samedi 27 février 2021

Entre ici, Maître Mô, avec ton terrible cortège

La suffocante promiscuité des blogs
fait que je peux bien coller sa bonne tronche
sur le mien, c'est pas ça qui nous le rendra.
Y'a pas que Maître Zhu, dans la vie.
Y'a aussi Maître Mô.
Enfin, y'avait. Yahweh, mais y'a plus.
Ils sont tous les deux disparus.
Sur le site de Maître Zhu, je lis ceci : "Le vrai sourire est une marque d'amour. Il transmet une énergie réconfortante doté d'un pouvoir bienfaisant, car il émet de puissantes ondes d'énergie curative." Ca fait peut-être un peu cucul la praline, mais le sourire reste chez les humains LA vraie marque d'humanité, quand tout le reste se débine. Le sourire, ce truc qui n'a pas pu être inventé à la Préhistoire car les rapports sociaux entre tribus étaient encore trop tendus, du fait de la pénurie alimentaire rampante, si l'on en croit l'intégrale de Rahan, qui combattait aussi l’ignorance et les superstitions de ses frères et soeurs en quête de leur humanité dimanche, mais aussi les autres jours de la semaine qui n’avaient même pas encore été inventés.
Et sur le compte Twitter de Maître Mô, avocat pénaliste récemment décédé, on peut lire en date du 5 mars 2019. : « Si un jour je meurs, ce qui m’étonnerait sincèrement, ne dites pas mes supposées qualités ou ne rappelez pas ce que j’ai fait ou dit ; dites que je vous manque, que vous aimeriez m’aimer encore ou rire avec moi, ou bien ne dites rien du tout. Enfin, sans vous commander ». Pour un média social réputé répandre l'anathème, l'invective et propager l'émeute raciale en veux-tu en voilà, cette invitation au sourire émane d'un esprit singulier.
C'est un peu crapoteux, d'apprendre ainsi la mort d'un Juste après un cancer, alors qu'on ne se sent soi-même pas très bien, et qu'on est loin d'en être un. Juste. Ca semble injuste, bien que quand c'est l'heure, il soit difficile de se dérober. La chronique du Monde par laquelle j'ai appris sa disparition est élégante et sobre comme je ne le serai jamais, moi je ne suis qu'abstinent, ce méchant mot qui semble ne vouloir désigner qu'une envie de pisser qu'on traiterait par le mépris, jusqu'à ce que notre vessie explose. Le mépris n'est jamais une bonne médecine, ni en interne, ni en externe.
Cette tribune dans le Monde, dont vous ne verrez que les préliminaires si vous n'êtes pas abonné, m'ont mené vers son blog, dont l'article le plus renommé est apparemment celui-ci :
Franchement, si vous ne devez lire qu'un seul récit de procès d'assises, lisez celui-ci.
Ou bien ne lisez rien du tout. Enfin, sans vous commander.
Il y emboîte des phrases aussi longues que les miennes, je sais, ce n'est pas très sexy au premier abord, mais franchement, il nous fait partager son expérience de manière inouïe, en termes qualitatifs ça m'évoque le « D’autres vies que la mienne » d'Emmanuel Carrère, du temps de sa clarté et lucidité. 
C'est magnifique.
En même temps, c'est à pleurer.

Ce n'est qu'en rentrant chez moi et en lisant les commentaires de l'article du blog de Maitre Moyart que j'ai compris que son récit était déjà paru dans le hors-série des 10 ans du magazine trimestriel XXI
que ma femme m'avait élégamment offert à un Noël d'avant-guerre, et que j'aurais donc pu le lire tranquille dans mon lit au lieu de me crever les yeux sur un ordinateur au travail.

Pièce à conviction n° 3
Je serais curieux de voir le dessin que tirerait Xavier Gorce de l'histoire du "Guet-Apens", un grand moment de Réalité Réelle Ratée, comme beaucoup de procès d'assises, mais les réseaux sociaux ont tué Xavier Gorce, presque aussi sûrement que l'addiction à la nicotine fut le guet-apens où Maître Mô laissa sa peau. D'ailleurs, si Maître Mô a bien été tué par le cancer du tabac, comme on peut le suspecter légitimement vu qu'il a la clope au bec au fronton de son blog et qu'elle fume toujours quand il débarque sur le mien, je me dis que s'il avait accepté d'assurer la défense de son meurtrier présumé jusqu'en cour d'assises, en la personne de cette innocente cigarette qui fait tant de morts dans un assourdissant silence, dit-il après avoir fumé plus de 30 ans, il aurait très certainement obtenu l'acquittement de son client, au bénéfice du doute, bien sûr. Mais c'est difficile, de plaider, quand on est mort.

dimanche 14 février 2021

Entre ici, Navalny, avec ton terrible cortège

L’homme ne cesse de chercher une vérité qui corresponde à sa réalité.
Étant donné notre réalité, la vérité ne peut y correspondre.

Werner Erhard
cité par Frank M. Robinson dans « Destination Ténèbres »

La colonisation de Mars :
la version préférée de Poutine

« En juillet 2020, les Émirats Arabes Unis, la Chine et les États-Unis ont envoyé une sonde spatiale sur Mars. C’était le moment où nos orbites respectives étaient les plus favorables pour raccourcir la promenade. Il y a très peu de stations de gonflage ouvertes sur le trajet. Après sept mois de voyage et 470 millions de kilomètres avalés tranquillement en écoutant RFM avec un doigt sur le volant et l'autre sur le régulateur de vitesse, elles arrivent enfin tour à tour à destination.
Sur ce sujet, les Émirats, la Chine et les États-Unis affichent les mêmes ambitions : comprendre l’atmosphère martienne, son climat, sa géologie, son passé… et apposer une empreinte durable sur la planète rouge. Car au-delà des questions scientifiques, ce sont des enjeux économiques et géopolitiques qui se jouent dans l’espace.
Mars, une nouvelle colonie ? On en débat avec nos invités. »
C’était à peu près le lancement chanté par Elisabeth Quint du magazine 28 minutes sur Arte jeudi soir dernier, et disponible jusqu’au 11/02/2022. 


Hein ? 
Quoua ? 
jusqu'en 2022 ? 
ha ben, ça, c’est vraiment de la science-fiction, car je ne sais même pas ce qu’on va faire à manger ce soir. Il faut que je le revoie, ce débat, je mâchais trop fort ma purée, j'ai pas tout compris. 


Ce que je note c'est l’image étonnante de ces émirs arabes unis, coiffés de leurs chapeaux de cheikhs, en train de se congratuler du succès du lancement de leur sonde au milieu des ordinateurs quantiques, offrant un spectacle un peu anachronique pour mon islamophobie rampante qui n’attendait que ça pour ricaner, et je ne dois pas être le seul parce qu'il n'y a guère qu'Amazon pour avoir le courage de m'aider à nommer ce Chapeau arabe traditionnel pour homme composé d'un foulard carré (Ghutra), également connu sous le nom de Yashmagh, Kufiya et bague de tête (Igal). 

c’est Jean-Pierre Filiu, le célèbre chercheur islamo-gauchiste, 

qui s’est prêté de bonne grâce à la fantaisie du déguisement.

Arrête, Jean-Pierre, tu fais le jeu du Hamas.


Jeff Bezos sert peut-être la soupe aux Pays du Golfe, en bon commerçant transfrontalier, mais au moins, grâce à son érudition, la science du couvre-chef avance, et nous connaissons mieux nos voisins et partenaires, fournisseurs officiel du combustible fossile de nos véhicules et nouveaux conquistadors de l'Eldorado spatial. 
Ces gens qui ont inventé l'arithmétique quand nous pataugions dans la boue du Haut Moyen-Age, cette arithmétique que nous leur avons "empruntée" et jamais rendue, et qui nous permet aujourd'hui de nous envoler vers les étoiles, ces gens qui refusent de se laisser imposer la démocratie, la laïcité et le droit au Blasphème, qui sont pourtant parmi nos joyaux civilisationnels les plus enviables.
Je note aussi les deux grands absents de cette ruée vers Mars : l’Europe et les Russes. 
L’Europe, en panne de projet politique, en panne de gouvernail, en panne tout court, navire de commerce à géométrie variable mais afflligée de 27 capitaines irréconciliables, je comprends. C'est compliqué. 
Avec l'Europe, tout est compliqué.
Voici les 17 principaux programmes spatiaux sur lesquels 
l'Europe va travailler dans les cinq années à venir.
Nous lui souhaitons bon courage, et de bien s'organiser, aussi.



Le premier Spoutnik : une dégaine

à répandre la Covid-19 sur l'Occident Chrétien

par le biais des antennes 5G.

Mais les Russes ? 
du temps du premier Spoutnik, question conquête spatiale, c’était eux les rois du pétrole. C'est en observant leur progrès ahurissants que Kennedy a ordonné à la NASA d'aller sur la Lune avant 1970, pour ne pas se faire griller la politesse par Brejnev.
Ils ne sont plus dans la course, les Russes ? 
Ils ne veulent pas aller sur Mars ?
Vladimir montre ses muscles face à l'Europe, face à Navalny aussi, parce qu'il n'a plus grand-chose d'autre à montrer : le PIB de la Russie est aujourd'hui plus modeste que celui de l'Italie, juste derrière la Corée. C'est lors d'un débat de cette rudement chouette émission de 28 minutes sur Arte que je l'ai appris. Ainsi que l'info, plus troublante, et reprise nulle part ailleurs, sur la véritable nature de Navalny, opposant antisémite et nationaliste qui brigue le pouvoir pour le pouvoir, et non pas pour pouvoir pouvoir, comme le suggérait Patrick Font. C'est une journaliste de l'Humanité invitée sur le plateau qui balançait, peu suspecte de partialité (c'est ainsi que j'ai appris que l'Humanité, le journal, existait encore.)
Les Russes se sont peut-être recentrés vers des objectifs plus réalistes et moins laborieux que la terraformation et la colonisation de la planète Mars, que des auteurs de science-fiction très sérieux comme Kim Stanley Robinson ou moins avenants mais plus télévisés comme James S. A. Corey ont résolu depuis belle lurette. 

Putin absorbing life force of an innocent child
(source: Russia Today, 2015)
Peut-être aussi qu'ils économisaient leurs roubles pour investir dans des secteurs plus rentables de la recherche : ils ont surpris tout le monde en proposant récemment à l'export leur vaccin anti-Covid Spoutnik V, « facile à manipuler, peu coûteux, et fiable comme une kalachnikov » : le vaccin russe affiche apparemment des performances insolentes contre le Covid-19. 
Mais nous hésitons encore à passer commande. On aimerait constater les résultats sur la santé publique d'un pays tiers, de préférence peu influent sur l'échiquier géopolitique. 
Si c'est pas des craques, c'est assez finement joué, de la part d'un autocrate au pouvoir depuis 1999 dont le seul argument lors des négociations avec l'Europe repose sur un chantage au pipeline Nord Stream 2, qui doit prochainement nous ravitailler en gaz via la mer Baltique, si on est sages et qu'on la ramène pas trop avec Navalny. Je me suis laissé dire par le bonimenteur du télémarketing que Spoutnik V s’appuyait sur la technique du « vecteur viral » qui, consiste à injecter une instruction génétique dans nos cellules et à les laisser produire l’antigène qui va lancer la réponse immunitaire. Sauf qu’il s’agit ici non pas d’ARN mais d’ADN, inséré dans le génome d’un adénovirus. C’est ce virus rendu inoffensif qui va porter le bout de ruban génétique jusqu’au noyau des cellules… et se désintégrer. Le fragment d’ADN de SARS-CoV-2 est alors pris en charge par la machinerie cellulaire pour produire l’antigène, en l’espèce, la fameuse protéine Spike. (...) C’est assez malin, commente Jean-Daniel Lelièvre, chef du service immunologie clinique et maladies infectieuses à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Cela permet d’éviter que des anticorps spécifiques contre le vecteur apparus après la première injection ne risquent de ruiner l’effet de la seconde. » Nous voici pleinement rassurés, et prêts à nous shooter au Sputnik-V dès que la Haute autorité de santé aura donné son feu vert, vers 2040 si tout se passe bien.

Dans l'espace, personne ne vous entend copier un film impérialiste.
Mais ce n'est pas tout : dans le même temps, les Russes sortent aussi "Sputnik - Espèce Inconnue", un film de science-fiction dont le pitch évoque comme par hasard et très puissamment celui d'Alien. 
Alien qui était pour tout dire (dans son incarnation pandémique de 1979) une espèce assez invasive et sans-gène vis-à-vis de l'espèce humaine, Alien qui n'hésitait pas à s'introduire nuitamment dans un pékin lambda puis, une fois installé dans son organisme hôte comme un rat dans le fromage, en profitait pour lui mettre un sacré bazar dans l'ADN, l'ARN messager et toutes ses boites postales, sans parler de ses organes digestifs, qu'il était loin de laisser dans l'état où il les avait trouvés en entrant.
En résumé, une forme de vie assez éloignée de la notre, basée sur la défense de la laïcité, les bons repas entre amis et la lecture attentive de la rubrique Netflix de Télérama.

Je me tâte pour regarder "Sputnik - Espèce Inconnue", le film. 
Je ne voudrais pas me faire contaminer visuellement et à l'insu de mon plein gré par une forme mutante du variant moscovite, qui me contraigne ensuite à me faire injecter en urgence "Sputnik V- Espèce Inconnue", le vaccin. On a vu pire scénario se réaliser dans le Videodrome de David Cronenberg, dont les Russes ont aussi pu s'inspirer, si une copie pirate en a été glissée sous le rideau de fer. Il est aussi arrivé des choses pas très nettes aux jeunes qui ont regardé TF1 sans visière de protection à la grande époque où je travaillais au Club Dorothée. 
Parmi les effets secondaires indésirables de Sputnik V- le vaccin relevés par The Lancet, les cobayes font observer qu'à la première injection, on est parfois pris de l'irrépressible envie de réhabiliter Joseph Staline, à la seconde on rêve de grignoter une merguez avec Georges Marchais à la fête de l'Huma. 
A ce stade, la paranoïa c'est juste la réalité pesée sur une balance plus fine, comme le dit un personnage un peu interlope dans le Strange Days de Kathryn Bigelow, sans doute le prochain blockbuster à être adapté par les Russes. A moins que les Coréens ne s'en emparent les premiers.
En tout cas, il est bien loin, le temps des blagues de Francis Masse sur les Soviets.
Comme les Chinois et les Emirats Arabes Unis, les Russes jouent à nouveau dans la cour des grands.

"Photocopillage" de Francis Masse, in Hebdogiciel n°153, 1986.
Repris dans "La nouvelle encyclopédie de Masse, tome 2, 2016.
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