dimanche 20 août 2006

Culpabilité, poisson mort, deux cafés et l’addiction

Saperlipopette ! Flo vient de remettre les pendules à l’heure sur culpabilité & responsabilité, et me renvoie à mes anciennes façons de noyer le poisson, tout en suggérant de nouvelles recettes pour l’accomoder.
Il y a 15 ans, j’ai écrit un texte intitulé "poisson mort" :

“La plupart des choses qui font bander mes contemporains me laissent d’une indifférence de poisson mort, ce qui ne manque pas de m’intriguer ; toutes les déviances, les perversions par lesquelles les gens réussissent à accepter les merdeux compromis avec la réalité sont impuissants à me faire courir après ma queue. Autrefois, j’ai moi aussi couru deci, delà, quémandant compliments et me satisfaisant des rêves des autres, mais depuis un temps que je me refuse à mesurer tout cela s’en est allé. Je suis allé en parler à un psychiatre, qui au bout de quelques séances a diagnostiqué une réaction naturelle de mon Surmoi : pour compenser mon sentiment d’infériorité par rapport aux autres, je dévalorisais les attraits du monde extérieur. Je n’ai pas osé lui demander si c’était le même genre de complexe qui l’avait poussé à choisir cette profession plutôt qu’une autre ; les intuitions les plus justes et les plus généreuses de ma jeunesse ont engendré une jolie guirlande de désastres personnels dont je continue de payer les conséquences : dans ce monde - ci, il n’y a pas de justice immanente mais tout se paye, et au prix fort. Je ruminais ce genre de pensées délétères en me rendant à l’enterrement de mon grand-père, décédé dans sa quatre-vingt deuxième année après avoir eu à subir tous les outrages de la vieillesse plus quelques inédits que Dieu, dans son Infinie Turpitude, avait décidé de lui envoyer sur la fin pour lui donner de quoi méditer pendant une interminable agonie. Parfois, je m’éveille au milieu de la nuit pour m’apercevoir que je ne suis plus qu’un magma de personnalités disparates retourné au chaos primaire, un brouillard de sensations amalgamées autour d’un effet de conscience induit, celui d’avant les crispations identitaires.
Potentiellement n’importe qui, virtuellement tout le monde. Je me prends alors de sympathie pour les morts, dont je me dis qu’ils doivent ressentir à peu près la même chose: le rébus de leur vie s’étant déroulé jusqu’à son achèvement, ils ont fusionné leurs consciences individuelles avec le Cosmos, ne laissant derrière eux qu’étrangers affligés. Mon psy m’a recommandé de laisser tomber ce genre de conneries de fusion avec l’univers si je voulais progresser dans la thérapie. Je progresse indéniablement : la dernière expérience métaphysique que j’ai eue, c’est en essayant d’attraper à pleines mains du linge mouillé dans ma machine à laver, pieds nus dans ma cuisine. J’ai enfin compris à quoi servent les prises de terre, et aussi pourquoi mon âme en manque ressent aussi fortement la nostalgie de l’électricité. La morsure de la cigarette, aussi prometteuse d’énergie que décevante après-coup, a le don de me séduire. Je ne me lasse pas de m’en lasser vingt fois par jour.
Je me rappelle chaque matin que si je me suis réincarné en ***, c’est pour des raisons bien précises : je suis venu sur Terre pour manifester plus de compassion que mon père n’en a eu pour moi en m’engendrant. L’ironie est une arme précieuse dans ce genre de grand moment de désarroi moral , à condition de ne pas la braquer sur sa propre tempe. J’exerce le douteux métier de monteur vidéo, qui consiste à se faire croire (et à faire croire aux autres) qu’on est créatif alors que notre rôle se limite à celui d’un presse-boutons. J’en retire un bon salaire chaque mois, bien que je sois indépendant et que je ne travaille qu’environ quinze jours par mois. Je suis accro des jeux vidéo. Avant, j’étais alcoolique, ça fait quand même moins mal à la tête. Je fais des conneries sans nom, après quoi je manque de couilles pour dénigrer les travers de mes contemporains. J’envisage le maniement des concepts philosophiques comme un art à part entière, mais personne ne s’est jusqu’à présent porté acquéreur de mes interminables ruminations.”

Bien sûr je lisais trop Philip Dick période "trilogie divine" : ce n’est pas de la métaphysique, mais du désarroi émotionnel qui instrumentalise une certaine idée du fatum (mot emprunté du Latin, pour signifier le destin dans la doctrine des Fatalistes) et je ne me mouchais pas du pied. Inspiré par mes maîtres de l’époque, j’aspirais au désastre, tentative pataude de le conjurer tel l’anhédoniste moyen.
Arriva ce qui devait arriver.
Si l’on revient à ma petite histoire de saxophoniste, et en suivant la ligne tracée par vos commentaires, si je ne puis obtenir le pardon de N., et faire la bonne affaire psychique qui motivait sans doute la reprise de contact, il est évident que j’ai intérèt à m’offrir le mien, parce que c’est tout ce que je peux faire de cette histoire qui malgré mes tentatives de réactivation est aussi achevée aujourd’hui qu’à l’instant même où la voiture a quitté la route. Je ne crois pas trop aux éventuels remords : c’est parce qu’on croit qu’on aurait pu agir différemment; on vaut bien mieux que ça, évidemment, on n’a pas eu de bol, on n’a pas fait gaffe, etc. Aucune des causes contributives de cet accident ne va me délivrer de sa responsabilité, avec laquelle je cohabite (le cri d’amour du crapaud) malaisément depuis ce temps. Tenter de réactiver des liens morts de par mon silence persistant de deux décennies n’était sans doute pas une bonne idée. On risque de constater que morts, ils le sont, et qu’ils persistent à l’être. Mon frère, qui avait pressenti le truc, a tenté de m’avertir. La démarche du pardon aurait peut-être gagné en efficience si je m’étais au préalable, un nombre raisonnables d’années après la catastrophe, fendu d’un chèque de 2000 euros envers l’ami allemand dont j’ai détruit le véhicule qu’il n’avait pas assuré, et d’un autre d’un montant inquantifiable envers N. dont les souffrances furent indicibles. C’est trivial, ça n’aurait pas fait taire cette "mauvaise conscience" que je vois comme le rappel désagréable que mes actes ne sont pas toujours à la hauteur de mes prétentions, mais ça aurait mis un peu de beurre dans leurs épinards. Comme je n’ai rien fait de tout cela, inutile d’épiloguer, dit-il en épiloguant, mais comme dit Flo, "j’essaie de ne pas le faire, mais parfois je le fais. Il n’y a rien à justifier, je suis égoïste et pas spécialement fière de l’être."


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