mardi 15 août 2006

La vie met longtemps à devenir courte

Il y a 20 ans, quand j’ai brièvement interrompu mes études pour devenir idole des jeunes et artiste de variétés, après 6 mois de répétitions acharnées dans une cave fétide et un concert d’adieux prématurés au music-hall qui rassembla un nombre incalculable de 45 personnes dans la salle des fêtes de Castelnau le Lez, la saxophoniste du groupe dans lequel j’officiais comme guitariste me proposa une excursion en Espagne : son petit ami allemand du moment débarquait au volant d’une Mercedes 220 D flambant neuve, et elle n’était plus très certaine de vouloir passer 10 jours en tête à tête avec lui. J’étais embauché comme chauffeur d’occasion et bon copain-zône tampon au cas où leur relation deviendrait tendue. Au bout de trois jours, je nous plongeai tous les trois dans un ravin catalan de 17 mètres de profondeur. Louée soit l’industrie automobile allemande, car je m’en tirai avec un bras et une mâchoire cassés, l’allemand avec un trauma crânien sans gravité, bien que pour un allemand l’impossibilité de boire de la bière puisse à la longue être incapacitante, mais N. morfla assez sévèrement : la moëlle épinière pincée, une jambe cassée et l’autre paralysée, elle dût subir les années suivantes un certain nombre d’opérations chirurgicales importantes qui la laissèrent boitillante.
La vie et ma mauvaise conscience nous séparèrent, et je n’eus pendant 20 ans que des nouvelles en pointillé, par mon frère musicien.
Cet été, je me repointai dans la région, et l’appelai au téléphone, me prétendant désireux de la revoir. Au bout d’un long silence géné, elle m’avoua qu’elle n’y tenait pas tellement. Dans l’impasse, je n’eus pas la présence d’esprit de lui balancer un expiatoire et provocateur "j’ai foutu ta vie en l’air, tu peux bien m’offrir un café", et le pardon n’est pas quelque chose qui se négocie aisément au téléphone. Surtout que j’avais vraiment envie de savoir ce qu’elle était devenue. Sur le moment, ça a bien fait marrer mon fils, qui ne m’avait jamais vu me prendre un râteau avec une fille. Après, je me suis dit que j’aurais pu donner des nouvelles de temps en temps au lieu de nous mettre dans cette situation à la con, mais que si elle ne peut me pardonner, ou pardonner mon silence, c’est son problème.
Dans la vie, y’a des trucs qu’on peut pas réparer. Quand c’est pété, c’est pété.
L’humilité consiste à accepter ce qu’on ne peut changer, et à changer ce qui peut l’être.

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En ce qui concerne le présent, retour aujourd'hui de 3 semaines de célibat quasi-monastique, mais avec enfants, parents, beaux-parents, oncles veufs abandonnés sur le bord de l’autoroute de l’information, en testant les leçons évoquées ici, en essayant de ne pas trop songer à me faire ainsi "dispenser de leurs faiblesses ou de leur difficile destin", sinon ça marche pas, tout en évitant de m’y identifier à outrance, avec dans l’idée qu’à l’âge où la vie continuera mais où on la regardera passer assis sur un banc, ça sera chouette d’avoir quelques bons souvenirs.
En attendant les bardös.
Et comme le dit Peter Sloterdijk : "Il faut distinguer un pessimisme méthodologique d’un pessimisme existentiel. Le pessimisme méthodologique s’impose parce que penser au pire est le fondement même de l’analyse. Mais le métier de professeur consiste à penser au pire tout en menant une vie heureuse. J’ai bien essayé, comme personnage psychologique, d’être aussi désespéré que les théories que je tenais des maîtres de notre génération. Il m’a fallu vingt ans pour retrouver la capacité de méditer le pire tout en adoptant une attitude existentielle tournée vers le bonheur. Car le devoir de l’homme est d’être heureux. Si on veut échapper au piège du ressentiment, il faut vouloir le bonheur."

Commentaires

  1. …dur…mais il me semble que le plus fort des pardons est celui qu’on s’offre à soi-même.

  2. Ce n’était en effet pas une très bonne idée de la revoir 20 ans après. Et encore une chance que tu n’aies pas eu la présence d’esprit de etc., tu te serais senti obligé de lui retéléphoner 20 ans plus tard pour t’excuser de cette remarque déplacée.

    Le passé c’est le passé et tu ne peux pas changer un truc qui s’est produit, qui plus est contre contre ta volonté, il y a vingt ans.

    Un petit conseil: relis ton article précédent sur Ulysse et Personne. :p

  3. 8ème étape du programme AA ?
    justement, on en a parlé lundi dernier ! t’as fait la démarche, ça n’a pas marché. L’action n’est pas toujours suivie de la réaction, surtout, comme le dit Dado, 20 ans après. Je ne me vois pas, pour ma part, appeler la copine à ma soeur à qui j’ai bouzillé la dentition de la machoire supérieure suite à l’accident de la voiture que je conduisais. C’était il y a encore plus longtemps que toi, c’est à dire 25 ans ago. De plus, ma soeur n’a plus de nouvelles de cette copine depuis très très lontemps. En y réfléchissant, j’ai quelques remords qui ressurgissent. Bah, ça passera. Et puis, j’ai encore pas franchi le cap de la première. Alors, la huitième !!!!!!

  4. On ne peut pas réparer ce qui s’est produit dans la matière (les corps) mais on peut réparer ce qui s’est produit dans l’esprit, en l’occurence : la culpabilité. Peut-être en te disant que:
    1/ elle était à l’origine de la triangulaire qui a conduit à l’accident
    2/ tu as fait la démarche du pardon
    3/ elle n’a pas voulu pardonner
    Donc, ça lui appartient et pas à toi.
    Maintenant, si la culpabilité persiste c’est qu’il y a autre chose…

  5. “1/ elle était à l’origine de la triangulaire qui a conduit à l’accident”
    ‘tain j’adore ! Vas-y John, fais-lui porter le chapeau, à cette &$% ! C’est de sa faute !
    Apparemment il y en a qui vont mettre du temps à comprendre qu’autrui n’est jamais responsable de nos actes. Sinon c’est la porte ouverte à toute justification et il n’y a aucune libération possible dans la justification.

  6. merci à tous pour vos honorables contributions. Ca me donne plein d’idées pour de nouveaux articles, car j’ai toujours peur de manquer de matière ;-)

3 commentaires:

  1. On a tous quelque chose à se faire pardonner un jour et demander pardon est certainement la meilleure des démarches.
    Il nous restera toutefois à apprendre à vivre avec ses regrets et c'est souvent difficile.

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  2. Ca dépend. Faire la paix avec son passé est essentiel, mais c'est pas évident de travailler directement dessus. Il faut parvenir à bien regarder les protagonistes, saluer les situations et les laisser partir. Si le passé n'est pas passé, il revient. C'est quand on n'est plus hanté qu'on se dit que ça a marché.

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  3. Et concernant les regrets, qui est peut-être le vrai sujet de ton commentaire, s'il n'y a pas une économie souterraine de la complaisance à leur égard, ce sont des nuisibles, il faut mettre des tapettes et s'en débarrasser.

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