mardi 30 mai 2023

Les adieux au music-hall de Mélanie Mélanome (8)

Résumé : Les épisodes précédents des aventures de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome sont accessibles d'un simple clic en tapant le hashtag Mélanie Mélanome dans la zone "RECHERCHER DANS CE BLOG" dans la colonne de droite. Je peux pas être plus clair. Mais je peux l'être beaucoup moins.

Le jour où j'ai vu mon oncle maternel de 85 ans marcher cassé en deux, comme après une fracture du bassin, je lui ai demandé pourquoi il n'utilisait pas sa canne, qu'il conservait toujours à portée de main. Il m'a répondu que c'était parce qu'il craignait d'en devenir dépendant. 
Il m'a dit ça avec son demi-sourire permanent à la Fernand Raynaud, en respirant à toutes petites goulées, comme un plongeur descendu à une grande profondeur qui se demande s'il aura assez d'air pour remonter.
papa dans son bel uniforme de polytechnique
un peu avant qu'il devienne un séducteur de la CGT
J'ai apprécié la blague de ce prince sans rire, mais aujourd'hui, c'est moi qui marche comme lui, j'ai chopé une lombalgie de la mort, avant-hier matin, sur le même siège sur lequel je suis assis sous vos yeux, pieds nus dans les courants d'air, au mépris du danger vertébral, j'étais en train d'envisager de dire du mal de mon géniteur à quelqu'un qui venait de l'évoquer, mais le temps de me dire que ça valait pas le coup et de lâcher l'affaire, crac. 
D'habitude il me faut être confronté à la présence physique du Malin, et à Sa Parole Toxique, pour subir des atteintes dans ma chair (pied cassé pendant une réunion de famille ourdie à l'insu de mon plein gré, lumbago de Noël, crise bipolaire de la Saint-Sylvestre menaçant de tourner à la Saint Barthélémy, etc…), là il m’a suffi de réagir par écrit au portrait ancien qui m'en était esquissé "ton père, paraît il, séducteur et à la CGT" et d'ironiser sur la transmission de cet héritage caractériel pour choper une lombalgie carabinée. 
C’est de la magie noire lacanienne, ou je ne m’y connais pas. J'en ai bien pour huit jours, pour les lombalgies, c'est le minimum syndical; à la CGT comme ailleurs.

une bédé agréablement débile de Lupano
Et maintenant j'attends que ça passe, allongé dans le canapé avec des anti-inflammatoires téléchargés sur un serveur russe et des BD agréablement débiles de Lupano délivrées sans ordonnance à la pharmacie du rond-point virgule; j'ignorais qu’à partir de 60 ans, le survivalisme devient une philosophie concrète, indispensable pour négocier chaque virage du Réel, dévoilant un nouveau platane en approche. 
La plupart de mes confrères et consoeurs de blog que l'auto-addiction n'a pas confinés dans la démence précoce et qui ne sont pas encore internés à l'asile d'Arkham-sur-Loing ont fermé leur échoppe depuis longtemps, ou sont déjà morts d'autre chose. 
Je reste quasiment seul à pouvoir témoigner, au risque d'essayer de faire mon intéressant avec l'aveu de mes déficiences. D'autant plus qu'avec mon dos pété, je ne peux pas faire de jardin, de toute façon c’est très venteux, avec toutes les graminées en suspension dans l'anticyclone, j'ai une belle rhinite, et ma femme fait des crises d’asthme spectaculaires. 
Plus jeunes, on n'y était pas sensibles. Cet après-midi, on est vraiment les naufragés du canapé de la Méduse, heureusement que personne ne peut nous surprendre en flagrant délit de larvitude, le fils est au boulot avec ses autistes, et la fille en Italie avec son nouveau chéri de chez Tefal qui n’a pas de poële, en tout cas sur la photo que j’ai réussi à obtenir. 

une bédé agréablement intelligente de Lupano
(se lit dans le même canapé)
Le deuxième jour de lombalgie me voit démarrer la journée du mauvais pied, avec la démarche chaloupée qui m’a rendu célèbre parmi les marins approximatifs débarqués à Ciutadella de Menorca un 15 aout à la recherche urgente d'un chiropracteur, mais je retrouve une boite non utilisée de Tramadol, offerte par le CHU de Saint Nazaire pour toute fracture du pied pendant les fêtes de fin d'année dernière. Le Tramadol ! le célèbre anti-inflammatoire opioïde déjà culte qui provoque 100 000 morts par an et par overdose aux USA ! J'avais hâte de l'essayer. Heureusement que je n’ai aucune tendance addictive. Je regarde le dosage, ok, j'y vais mollo, ça me soulage un peu. Mais la somnolence liée au fait que le produit ralentit le système nerveux est plaisante, donc un peu relou. Dans l'absolu, je m'en moque, de ce retour du refoulé vertébral, car je viens d'archiver mon dossier cancer, nananère, désormais clos jusqu'à nouvel ordre. La rechute ? le plus tard possible. Après ma mort, ça serait carrément top-moumoute. Merci d'avance, Esprit de l'Univers, Seigneur des Métastases.


J'ai bien rempli les intercalaires de mon livret d'accueil,
mais je n'ai jamais croisé cette sémillante quinqua
pendant sa chimio à la cafétéria du centre.
Encore de la publicité mensongère.
Quelques jours après mes adieux à la cardiologue du centre de cancérologie qui n'oubliait rien, j'ai passé un dernier IRM de contrôle thorax + cerveau, avec l'injection de produit de contraste rigolo qui fait vomir dans le scanner à 500 000 $ si on a mangé du cassoulet avant, examen toujours suivi d'un bilan avec l'oncologue. Elle m'avait prévenu par avance que sauf récidive, c'était la dernière fois qu'on se verrait. 
Je lui avais répondu "tant mieux, parce que ma femme commence à se douter de quelque chose", mais j'ai encore failli oublier le rendez-vous, j'avais une échographie inguinale à réaliser juste avant dont je n'avais pas vu que l'heure en avait été avancée, heureusement que j'avais commencé à classer une pile de papiers administratifs sur mon bureau et que j'ai retrouvé la convocation juste à temps pour sauter dans ma voiture, comme la semaine précédente, et après le Seigneur des Patients à l'Heure m'a pris en charge et mené à bon port en un temps record. Mais le parking était plein, la cancérologie est une industrie florissante, et il y avait un embouteillage de malades à l'accueil, comme si toutes les ambulances de Loire-Atlantique avaient déversé leurs passagers devant l'hosto en même temps, pour faire un espèce de happening de cancéreux, heureusement tout le monde était à peu près valide et présentable, et on est restés dignes. L'oncologue m'a dit que mes résultats étaient bons, elle ne prononce ni les mots de guérison, ni de rémission, mais elle me confirme qu'on ne se verra plus, ou alors ça ne sera pas bon signe, elle me colle un suivi bi-annuel avec une dermatologue, elle ne me dit pas que je ne peux plus me mettre au soleil mais j'ai bien compris que j'avais dilapidé mon capital, je ne m'expose plus sans chapeau, ni crême, ni vêtements anti-UV. Je n'ai pas envie de refaire un tour de manège. Celui qui s'achève a duré trois ans. C’est la première fois que je contemple la face de Mélanie Mélanome sans masque anti-Covid, c'est con, ça mettait un peu d'Eros dans tout ce Thanatos, je trouve qu'en voilant leurs femmes pour s'interdire de désirer celle du voisin les Musulmans se sont rajoutés une couche de difficulté, le mystère émanant d'une paire d'yeux émergeant d'un masque FFP2 est d'autant plus irrésistible qu'insondable, en tout cas avec Mélanie on est un peu émus tous les deux pour cette fin de chantier, je sais qu'elle s'en remettra avant le prochain patient, surtout si elle doit lui annoncer une mauvaise nouvelle, et je suppute qu'elle ne dit pas adieu à tous ses malades de façon aussi apaisée. Je m'en sors bien. Beaucoup d'amis de mon âge, et plus jeunes, n'ont pas cette chance. J'en tire des conclusions assez laïques sur l’absence de justice divine, sans sombrer dans le nihilisme, qui serait fatal à des types dans mon genre. 
D’abord parce que peut-être que la justice divine existe, mais qu’elle n’est pas perceptible à des humains, vu qu’elle satisfait à des critères divins, on n'est peut-être pas dans le bon angle, ni assez intelligents pour comprendre, auquel cas c’est guère étonnant qu’elle nous apparaisse comme une grosse pute vérolée sans foi ni loi. Ensuite, parce que l'absence apparente d'intervention divine dans nos petites affaires ne justifie pas tout. Par exemple, ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse, ça m'a l'air un principe assez sain, et à conserver, de même que son corollaire : sois bon avec autrui comme tu aimerais qu'il le soit avec toi, mais ne force pas ta chance, et reste élégant.

J'ai découvert par hasard dans la semaine où j'essayais de rédiger l'article
que mes ruminations recoupaient celles d'Averroes, philosophe médiéval andalou. 
C'est un peu rassurant. D'être un chien d'infidèle andalou. Arf.

Dans l’article réservé aux abonnés « Dieu et la connaissance du monde » : Averroès, l’altérité divine et la liberté humaine, le plus célèbre théologien de l’islam sunnite critique avec véhémence les philosophes, en particulier le Persan Avicenne (980-1037), qu’il accuse ni plus ni moins d’être des infi­dèles. Cette condamnation vise leurs positions sur trois points : ils soutiennent que le monde n’a pas été créé, rejettent la résurrection des corps dans l’au-delà et, donc, affirment que Dieu ne connaît pas les choses du monde dans leur particularité. (..) Si Dieu ne connaît pas le monde dans sa particularité, si, dans l’acte de connaître, Il ne sort pas de Lui-même, alors Sa providence ne s’étend pas au monde des hommes. Cette conséquence a des implications politiques importantes. Il en va de la liberté de l’homme et de la possibilité qui lui est accordée de fonder une cité qui soit la cité des hommes et non celle de Dieu.
Dans le Politique, Platon convoque le mythe de Chronos pour expliquer que, lorsque la providence divine abandonne les hommes, ils doivent alors se prendre en charge et instaurer les conditions qui rendent leur vie commune possible. Si la loi des hommes est nécessaire, c’est parce que les hommes ne sont plus guidés par la loi divine.

Me voici contraint d'abandonner au bord du chemin mon identité de cancéreux. Soi-même est pourtant un des mythes les plus tenaces de l’Occident Chrétin. On passe sa vie consciente à se bricoler des histoires, à quémander le regard de l’autre pour validation, au moins de loin en loin, alors qu’il n’y en a aucune qui tienne la route dans la durée, et qu’elles ont tendance à s’évaporer comme qui rigole en mangeant de la neige au soleil. Ce qui me semble exister avec plus de consistance, ce sont des identifications successives, terme dont je me croyais l'inventeur avant de le lire sous la plume du président du gRRR, (le groupe de Réalité Réelle Ratée) qui me signale l’avoir emprunté à Lacan, m’épargnant le souci d'expliquer comment elles coulissent l’une dans l’autre à condition de ne pas s’y attacher, et combien elles sont un heureux substitut à ce malheureux concept d’identité, qui continue à faire des millions de victimes hagardes (et la fortune des psys) de par le monde.
Franchement, je vois pas pourquoi en faire un tel fromage; y’a quand même pas de quoi se passer les paupières à la crème de Chester avec une tringle à rideau de fer ! Et si j'emprunte un autre uniforme, et ma casquette de dépendant, plus ou moins sauvé par le programme des 12 étapes, c'est un groupe identitaire où l'on n’est pas dans la recherche d'honnêteté par vertu, mais pour le confort. Si on ment, on meurt. En repassant par la case produit. Le programme de rétablissement qui nous est proposé nous aura au moins appris ça. Dans d'autres programmes, comme le Vipassana, mentir, c’est juste alourdir la barque karmique. C’est une entorse au règlement intérieur, au cœur de l'intimité de notre être, régie que nous le voulions ou non par la loi de cause à effet. Et que notre être soit rongé ou non par l’obsession égotiste, et que pendant ce temps, Dieu soit au bureau ou pas, ok ?
Putain de moine, j'aurais dû faire théologien.

J’étais un jeune séminariste plein d'avenir en route vers l’abbaye de Rostrenen, 
quand je me fis rouler dessus par ma première concubine
 à bord de son tramway nommé désir, qu’elle conduisait d'une main leste.
Y’a jamais eu moyen de faire un constat à l’amiable, et maintenant c’est baisé.

Le temps que je vous explique ma guérison miraculeuse sans même porter la médaille du Curé d'Ars, je reçois la réponse de mon employeur, qui ne m’accorde pas les congés nécessaires à mon stage de Vipassana début aout, les deux périodes ne se chevauchaient qu'imparfaitement et il me fallait un peu de rabe. A coup sûr, c'est le Bon Dieu qui m'a puni de blasphémer devant mon ordi tôt le matin dans les courants d'air dans mon pyjama rayé. Vais-je pour autant me ruer sur mon armoire à pharmacie, contenant le lithium consolateur et surtout régulateur, ce népenthès de l’âme ? Je ne pense pas. Je vais plutôt jouer ça dans le bon sens : le prochain cours de 10 jours qui ouvre, je saute dessus et je pose mes congés après.
Et le cancer numérique ? En début de cancer réel, j'avais dit que j'arrêtais celui qu'était virtuel. 
Hé bien on y travaille. Il vaut mieux s’affranchir du mensonge que de faire fi de ses conséquences. Je n'écris plus que quand je suis coincé, et que je ne peux pas faire autrement. J'avoue qu'en ce moment, j'ai l'air souvent coincé. A se demander si je ne me coince pas exprès le nerf sciatique dans la rainure, histoire de relancer l'usine à blabla. 

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)



[EDIT du 1/6]
j'ai un peu oublié l'essentiel, peut-être implicite dans mes lyrics, je ne sais pas, mais ça m'est apparu en discutant avec la dentiste ce matin, qui est que je suis beaucoup moins prisonnier de mes états dépressifs qu'avant. Avant quoi ? ben avant le mélanome, les deuils, la fracture du pied, la reprise du blog... un peu comme si le cancer avait joué le rôle de régulateur d'humeur, en remettant de l'ordre dans l'échelle des priorités, des joies simples aux plaisirs compliqués. Mais je n'en suis qu'à 5 mois sans lithium, et qui serais-je pour me juger ? faut voir dans la durée. 

jeudi 18 mai 2023

Mélanie Mélanome et la cardiologue qui n'oubliait rien (7)

Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome, le résumé intégral des épisodes précédents :

Episode 1
https://johnwarsen.blogspot.com/2020/09/loukoum-et-tagada-contre-melanie.html

Episode 2

Episode 3

Episode 4

Episode 5

Episode 6

Episode 7
Attendez un peu, je commence tout juste à l'écrire.

Ce matin, levé à 6 heures pour accompagner les travailleurs dans leur élan, je ne bosse pas aujourd'hui, je n'ai toujours pas obtenu mon plein temps auprès de l'employeur que j'ai attaqué aux Prud'hommes en 2020 pour obtenir un CDI après 22 ans de CDD, et je peux m'en réjouir secrètement, ici même, en ce non-lieu, d'avoir obtenu un temps partiel, même si financièrement c'est pas le Pérou, j'en ai fini avec les affres du vieux CDD dont le téléphone ne sonne plus beaucoup, et je gagne quand même de quoi vivre décemment, je me réveille tôt parce que en ce moment, quand je descends à mon bureau pour écrire à une certaine personne la veille au soir, ça me met en tension, ne pouvant m'empêcher d'espérer glandulairement une réponse dont je sais bien intellectuellement qu'elle ne viendra pas (oui, comme Madeleine dans la chanson de Brel) eu égard à la façon dont j'ai asséné mes questions, qui sont plutôt des affirmations assez péremptoires pour suspecter une posture, d'ailleurs elle m'a dit que ça lui faisait penser à Faulkner, t'as qu'à voir, et je me réveille spontanément de cause à effet le lendemain entre 4 heures et 6 heures du matin, il va donc me falloir choisir entre correspondre avec cette personne (en fait, l'assommer de mes monologues faulknerisants, en guettant les moments où elle va passer la tête dans l'ouverture de ma boite mail et faire "oui, oui" de la tête, ce qui déclenchera une nouvelle salve), choisir entre brûler mon essence en vaines contorsions et retrouver le sommeil, mais choisir c'est renoncer, et renoncer c'est chiant, donc au final choisir c'est chiant, mais je trouve ça quand même bien pratique pour ne pas rester encombré des choix non-valides avant qu'ils deviennent franchement moisis. 
Quand je perds le sommeil, en descendant à 4 heures par nuit sur des périodes de plusieurs semaines, comme en mars et avril, c'est souvent lié à une excitation subie, puis saisie et entretenue, et après, je suis délabré, et je me traine. J'ai eu 60 ans, j'ai moins de jus, même si je suis dans le déni, je le sens, et je ne me vois pas "assumer" tout d'un coup mon âge, assertion aussi vide de sens que Macron qui "assume" la réforme des retraites et le déni de démocratie. 
Je dois admettre que les Anciens avaient raison, c'est ennuyant d'être vieux, on est plus souvent fatigué. Ma grand-mère, qui m'aimait beaucoup, a tenté de me prévenir, elle me disait "faut pas vieillir", en crispant ses doigts crochus sur mon avant-bras juvénile, à la fin on a dû l'abattre. 
" Quant au Réel, il fait parfois irruption
dans la réalité. Généralement sur le mode
platane vu de face et de trop près
aux alentours de cent soixante km/h.
Donc, il est prudent de ne pas trop le convoquer. »
me disait mon bon maitre Louis-Julien Poignard.
J'en conclus qu'en allant au bureau,
on peut poser le vélo
contre le platane du Réel,
le temps d'assouvir un besoin naturel,
mais qu'il ne faut pas s'éterniser.

Moyennant quoi, au passage, je suis toujours tendu vers l'objectif du plein emploi, je fais 25 bornes par jour sur un vélo normal, tant que j'en suis capable, pour aller et revenir du travail trois jours par semaine, et j'ai plus la niaque que si j'avais passé les 30 dernières années écroulé à plein temps au fond de cette grande boutique de l'audiovisuel public régional.
Hormis ces périodes de trous bleus insomniaques, ça fait des années que je n'utilise plus de réveil, je m'éveille "naturellement" à l'heure qu'il faut, le secret c'est de m'être couché tôt la veille; et comme la veille je me suis levé aux aurores, je commence à somnoler devant la télé vers 22 heures, et je vais rapidement au lit; et donc ce matin, après avoir préparé le petit déjeuner des travailleurs, j’ai bien fait d’ouvrir mon agenda, j’avais un rendez vous de contrôle, pris il y a plus d'un an, avec le cardiologue du centre de cancérologie, dans une heure et de l’autre côté de Nantes, sinon c’est pas drôle. Complètement zappé. Je ne suis plus dans le mood de mon identité de malade du cancer, qui est tombé de mes épaules comme un paletot usagé. Téléportation jusqu'à la voiture. Ruses de Sioux pour éviter la partie du périphérique complètement coagulée jusqu’à 9h45 tous les jours que Dieu et la DDE font, traverser Rezé pour rattraper le pont de Cheviré par la porte de Bouguenais, fallait y croire, ça l’a fait, je suis arrivé pile poil à l’heure au centre de cancéro, j’y croyais pas mais j'y étais quand même. Dans ces cas-là, j'ai l'envie imbécile de remercier, selon l'humeur, ma Puissance Supérieure (concept AA), l’Esprit de l’Univers, la DDE, alors que je sais bien que la justice divine est absente de ce monde, ce qui m’évite de me croire maudit quand les choses ne tournent pas à mon avantage, cf ma vieille blague sur le fait qu’avant je me prenais pour un artiste maudit, et qu’un jour je m’ai aperçu que je n’étais que maudit, et encore, que par ma femme.
Quand à la justice humaine, avec Dupont-Moretti et Darmalin et demi aux manettes, vaut mieux pas trop lui avoir affaire à elle. Après l'électrocardiogramme, la cardiologue me dit que tout va bien, l'hypertension a reflué, elle voulait la soigner avec des médocs que j'avais refusé de prendre, l'hypertension qui était due selon moi (après une rapide recherche sur google "hypertension + cortisone") aux 6 mois d'anti-inflammatoires stéroïdiens enchainés suite à l'invalidante pneumopathie induite par les effets secondaires de l'immunothérapie, cette hypertension s'est évanouie dans l'azur de mes artères, elle a pris l'aorte, alors la cardiologue me libère de ces visites annuelles, c'est une fin de chantier, un an après la fin du traitement pour me guérir de l'autre traitement, tant mieux. En me rhabillant d'un air mélancolique, je lui dis que j'aime bien la peinture affichée au mur de son cabinet, une immense tortue peinte sur batik dans un camaïeu de couleurs naïves.
dans ce genre-là.
un truc que j'aurais trouvé moche

et kitsch avant le cancer.
Elle me dit qu'elle l'a ramenée de Bali, et que je lui ai déjà fait cette remarque l'an dernier, alors je m'étonne qu'elle se rappelle d'une observation faite par un patient il y a un an, et elle m'explique qu'elle se souvient de tout, tout le temps, que le soir elle peut retranscrire à son mari les quatre conversations qu'elle a entendues autour d'elle en déjeunant à midi, d'ailleurs son mari en a un peu marre, et elle est obligée de faire plus d'une heure de sport par jour pour gérer cette hypermnésie.
D'un autre côté, ça a pu l'avantager pour ses études de médecine, mais ne rien oublier, jamais, ça fait peur. C'est une malédiction qui ressemble aux pouvoirs psychiques de certains mutants dans les illustrés américains d'avant-guerre (celle avec l'Ukraine). C'est un truc à reprendre du lithium. Ou de la paroxétine. Ou pire. Des psychédéliques, en avalant tout le microdosage d'un coup. Ma récente cure de psilocybine a eu des effets imprévus : une amie qui a pris pas mal de champignons dans une vie antérieure à sa découverte des fraternités en 12 étapes m'a suggéré d'aller plutôt faire une retraite vipassana telle qu'enseignée par S.N. Goenka dans la tradition de Sayagyi U Ba Khin
https://www.dhamma.org/fr/about/vipassana
et je m'y suis inscrit ce matin même, après avoir accompagné les travailleurs dans leurs rituels matinaux, la camarade femme et le camarade fils, il ne faut pas louper le créneau, trois mois pile poil avant le début de la session, les inscriptions ouvrent, et c'est rapidement plein, souvent en une seule journée. Le cancer semble donc avoir eu un effet positif sur mes progrès dans l'intention de pratiquer le bouddhisme. Faut dire à ma décharge publique que ça fait au moins deux décennies que je tourne autour du pot, en reluquant le site du centre de méditation Goenka comme si c'était de la pornographie spirituelle. Ca doit être un reste de paganisme anticlérical mal digéré. Misère. 
Maintenant que je suis un peu redescendu du microdosage et de ma cuite émotionnelle au cimetière, c'est une raison supplémentaire pour ne pas reprendre de lithium, qui m'interdirait l'accès au centre vipassana, qui pratique une politique d'immigration assez stricte par rapport aux chtarbés de la spiritualité, c'est la tolérance zéro pour tous ceux qui prennent des médocs pour la tête. Vu comment je lui ai présenté les choses, le psychiatre n’a rien trouvé à y redire, à part me rappeler qu'il ne tenait pas à me ramasser à la petite cuiller… Je n’oublie pas ce que je lui dois, ni à mon lui, ni à mon traitement.
Mais je me rappelle aussi que « mon » traitement, (8 ans de lithium, et j'ai eu très beau temps) c’est moi qui lui ai suggéré de me le donner, parce que le sien ne marchait pas.
Par rapport au stage de méditation, il me faut encore passer plusieurs épreuves éliminatoires :
- le tirage au sort (du fait de la surabondance de candidats)
- le bon vouloir de mon employeur pour obtenir une rallonge de congés, qui ne chevauchent que partiellement les dates du stage.
- remettre mes féfesses sur mon siésiège de méditation une heure par jour, ça peut pas me nuire, comme lors du récent moratoire sur le cyber, de septembre dernier à fin décembre, moratoire interrompu par la fracture du pied.


(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)