasciste disent d’une même voix : « C’est la réalité, c’est le monde tel qu’il est. » Que dire d’autre ? Ce serait quoi, le contre-pied de cette évidence ? »
« On sait très bien ce que c’est, répond le fasciste. Ça s’appelle le pieux mensonge, l’angélisme de gauche, le politiquement correct, et c’est plus répandu que la lucidité. »
Moi, je dirais : le christianisme. L’idée que, dans le Royaume, qui n’est certainement pas l’au-delà mais la réalité de la réalité, le plus petit est le plus grand. Ou bien l’idée, formulée dans un sutra bouddhiste que m’a fait connaître mon ami Hervé Clerc, selon laquelle « l’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité ».
Cette idée-là n’a peut-être de sens que dans le cadre d’une doctrine qui considère le « moi » comme une illusion et, à moins d’y adhérer, mille contre-exemples se pressent, tout notre système de pensée repose sur une hiérarchie des mérites selon laquelle, disons, le Mahatma Gandhi est une figure humaine plus haute que le tueur pédophile Marc Dutroux. Je prends à dessein un exemple peu contestable, beaucoup de cas se discutent, les critères varient, par ailleurs les bouddhistes eux-mêmes insistent sur la nécessité de distinguer, dans la conduite de la vie, l’homme intègre du dépravé. Pourtant, et bien que je passe mon temps à établir de telles hiérarchies, bien que comme Limonov je ne puisse pas rencontrer un de mes semblables sans me demander plus ou moins consciemment si je suis au-dessus ou au-dessous de lui et en tirer soulagement ou mortification, je pense que cette idée – je répète : « L’homme qui se juge supérieur, inférieur ou égal à un autre ne comprend pas la réalité » – est le sommet de la sagesse et qu’une vie ne suffit pas à s’en imprégner, à la digérer, à se l’incorporer, en sorte qu’elle cesse d’être une idée pour informer le regard et l’action en toutes circonstances. Faire ce livre, pour moi, est une façon bizarre d’y travailler. »

Ouais, bien dit, vas-y Manu, dommage que parler ne fasse pas cuire le riz, et qu'écrire ne regarnisse pas le rayon nouilles. Tous ces seniors emplis d'une terreur profane à l'idée de pénurie, c'est un peu comme dans la blague du chef indien et de l'hiver qui sera rude, sauf que le printemps arrive, les marchés flambent avant de s'effondrer, et je suis toujours confiné chez moi comme un con de CDD pas historique de FTV.
C'est assurément une occasion en or pour faire un pas de plus vers l'acceptation des Mystères de la vie, cette vie qui nous est donnée, dont il faut bien essayer d'être digne, et devenir un être humain épanoui avant la mort, putain ça serait pas du luxe non plus. 
Et là, à juger les autres on sort sans doute des clous. 
Et d'abord, qui serais-je pour me juger moi ?
Il est évidemment bien plus aisé de philosopher bien au chaud dans son confort bourgeois sur notre compassion pour la bêtise et les incivilités des gens mal nés que de se coltiner des connards en vrai.
Il y a quand même des mesures qu'on pourrait prendre assez rapidement si on voulait mettre un frein à l'immobilisme :
comme l'a révélé Président_Macron® hier soir, si les plus jeunes sont les vecteurs sains du virus et que les vieux sont prédisposés à en mourir s'ils l'attrapent, ça serait peut-être pas mal d'euthanasier préventivement ces deux catégories de la population, et déjà on y verra plus clair.

lundi 2 mars 2020

La vengeance des chauves-souris

Cette vidéo de deux minutes m'a appris plein de choses.
https://www.arte.tv/fr/videos/095980-000-A/pourquoi-les-chauves-souris-transmettent-des-maladies-28-minutes/

Si Greta Thunberg avait de l'humour, ça se saurait elle en rirait fort : ce que ni elle, malgré son air grognon, ni les savants du GIEC, ni avant eux le club de Rome, n'ont obtenu, bien qu'ils dénoncent depuis des décennies l'absurdité du mythe de la croissance dans un monde aux ressources finies, cette transition écologique que tous les gouvernants instruits prétendent qu'il vont mettre en place sans avoir vraiment l'intention de faire bouger les lignes de l'hyper-capitalisme financier dont tout notre Mal découle, une toute petite bestiole de rien du tout l'a fait.
On suspecte un Chinois de la région de Wuhan de s'être fait un sandouitche à la chauve-souris, d'avoir ainsi chopé le Coronavirus, puis par contagion d'avoir mis la Chine, l'usine du monde, à l'arrêt, et pour un bon moment.
Faut pas embêter les chauve-souris. C'est clair.
C'est l'effet papillon, et on n'aurait jamais cru qu'il aurait les yeux bridés.
La chauve-souris est porteur sain d'un arsenal de malédictions virales qui ferait frémir Lovecraft s'il était hypocondriaque. Jean-Marie Bigard avait fait un sketch assez inspiré sur la bébête qui montait son escalier, juste avant de devenir atrocement mauvais et vulgaire, comme une vile caricature de lui-même. La malédiction de la chauve-souris, sans doute : à peine invoquée, la bestiole prend déjà sa revanche, et je tremble en écrivant ces quelques lignes, car mes jours sont sans doute comptés. 
N'empêche que depuis quelques semaines, le Coronavirus épargne l'émission de centaines de millions de tonnes de CO2 à notre pauvre planète mise à la diète industrielle, et les transports sont eux aussi à l'arrêt, et les agences de voyages pleines de salariés pendus. C'est la décroissance soft. C'est ce qui pouvait nous arriver de mieux. Sauf pour les pendus, qui n'avaient pas pris le temps de rechercher un métier honnête. 
Surtout que le Covid-19 est relativement bénin, comparativement au virus Nipah lui aussi transmis par les chauve-souris (la vidéo dit "jusqu'à 100% de morts", mais le wiki n'en donne que 40 à 75.)
Désormais, la recherche fondamentale peut prendre différentes voies, assez contradictoires :
- En route vers l'éradication mondiale des chauve-souris, méthode Trump et assimilés, à base de bombes dans les grottes, de gaz sarin vaporisé sur les falaises, etc...
- Etude et piratage du système immunitaire de l'animal, qui lui permet de résister à des cochonneries insensées qui nous tuent nous dès qu'elles nous voient 
- Sanctuarisation des espaces de vie des chauve-souris, avec créations de parcs naturels - zones interdites, sacrées - territoires maudits, avec pour l'inauguration, concours d'imprécations des derniers chamans sibériens et amazoniens qu'on aura pu ramasser en chemin.
Vu que des chauve-souris, on en trouve sur tous les continents, ça va en faire, de la place pour la biodiversité.
Et Greta pourra aller vendre du gel douche avec Nico.


Les deux images qui illustrent l'article viennent de