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mardi 30 mai 2023

Les adieux au music-hall de Mélanie Mélanome (8)

Résumé : Les épisodes précédents des aventures de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome sont accessibles d'un simple clic en tapant le hashtag Mélanie Mélanome dans la zone "RECHERCHER DANS CE BLOG" dans la colonne de droite. Je peux pas être plus clair. Mais je peux l'être beaucoup moins.

Le jour où j'ai vu mon oncle maternel de 85 ans marcher cassé en deux, comme après une fracture du bassin, je lui ai demandé pourquoi il n'utilisait pas sa canne, qu'il conservait toujours à portée de main. Il m'a répondu que c'était parce qu'il craignait d'en devenir dépendant. 
Il m'a dit ça avec son demi-sourire permanent à la Fernand Raynaud, en respirant à toutes petites goulées, comme un plongeur descendu à une grande profondeur qui se demande s'il aura assez d'air pour remonter.
papa dans son bel uniforme de polytechnique
un peu avant qu'il devienne un séducteur de la CGT
J'ai apprécié la blague de ce prince sans rire, mais aujourd'hui, c'est moi qui marche comme lui, j'ai chopé une lombalgie de la mort, avant-hier matin, sur le même siège sur lequel je suis assis sous vos yeux, pieds nus dans les courants d'air, au mépris du danger vertébral, j'étais en train d'envisager de dire du mal de mon géniteur à quelqu'un qui venait de l'évoquer, mais le temps de me dire que ça valait pas le coup et de lâcher l'affaire, crac. 
D'habitude il me faut être confronté à la présence physique du Malin, et à Sa Parole Toxique, pour subir des atteintes dans ma chair (pied cassé pendant une réunion de famille ourdie à l'insu de mon plein gré, lumbago de Noël, crise bipolaire de la Saint-Sylvestre menaçant de tourner à la Saint Barthélémy, etc…), là il m’a suffi de réagir par écrit au portrait ancien qui m'en était esquissé "ton père, paraît il, séducteur et à la CGT" et d'ironiser sur la transmission de cet héritage caractériel pour choper une lombalgie carabinée. 
C’est de la magie noire lacanienne, ou je ne m’y connais pas. J'en ai bien pour huit jours, pour les lombalgies, c'est le minimum syndical; à la CGT comme ailleurs.

une bédé agréablement débile de Lupano
Et maintenant j'attends que ça passe, allongé dans le canapé avec des anti-inflammatoires téléchargés sur un serveur russe et des BD agréablement débiles de Lupano délivrées sans ordonnance à la pharmacie du rond-point virgule; j'ignorais qu’à partir de 60 ans, le survivalisme devient une philosophie concrète, indispensable pour négocier chaque virage du Réel, dévoilant un nouveau platane en approche. 
La plupart de mes confrères et consoeurs de blog que l'auto-addiction n'a pas confinés dans la démence précoce et qui ne sont pas encore internés à l'asile d'Arkham-sur-Loing ont fermé leur échoppe depuis longtemps, ou sont déjà morts d'autre chose. 
Je reste quasiment seul à pouvoir témoigner, au risque d'essayer de faire mon intéressant avec l'aveu de mes déficiences. D'autant plus qu'avec mon dos pété, je ne peux pas faire de jardin, de toute façon c’est très venteux, avec toutes les graminées en suspension dans l'anticyclone, j'ai une belle rhinite, et ma femme fait des crises d’asthme spectaculaires. 
Plus jeunes, on n'y était pas sensibles. Cet après-midi, on est vraiment les naufragés du canapé de la Méduse, heureusement que personne ne peut nous surprendre en flagrant délit de larvitude, le fils est au boulot avec ses autistes, et la fille en Italie avec son nouveau chéri de chez Tefal qui n’a pas de poële, en tout cas sur la photo que j’ai réussi à obtenir. 

une bédé agréablement intelligente de Lupano
(se lit dans le même canapé)
Le deuxième jour de lombalgie me voit démarrer la journée du mauvais pied, avec la démarche chaloupée qui m’a rendu célèbre parmi les marins approximatifs débarqués à Ciutadella de Menorca un 15 aout à la recherche urgente d'un chiropracteur, mais je retrouve une boite non utilisée de Tramadol, offerte par le CHU de Saint Nazaire pour toute fracture du pied pendant les fêtes de fin d'année dernière. Le Tramadol ! le célèbre anti-inflammatoire opioïde déjà culte qui provoque 100 000 morts par an et par overdose aux USA ! J'avais hâte de l'essayer. Heureusement que je n’ai aucune tendance addictive. Je regarde le dosage, ok, j'y vais mollo, ça me soulage un peu. Mais la somnolence liée au fait que le produit ralentit le système nerveux est plaisante, donc un peu relou. Dans l'absolu, je m'en moque, de ce retour du refoulé vertébral, car je viens d'archiver mon dossier cancer, nananère, désormais clos jusqu'à nouvel ordre. La rechute ? le plus tard possible. Après ma mort, ça serait carrément top-moumoute. Merci d'avance, Esprit de l'Univers, Seigneur des Métastases.


J'ai bien rempli les intercalaires de mon livret d'accueil,
mais je n'ai jamais croisé cette sémillante quinqua
pendant sa chimio à la cafétéria du centre.
Encore de la publicité mensongère.
Quelques jours après mes adieux à la cardiologue du centre de cancérologie qui n'oubliait rien, j'ai passé un dernier IRM de contrôle thorax + cerveau, avec l'injection de produit de contraste rigolo qui fait vomir dans le scanner à 500 000 $ si on a mangé du cassoulet avant, examen toujours suivi d'un bilan avec l'oncologue. Elle m'avait prévenu par avance que sauf récidive, c'était la dernière fois qu'on se verrait. 
Je lui avais répondu "tant mieux, parce que ma femme commence à se douter de quelque chose", mais j'ai encore failli oublier le rendez-vous, j'avais une échographie inguinale à réaliser juste avant dont je n'avais pas vu que l'heure en avait été avancée, heureusement que j'avais commencé à classer une pile de papiers administratifs sur mon bureau et que j'ai retrouvé la convocation juste à temps pour sauter dans ma voiture, comme la semaine précédente, et après le Seigneur des Patients à l'Heure m'a pris en charge et mené à bon port en un temps record. Mais le parking était plein, la cancérologie est une industrie florissante, et il y avait un embouteillage de malades à l'accueil, comme si toutes les ambulances de Loire-Atlantique avaient déversé leurs passagers devant l'hosto en même temps, pour faire un espèce de happening de cancéreux, heureusement tout le monde était à peu près valide et présentable, et on est restés dignes. L'oncologue m'a dit que mes résultats étaient bons, elle ne prononce ni les mots de guérison, ni de rémission, mais elle me confirme qu'on ne se verra plus, ou alors ça ne sera pas bon signe, elle me colle un suivi bi-annuel avec une dermatologue, elle ne me dit pas que je ne peux plus me mettre au soleil mais j'ai bien compris que j'avais dilapidé mon capital, je ne m'expose plus sans chapeau, ni crême, ni vêtements anti-UV. Je n'ai pas envie de refaire un tour de manège. Celui qui s'achève a duré trois ans. C’est la première fois que je contemple la face de Mélanie Mélanome sans masque anti-Covid, c'est con, ça mettait un peu d'Eros dans tout ce Thanatos, je trouve qu'en voilant leurs femmes pour s'interdire de désirer celle du voisin les Musulmans se sont rajoutés une couche de difficulté, le mystère émanant d'une paire d'yeux émergeant d'un masque FFP2 est d'autant plus irrésistible qu'insondable, en tout cas avec Mélanie on est un peu émus tous les deux pour cette fin de chantier, je sais qu'elle s'en remettra avant le prochain patient, surtout si elle doit lui annoncer une mauvaise nouvelle, et je suppute qu'elle ne dit pas adieu à tous ses malades de façon aussi apaisée. Je m'en sors bien. Beaucoup d'amis de mon âge, et plus jeunes, n'ont pas cette chance. J'en tire des conclusions assez laïques sur l’absence de justice divine, sans sombrer dans le nihilisme, qui serait fatal à des types dans mon genre. 
D’abord parce que peut-être que la justice divine existe, mais qu’elle n’est pas perceptible à des humains, vu qu’elle satisfait à des critères divins, on n'est peut-être pas dans le bon angle, ni assez intelligents pour comprendre, auquel cas c’est guère étonnant qu’elle nous apparaisse comme une grosse pute vérolée sans foi ni loi. Ensuite, parce que l'absence apparente d'intervention divine dans nos petites affaires ne justifie pas tout. Par exemple, ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse, ça m'a l'air un principe assez sain, et à conserver, de même que son corollaire : sois bon avec autrui comme tu aimerais qu'il le soit avec toi, mais ne force pas ta chance, et reste élégant.

J'ai découvert par hasard dans la semaine où j'essayais de rédiger l'article
que mes ruminations recoupaient celles d'Averroes, philosophe médiéval andalou. 
C'est un peu rassurant. D'être un chien d'infidèle andalou. Arf.

Dans l’article réservé aux abonnés « Dieu et la connaissance du monde » : Averroès, l’altérité divine et la liberté humaine, le plus célèbre théologien de l’islam sunnite critique avec véhémence les philosophes, en particulier le Persan Avicenne (980-1037), qu’il accuse ni plus ni moins d’être des infi­dèles. Cette condamnation vise leurs positions sur trois points : ils soutiennent que le monde n’a pas été créé, rejettent la résurrection des corps dans l’au-delà et, donc, affirment que Dieu ne connaît pas les choses du monde dans leur particularité. (..) Si Dieu ne connaît pas le monde dans sa particularité, si, dans l’acte de connaître, Il ne sort pas de Lui-même, alors Sa providence ne s’étend pas au monde des hommes. Cette conséquence a des implications politiques importantes. Il en va de la liberté de l’homme et de la possibilité qui lui est accordée de fonder une cité qui soit la cité des hommes et non celle de Dieu.
Dans le Politique, Platon convoque le mythe de Chronos pour expliquer que, lorsque la providence divine abandonne les hommes, ils doivent alors se prendre en charge et instaurer les conditions qui rendent leur vie commune possible. Si la loi des hommes est nécessaire, c’est parce que les hommes ne sont plus guidés par la loi divine.

Me voici contraint d'abandonner au bord du chemin mon identité de cancéreux. Soi-même est pourtant un des mythes les plus tenaces de l’Occident Chrétin. On passe sa vie consciente à se bricoler des histoires, à quémander le regard de l’autre pour validation, au moins de loin en loin, alors qu’il n’y en a aucune qui tienne la route dans la durée, et qu’elles ont tendance à s’évaporer comme qui rigole en mangeant de la neige au soleil. Ce qui me semble exister avec plus de consistance, ce sont des identifications successives, terme dont je me croyais l'inventeur avant de le lire sous la plume du président du gRRR, (le groupe de Réalité Réelle Ratée) qui me signale l’avoir emprunté à Lacan, m’épargnant le souci d'expliquer comment elles coulissent l’une dans l’autre à condition de ne pas s’y attacher, et combien elles sont un heureux substitut à ce malheureux concept d’identité, qui continue à faire des millions de victimes hagardes (et la fortune des psys) de par le monde.
Franchement, je vois pas pourquoi en faire un tel fromage; y’a quand même pas de quoi se passer les paupières à la crème de Chester avec une tringle à rideau de fer ! Et si j'emprunte un autre uniforme, et ma casquette de dépendant, plus ou moins sauvé par le programme des 12 étapes, c'est un groupe identitaire où l'on n’est pas dans la recherche d'honnêteté par vertu, mais pour le confort. Si on ment, on meurt. En repassant par la case produit. Le programme de rétablissement qui nous est proposé nous aura au moins appris ça. Dans d'autres programmes, comme le Vipassana, mentir, c’est juste alourdir la barque karmique. C’est une entorse au règlement intérieur, au cœur de l'intimité de notre être, régie que nous le voulions ou non par la loi de cause à effet. Et que notre être soit rongé ou non par l’obsession égotiste, et que pendant ce temps, Dieu soit au bureau ou pas, ok ?
Putain de moine, j'aurais dû faire théologien.

J’étais un jeune séminariste plein d'avenir en route vers l’abbaye de Rostrenen, 
quand je me fis rouler dessus par ma première concubine
 à bord de son tramway nommé désir, qu’elle conduisait d'une main leste.
Y’a jamais eu moyen de faire un constat à l’amiable, et maintenant c’est baisé.

Le temps que je vous explique ma guérison miraculeuse sans même porter la médaille du Curé d'Ars, je reçois la réponse de mon employeur, qui ne m’accorde pas les congés nécessaires à mon stage de Vipassana début aout, les deux périodes ne se chevauchaient qu'imparfaitement et il me fallait un peu de rabe. A coup sûr, c'est le Bon Dieu qui m'a puni de blasphémer devant mon ordi tôt le matin dans les courants d'air dans mon pyjama rayé. Vais-je pour autant me ruer sur mon armoire à pharmacie, contenant le lithium consolateur et surtout régulateur, ce népenthès de l’âme ? Je ne pense pas. Je vais plutôt jouer ça dans le bon sens : le prochain cours de 10 jours qui ouvre, je saute dessus et je pose mes congés après.
Et le cancer numérique ? En début de cancer réel, j'avais dit que j'arrêtais celui qu'était virtuel. 
Hé bien on y travaille. Il vaut mieux s’affranchir du mensonge que de faire fi de ses conséquences. Je n'écris plus que quand je suis coincé, et que je ne peux pas faire autrement. J'avoue qu'en ce moment, j'ai l'air souvent coincé. A se demander si je ne me coince pas exprès le nerf sciatique dans la rainure, histoire de relancer l'usine à blabla. 

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)



[EDIT du 1/6]
j'ai un peu oublié l'essentiel, peut-être implicite dans mes lyrics, je ne sais pas, mais ça m'est apparu en discutant avec la dentiste ce matin, qui est que je suis beaucoup moins prisonnier de mes états dépressifs qu'avant. Avant quoi ? ben avant le mélanome, les deuils, la fracture du pied, la reprise du blog... un peu comme si le cancer avait joué le rôle de régulateur d'humeur, en remettant de l'ordre dans l'échelle des priorités, des joies simples aux plaisirs compliqués. Mais je n'en suis qu'à 5 mois sans lithium, et qui serais-je pour me juger ? faut voir dans la durée. 

jeudi 18 mai 2023

Mélanie Mélanome et la cardiologue qui n'oubliait rien (7)

Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome, le résumé intégral des épisodes précédents :

Episode 1
https://johnwarsen.blogspot.com/2020/09/loukoum-et-tagada-contre-melanie.html

Episode 2

Episode 3

Episode 4

Episode 5

Episode 6

Episode 7
Attendez un peu, je commence tout juste à l'écrire.

Ce matin, levé à 6 heures pour accompagner les travailleurs dans leur élan, je ne bosse pas aujourd'hui, je n'ai toujours pas obtenu mon plein temps auprès de l'employeur que j'ai attaqué aux Prud'hommes en 2020 pour obtenir un CDI après 22 ans de CDD, et je peux m'en réjouir secrètement, ici même, en ce non-lieu, d'avoir obtenu un temps partiel, même si financièrement c'est pas le Pérou, j'en ai fini avec les affres du vieux CDD dont le téléphone ne sonne plus beaucoup, et je gagne quand même de quoi vivre décemment, je me réveille tôt parce que en ce moment, quand je descends à mon bureau pour écrire à une certaine personne la veille au soir, ça me met en tension, ne pouvant m'empêcher d'espérer glandulairement une réponse dont je sais bien intellectuellement qu'elle ne viendra pas (oui, comme Madeleine dans la chanson de Brel) eu égard à la façon dont j'ai asséné mes questions, qui sont plutôt des affirmations assez péremptoires pour suspecter une posture, d'ailleurs elle m'a dit que ça lui faisait penser à Faulkner, t'as qu'à voir, et je me réveille spontanément de cause à effet le lendemain entre 4 heures et 6 heures du matin, il va donc me falloir choisir entre correspondre avec cette personne (en fait, l'assommer de mes monologues faulknerisants, en guettant les moments où elle va passer la tête dans l'ouverture de ma boite mail et faire "oui, oui" de la tête, ce qui déclenchera une nouvelle salve), choisir entre brûler mon essence en vaines contorsions et retrouver le sommeil, mais choisir c'est renoncer, et renoncer c'est chiant, donc au final choisir c'est chiant, mais je trouve ça quand même bien pratique pour ne pas rester encombré des choix non-valides avant qu'ils deviennent franchement moisis. 
Quand je perds le sommeil, en descendant à 4 heures par nuit sur des périodes de plusieurs semaines, comme en mars et avril, c'est souvent lié à une excitation subie, puis saisie et entretenue, et après, je suis délabré, et je me traine. J'ai eu 60 ans, j'ai moins de jus, même si je suis dans le déni, je le sens, et je ne me vois pas "assumer" tout d'un coup mon âge, assertion aussi vide de sens que Macron qui "assume" la réforme des retraites et le déni de démocratie. 
Je dois admettre que les Anciens avaient raison, c'est ennuyant d'être vieux, on est plus souvent fatigué. Ma grand-mère, qui m'aimait beaucoup, a tenté de me prévenir, elle me disait "faut pas vieillir", en crispant ses doigts crochus sur mon avant-bras juvénile, à la fin on a dû l'abattre. 
" Quant au Réel, il fait parfois irruption
dans la réalité. Généralement sur le mode
platane vu de face et de trop près
aux alentours de cent soixante km/h.
Donc, il est prudent de ne pas trop le convoquer. »
me disait mon bon maitre Louis-Julien Poignard.
J'en conclus qu'en allant au bureau,
on peut poser le vélo
contre le platane du Réel,
le temps d'assouvir un besoin naturel,
mais qu'il ne faut pas s'éterniser.

Moyennant quoi, au passage, je suis toujours tendu vers l'objectif du plein emploi, je fais 25 bornes par jour sur un vélo normal, tant que j'en suis capable, pour aller et revenir du travail trois jours par semaine, et j'ai plus la niaque que si j'avais passé les 30 dernières années écroulé à plein temps au fond de cette grande boutique de l'audiovisuel public régional.
Hormis ces périodes de trous bleus insomniaques, ça fait des années que je n'utilise plus de réveil, je m'éveille "naturellement" à l'heure qu'il faut, le secret c'est de m'être couché tôt la veille; et comme la veille je me suis levé aux aurores, je commence à somnoler devant la télé vers 22 heures, et je vais rapidement au lit; et donc ce matin, après avoir préparé le petit déjeuner des travailleurs, j’ai bien fait d’ouvrir mon agenda, j’avais un rendez vous de contrôle, pris il y a plus d'un an, avec le cardiologue du centre de cancérologie, dans une heure et de l’autre côté de Nantes, sinon c’est pas drôle. Complètement zappé. Je ne suis plus dans le mood de mon identité de malade du cancer, qui est tombé de mes épaules comme un paletot usagé. Téléportation jusqu'à la voiture. Ruses de Sioux pour éviter la partie du périphérique complètement coagulée jusqu’à 9h45 tous les jours que Dieu et la DDE font, traverser Rezé pour rattraper le pont de Cheviré par la porte de Bouguenais, fallait y croire, ça l’a fait, je suis arrivé pile poil à l’heure au centre de cancéro, j’y croyais pas mais j'y étais quand même. Dans ces cas-là, j'ai l'envie imbécile de remercier, selon l'humeur, ma Puissance Supérieure (concept AA), l’Esprit de l’Univers, la DDE, alors que je sais bien que la justice divine est absente de ce monde, ce qui m’évite de me croire maudit quand les choses ne tournent pas à mon avantage, cf ma vieille blague sur le fait qu’avant je me prenais pour un artiste maudit, et qu’un jour je m’ai aperçu que je n’étais que maudit, et encore, que par ma femme.
Quand à la justice humaine, avec Dupont-Moretti et Darmalin et demi aux manettes, vaut mieux pas trop lui avoir affaire à elle. Après l'électrocardiogramme, la cardiologue me dit que tout va bien, l'hypertension a reflué, elle voulait la soigner avec des médocs que j'avais refusé de prendre, l'hypertension qui était due selon moi (après une rapide recherche sur google "hypertension + cortisone") aux 6 mois d'anti-inflammatoires stéroïdiens enchainés suite à l'invalidante pneumopathie induite par les effets secondaires de l'immunothérapie, cette hypertension s'est évanouie dans l'azur de mes artères, elle a pris l'aorte, alors la cardiologue me libère de ces visites annuelles, c'est une fin de chantier, un an après la fin du traitement pour me guérir de l'autre traitement, tant mieux. En me rhabillant d'un air mélancolique, je lui dis que j'aime bien la peinture affichée au mur de son cabinet, une immense tortue peinte sur batik dans un camaïeu de couleurs naïves.
dans ce genre-là.
un truc que j'aurais trouvé moche

et kitsch avant le cancer.
Elle me dit qu'elle l'a ramenée de Bali, et que je lui ai déjà fait cette remarque l'an dernier, alors je m'étonne qu'elle se rappelle d'une observation faite par un patient il y a un an, et elle m'explique qu'elle se souvient de tout, tout le temps, que le soir elle peut retranscrire à son mari les quatre conversations qu'elle a entendues autour d'elle en déjeunant à midi, d'ailleurs son mari en a un peu marre, et elle est obligée de faire plus d'une heure de sport par jour pour gérer cette hypermnésie.
D'un autre côté, ça a pu l'avantager pour ses études de médecine, mais ne rien oublier, jamais, ça fait peur. C'est une malédiction qui ressemble aux pouvoirs psychiques de certains mutants dans les illustrés américains d'avant-guerre (celle avec l'Ukraine). C'est un truc à reprendre du lithium. Ou de la paroxétine. Ou pire. Des psychédéliques, en avalant tout le microdosage d'un coup. Ma récente cure de psilocybine a eu des effets imprévus : une amie qui a pris pas mal de champignons dans une vie antérieure à sa découverte des fraternités en 12 étapes m'a suggéré d'aller plutôt faire une retraite vipassana telle qu'enseignée par S.N. Goenka dans la tradition de Sayagyi U Ba Khin
https://www.dhamma.org/fr/about/vipassana
et je m'y suis inscrit ce matin même, après avoir accompagné les travailleurs dans leurs rituels matinaux, la camarade femme et le camarade fils, il ne faut pas louper le créneau, trois mois pile poil avant le début de la session, les inscriptions ouvrent, et c'est rapidement plein, souvent en une seule journée. Le cancer semble donc avoir eu un effet positif sur mes progrès dans l'intention de pratiquer le bouddhisme. Faut dire à ma décharge publique que ça fait au moins deux décennies que je tourne autour du pot, en reluquant le site du centre de méditation Goenka comme si c'était de la pornographie spirituelle. Ca doit être un reste de paganisme anticlérical mal digéré. Misère. 
Maintenant que je suis un peu redescendu du microdosage et de ma cuite émotionnelle au cimetière, c'est une raison supplémentaire pour ne pas reprendre de lithium, qui m'interdirait l'accès au centre vipassana, qui pratique une politique d'immigration assez stricte par rapport aux chtarbés de la spiritualité, c'est la tolérance zéro pour tous ceux qui prennent des médocs pour la tête. Vu comment je lui ai présenté les choses, le psychiatre n’a rien trouvé à y redire, à part me rappeler qu'il ne tenait pas à me ramasser à la petite cuiller… Je n’oublie pas ce que je lui dois, ni à mon lui, ni à mon traitement.
Mais je me rappelle aussi que « mon » traitement, (8 ans de lithium, et j'ai eu très beau temps) c’est moi qui lui ai suggéré de me le donner, parce que le sien ne marchait pas.
Par rapport au stage de méditation, il me faut encore passer plusieurs épreuves éliminatoires :
- le tirage au sort (du fait de la surabondance de candidats)
- le bon vouloir de mon employeur pour obtenir une rallonge de congés, qui ne chevauchent que partiellement les dates du stage.
- remettre mes féfesses sur mon siésiège de méditation une heure par jour, ça peut pas me nuire, comme lors du récent moratoire sur le cyber, de septembre dernier à fin décembre, moratoire interrompu par la fracture du pied.


(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)

vendredi 17 décembre 2021

Le petit Noël de Mélanie Mélanome (6)

« Qui tapote, vivote. »

Albert Dupontel, Adieu les cons 


Résumé 
:
Pour le petit Noël des blogueurs nécessiteux, les épisodes précédents des aventures de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome, la mystérieuse Oncle Olog masquée qui était en fait sa tante, comme aurait dit le regretté Dédé (de chez Dédé et Mireille, qui raffolait du gender fluid longtemps avant que ça existe) ont été rassemblés là, sous le sapin, emballés à la hâte dans du papier cadeau recyclé par les orphelins apprentis d'Auteuil, et n'attendant que votre relecture bienveillante ou consternée, car je viens de créer le #hashtag qui permet de les afficher tous, et dans les ténèbres les lier, au pays de Mozinor où s'étreignent les sombres.

Collectionne les épisodes déjà parus dans le commerce
de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome,

au bout de 12 épisodes tamponnés sur ton appli carte de fidélité,
tu gagnes une pizza mélanome/pembrolizumab® gratoche !

Pour le reste, je ne prends plus de commandes, et n'assure plus le SAV, que je sous-traite désormais avec de fiefféz filous en télémarketing recrutés en Corée du Sud. De toutes façons, comme l'économie mondialisée fonctionnait à flux tendu avant la pandémie, à l'approche des "fêtes de faim damnée" (sic) tout le monde est déjà en rupture de stock de tout. J'aurais dû commander au Père Noël un bon gros voeu de silence, et m'y tenir, le temps que mon inflammation pumonaire et langagière s'estompent. 

Allah vérité, je pensais bien cesser d'alimenter ce blog à l'article précédant le précédent, celui qui mettait en scène mon voisin pyromane, ayant ainsi quasiment bouclé la boucle en y dénouant le noeud noué précédemment lors de mes débuts enthousiastes dans le débloggage de fond, sans que ça ait changé grand-chose au problème, 15 ans plus tard on prend les mêmes et on reconfine; mais pour l'instant, comme je me suis mis à blablater ici sur mon cancer réel en plus du virtuel, et bien que Mélanie Mélanome m'ait déclaré en rémission complète, je ne puis quitter l’identité de malade aussi aisément que je me suis laissé glisser dedans; et puis c'est pas vraiment fini, c’est même un peu comme la blague de la copine de la mère de Sam Lowry dans Brazil : « ma petite complication a eu une petite complication… »  et du coup j'ai encore attrapé une petite crise de graphomanie bien de chez nous, chez moi c'est de saison, la faim damnée c'est vraiment mon truc en plumes. 


Le premier scanner thoracique ne révéla rien d'anormal,
et dissipa toutes nos inquiétudes, à Mélanie et moi.
Certes, Mélanie m’a récemment déclaré officiellement guéri du cancer de la peau à l’origine de ce feuilleton virtuel, elle a même précisé que depuis le début j’avais suivi un traitement « adjuvant », c’est à dire administré en plus du traitement de première intention (ablation par chirurgie) pour aider à réduire le risque de récidive de la maladie (mais je ne suis pas inapte à attraper autre chose entre-temps, comme tout le monde, quand la rémission du cancer aura cessé de me rendre immortel) comme si elle cherchait à minimiser après-coup la gravité de mon affection longue durée trente-trois tours haute fidélité. 
A notre premier rendez-vous, elle avait pourtant évoqué le risque d'en mourir, je l'avais prise au sérieux, 18 mois plus tard, ma guérison me fait me demander si c'était pas plutôt un cancer de pédé, hormis le fait que c'est des expressions de boomer qu'on ne peut plus guère employer, comme "sale pédé", et pourtant, les sales pédés n’ont pas disparu, bien au contraire, le bannissement du mot n'a eu aucun effet sur le fait.
En tout cas, bonjour mon adjuvant : pendant un an, les effets cumulatifs des perfusions d'anticorps anti-PD1, je n'invente rien, m'ont fait vivre un affaiblissement progressif et généralisé, comme une baisse de tension électrique sur tout le réseau, jusqu'au stade où j'avais l'impression de porter une enclume sur le dos en permanence, en fait les trois derniers mois je faisais sans y croire une infection pulmonaire carabinée, qui me vit passer un été difficile, car je venais d'obtenir un CDI à mi-temps par la grâce des Prud'hommes, mais je ne respirais plus beaucoup, et je me rendais au travail en haletant comme une petite vieille qui fume 3 paquets par jour; rien que le fait de rester en vie m'épuisait, sans compter que je devais masquer mon état à mon employeur car j'avais continué à travailler en CDD avant d'obtenir cet emploi en CDI par le biais d'un recours aux Prud'hommes, et un CDD cancéreux c'est quand même moins sexy sur un marché assez concurrentiel qu'un CDD sain, et après, c'est pas une fois que j'ai été intégré dans la boite que j'allais faire mon coming out métastatique, ou alors ça aurait été encore plus compliqué à gérer que raconté comme ça.
Et l'immunothérapie dût être interrompue avant son terme échu, après avoir été identifiée comme fauteur de ces troubles pulmonaires. 
Mélanie et ses copines oncologues
aiment bien faire des blagues aux patients
dans les couloirs de l'hôpital.
illustration : caligrama.tumblr.com
Mélanie me dit alors que si mon traitement s'attaquait avec autant d'enthousiasme à mes poumons, comme les scanners thoraciques en témoignaient, c’était bon signe : après s’être goinfré de cellules cancéreuses, mon système immunitaire boosté à mort par le pembrolizumab® n’avait plus rien à se mettre sous la dent, il se faisait un peu suer, et s’attaquait alors à un organe sain, malgré l’arrêt du traitement. Ca s’appelle les effets secondaires indésirables. En aoûtre, Mélanie m'orienta en urgence vers un pneumologue, qui après m'avoir fait passer quelques tests me trouva au bord de l'extinction, et me bourra de corticoïdes (80 mg de prednisone la première semaine, puis diminution progressive jusqu'à l'arrêt total au bout d’un mois)
Tout cela a déjà culminé dans le cliffhanger de la saison 1 de mon feuilleton de longue durée produit à 100% par la Sécu :

Grâce à ces foutus anti-inflammatoires, j'observe un soulagement immédiat, et même le retour en force de la joie de vivre, qui n’a pourtant jamais été vraiment mon truc. Je l'ignore encore, mais les corticoïdes vont progressivement me faire grimper aux rideaux, un peu comme l'avaient fait les antidépresseurs à base d'inhibiteurs de recapture de la sérotonine en leur temps. Comme quoi les médocs, des fois ça dépanne, et des fois c'est vraiment de la merde.

Le problème, c'est que les corticos m'excitent, et dès que j'essaye de suivre le proverbe en usage chez les toxicos "en septembre, cesse d'en prendre" qui accompagne l'arrêt de mon traitement, l'infection pulmonaire ressurgit et ma respiration s'affaiblit à nouveau. Je m'en aperçois en tentant de rallier Saint-Fiacre à vélo mi-Septembre, puisque depuis que la fatigue induite par les séances d'immuno à l'hosto m'a été ôtée, je rends grâces de ma guérison en faisant une à deux heures d'activité physique par jour, souvent au jardin, où je communie avec les tubercules, les feuilles mortes à ramasser, les gallinacés à nourrir, la clotûre du ranch à réparer, le compost à brasser, tout ce que je peux trouver à améliorer et à bricoler en extérieur et qui m'éloigne de la femme à tête carrée (l'écran d'ordinateur), parce que je me sens vivant, je sais pas si ça va durer, mais je suis bien décidé à en profiter un maximum, et j'éprouve moins d'appétence pour le virtuel, et bien plus pour le réel. 

Oui, Bernard, je suis vivant.
45 ans après que tu me l'aies posée,
je peux enfin répondre à ta question.
Par contre, par ces frimas, et avec mon mélanome, 
j'évite de sortir torse nu, pour atteindre la double durée.
Mais tu fais ce que tu veux, après tout,
le plus Lavilliers de nous deux,
c'est quand même toi. 

N'empêche que la côte de Saint-Fiacre, j'arrive pas à la grimper à vélo, je suis obligé de mettre pied à terre, à l'aller comme au retour, ça ne m'est jamais arrivé, les jambes ça va, ça pédale, mais je respire comme une chaudière pas révisée, flûtalors. Et moi qui me croyais guéri. Quel nigaud je fais. 

Je me retourne alors vers mes praticiens favoris, qui me re-prescrivent des corticos pour deux semaines, jusqu'à mon prochain rendez-vous avec Mélanie la Mystérieuse, dont je n'ai jamais vu le bas du visage puisque notre relation a commencé pendant la pandémie et qu'on portait déjà tous le voile, ce qui ne nous empêche pas d'avoir des relations intimes, donc peut-être qu'il y a quelque chose de sensé dans cette prescription islamique de masquer le visage des femmes pour éviter aux hommes d'être perturbés par leur désir pour elles, et quand je revois le haut de son visage Mélanie me prescrit une nouvelle cure de plusieurs mois de prednisone, 35 mg /jour puis légère dégressivité sur 3 mois, jusqu'à notre prochain rendez-vous masqué, et alors on verra bien au scanner où c'est qu'on en est, et si mon système immunitaire me regardera encore de travers et prendra mes poumons pour un cancer à soigner, vu que son code source a été tellement bidouillé par mon traitement anti-cancer que ça lui engendre ce biais cognitif et moi une inflammation chronique des bronches, Mélanie me prévient qu'il y en a sans doute pour quelques mois avant que ça se tasse. Sur le moment, ça me fait rien. Je ne puis évaluer la gravité, même ressentie, de ce qui m'est arrivé, je n’ai pas d’autre terme de comparaison. C’est quand même moins violent que les 17 mètres de chute dans un ravin en Mercedes quand j’avais 20 ans. Et l’été que j’avais ensuite passé à l’hosto. 

Le cancer, je ne l’ai pas senti passer. L’ablation du mélanome d'origine, qu’on m’a faite dans le gras du bas du dos, même si on m'a ôté un bon bifteck, y’avait de la marge pour que ça se voie. Le traitement, par contre, c’est fatiguant, oui. Epuisant, même. Et la suite du programme, la pneumopathie, cette extinction à petit feu, insidieuse et flippante à postériori, et l’obligation de m’allonger 3 heures par jour vers la fin tellement j’avais la pêche, franchement, par rapport aux gens que j'ai vus au centre de cancérologie, j'ai quand même pas à me plaindre.

Mélanie m'a proposé de faire monter
mon mélanome sur un petit socle décoratif,
pour en faire un bibelot pour cheminée.
Je suis très partagé.
illustration : caligrama.tumblr.com
Et pourtant, si vous interviewez des proches, genre ceux qui vivent sous mon toit, ils vont vous dire que j’ai fait que couiner, tout le temps. Ils ne me méritent pas. De toute façon, je suis rompu aux astuces qui consistent à faire le malin avec ses déficiences (si j’avais eu l’idée de me mettre de la crème solaire, je n’en serais peut-être pas là; mais penses-tu, j’étais immortel, le soleil était mon dieu secret que je pouvais adorer torse nu dans mon jardin jusqu’à ressembler à une merguez trop cuite en deux après-midi d’avril, et le cancer c’était bon pour les autres)

Aucun regret, c’est fait c’est fait. J'ai été guéri du cancer, j'ai chopé autre chose à la place du fait du traitement, ce qu'on gagne d'un coté on le perd de l'autre, je me dis que c'est comme ça avec les nouvelles thérapies, qui sont encore toutes jeunes et qui ont peu d'expérience. Les malades essuient les plâtres et permettent à la science médicale d'avancer, comme les béta-testeurs qui débuggent les applications nouvellement mises sur le marché.

Ce qui m'importait, en cette fin d'été où je donnais des signes d'extinction (sans rébellion) comme une bougie en manque d'oxygène, c'était que l’oncologue finisse par admettre que son remède était devenu poison, et négocier l'arrêt définitif du traitement, puisque j'avais été prévenu par un ami lointain des risques inhérents et des effets secondaires possibles de l'immunothérapie, et donc je comprenais tout à fait ce qui m'arrivait, je savais que parfois le produit s'attaquait au coeur plutôt qu'aux poumons ou aux reins, et alors là j'aurais pas eu le temps de venir m'en vanter ici et de jouer les Survivors de blog, l'issue était fatale et sans sommations. Couic.


Pompidou, sur la fin on lui a mis une housse, 
parce qu'il était pas beau à voir.
illustration : caligrama.tumblr.com
Depuis le début de l'infection, je peux pas m'empêcher de ricaner comme un débile maniaco-dépressif de ma prescription du fameux prednisone qui a occasionné une septicémie à Pompidou sur la fin. "J’ai hâte." prétends-je dans d'absurdes et interminables correspondances privées. "Dans cette attente pour l’instant déçue, j’ai failli mourir mais l’infection décroît, alors j’éprouve le sentiment imbécile de revivre, et on dirait pas comme ça mais ça m’a rendu plus humble. Si, si. L’emmerdant c’est que j’avais perdu 8 kilos comme qui rigole, alors que là j’ai à nouveau la dalle." Heureusement que mes correspondants me connaissent et ne s’inquiètent pas pour autant de mon état mental. Je savoure énormément ma convalescence, depuis l’invention des corticoïdes. Tout comme je m'étais mis à savourer la liberté de pouvoir à nouveau choisir mes pensées lors de l'invention du lithium, cinq ans après l'invention de mes tendances bipolaires par un psychiatre conventionné, mais il est bien quand même. Je ne vais donc pas la ramener plus longtemps avec mon année de traitement contre le cancer, où j’ai eu beau temps, pas de mauvaises surprises aux scanners, pas de quoi couiner : malgré ces complications pulmonaires, je vis quand même bien mieux que pendant l’année où j’avais une enclume sur le dos. Par contre, faut reconnaitre que je ne dors plus beaucoup depuis début novembre, je recommence à tomber du lit vers 5 heures.

un livre à lire pour passer
les fêtes dans la bonne humeur
Alors que les virus congelés depuis des millions d’années dans le permafrost vont bientôt être libérés de leur confinement glaciaire, et sortir dans les boites de nuit de Sibérie sans pass sanitaire, avant de se grimper dessus sauvagement dans les toilettes pour hommes et y engendrer de nouveaux variants comme je l’ai lu dans « la fabrique des pandémies », un essai magistral sur l’érosion de la biodiversité comme cause déterminante de l’invasion des zoonoses, parce que évidemment, quand on est occupé à avoir toujours raison sur son blog, on n’a pas le temps de se documenter sur l’état du monde, jusqu’au jour où il faut un QR Code pour manger un kebab en terrasse, mais à part ça, je voulais vous dire que je vais mieux. Tant que je vais pas dans une boite de nuit en Sibérie, où l’happy hour dure plusieurs mois, et où du coup, fatalement, après avoir éclusé quelques gorgeons de limonade aromatisée à l'herbe de mammouth décongelé, j'éprouverais le besoin de me soulager, je rejoindrais les toilettes pour hommes, et là, crac, un nouveau virus totalement hilare devant ma triple et obsolète vaccination. Merci bien.
Enfin, je n'en suis pas là : pour l'instant, je subis de plein fouet les effets secondaires du traitement que je prends pour me remettre du traitement anti-cancer que j'ai pris pendant 9 mois. Je dors 3 heures par nuit. C'est à dire que ma fichue traditionnelle et folklorique insomnie de faim d'amnée, qui trouve toujours un prétexte pour me faire péter les plombs dans mes addictions favorites entre novembre et décembre, avec prolongations en janvier si affinités, est de retour. 
Faut dire que j'ai pris ma première semaines de congés payés par la boite depuis mon embauche début juin, qu'on est partis à Paris voir quelques expos et on est même allés au cinéma et au restaurant, ça nous a un peu trop irrigué le cerveau, parce que ça faisait presque deux ans qu'on était fossilisés dans notre cambrousse entre confinements, chômage de masse et consultations d'oncologie, que des copains sont venus faire de la vidéo artistique à la maison et qu'il a fallu se montrer créatif, un certain nombre de facteurs qu'on est bien obligé de voir comme causes contributives à un frémissement d'excitation, surtout après un 18 mois sans rapports sociaux sauf avec le chat, le facteur et le voisin d'en face qui a Alzheimer, même moi ça commençait à me manquer. 

Etre créatif : un challenge toujours renouvelé

Avant de partir à Paris, j’ai sécurisé plusieurs téraoctets de données perso (travaux vidéos, bases de données, fruits de mes rapines multimedia sur le net) sur un disque dur externe, que j’ai caché dans une pile de linge à l’étage, histoire de récupérer une sauvegarde des fois que des cambrioleurs viendraient embarquer mon Imac 27 pendant notre absence, mais au retour, pas le moindre disque dur dans mon armoire à fringues. Du coup, dans un accès de franche démence, je trie tout mon placard à vêtements, des kilos de pantalons dans lesquels je ne rentre plus, parce que les corticoïdes en plus de faire perdre le sommeil ça fait pas maigrir, des flopées de pulls défraichis, de polos usés, que j’emballe soigneusement et dépose à la recyclerie, ce dont ma femme avait renoncé à me croire capable depuis une bonne décennie. 
En plus ça la fait bien rire, que j’aie planqué un disque dur pour parer au vol de données, et que je ne le retrouve plus. Mon état des stocks vestimentaires me contraint à aller acheter quelques pantalons, j’ai vraiment plus rien à me mettre. Allez, c’est le black Friday chez Darty, j’en profite pour racheter un disque dur de 5 To, c’est la fête, de toute façon je dépense jamais rien, faut dire aussi que mes revenus ont fondu avec mon mi-temps, j’ai un demi-salaire. Mais j’apprécie ce mi-temps. Je l’ai dit, je me sens à nouveau en vie, après plus d’un an dans les limbes. 

quand mon agenda ressemble à ça,
c'est pas très bon signe.
Appelle le docteur !
Le lendemain, je passe faire ma visite trimestrielle au psychiatre, pour qu’il me renouvelle mon ordonnance de lithium. Je lui confie mes soucis d’insomnie et mon agitation hypomaniaque, car me voilà bien installé dans un rythme cassé, debout vers 3 heures, toutes les nuits, écriture, bidouille informatique, je me recouche une heure ou deux, après je suis bien nazebroque toute la journée, et le soir à 22 heures je suis cuit. Il me propose un anxiolytique, je suis pas fan, ça me rappelle des mauvais souvenirs de dépressions passées, il me convainc d’acheter un peu de Xanax, si j’en éprouve le besoin je peux toujours essayer de me détendre avec ça. Un anxiolytique ? Pourtant, si y’a un truc que je suis pas en ce moment, c’est anxieux. La posture du Prince de l’Inquiétude m’a bien quitté ces dernières années. J'ai pas du tout envie de prendre un médoc pour me soigner du traitement que je prends contre les effets secondaires de mon traitement. 
Dans la foulée de la consultation, je rejoins la Fnac, en quête de cadeaux de Noël. Un chantier d'allégresse et de générosité devenu calvaire et corvée de merde. En entrant dans le magasin, je bippe en passant le portique, une grande black bien costaude en uniforme de vigile du magasin me demande si j’ai pas quelque chose de neuf sur moi, qui aurait pu déclencher le biniou, franchement avec 3 heures de sommeil par nuit je ne vois pas ce que j'ai de neuf, je me sens plus qu'usé, et puis soudain, la lumière, « mais si, bien sûr, c’est mon nouveau pantalon, j’ai pas enlevé l’étiquette antivol » elle me dit très sérieusement «  bon ben on va voir ça, vous allez l’enlever et me montrer ça », je regarde alentour, cherchant un recoin dans lequel je pourrais baisser mon fute pour trouver cette putain d’étiquette à la con et lui prouver que c'est ça qui fait tût, en plus je l’ai vue hier, cette étiquette, pourquoi je l’ai pas coupée aux ciseaux, et l’entrée de la Fnac recèle peu d’endroits discrets pour un tel déshabillage, et puis surtout au bout de quelques secondes je comprends qu’elle se fout très sérieusement de moi, qu’il n’a jamais été question que je baisse ma culotte devant tout le monde dans l'entrée du magasin (je suis tellement naze de manque de sommeil que plus rien ne me surprend à priori) et elle me dit « c’est bon vous pouvez y aller » avec un demi-sourire de sphynx femelle, putain j’ai réussi à faire sourire une black, le rêve de toute une vie qui se réalise, sans parler d’avoir failli baisser mon froc, et me voilà parti à l’étage à chercher une intégrale de Souchon en 16 CD pour un être cher, évidemment ils l’ont pas, et puis attends dis donc c’est dingue, dans les rayons il y a beaucoup plus de vinyles que de CD, qu’est-ce que c’est que cette frime de marketing vintage analogique ? 

Malgré les 2 Téraoctets de films archivés mais toujours pas visionnés sur mon disque externe mis à l’abri de moi-même quelque part dans la maison, je ne puis m’empêcher de mater au passage le rayon DVD, qui réduit comme peau de chagrin d’année en année, mais je vois un coffret Mizoguchi, que je shoote avec mon smartphone pour pouvoir le télécharger ensuite, et ne jamais le regarder non plus, c’est ça le fin fond de l’abjection dûe à l’aliénation numérique pour moi, faudrait vraiment que j’écrive ce précis de psychopathologie du téléchargement illégal que j’avais en projet au lieu de raconter ma vie, ce qui n’a de sens que si je lui en donne, et c'est du boulot, alors je fuis Mizoguchi pour me réfugier dans les allées de la librairie, mais là je tombe sur quelques nouveautés de SF que je flashe au smartphone tout aussi derechef, et dégotte finalement le Köln Concert de Keith Jarrett pour 7 €, et puis je passe en caisse, ces caisses modernes que tu ne peux atteindre sans avoir zigzagué dans des allées délimitées par des plots mobiles reliés par des bandes de tissu, prétexte à te faire passer devant des présentoirs dans lesquels ils ont encore entassé des produits culturels avec l’énergie de petits commerçants acculés à la promotion par amazon, à rendre malade le geek le plus en manque de culture, je commence un petit laïus sur le fait que non, je n’ai pas de carte Fnac mais que par contre je venais quand acheter à la Fnac relevait d’un acte politique, je me retiens de citer le parcours d’André Essel, fondateur de l’établissement, un ancien maoïste, du calme John, paye et bouge, en passant le portique ça refait tûût avec mon fute, alors la grosse black qui n’est pas grosse mais juste vachement costaud et devant qui pour tout dire je n’en mène pas large se dirige à nouveau vers moi, « bon alors là, on va l’enlever, hein, ce pantalon » je me tiens coi, j’ignore si elle blague ou pas « et puis comme ça je me nourrirai par les yeux » alors là c’est tellement gros que j’ai les fils qui se touchent, je réfléchis à ce que je ne peux pas lui dire plutôt qu’à ce que je pourrais lui répondre dans le même style, à savoir qu’elle serait déçue, que je ne suis pas très en forme, que je suis loin d’être une poutre de Bamako, fais attention elle peut te trouver raciste et/ou sexiste et dégainer un tazer comme qui rigole, et elle aurait raison. 

j'ai acheté la version sans images
pour pas que ça me monte à la tête 
J’ai beau avoir acheté « Sexe, race & colonies » pour déconstruire en kit ma domination post-coloniale sexuelle inconsciente vis-à-vis des blacks, en fait c’est la première fois que je discute avec une femme noire depuis mon voyage en Afrique qui remonte à 2002, en plus elle se fout gentiment de la gueule du p'tit gros boomer blanc qu’a l’air un peu flapi, elle s'amuse à peu de frais dans l'exercice de son métier de Vigilante aussi chiant que Deauville sans Trintignant, si j’avais eu la chance d’échanger des blagues comme ça avec des blackettes quand j’ai commencé à les trouver très plaisantes dans mon imaginaire à moi que j'ai, ça m’aurait sans doute évité de m’ériger un palais à fantasmes sur les Africaines, plus encombrant que fréquenté.
Je quitte la Fnac avec le sentiment d’être passé à côté d’une occasion avec cette vivace vigilante vigile, ma Joséphine Baker d'occasion qui vient d'entrer dans mon Panthéon des blacks qui savent faire des blagues que j'arrive à comprendre, mais franchement, j'ai pas su rebondir, quand on n’est pas en état d’interagir normalement, mieux vaut encore s’abstenir. Faut que je trouve quelqu'un à qui offrir l'intégrale de Brel, et que je revienne plus en forme. Et voilà, mon petit Noël est passé : trois minutes d'imprévu et de poésie pure, vécues dans la vraie vie, plutôt que le radotage d'ordi, qui ne me vaut rien.

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En 2022, Loukoum et Tagada reviendront dans de nouvelles aventures, lutter contre Doliprane,Xanax et Cortisone.


ma preuve d'achat comme quoi c'est pas du flan.
je me demande si ce Keith Jarrett n'est pas un peu noir lui-même.
Il faudra que je demande à Joséphine si elle aime le piano.

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)

samedi 2 octobre 2021

Loukoum et Tagada contre Mindhunter

L'affiche me fait penser à Richard Corben.
Qui n'a pourtant rien à voir.
Y aura-t-il une saison 3 de Mindhunter, la glaçante série de David Fincher sur le profilage des tueurs en série dans les années 60 ? La controverse ne me passionne pas. 
Je veux dire, il faut éviter de se nourrir uniquement de cochonneries toxiques. Les deux premières saisons sont bien menées, mais malaisantes à souhait. Après avoir joué les otages consentants des séries télé pendant une vingtaine d'années, le sortilège qui nous liait s'est un soir défait, évanoui dans l'azur, un soir de pandémie où j'avais perdu la foi dans les vertus du téléchargement, après une énième série dont les promesses, susurrées par les journalistes spécialisés, n'engageaient que ceux qui y croivaient.
Depuis, le soir, on est au lit, et on lit des livres. 
Tagada me récite à voix haute un passage de "Criminologie", de Maurice Cusson, que je lui ai trouvé sur l'extraordinaire librairie en ligne "Ali-baba et les 40 bibliothécaires en rut" : https://fr.1lib.fr/ pour nous éviter la ruine bibliographique depuis qu'elle a repris ses études après son départ à la retraite. (Depuis que j'ai écrit l'article, les antipirateures ont rendu le site inopérant, mais à l'heure où je mets sous presse, ils sont relocalisés par ici : https://fr.b-ok.cc/ mais sont susceptibles de disparaitre à nouveau du multivers. Auquel cas il faudra les rechercher à partir de l'argument "Partie du projet Z-Library. La plus grande bibliothèque électronique du monde entier" dans google.)

Entre 1935 et 1960, la criminologie de langue française est dominée par la figure d’Étienne De Greeff. Médecin anthropologue à la prison de Louvain à partir de 1926 et professeur d’anthropologie criminelle à l’Université de cette ville dès 1929, son influence se fait sentir notamment sur J. Pinatel, C. Debuyst, A. Hesnard et M. Fréchette. De Greeff prend ses distances avec les positivistes en se délestant de leur lourd déterminisme et en s’efforçant de voir les criminels comme ils se voient eux-mêmes. Dans une œuvre très riche qui déborde la criminologie, deux thèmes retiennent l’attention : le processus de l’acte grave et le sentiment d’injustice subie du criminel.
Chez de très nombreux meurtriers, De Greeff (1935-1942 ; 1948-1955) étudie de l’intérieur la maturation psychologique qui débouche sur le crime passionnel. Il insiste sur le fait que le processus du passage à l’acte s’étale dans le temps. La plupart des hommes qui en viennent à tuer la femme qu’ils disent aimer mûrissent leur crime pendant des semaines, des mois, quelquefois même des années. Leur évolution se déroule en trois stades. Elle commence par l’assentiment inefficace. L’idée que leur compagne pourrait disparaître s’infiltre peu à peu dans leur esprit sans qu’ils n’osent admettre devenir eux-mêmes les agents de cette mort. Dans un deuxième stade, la possibilité qu’ils suppriment la femme s’impose à leur esprit et ils en arrivent à l’accepter : c’est l’assentiment formulé. Puis vient la crise ; la décision, pour ou contre, est imminente. Écartelés, ils sont dans un état de tension extrême ; ils dorment mal ; mangent mal ; leur contact avec la réalité se détériore ; ils souffrent. Finalement, il suffit d’une maladresse ou d’une provocation de la part de l’éventuelle victime pour lever brusquement les dernières inhibitions. Le champ de conscience se rétrécit alors ; ils entrent dans un état de transe. Ils attaquent avec sauvagerie et, souvent, portent des coups répétés à la femme (De Greeff, 1942 : 243-7).
Cette issue fatale n’est rendue possible que par une évolution qui a conduit le meurtrier à se détacher de la femme qu’il prétend aimer et à se désintéresser de son propre avenir. C’est le « processus suicide ». De plus en plus désespéré, le meurtrier éventuel perd le goût de vivre. Il se désengage de tout ce à quoi il était attaché. L’idée de finir ses jours en prison cesse de lui faire peur. Devenu indifférent à tout, il devient capable de tout.
Parallèlement, au cours de ce que De Greeff appelle le « processus de revendication », le criminel projette tout le blâme sur sa future victime pour se sentir ensuite autorisé à se venger : elle a abusé de sa confiance ; elle l’a épousé par intérêt ; elle l’a humilié ; elle l’a honteusement trompé. Pour se persuader que la femme qu’il prétend aimer mérite la mort, il la dévalorise, l’accable de tous les torts et la réduit à une caricature haïssable.
De Greeff a aussi décrit la personnalité du criminel. Il a surtout insisté sur le sentiment d’injustice subie. L’homme engagé dans le crime nourrit des griefs contre l’univers entier. Il est convaincu d’avoir subi une longue succession de préjudices immérités. Il affirme qu’il a dû lutter durant toute sa vie contre les iniquités et les injustices. De ce fait, il adopte vis-à-vis d’autrui une attitude revendicatrice et justificatrice qui débouche sur le refus de pactiser. Convaincu que ses propres crimes sont des actes de justice, il les légitime en se persuadant qu’il est plus juste et plus honnête que ses juges. 
[...] Disciple de De Greeff, Pinatel présenta, en 1963, puis en 1974, une systématisation qui devait exercer une réelle influence sur la criminologie de langue française sans pour autant échapper à la critique. Selon Pinatel, il n’y a pas de différence de nature, mais de degré, entre les criminels et les autres. Ils se distinguent des gens normaux sur quatre dimensions du « noyau central de la personnalité criminelle » : l’égocentrisme, la labilité, l’agressivité et l’indifférence affective. Ces quatre traits doivent tous être présents pour qu’un crime grave soit possible.

1. L’égocentrisme est la tendance à tout rapporter à soi-même, l’incapacité « de juger un problème moral d’un point de vue autre que personnel » (Pinatel, 1975 : 597) et la propension à réagir à la frustration par le dépit et la colère. L’égocentrisme permet au criminel de se persuader de la légitimité de son forfait et le rend indifférent à l’opprobre qui s’attache au crime qu’il s’apprête à commettre.

2. La labilité est une combinaison d’imprévoyance, d’inorganisation dans la durée et d’instabilité du caractère qui empêchent le délinquant d’être inhibé par la menace de la sanction. Il se laisse asservir par le désir du moment sans tenir compte des conséquences lointaines de ses actes.

3. L’agressivité est l’énergie permettant au criminel de surmonter les obstacles rencontrés au cours du passage à l’acte et la combativité nécessaire pour passer outre à l’odieux de la réalisation du crime.

4. L’indifférence affective est un manque d’émotion altruiste et sympathique qui rend le criminel insensible aux souffrances de sa victime et incapable de ressentir de la culpabilité. Imperméable aussi bien à la pitié qu’à la compassion, il n’est pas retenu au cours de l’exécution du crime par le spectacle du mal qu’il inflige. Cet état de froideur psychologique peut provenir de carences éducatives ou constitutionnelles. Il arrive aussi qu’il soit le résultat d’un processus de désengagement affectif.

La théorie de Pinatel est en même temps une analyse des traits de personnalité qui distinguent les criminels des autres et une description des attitudes psychologiques qui rendent possible l’exécution du crime grave. Et elle est moins une explication qu’une identification des conditions subjectives du passage à l’acte : être indifférent à la réprobation, à la perspective de la peine, à la souffrance de la victime et à l’odieux de l’exécution du crime. À ce titre, elle n’échappe pas tout à fait à la tautologie : ce qui sert à expliquer le crime est contenu dans le crime lui-même.

Mais dites donc, voyez-vous ça, c'est qu'on ne s'embête pas, chez les criminologues. On dirait bien que quand Pinatel regarde l'abîme, Michel Fourniret le regarde aussi. Des défauts de caractère, des ruminations un peu poussées, comme chez les gens normaux mais en plus intense, et puis un jour de marée haute pulsionnelle, CRAC, passage à l'acte. Et COUIC, dans le journal. Et re-CRAC, au gnouf. Ou pas. Tagada me glisse gentiment que je présente au moins 3 des 4 conditions psychologiques requises pour passer à l'acte. Elle est bien gentille, mais moi, Loukoum, j'ai checké pendant sa lecture à voix haute, et j'ai bien les 4. Sur le moment, on rigole comme des jeunes mariés. Le lit, insuffisamment rigidifié, commence à grincer, et le chat, mécontent du barouf, se barre de sur nos pieds. Plus tard, quand elle me parle d'autre chose le dos tourné, dans la cuisine, et que j'ai l'épluche-patate à la main, une sorte de vertige me prend, mais c'est un flash forward, c'est depuis qu'elle m'a lu l'article. Je me dis qu'en fait, mon père présente les 4 traits de manière flagrante, mais au fond, je sais bien que ce qui me déplaît chez lui, c’est que je lui ressemble beaucoup.  Même si je n'irais sans doute pas faire chez lui ce qu'il vient de venir faire chez nous et dont je ne dirai rien, par décence tardive, après trois ans de mise à l'écart pour cause de pénibilité. Et pas question de botter en touche en usant du subterfuge de Flopinette, qui disait jadis sur un forum disparu que j'ai bien mis 5 ans à déterrer dans les cyber-gravats : 
Et même lorsqu'il y a offense, il faut savoir que les gens sont rarement conscients de faire des offenses. Comme qui dirait, c'est "inconscient", et la part de l'inconscient dans le comportement humain est énorme. J'ai une expression pour ça : "ils sont de mauvaise foi de bonne foi". Et cela, tu n'y peux absolument rien. Si leur économie psychique nécessite qu'ils ne soient pas conscients de l'offense, ils auront des hallucinations plutôt que de voir le mal qu'ils font. Le mal n'est jamais conscient. [...] Où as-tu vu que je condamnais J. ? Ton imagination se révèle fertile. Je dis simplement qu'il doit avoir quelques problèmes relationnels et que s'il se demande d'où ils viennent, la réponse est simple. Mais son karma n'est pas le mien, et ne peut pas le devenir, tant que je ne le condamnerai pas. Et je ne le condamne pas, car pour sûr je ne le souhaite pas."

J’ai longtemps trouvé ça bien vu, mais aujourd’hui je me dis : qu’est-ce que c’est que cette croyance que ne pas condamner autrui va me préserver du sort de celui que je dénigre ? ça sent le pharisien pas libéré, qui se retient de médire pour éviter le retour de boomerang karmique, un truc qu'il a intégré dans ses croyances; si j'évoque un effroyable connard qui n'a rien capté à sa vie, même si c'est mon père, ce n'est pas de le dire qui va y changer quelque chose, ni pour lui, ni pour moi. Sauf si je le lui dis en face, mais je m'expose alors à des troubles que je préfère éviter. Ce type a passé sa vie à nous inférioriser, mon frère et moi, il ne pouvait exister qu’en nous enfonçant, en entrant en compétition avec nous, et en se dévoilant à lui-même comme le meilleur, comme si nous le menacions, alors que nous étions ses enfants, pas ses concurrents. On peut se demander pourquoi il n'a pas trouvé d'autre solution pour avoir l'impression de vivre, mais c'est une autre histoire. Je ne parviens à l’apprécier ni comme homme ni comme père, il a le don de me perturber émotionnellement comme toute bonne relation toxique, mais au fond je ne peux rien lui reprocher qui ne ressemble comme un frère de ta soeur aux remarques blessantes dont il a parsemé notre éducation, moi et mon cadet. Or, Jésus et Flopinette ont dit « Aime ton ennemi » , pas « deviens comme lui ». C'est un pervers narcissique incurable, il est trop tard pour l'en prévenir car tout son système d'auto-conservation est maintenant solidifié. La rencontre n'a pas eu lieu, et vu les mécanismes de protection à l'œuvre, elle n'aura jamais lieu. Il m'arrive encore de le regretter, et c'est là que je suis fragile, et susceptible de me refaire baiser. Je peux juste me tenir au large et faire des choix différents des siens. Le puis-je vraiment ? A la lecture de mes interactions avec mon fils depuis une quinzaine d'années, pas tant que ça. Mais je peux continuer d'essayer. 

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)