vendredi 17 décembre 2021

Le petit Noël de Mélanie Mélanome (6)

« Qui tapote, vivote. »

Albert Dupontel, Adieu les cons 


Résumé 
:
Pour le petit Noël des blogueurs nécessiteux, les épisodes précédents des aventures de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome, la mystérieuse Oncle Olog masquée qui était en fait sa tante, comme aurait dit le regretté Dédé (de chez Dédé et Mireille, qui raffolait du gender fluid longtemps avant que ça existe) ont été rassemblés là, sous le sapin, emballés à la hâte dans du papier cadeau recyclé par les orphelins apprentis d'Auteuil, et n'attendant que votre relecture bienveillante ou consternée, car je viens de créer le #hashtag qui permet de les afficher tous, et dans les ténèbres les lier, au pays de Mozinor où s'étreignent les sombres.

Collectionne les épisodes déjà parus dans le commerce
de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome,

au bout de 12 épisodes tamponnés sur ton appli carte de fidélité,
tu gagnes une pizza mélanome/pembrolizumab® gratoche !

Pour le reste, je ne prends plus de commandes, et n'assure plus le SAV, que je sous-traite désormais avec de fiefféz filous en télémarketing recrutés en Corée du Sud. De toutes façons, comme l'économie mondialisée fonctionnait à flux tendu avant la pandémie, à l'approche des "fêtes de faim damnée" (sic) tout le monde est déjà en rupture de stock de tout. J'aurais dû commander au Père Noël un bon gros voeu de silence, et m'y tenir, le temps que mon inflammation pumonaire et langagière s'estompent. 

Allah vérité, je pensais bien cesser d'alimenter ce blog à l'article précédant le précédent, celui qui mettait en scène mon voisin pyromane, ayant ainsi quasiment bouclé la boucle en y dénouant le noeud noué précédemment lors de mes débuts enthousiastes dans le débloggage de fond, sans que ça ait changé grand-chose au problème, 15 ans plus tard on prend les mêmes et on reconfine; mais pour l'instant, comme je me suis mis à blablater ici sur mon cancer réel en plus du virtuel, et bien que Mélanie Mélanome m'ait déclaré en rémission complète, je ne puis quitter l’identité de malade aussi aisément que je me suis laissé glisser dedans; et puis c'est pas vraiment fini, c’est même un peu comme la blague de la copine de la mère de Sam Lowry dans Brazil : « ma petite complication a eu une petite complication… »  et du coup j'ai encore attrapé une petite crise de graphomanie bien de chez nous, chez moi c'est de saison, la faim damnée c'est vraiment mon truc en plumes. 


Le premier scanner thoracique ne révéla rien d'anormal,
et dissipa toutes nos inquiétudes, à Mélanie et moi.
Certes, Mélanie m’a récemment déclaré officiellement guéri du cancer de la peau à l’origine de ce feuilleton virtuel, elle a même précisé que depuis le début j’avais suivi un traitement « adjuvant », c’est à dire administré en plus du traitement de première intention (ablation par chirurgie) pour aider à réduire le risque de récidive de la maladie (mais je ne suis pas inapte à attraper autre chose entre-temps, comme tout le monde, quand la rémission du cancer aura cessé de me rendre immortel) comme si elle cherchait à minimiser après-coup la gravité de mon affection longue durée trente-trois tours haute fidélité. 
A notre premier rendez-vous, elle avait pourtant évoqué le risque d'en mourir, je l'avais prise au sérieux, 18 mois plus tard, ma guérison me fait me demander si c'était pas plutôt un cancer de pédé, hormis le fait que c'est des expressions de boomer qu'on ne peut plus guère employer, comme "sale pédé", et pourtant, les sales pédés n’ont pas disparu, bien au contraire, le bannissement du mot n'a eu aucun effet sur le fait.
En tout cas, bonjour mon adjuvant : pendant un an, les effets cumulatifs des perfusions d'anticorps anti-PD1, je n'invente rien, m'ont fait vivre un affaiblissement progressif et généralisé, comme une baisse de tension électrique sur tout le réseau, jusqu'au stade où j'avais l'impression de porter une enclume sur le dos en permanence, en fait les trois derniers mois je faisais sans y croire une infection pulmonaire carabinée, qui me vit passer un été difficile, car je venais d'obtenir un CDI à mi-temps par la grâce des Prud'hommes, mais je ne respirais plus beaucoup, et je me rendais au travail en haletant comme une petite vieille qui fume 3 paquets par jour; rien que le fait de rester en vie m'épuisait, sans compter que je devais masquer mon état à mon employeur car j'avais continué à travailler en CDD avant d'obtenir cet emploi en CDI par le biais d'un recours aux Prud'hommes, et un CDD cancéreux c'est quand même moins sexy sur un marché assez concurrentiel qu'un CDD sain, et après, c'est pas une fois que j'ai été intégré dans la boite que j'allais faire mon coming out métastatique, ou alors ça aurait été encore plus compliqué à gérer que raconté comme ça.
Et l'immunothérapie dût être interrompue avant son terme échu, après avoir été identifiée comme fauteur de ces troubles pulmonaires. 
Mélanie et ses copines oncologues
aiment bien faire des blagues aux patients
dans les couloirs de l'hôpital.
illustration : caligrama.tumblr.com
Mélanie me dit alors que si mon traitement s'attaquait avec autant d'enthousiasme à mes poumons, comme les scanners thoraciques en témoignaient, c’était bon signe : après s’être goinfré de cellules cancéreuses, mon système immunitaire boosté à mort par le pembrolizumab® n’avait plus rien à se mettre sous la dent, il se faisait un peu suer, et s’attaquait alors à un organe sain, malgré l’arrêt du traitement. Ca s’appelle les effets secondaires indésirables. En aoûtre, Mélanie m'orienta en urgence vers un pneumologue, qui après m'avoir fait passer quelques tests me trouva au bord de l'extinction, et me bourra de corticoïdes (80 mg de prednisone la première semaine, puis diminution progressive jusqu'à l'arrêt total au bout d’un mois)
Tout cela a déjà culminé dans le cliffhanger de la saison 1 de mon feuilleton de longue durée produit à 100% par la Sécu :

Grâce à ces foutus anti-inflammatoires, j'observe un soulagement immédiat, et même le retour en force de la joie de vivre, qui n’a pourtant jamais été vraiment mon truc. Je l'ignore encore, mais les corticoïdes vont progressivement me faire grimper aux rideaux, un peu comme l'avaient fait les antidépresseurs à base d'inhibiteurs de recapture de la sérotonine en leur temps. Comme quoi les médocs, des fois ça dépanne, et des fois c'est vraiment de la merde.

Le problème, c'est que les corticos m'excitent, et dès que j'essaye de suivre le proverbe en usage chez les toxicos "en septembre, cesse d'en prendre" qui accompagne l'arrêt de mon traitement, l'infection pulmonaire ressurgit et ma respiration s'affaiblit à nouveau. Je m'en aperçois en tentant de rallier Saint-Fiacre à vélo mi-Septembre, puisque depuis que la fatigue induite par les séances d'immuno à l'hosto m'a été ôtée, je rends grâces de ma guérison en faisant une à deux heures d'activité physique par jour, souvent au jardin, où je communie avec les tubercules, les feuilles mortes à ramasser, les gallinacés à nourrir, la clotûre du ranch à réparer, le compost à brasser, tout ce que je peux trouver à améliorer et à bricoler en extérieur et qui m'éloigne de la femme à tête carrée (l'écran d'ordinateur), parce que je me sens vivant, je sais pas si ça va durer, mais je suis bien décidé à en profiter un maximum, et j'éprouve moins d'appétence pour le virtuel, et bien plus pour le réel. 

Oui, Bernard, je suis vivant.
45 ans après que tu me l'aies posée,
je peux enfin répondre à ta question.
Par contre, par ces frimas, et avec mon mélanome, 
j'évite de sortir torse nu, pour atteindre la double durée.
Mais tu fais ce que tu veux, après tout,
le plus Lavilliers de nous deux,
c'est quand même toi. 

N'empêche que la côte de Saint-Fiacre, j'arrive pas à la grimper à vélo, je suis obligé de mettre pied à terre, à l'aller comme au retour, ça ne m'est jamais arrivé, les jambes ça va, ça pédale, mais je respire comme une chaudière pas révisée, flûtalors. Et moi qui me croyais guéri. Quel nigaud je fais. 

Je me retourne alors vers mes praticiens favoris, qui me re-prescrivent des corticos pour deux semaines, jusqu'à mon prochain rendez-vous avec Mélanie la Mystérieuse, dont je n'ai jamais vu le bas du visage puisque notre relation a commencé pendant la pandémie et qu'on portait déjà tous le voile, ce qui ne nous empêche pas d'avoir des relations intimes, donc peut-être qu'il y a quelque chose de sensé dans cette prescription islamique de masquer le visage des femmes pour éviter aux hommes d'être perturbés par leur désir pour elles, et quand je revois le haut de son visage Mélanie me prescrit une nouvelle cure de plusieurs mois de prednisone, 35 mg /jour puis légère dégressivité sur 3 mois, jusqu'à notre prochain rendez-vous masqué, et alors on verra bien au scanner où c'est qu'on en est, et si mon système immunitaire me regardera encore de travers et prendra mes poumons pour un cancer à soigner, vu que son code source a été tellement bidouillé par mon traitement anti-cancer que ça lui engendre ce biais cognitif et moi une inflammation chronique des bronches, Mélanie me prévient qu'il y en a sans doute pour quelques mois avant que ça se tasse. Sur le moment, ça me fait rien. Je ne puis évaluer la gravité, même ressentie, de ce qui m'est arrivé, je n’ai pas d’autre terme de comparaison. C’est quand même moins violent que les 17 mètres de chute dans un ravin en Mercedes quand j’avais 20 ans. Et l’été que j’avais ensuite passé à l’hosto. 

Le cancer, je ne l’ai pas senti passer. L’ablation du mélanome d'origine, qu’on m’a faite dans le gras du bas du dos, même si on m'a ôté un bon bifteck, y’avait de la marge pour que ça se voie. Le traitement, par contre, c’est fatiguant, oui. Epuisant, même. Et la suite du programme, la pneumopathie, cette extinction à petit feu, insidieuse et flippante à postériori, et l’obligation de m’allonger 3 heures par jour vers la fin tellement j’avais la pêche, franchement, par rapport aux gens que j'ai vus au centre de cancérologie, j'ai quand même pas à me plaindre.

Mélanie m'a proposé de faire monter
mon mélanome sur un petit socle décoratif,
pour en faire un bibelot pour cheminée.
Je suis très partagé.
illustration : caligrama.tumblr.com
Et pourtant, si vous interviewez des proches, genre ceux qui vivent sous mon toit, ils vont vous dire que j’ai fait que couiner, tout le temps. Ils ne me méritent pas. De toute façon, je suis rompu aux astuces qui consistent à faire le malin avec ses déficiences (si j’avais eu l’idée de me mettre de la crème solaire, je n’en serais peut-être pas là; mais penses-tu, j’étais immortel, le soleil était mon dieu secret que je pouvais adorer torse nu dans mon jardin jusqu’à ressembler à une merguez trop cuite en deux après-midi d’avril, et le cancer c’était bon pour les autres)

Aucun regret, c’est fait c’est fait. J'ai été guéri du cancer, j'ai chopé autre chose à la place du fait du traitement, ce qu'on gagne d'un coté on le perd de l'autre, je me dis que c'est comme ça avec les nouvelles thérapies, qui sont encore toutes jeunes et qui ont peu d'expérience. Les malades essuient les plâtres et permettent à la science médicale d'avancer, comme les béta-testeurs qui débuggent les applications nouvellement mises sur le marché.

Ce qui m'importait, en cette fin d'été où je donnais des signes d'extinction (sans rébellion) comme une bougie en manque d'oxygène, c'était que l’oncologue finisse par admettre que son remède était devenu poison, et négocier l'arrêt définitif du traitement, puisque j'avais été prévenu par un ami lointain des risques inhérents et des effets secondaires possibles de l'immunothérapie, et donc je comprenais tout à fait ce qui m'arrivait, je savais que parfois le produit s'attaquait au coeur plutôt qu'aux poumons ou aux reins, et alors là j'aurais pas eu le temps de venir m'en vanter ici et de jouer les Survivors de blog, l'issue était fatale et sans sommations. Couic.


Pompidou, sur la fin on lui a mis une housse, 
parce qu'il était pas beau à voir.
illustration : caligrama.tumblr.com
Depuis le début de l'infection, je peux pas m'empêcher de ricaner comme un débile maniaco-dépressif de ma prescription du fameux prednisone qui a occasionné une septicémie à Pompidou sur la fin. "J’ai hâte." prétends-je dans d'absurdes et interminables correspondances privées. "Dans cette attente pour l’instant déçue, j’ai failli mourir mais l’infection décroît, alors j’éprouve le sentiment imbécile de revivre, et on dirait pas comme ça mais ça m’a rendu plus humble. Si, si. L’emmerdant c’est que j’avais perdu 8 kilos comme qui rigole, alors que là j’ai à nouveau la dalle." Heureusement que mes correspondants me connaissent et ne s’inquiètent pas pour autant de mon état mental. Je savoure énormément ma convalescence, depuis l’invention des corticoïdes. Tout comme je m'étais mis à savourer la liberté de pouvoir à nouveau choisir mes pensées lors de l'invention du lithium, cinq ans après l'invention de mes tendances bipolaires par un psychiatre conventionné, mais il est bien quand même. Je ne vais donc pas la ramener plus longtemps avec mon année de traitement contre le cancer, où j’ai eu beau temps, pas de mauvaises surprises aux scanners, pas de quoi couiner : malgré ces complications pulmonaires, je vis quand même bien mieux que pendant l’année où j’avais une enclume sur le dos. Par contre, faut reconnaitre que je ne dors plus beaucoup depuis début novembre, je recommence à tomber du lit vers 5 heures.

un livre à lire pour passer
les fêtes dans la bonne humeur
Alors que les virus congelés depuis des millions d’années dans le permafrost vont bientôt être libérés de leur confinement glaciaire, et sortir dans les boites de nuit de Sibérie sans pass sanitaire, avant de se grimper dessus sauvagement dans les toilettes pour hommes et y engendrer de nouveaux variants comme je l’ai lu dans « la fabrique des pandémies », un essai magistral sur l’érosion de la biodiversité comme cause déterminante de l’invasion des zoonoses, parce que évidemment, quand on est occupé à avoir toujours raison sur son blog, on n’a pas le temps de se documenter sur l’état du monde, jusqu’au jour où il faut un QR Code pour manger un kebab en terrasse, mais à part ça, je voulais vous dire que je vais mieux. Tant que je vais pas dans une boite de nuit en Sibérie, où l’happy hour dure plusieurs mois, et où du coup, fatalement, après avoir éclusé quelques gorgeons de limonade aromatisée à l'herbe de mammouth décongelé, j'éprouverais le besoin de me soulager, je rejoindrais les toilettes pour hommes, et là, crac, un nouveau virus totalement hilare devant ma triple et obsolète vaccination. Merci bien.
Enfin, je n'en suis pas là : pour l'instant, je subis de plein fouet les effets secondaires du traitement que je prends pour me remettre du traitement anti-cancer que j'ai pris pendant 9 mois. Je dors 3 heures par nuit. C'est à dire que ma fichue traditionnelle et folklorique insomnie de faim d'amnée, qui trouve toujours un prétexte pour me faire péter les plombs dans mes addictions favorites entre novembre et décembre, avec prolongations en janvier si affinités, est de retour. 
Faut dire que j'ai pris ma première semaines de congés payés par la boite depuis mon embauche début juin, qu'on est partis à Paris voir quelques expos et on est même allés au cinéma et au restaurant, ça nous a un peu trop irrigué le cerveau, parce que ça faisait presque deux ans qu'on était fossilisés dans notre cambrousse entre confinements, chômage de masse et consultations d'oncologie, que des copains sont venus faire de la vidéo artistique à la maison et qu'il a fallu se montrer créatif, un certain nombre de facteurs qu'on est bien obligé de voir comme causes contributives à un frémissement d'excitation, surtout après un 18 mois sans rapports sociaux sauf avec le chat, le facteur et le voisin d'en face qui a Alzheimer, même moi ça commençait à me manquer. 

Etre créatif : un challenge toujours renouvelé

Avant de partir à Paris, j’ai sécurisé plusieurs téraoctets de données perso (travaux vidéos, bases de données, fruits de mes rapines multimedia sur le net) sur un disque dur externe, que j’ai caché dans une pile de linge à l’étage, histoire de récupérer une sauvegarde des fois que des cambrioleurs viendraient embarquer mon Imac 27 pendant notre absence, mais au retour, pas le moindre disque dur dans mon armoire à fringues. Du coup, dans un accès de franche démence, je trie tout mon placard à vêtements, des kilos de pantalons dans lesquels je ne rentre plus, parce que les corticoïdes en plus de faire perdre le sommeil ça fait pas maigrir, des flopées de pulls défraichis, de polos usés, que j’emballe soigneusement et dépose à la recyclerie, ce dont ma femme avait renoncé à me croire capable depuis une bonne décennie. 
En plus ça la fait bien rire, que j’aie planqué un disque dur pour parer au vol de données, et que je ne le retrouve plus. Mon état des stocks vestimentaires me contraint à aller acheter quelques pantalons, j’ai vraiment plus rien à me mettre. Allez, c’est le black Friday chez Darty, j’en profite pour racheter un disque dur de 5 To, c’est la fête, de toute façon je dépense jamais rien, faut dire aussi que mes revenus ont fondu avec mon mi-temps, j’ai un demi-salaire. Mais j’apprécie ce mi-temps. Je l’ai dit, je me sens à nouveau en vie, après plus d’un an dans les limbes. 

quand mon agenda ressemble à ça,
c'est pas très bon signe.
Appelle le docteur !
Le lendemain, je passe faire ma visite trimestrielle au psychiatre, pour qu’il me renouvelle mon ordonnance de lithium. Je lui confie mes soucis d’insomnie et mon agitation hypomaniaque, car me voilà bien installé dans un rythme cassé, debout vers 3 heures, toutes les nuits, écriture, bidouille informatique, je me recouche une heure ou deux, après je suis bien nazebroque toute la journée, et le soir à 22 heures je suis cuit. Il me propose un anxiolytique, je suis pas fan, ça me rappelle des mauvais souvenirs de dépressions passées, il me convainc d’acheter un peu de Xanax, si j’en éprouve le besoin je peux toujours essayer de me détendre avec ça. Un anxiolytique ? Pourtant, si y’a un truc que je suis pas en ce moment, c’est anxieux. La posture du Prince de l’Inquiétude m’a bien quitté ces dernières années. J'ai pas du tout envie de prendre un médoc pour me soigner du traitement que je prends contre les effets secondaires de mon traitement. 
Dans la foulée de la consultation, je rejoins la Fnac, en quête de cadeaux de Noël. Un chantier d'allégresse et de générosité devenu calvaire et corvée de merde. En entrant dans le magasin, je bippe en passant le portique, une grande black bien costaude en uniforme de vigile du magasin me demande si j’ai pas quelque chose de neuf sur moi, qui aurait pu déclencher le biniou, franchement avec 3 heures de sommeil par nuit je ne vois pas ce que j'ai de neuf, je me sens plus qu'usé, et puis soudain, la lumière, « mais si, bien sûr, c’est mon nouveau pantalon, j’ai pas enlevé l’étiquette antivol » elle me dit très sérieusement «  bon ben on va voir ça, vous allez l’enlever et me montrer ça », je regarde alentour, cherchant un recoin dans lequel je pourrais baisser mon fute pour trouver cette putain d’étiquette à la con et lui prouver que c'est ça qui fait tût, en plus je l’ai vue hier, cette étiquette, pourquoi je l’ai pas coupée aux ciseaux, et l’entrée de la Fnac recèle peu d’endroits discrets pour un tel déshabillage, et puis surtout au bout de quelques secondes je comprends qu’elle se fout très sérieusement de moi, qu’il n’a jamais été question que je baisse ma culotte devant tout le monde dans l'entrée du magasin (je suis tellement naze de manque de sommeil que plus rien ne me surprend à priori) et elle me dit « c’est bon vous pouvez y aller » avec un demi-sourire de sphynx femelle, putain j’ai réussi à faire sourire une black, le rêve de toute une vie qui se réalise, sans parler d’avoir failli baisser mon froc, et me voilà parti à l’étage à chercher une intégrale de Souchon en 16 CD pour un être cher, évidemment ils l’ont pas, et puis attends dis donc c’est dingue, dans les rayons il y a beaucoup plus de vinyles que de CD, qu’est-ce que c’est que cette frime de marketing vintage analogique ? 

Malgré les 2 Téraoctets de films archivés mais toujours pas visionnés sur mon disque externe mis à l’abri de moi-même quelque part dans la maison, je ne puis m’empêcher de mater au passage le rayon DVD, qui réduit comme peau de chagrin d’année en année, mais je vois un coffret Mizoguchi, que je shoote avec mon smartphone pour pouvoir le télécharger ensuite, et ne jamais le regarder non plus, c’est ça le fin fond de l’abjection dûe à l’aliénation numérique pour moi, faudrait vraiment que j’écrive ce précis de psychopathologie du téléchargement illégal que j’avais en projet au lieu de raconter ma vie, ce qui n’a de sens que si je lui en donne, et c'est du boulot, alors je fuis Mizoguchi pour me réfugier dans les allées de la librairie, mais là je tombe sur quelques nouveautés de SF que je flashe au smartphone tout aussi derechef, et dégotte finalement le Köln Concert de Keith Jarrett pour 7 €, et puis je passe en caisse, ces caisses modernes que tu ne peux atteindre sans avoir zigzagué dans des allées délimitées par des plots mobiles reliés par des bandes de tissu, prétexte à te faire passer devant des présentoirs dans lesquels ils ont encore entassé des produits culturels avec l’énergie de petits commerçants acculés à la promotion par amazon, à rendre malade le geek le plus en manque de culture, je commence un petit laïus sur le fait que non, je n’ai pas de carte Fnac mais que par contre je venais quand acheter à la Fnac relevait d’un acte politique, je me retiens de citer le parcours d’André Essel, fondateur de l’établissement, un ancien maoïste, du calme John, paye et bouge, en passant le portique ça refait tûût avec mon fute, alors la grosse black qui n’est pas grosse mais juste vachement costaud et devant qui pour tout dire je n’en mène pas large se dirige à nouveau vers moi, « bon alors là, on va l’enlever, hein, ce pantalon » je me tiens coi, j’ignore si elle blague ou pas « et puis comme ça je me nourrirai par les yeux » alors là c’est tellement gros que j’ai les fils qui se touchent, je réfléchis à ce que je ne peux pas lui dire plutôt qu’à ce que je pourrais lui répondre dans le même style, à savoir qu’elle serait déçue, que je ne suis pas très en forme, que je suis loin d’être une poutre de Bamako, fais attention elle peut te trouver raciste et/ou sexiste et dégainer un tazer comme qui rigole, et elle aurait raison. 

j'ai acheté la version sans images
pour pas que ça me monte à la tête 
J’ai beau avoir acheté « Sexe, race & colonies » pour déconstruire en kit ma domination post-coloniale sexuelle inconsciente vis-à-vis des blacks, en fait c’est la première fois que je discute avec une femme noire depuis mon voyage en Afrique qui remonte à 2002, en plus elle se fout gentiment de la gueule du p'tit gros boomer blanc qu’a l’air un peu flapi, elle s'amuse à peu de frais dans l'exercice de son métier de Vigilante aussi chiant que Deauville sans Trintignant, si j’avais eu la chance d’échanger des blagues comme ça avec des blackettes quand j’ai commencé à les trouver très plaisantes dans mon imaginaire à moi que j'ai, ça m’aurait sans doute évité de m’ériger un palais à fantasmes sur les Africaines, plus encombrant que fréquenté.
Je quitte la Fnac avec le sentiment d’être passé à côté d’une occasion avec cette vivace vigilante vigile, ma Joséphine Baker d'occasion qui vient d'entrer dans mon Panthéon des blacks qui savent faire des blagues que j'arrive à comprendre, mais franchement, j'ai pas su rebondir, quand on n’est pas en état d’interagir normalement, mieux vaut encore s’abstenir. Faut que je trouve quelqu'un à qui offrir l'intégrale de Brel, et que je revienne plus en forme. Et voilà, mon petit Noël est passé : trois minutes d'imprévu et de poésie pure, vécues dans la vraie vie, plutôt que le radotage d'ordi, qui ne me vaut rien.

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En 2022, Loukoum et Tagada reviendront dans de nouvelles aventures, lutter contre Doliprane,Xanax et Cortisone.


ma preuve d'achat comme quoi c'est pas du flan.
je me demande si ce Keith Jarrett n'est pas un peu noir lui-même.
Il faudra que je demande à Joséphine si elle aime le piano.

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)

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