vendredi 7 juillet 2023

Vidéodrome contre Videodrame_s (2)

Je trouve ça sympa qu'une vieille amie de mon âge pense encore à moi et me fasse passer des vidéos de jeunes en colère, car je ne vois plus beaucoup de jeunes dans le tiéquar (je suis obligé de brûler mes poubelles et mes voitures moi-même), et avec toute la méditation que je fais, j'ai de plus en plus de mal à me mettre en colère, faut dire que quand on a acheté dans le lotissement c'était nous les plus jeunes, on était des primo-accédants et on avait encore un peu de pouvoir d'achat, avec tout l'argent que j'avais gagné en travaillant au Club Dorothée, alors que maintenant c'est presque nous les plus vieux, et on est un peu gênés aux entournures, mais nos enfants auraient du mal à nous racheter la maison s'il nous prenait la fantaisie de la leur vendre sur notre lit de mort, je sens bien qu'on est en train de perdre le contact avec les nouvelles générations, alors ses vidéos insurrectionnelles je me sens obligé de les regarder jusqu'au bout puis d'y réagir, ça me fait un peu de sport cérébral moins routinier que les sudokus, d'anciennes légendes racontent que je fus moi-même jeune jadis, à une époque où les jeunes ne passaient pas leur life à se monter le bourrichon par des mises en scène d'eux-mêmes braquant de pleines transpalettes de PQ au Lidl incendié du coin, se répandant en imprécations et anathèmes sur les réseaux informatiques internet youtube facebook snapshat TikTok, qui n'était pas encore une lueur dans le reflet de l'écran dans l'oeil de Xi Jinping, les démons du blog n'existaient pas non plus et ne s'invitaient pas dans mon esprit pour me piquer les fesses et me coller devant l'ordi, alors que maintenant dès que je les invoque en commençant à taper comme un sourd qui ne veut plus t'entendre sur mon clavier bloutouffe, ils me tendent à travers la vitre leurs envoûtantes perches à selfies pour que j'aille m'empaler dessus, comme si on était encore dans le Vidéodrome de Cronenberg, qui date pourtant de 1983, quand le torse de James Wood s'ouvre pour avaler une cassette VHS qui le reprogramme après qu'il ait regardé un snuff movie de trop...

Vidéodrome : Cronenberg était un vrai prophète, lui.

...parce que les blogs c'est vrai c'est un truc de vieux, on a les démons de son âge, c'est vrai qu'avant internet on gagnait un temps de ouf sans être submergé par la profusion de canaux d'information et de divertissement dont les robinets restent ouverts en permanence, dans mon enfance il n'y avait qu'une chaine de télé en noir et blanc sans publicité dont les programmes commençaient vers 19 heures, pour geeker il n'y avait que des livres, et nous en étions réduits à coucher nos états d'âme sur le papier, qui ne permet pas les ambigüités et la polysémie qu'autorise l'image, qui n'est jamais univoque, cf la vidéo de la mort de Nahel telle qu'elle a mis le feu aux poutres à travers les réseaux sociaux, et surtout telle qu'elle est analysée par Olivier Ertzscheid, le maitre de conférences cité dans le post précédent, comme ne disent pas les youtubeurs, eux qui parlent de la vidéo d'hier
Parce que les youtubeurs, c'est comme les musiciens de jazz, ils sont tout le temps en train de faire des jam-sessions avec la bouche et face caméra, hardi petit, en espérant créer le buzz et faire tomber les soussous, c'est donc normal de trouver des centaines de vidéos de chacun d'entre eux, ils ne font que ça toute la journée. 
Plutôt que de toutes les regarder, ce qui m'aurait pris plusieurs années, je me suis fié aux notes prises pendant que j'en regardais une - mon grand père me disait d'un air entendu que les paires de fesses, une fois que t'en avais vu une, elles étaient toutes semblables, je crois que c'était en constatant l'explosion de l'offre des cinémas porno dans le Pariscope des années 70, mais je me demande toujours ce que LUI voulait dire par là, et combien il en avait vues pour prendre cet air entendu qui était comme un logo facial dans la famille. 
Bref. Je me suis donc laissé glisser dans cette vidéo du canard réfractaire, avec son délicieux parfum d'interdit (facebook, il ne passera pas par moi, uh uh... non mais là, c'est pour vous faire montrer)
et j'ai appris regardé des "choses" (je ne puis parler ni de "faits" ni "d'opinions" puisque dans ces vidéos tout est indiscrutablement englué dans un discours réifiant et vertigineux, discuté et rediscutable jusqu'à l'infini et au-delà) en prenant des notes et en m'infligeant les 30 minutes règlementaires, pour une vidéo contestataire, c'est le minimum syndical en termes de durée, mais j'en tremblais comme un puceau qui s'adresse pour la première fois à une professionnelle.

le plus sympa dans ses vidéos c'est le côté " Snapshat pour les Nuls "
où il explique aux vieux les vidéos réalisées par les jeunes émeutiers.
Malheureusement, je ne suis pas le perdreau de l'année tombé de la dernière pluie, et mon expérience du canard réfractaire a vite rejoint ma précédente incursion dans le milieu interlope des vidéos Youtube transmises par des vieilles copines, qui m'avait conduit à pousser moi aussi un cri d'alarme sur mon blog de vioque (3 visiteurs par mois selon Google, 250 000 selon les organisateurs)
expérience de journalisme de l'extrême d'où j'étais sorti fâché, honteux et confus, jurant mais un peu tard qu'on ne m'y prendrait plus. J'ignore si les filles sont plus promptes à se laisser berner par des gars qui ont le verbe leste et qui les enfument avec le langage du coeur, mais l’énervé de Guingamp semble bien engrainé (Argot : Arriver ; entraîner ; envenimer. exemple : j'ai réussi à engrainer deux filles, Clarisse et Salima, pour aller voler à ma place ce dont j'ai besoin.dans la mouvance « mélenchoniste pro-russe antivax gilet jaune »je m’excuse au passage si je stigmatise ceux d’entre vous qui pourraient afficher des sympathies avec l’une ou l’autre de ces fraternités, où l’on retrouve Etienne Chouard, Alain Soral, Népomucène Lemercier, Simon Cussonet, etc… c’est quand même un gros morceau pour moi, c’est pas ma culture, je n'ai jamais eu vraiment faim, je n'ai jamais été contraint de brûler des palettes pour me chauffer et exprimer ma colère de pauvre à qui l'on tue le pouvoir d'achat en prétendant que non, pas du tout, même pas vrai, et puis le gouvernement travaille, dispersez-vous.

Le canard réfractaire est à Guingamp, qui n'est qu'à 45 minutes de Lamballe,
mais j’ai bien fait de ne pas m’emballer.

Pourtant, le début de sa vidéo est plutôt sympa, il explique la mécanique des reposts successifs des vidéos Snapshats par les émeutiers, avec des exemples audio-visuels très pédagogiques, on a droit à des interviews d'insurgés qu'on aurait été bien en peine de dénicher autrement, mais devant celle d'un mec qui dit "on a cramé la médiathèque en 2005, ben on n'a pas eu de médiathèque pendant 2 ans, et là on est en train de faire pire..."  le commentateur glapit alors, en commençant à s'échauffer : "vous voyez bien qu'il y a un message politique", ce qui me fait penser à l'article du Monde d'hier :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/02/pillages-incendies-agressions-le-bilan-effarant-des-jours-et-des-nuits-d-emeutes-en-france_6180265_3224.html

«Ce qui me frappe, c’est le décalage entre les analyses que j’entends sur la politique et la réalité du terrain où je vois de la violence et une forme d’opportunisme quand il s’agit d’aller piller un centre commercial. On sous-estime la connerie d’une partie de ces gens », relate le médecin urgentiste, ancien de l’hôpital Avicenne à Bobigny, très critique sur les tentatives de récupération, dans des directions différentes, de l’extrême droite et de l’extrême gauche.

Le conseil que glisse le palmipède réfractaire aux révoltés réfractés, c'est d'abord de sortir de l'entre-soi de ces réseaux par lesquels se diffuse l'insurrection, "pour l'instant ça ne se passe que sur Snapshat et TikTok, sortez de là" comme un tonton bienveillant envers des petits neveux un peu turbulents, comme s'ils n'avaient qu'à tous unir leurs luttes sous le drapeau commun des gens qui refusent les drapeaux, les casquettes et les partis, pour que ça soye enfin l'aube du grand soir de la lutte finale. 


Mais les émeutiers ne sont pas ses neveux, et encore moins ses potes. Ils ne crameront jamais Youtube, donc il est tranquille, y'a cabane, mais il a beau mimer une empathie un brin condescendante, les dégradations et destructions ne favorisent pas l'éclosion de nouvelles fraternités, la société est bien trop fracturée pour ça, alors ses potes, non. Jamais. Lui est dans un discours syncrétique dans lequel on capte des relents du Monde Diplomatique et d'un proudhonisme relooké :  "le capitalisme légalise le vol (..) abattre l'Etat, abattre Macron, tous ensemble (..) j'appelle solennellement tous les groupes Gilets Jaunes de facebook à aller manifester", il s'échauffe progressivement, comme un camelot de foire ou un tribun populiste, il veut "prendre le contrôle de l'économie et de la société pour produire ce dont on a besoin et que plus personne ne soit dans la misère (..) avec l'accumulation des crises sociétales, environnementales etc il faut que les révoltes deviennent des révolutions le plus tôt possible (..) mais il ne faut pas tirer avec des kalashnikovs comme dans cette vidéo Snapshat tournée à Marseille par des jeunes qui protègent les mafieux du trafic de stups, non, les gars, ça c'est mal, d'ailleurs il faut virer ces dealers qui ont tout intérêt à ce que le calme revienne pour reprendre le bizness"
J'aimerais qu'il explique comment tu fais pour virer des mecs qui ont des kalashs si tu t'interdis d'en avoir une, mais ça sera sans doute l'objet de la prochaine vidéo. Peut-être que si on les attache sur une chaise et qu'on leur inflige une intégrale des imprécations vidéo du canard réfractaire, au bout d'un certain temps, ils abdiquent leur volonté, comme ce pauvre Alex à la fin d'Orange Mécanique .  
Y’a des côtés marrants dans ses diatribes, qui ont une certaine fraicheur, et qui se voudraient l'écho permanent de la Juste Colère légitimée par la brutalisation des rapports sociaux, mais vu comment il appelle à rejoindre l'insurrection, je te parie 10 bitcoins qu'il va finir en tôle, en tout cas si j'étais Darmanin, je ne laisserais pas un excité comme ça à l'air libre, à moins que ça soit le résultat recherché : devenir un martyr de la révolution, comme le regretté Ramon Lopez.
"Ramon Lopez, poète et martyr" in "Frissons de Bonheur", by Philippe Vuillemin (1983)
Si j'avais interrogé mon fils sur l'olibrius professeur d’explications et donneur de leçons en ligne (au lieu de mépriser secrètement le temps qu'il passe dans sa chambre à faire de la veille technologique sur Conspiracy Watch plutôt que de dépolluer son biotope, dans lequel je ne retrouve jamais les bédés que je lui ai prêtées), je me serais épargné le laborieux accouchement de cette rédaction niveau troisième, parce que quand il m'a découvert écumant d'indignation devant mon écran 27 pouces, il m'a tout de suite glissé d'un air entendu, à l'instar de son arrière grand-père, que le leader du canard était un dangereux agitateur qui ne valait pas les pages html pour le lyncher médiatiquement. 
Et quand j'ai montré 5 minutes du canard à ma femme, elle a tout de suite diagnostiqué que c'était un Bozz* en puissance. Bozz* est une connaissance à nous, syndicaliste de chez EDF affilié à la CGT-Cigarettes-Mal-Roulées, qui gâche depuis plusieurs décennies les soirées amicales où l'on a le malheur de l'inviter, en les transformant en assemblées de section et tribunes fumigènes au cours desquelles nous le laissons par lassitude donner libre cours à la même grippe aviaire insurrectionnelle que celle qui infecte ce pauvre canard. Ils présentent les mêmes troubles du caractère, et cette fâcheuse manie à se regazéifier avec son propre gaz. Ces deux-là m'évoquent aussi un certain Philippe, que je croise depuis 20 ans dans les réunions Alcooliques Anonymes, qui fait toujours des partages interminables quel que soit le nombre de personnes présentes, parce qu'il a besoin d'un échauffement blablaté de 15 minutes minimum pour pénétrer dans cet espace aérien où il peut s'envoler sur le dos du Verbe, décollage psalmodié par une transe langagière que la plupart des membres lui envient alors que ça rogne d'autant leur temps de parole, eux aussi aimeraient bien s'envoler en faisant du vent avec leur bouche.
Mon fils m'aurait aussi renseigné, si je l'avais interrogé au lieu de me lancer dans cet éditorial autistique et scabreux, lui qui en sait 10 fois plus que moi sur les influenceurs et leurs couleurs politiques, ou sur le business des émeutes, comme en parle admirablement Olivier Ertzscheid dans son nouvel article où j'en ai appris dix fois plus qu'en relisant le mien.


Sources et sourciers




l'image qui a foutu le feu à blogspot, 
la plateforme asociale des vieux qui ont un blog : 
une personne âgée tourne violemment en dérision les forces de l'ordre.

lundi 3 juillet 2023

Videodrome contre Vidéodrame_s (1)

Un maitre de conférences en sciences de l'information se penche sur les émeutes de la semaine passée auxquelles vous n'avez pas pu échapper, même si votre voiture est encore garée devant chez vous, sous le prisme de la concurrence des régimes médiatiques qui les ont relatées et accompagnées, et réfléchit sur la concurrence attentionnelle et discursive qui en a résulté. Comme souvent, quand c'est moi qui en parle on n'y comprend que Pouïc, mais quand on suit le lien, l'angle est inattendu et passionnant.

extraits :

Dans son film Vidéodrome sorti en 1983, David Cronenberg travaille l’une de ses obsessions qui est le rapport au corps que changent les technologies, notamment dans sa capacité de les métaboliser. L’information qui circule sur les plateformes sociales est presqu’autant métabolisée que médiatisée. Ces plateformes sont nos yeux nos oreilles, nos bouches et nos mots. Dans le vidéo drame qui a vu la circulation des images de la mort de Nahel, on ne voit jamais Nahel mourir mais on comprend qu’il vient d’être tué. La force de démonstration de ces images vient de ce décalage. Leur viralité également car toute autre image donnant à voir sa mort aurait déclenché d’autres processus de circulation virale où il se serait agi tout à la fois d’éviter et de contourner le blocage des plateformes. Ici il n’y a rien à bloquer, il n’y a qu’à montrer la monstruosité d’un geste, d’une mise en joue qui met en jeu une vie. 

(..)

En clôturant cet article on attire mon attention sur la déclaration d’Emmanuel Macron indiquant, je cite, chez “les jeunes” (sic), “une forme de mimétisme de la violence (…) on a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéos qui les ont intoxiqués.” Le discours sur le mimétisme et la reproduction de scènes de violence des jeux vidéos dans la “vraie vie” c’est une thèse qui ne tient pas la route et qui n’a jamais été établie scientifiquement. S’il peut y avoir parfois des corrélations il n’y a en aucun cas de causalité. Le discours que tient Macron est un discours écran et un discours refuge, qui n’a pour seul but que de le mettre à l’abri de ses propres responsabilités. Ces émeutes et ces scènes de violence auraient existé même dans un monde totalement déconnecté, même chez les Amish. Parce que ce qui se passe actuellement est un fait sociologique (et politique) et non un fait technologique (et numérique). Le président de la start-up nation est, une nouvelle fois, un vieux con comme les autres. 


Ce matin, le journal Le Monde dressait lui aussi un bien triste constat :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/02/pillages-incendies-agressions-le-bilan-effarant-des-jours-et-des-nuits-d-emeutes-en-france_6180265_3224.html

Un calme relatif semblait revenu en France dans la nuit de dimanche à lundi, mais le bilan des émeutes des jours précédents est lourd. Après cinq nuits et autant de journées de violences, les victimes directes d’incendies, de dégradations ou de vols se comptent en milliers. Un bilan qui aurait dépassé celui des émeutes de 2005, qui avaient pourtant duré trois semaines. Ces violences n’ont désormais plus grand-chose à voir avec la mort du jeune Nahel M., tué par un policier à Nanterre le 27 juin. Depuis vendredi, les émeutes ont changé de nature, avec des niveaux de violence extrême, des pillages, des attaques contre des services publics, ou contre des élus à l’image de l’assaut à la voiture-bélier sur le domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses. Emmanuel Macron a annoncé qu’il recevrait, mardi, les maires des « plus de 220 communes victimes d’exactions ». Devant des émeutiers sans revendications précises, l’exécutif est apparu désemparé. Si l’accent est d’abord mis sur le nécessaire retour à l’ordre, le chef de l’Etat pourrait tenter de renouer avec la jeunesse.

J'ai bien fait de ne pas aller au bureau en bus, et de lui préférer mes 25 km de vélo quotidiens.
Même si mon exemplarité écologique n'a pas dissuadé les émeutiers de cramer le bureau aussi.

il faut aussi que je me penche sur cette vidéo du canard réfractaire, un média alternatif des Cotes d'Armor, pour tenter moi aussi de renouer avec la jeunesse. Du peu que j'en ai vu, il rejoint les analyses d'Olivier Ertzscheid, le maitre de conférences en sciences de l'information suscité. Mais il sent un peu aussi le gilet jaune et l'appel à l'insurrection.
https://www.facebook.com/leCanardRefractaire/videos/807107417640974/
Les vidéos sur internet, à part les miennes, j'avoue que j'ai du mal, mais je vais me forcer. Nous vivons des temps où nous serons de plus en plus souvent violemment arrachés à nos zones de confort, autant apprendre à en sortir nous-mêmes.