vendredi 11 octobre 2019

Adieu tonton

J'ai des tontons qui durent, et d'autres qui ne font pas long feu.
J'ai donc démarré une nouvelle carrière littéraire dans l'eulogie au Crématorium de Bégard (22).
Ecriture plus sobre, plus dépouillée, en un mot plus reposante, parce qu'apaisée.
J’ai eu un petit succès, malgré un débit un peu rapide, parce que si je ralentissais, je savais que j'allais me mettre à pleurer, et c'était pas le but.
Ce qui m’a stimulé, c’est l’épouvante sourde que je ressens depuis des années à l’idée de faire un de ces jours l’oraison funèbre de papa, car comme le dit ma dulcinée quand je lui en parle, «au fait, c’est vrai, qu’est-ce qu’on pourrait dire de positif sur ton père ? »
Et je ne voulais pas voir se reproduire ce qui s’était passé à la mort de mon oncle précédent, après laquelle personne n’avait pris la parole lors de cette cérémonie dans une petite église de Dordogne pourtant charmante, et j’avais trouvé ça bien triste comme début de post-vie.
Là, les enfants de tonton m’avaient fait comprendre qu’ils ne pourraient pas parler au Crématorium, trop d’émotion, et j’avais une relation chaleureuse avec Jean-Pol.
Donc je m’y suis collé, comme à un mal nécessaire, mais c’est venu quasiment tout seul.
L’eulogie est pour moi un genre littéraire tout neuf, et promis à un bel avenir dans ma famille vieillissante; bien sûr si tu regardes dans les angles, ça relève de la fiction, car la vraie vie de tonton serait un roman à faire passer Houellebecq pour Guy des Cars, je ne pouvais pas partir des faits, que de mon ressenti; de toute façon, sur le plan fictionnel, on peut se lâcher : il est rare que le destinataire, sagement étendu à l’arrière-plan, vienne nous contredire.
Il s’agit avant tout d’exalter les vertus du défunt en faisant croire aux survivants qu’elles se diffusent doucement vers eux en fines gouttelettes pendant la lecture, à mi-chemin entre le brouillard d’huiles essentielles et le crachin breton.
L’exercice est donc bien balisé, et j’ai trouvé ça intéressant, en plus d'être utile aux autres.


Quelques mots inspirés par Tonton Jean-Pol, et qui n’engagent que moi.
Brassens chantait : « Il est toujours joli, le temps passé
Une fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types »

…c’est pas pour faire mentir Brassens, mais je n’ai jamais rien eu à pardonner à Tonton Jean-Pol. Et pourtant, dans ma famille, c’est pas pour me vanter, mais on s’offense assez facilement, alors qu’on pardonne assez peu, et le plus tard possible. C’est parce qu’on cherche à avoir raison, et qu’on a du mal à se remettre en cause, sauf moi qui vous cause, évidemment.

Et Tonton Jean-Pol, qui avait été miraculeusement épargné par le dogmatisme.

Tonton Jean-Pol, il a été présent à tous les âges de ma vie, et franchement, pour moi il a toujours incarné la bienveillance. C’était un oncle incarné, quoi.

Quand on était petits, avec mon frère et ma soeur, qui ne sont pas là mais que je représente moyennant un cachet d’intermittent du spectacle très raisonnable, Jean-Pol et Françoise venaient nous voir à Perros, avant qu’ils aient des enfants, et ils nous apportaient toujours des cadeaux. Mes autres oncles aussi, d’ailleurs ils nous ont vraiment gâtés pourris et je sais pas comment on a fait pour pas devenir infects, tellement on a reçu de cadeaux non mérités, simplement parce que mon père était le premier des quatre Dalton à avoir des gosses, alors tout le monde faisait des cadeaux aux gosses d’Averell en attendant d’en avoir, des enfants, pour pouvoir leur en faire, des cadeaux, mon père qui n’est pas là non plus mais que je représente pour un autre cachet d’intermittent du spectacle tout à fait exorbitant, mon père qui a failli venir et qui vous prie de bien vouloir l’excuser de ses empêchements majeurs et mineurs, en tout cas tonton Jean-Pol on était toujours content de le voir, parce qu’avec ou sans cadeaux il était tout le temps gentil et bienveillant, d’une gentillesse qui ne triche pas, qui ne demande rien sinon d’être à la bonne hauteur pour la recevoir. 

Merci pour ça, Tonton Jean-Pol.

Plus tard, pour mes 20 ans, tonton m’a offert mes premiers jobs d’été, comme aide-cuistot et plongeur dans les jolies colonies de vacances de la CCAS. C’était super, ça me changeait de mon milieu petit-bourgeois intello de gauche, en plus des fois je faisais la plonge dans de jolies monitrices des jolies colonies de vacances de la CCAS. (oeuvres sociales EDF)

Merci pour ça aussi.

[Même la fin d’été où je me suis fait braquer tous les sous que j’avais gagné dans les colonies CCAS par deux voyous à qui je voulais acheter du shit en gros et demi-gros, le fait de me retrouver avec un flingue sur le ventre et un cran d’arrêt sous la gorge, ça m’a rapidement et définitivement convaincu que je ne ferais pas carrière dans le trafic de stupéfiants, ce fut une expérience très pédagogique, et ça c’est encore à tonton que je le dois. Trop fort, tonton.]

(passage enlevé à la demande de ma dulcinée, qui a trouvé que ça parlait plus de moi que de tonton)

Encore plus tard, en 1986, tonton m’a hébergé plusieurs semaines à Rennes où j’avais décroché un stage dans une société d’images de synthèse. Et toujours cette générosité et cette prévenance, alors qu’il venait de subir un drame familial terrible qui avait largement de quoi le rendre fou, dépressif, aigri, alcoolique ou un subtil mélange des quatre. 

Que dalle. Il est resté droit dans ses bottes.

S’il avait un côté obscur, et qui n’en a pas, c’est pas à moi qu’il l’a montré. 

Je ne l’ai jamais vu.

Et toujours cette simplicité, ce langage du coeur qui gouvernait nos échanges, dont il est un peu tard pour me vanter, mais si tu m’entends tonton, tu le sais bien que c’est vrai que quand on se voyait on allait droit au but.

La dernière fois qu’on s’est croisés, au mois d’aout, j’ai cru comprendre que pour cette vie-là, dans ce corps-ci, t’avais eu ta dose, on t’avait sévèrement trafiqué le moteur, enlevé des pièces, bricolé d’autres, et il en résultait pour toi un inconfort qui ne justifiait pas de jouer les prolongations plus que nécessaire. 

Inquiet, j’étais repassé le lendemain, dans l’idée de t’en mettre une couche en direct de la cellule de prévention du suicide, et tu m’avais rassuré, tu t’étais déjà repris, m’affirmant que tu récupérais petit à petit et que tu allais te bouger pour répondre à cette vie qui s’offrait encore à toi.

En fait, je crois que tu étais déjà en paix, que tu avais réglé tes affaires, fait tes valises, et que tu te tenais prêt à partir. 

Tu m’as bien roulé, Tonton Jean-Pol.

Tu ne seras jamais un petit vieux. Je n’ai rien contre les petits vieux, j’ai de très bons amis petits vieux, mais c’est un truc qui ne t’a jamais intéressé. 

Je t’embrasse et je te salue. 

Merci pour tout.

mardi 1 octobre 2019

L'avocat du diable


extraits de mails
Objet: question
Date: 24 septembre 2019 à 11:40:23 UTC+2
À: b**@byronmetcalf.com

Hello
I’m a french fan of your works and owe many CD’s of yours
I dare ask a maybe dumb and overanswered question but could’nt find the answer by myself.
I was watching the TV Show « Hannibal » 
a bad and sick TV Show indeed, about people having codependent relationships.


Anyway, during the third season, a character from the novel « Red Dragon » appeared, and pretended to be « Byron Metcalfe, Hannibal Lecter's lawyer ».
It made me smile, because I thought the screenwriter took the character's name from yours, a crooked joke like a tribute from evil to virtue. (Everyone is very ill, spiritually speaking, in the show)

screen capture from the TV Show
But I found the same name in the original novel (1981).
Which seems anterior to your career’s beginning.
So my question is : did you take your pseudonym from Thomas Harris’s books ? It’s not a big thing, but i’m actually a bit disturbed by this discovery.
Does it mean anything to you ?
Thanks in advance
Christophe

Le 25 sept. 2019 à 17:24, Byron Metcalf a écrit :
Hi Christophe,

My music career actually began in the early 60's so no I did not borrow the name as a pseudonym.

I'm so sorry, Lord Byron ;-)
I read that info on your P.al site "Starting in 1988, Byron began focusing his musical talents toward the healing arts, creating musical sequences for Holotropic Breathwork workshops,… » so I took it for real.

I recall reading Red Dragon right after it was released and was pretty freaked out when I got to 'my' name!

I feel guilty enough for watching the macabre opera Bryan Fuller created from Thomas Harris novels, so I won’t try to reread Red Dragon for knowing what fascinated me long ago, and what you’re doing in there. 
Your name, erupting like reality into fiction. 
Same impression you must have had when you read your name in the book. 
Like if you’ve been caught into the Necronomicon without giving any consent.
Lovecraft beaten by Harris !
and it’s no coincidence  (or a strange one) that you act in the world of « healing » music, because it’s no mystery Hannibal Series Soundtrack musicians work in the spheres of sick & unwell sounds, which are another kind of industry and need to be rebalanced.
(Dark ambient is not allowed as a response)
https://youtu.be/7Ow8ne4iD8Y

Interestingly you are the only person to ask me about this which is surprising given the popularity of the Hannibal Lecter character. Silence of the Lambs is one of my all time favorite films.

Maybe you’re not popular at all, except in my neighborhood ?
;-)))
I often see details and coincidences others don’t see (but I also often miss the Big Picture). 
Unconveniences of geek culture.
Or maybe the people who read Thomas Harris don’t listen to Byron Metcalf.
Anyway, I was curious to see if the TV show would build a theoretical justification for Hannibal’s behaviors. 
It does'nt : in the show, Lecter kills and eats people thats displeases him by their vulgarity.
His own intelligence and refinement are self-consumed and justify at his own eyes his predator’s instincts, and he feels really satisfied with that, so it’s maybe terrifying metaphorically speaking upon Ego strategies, but the character appears hopefully absurd and artificial to me, despite lttle jokes on empathy. 
Will Graham : « Extreme acts of crualty require a high degree of empathy ».
Bedelia Du Maurier (answers) : « You just found religion. Nothing is more dangerous than that. » 
Ha ha.
If Thomas Harris see things like this, it’s hopefully harmless and far less credible than what others novel writers theorize upon evil, from Nick Tosches (in Trinities) to Russell Banks.
The idea of your name, emerging as a fragile counterpoint to the torrents of insanity and madness which oozed from the 39 episodes, is precious (and a bit hilarious too, because I endured the three seasons of the show without knowing why I was doing it, until I saw your name on the screen)
So if you don’t know why Thomas Harris borrowed your name and turned it into « the devil’s attorney » you should perhaps ask him quickly, he’s turned 78.
He’s smart : “ I don’t make anything up. So look around you,” he says. “Because everything has happened.
He said he’s been inspired by Ted Bundy, and his relationship with Robert Keppel, an American former law enforcement officer who wrote many books wich gave birth to « Mindhunter », a TV show from David Fincher much more impressive than Hannibal, where detectives are confronted with real serial killers.
(Pardon my french) 
(I’m French)
and pardon my bla-bla, i’ve rare opportunities to exchange in english with people I listen carefully the music to.

Sincerely Yours
Christophe


De: Byron Metcalf
Objet: Rép : question
Date: 27 septembre 2019 à 17:50:56 UTC+2
À: Christophe P.

Thanks Christophe! Your 'rant' put a big smile on my face. You're a good writer! 👍


Le 27 sept. 2019 à 18:02, Christophe P. a écrit :

If I didn’t read your name in Hannibal, there would have been no rant, so thanks for your music ! 
I’m just listening right now to your last album with Eric Wollo.
My rant is under control, and my psychiatrist is hopefully vegan
;-)))
Christophe

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Bon. Si l'intéressé lui-même n'est pas au courant, c'est râpé pour comprendre pourquoi le Byron Metcalf réel s'est trouvé aspiré dans le vortex littéraire de Thomas Harris et ses déclinaisons audiovisuelles. Quant à savoir pourquoi j'ai regardé 3 saisons de cette chose glauque, cauteleuse et hypnotique, c'est tout aussi insondable. Si ça vous tente de siroter 35 heures de Madds Mikkelsen en psychiatre cannibale, roi de l'emprise et de la manipulation mentale, petit maitre de la jouissance par le meurtre gastronomique et baronnet des plaisirs raffinés, vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenus. Le plus terrifiant dans la série, c'est bien la soumission presque joyeuse de tous les personnages secondaires à la volonté d'Hannibal, qui tord littéralement l'univers autour de lui, comme un petit trou noir sans poil autour car il a sans nul doute l'anus aussi lisse que le visage.
https://youtu.be/AucdcgZsUb4
Alors, il y a l’horreur « folklorique » de Hannibal, la charge s'exerçant à coups redoublés sur la psychanalyse, et dont le scénario pourrait avoir été écrit par un patient trop longtemps baladé par un psy qui a décidé de s'en venger dans les grandes largeurs, avec outrance et délectation, puisque tous les psys de la série sont aussi détraqués que les malades qui la hantent, et il y a l’horreur "psychologique" un peu plus réaliste des relations d'attachement/dépendance qui engluent les protagonistes de la série. 
C’est à ce titre que je trouvais la présence fantomatique de Byron Metcalf, auto-canonisé chamane guérisseur sur son site holotropique, plus que justifiée par la noirceur de l'univers fictionnel déployé.
Comme si le Diable avait besoin d'un avocat !


Déçu par Hannibal, je me tourne alors vers Midsommar, réputé gorgé d'horreur folklorique suédoise.
Hélas, il y a beaucoup de Grand-Guignol dans ce clip institutionnel profondément désobligeant envers les cultures païennes, commandité à ce qu’il reste des Monty Python par le ministre du tourisme suédois pour débarrasser définitivement le pays des touristes américains, d'ailleurs dépeints en termes assez grossiers.
Le résultat est profondément émouvant : Terry Gilliam n'avait pas été aussi acide depuis "Brazil". Et le suicide d'Eric Idle se jetant de la roche Tarpéienne en mimant le stoïcisme d'Edward G.Robinson dans "Soleil vert" me laisse tout vibrant d'émotion contenue.
Mais cet épandage sauvage de culture cinéma ne fait pas un bon film de trouille.
C'est le sous-texte sur l'emprise, le délitement de la culture moderne et la tentation du collectif comme substitut à la famille, qui est intéressant.


Mais bon, question horreur suédoise,  le réalisme de Greta T. bat tous les imaginaires, et c'est en elle que le Réel met une grosse ratatouille au cinéma d'épouvante.
Elle est la Byron Metcalf des effondrologues, car elle nous dit que nous pouvons éviter l'apocalypse annoncée en mettant un frein à l'immobilisme, dans ce monde où nous sommes tous convaincus de la nécessité d'adopter des comportements plus vertueux au volant de notre nouveau SUV.
En plus, l'avantage de Greta sur Byron, c'est qu'il n'y a même pas besoin d'acheter son disque pour que ça marche.
D'accord, pour l'instant, la pythie nous saoule de bande-annonces de désastres attendus, elle nous joue le pitch du film catastrophe qui enterrera tous les autres parce que là ça sera pas pour de rire, mais son scénario (haut et bas, mais les experts du GIEC parient plutôt sur le haut) est prêt à tourner, et son cliffhanger a l'air bien au point.

L'effet "inéluctable" de la courbe n'apparaitra qu'aux petits-enfants de nos petits-enfants.
Pas de quoi en faire une maladie.