lundi 10 avril 2006

les mots volés


La prière qui monte immédiatement après "Mon Dieu, préservez-moi de me prendre pour un minable", c’est "Mon Dieu, préservez-moi de l’auto-apitoiement." Puisqu’on en est à demander des choses qu’on se pense incapable de s’apporter tout seul, autant y aller franco.

Je fus hanté très tôt par des vues pessimistes sur la futilité de toute entreprise humaine, et j’y suis encore sensible, cette chanson récente d’Alexis HK vient me le rappeler. Mais il s’agissait déjà de pallier à une certaine langueur, un manque d’énergie constitutif par des vues dépréciantes.
On imagine sans doute ainsi s’établir dans un certain au-delà de la déception en affadissant par avance tous les plaisirs de la vie.
Quelle erreur ! On se prépare en fait à de sévères déconvenues, et c’est comme si la vie nous prenait au mot et nous mettait en demeure de prouver nos prémisses.

"Dans son étude sur la forme que revêt le masochisme chez l’homme moderne, Thedor Reik avance une vue intéressante. Le masochisme est plus répandu que nous ne l’imaginons car il prend une forme atténuée. La dynamique de base est la suivante: le sujet perçoit quelque chose de mauvais dont la venue est inévitable. Il ne peut rien faire afin d’interrompre le processus; il est réduit à l’impuissance. Le sentiment de son impuissance engendre chez lui le besoin d’exercer quelque contrôle sur cette souffrance imminente - n’importe quelle forme de contrôle fera l’affaire. C’est logique: le sentiment subjectif de sa propre impuissance est plus douloureux que la souffrance à venir. Aussi le sujet a-t-il recours, pour se rendre maître de la situation, à la seule voie qui lui reste ouverte: il concourt à hâter la venue de ce malheur prochain. Cette activité encourage chez lui l’impression erronée qu’il aime la souffrance. Il n’en est rien. La vérité est simplement qu’il ne peut plus supporter sa propre impuissance, ou son impuissance supposée. Mais le mécanisme par lequel il acquiert la maîtrise de cette souffrance de toute façon inévitable l’amène automatiquement à devenir anhédoniste (c’est-à-dire à ne plus pouvoir ou à ne plus vouloir éprouver le plaisir). L’anhédonie s’installe sournoisement et en vient, au fil des années, à dominer le sujet. Ainsi apprend-il, par exemple, à différer la gratification - c’est là une étape du triste processus de l’anhédonie. En apprenant à retarder la gratification, il éprouve un sentiment de maîtrise de soi; il est devenu stoïque, discipliné; il ne cède pas à la pulsion. Il possède la maîtrise. Maîtrise de soi quant à ses pulsions, maîtrise de la situation extérieure. Il est un sujet qui se maîtrise et qui maîtrise. Bientôt, il a étendu le processus et exerce sa maîtrise sur d’autres sujets, car cela fait partie de sa situation. Il devient un manipulateur. Naturellement, il n’est pas conscient de la chose; il ne s’agit pour lui que d’atténuer le sentiment de son impuissance. Mais la tâche qu’il s’est ainsi fixée le conduit à asservir insidieusement la liberté d’autrui. Pourtant il n’en retire aucun plaisir, aucun gain positif sur le plan psychologique; tous ses gains à lui sont fondamentalement négatifs."
rapporté par Philip K. Dick dans Siva (Trad. Robert Louit)


Mon fils manifeste un gros potentiel de branleur, et je ne parle pas du catalogue "Sexy Galeries Lafayettes" retrouvé sous son oreiller un jour de grand ménage.
Ca, c’est de son âge.
C’est une nonchalance généralisée sur laquelle j’ai peine à ne pas projeter la mienne à son âge, et l’effet miroir n’est pas ce qui se fait de mieux pour amorcer le dialogue, d’autant que nous avons déjà décidé de sous-traiter toute la partie travail scolaire avec des étudiantes plus pédagogues que nous devant 1/ l’incapacité d’Hugo à travailler tout seul 2/ notre incapacité à travailler avec lui.
Moyennant quoi il engloutit le PNB d’un petit pays africain en cours particuliers et se maintient bon an mal an à 9,5/20 de moyenne générale.
Et j’ai beau m’accuser de fuir le débat, ça se passe mieux quand j’évite de renforcer ses résistances en le soumettant à des interrogatoires gestapistes sur tel ou tel travail qu’il avait à rendre la semaine dernière, ce qui me renvoie aux incapacités de mon père qui mimait à la perfection le dieu de colère de l’Ancien Testament mais n’était pas foutu de nous donner, à mon frère et moi, un cours de maths sans que ça tourne à la tragédie humaine.

"Si peu d’invention, c’est à désespérer de l’homme. Ils croient mûrir parce qu’ils ont des enfants. Ils croient aimer parce qu’ils n’osent plus tromper leur femme. Ils n’auront jamais fait que vieillir. Ils n’auront jamais fait qu’être vieux."
Christian Bobin, Le Très-Bas


Commentaires

  1. Je viens d’apprendre ce qu’est l’anhédonie et j’ai fait un rapprochement avec certaines techniques de méditation.
    Certaines formes de méditation pourraient faire penser à la recherche délibérée de l’anhédonie, mais il n’en est rien.
    Certains yogis, ont développé un mental n’ayant pas de phénomène discursif (souvent confondu avec le vide mental), mais en réalité ils sont fortement concentrés sur leur corps, ressentant l’apparition des sensations douloureuses ou plaisantes, mais en ne les évaluant pas.
    (Au contraire du comportement de Mr tout le monde qui serait d’intensifier le mental pour oublier les sensations douloureuses.)
    Certaines écoles préconise de balayer successivement toutes les parties du corps en ressentant toutes les sensations, mais sans y associer le mental qui s’approprierait aussitôt ces sensations.
    Suit alors une phase d’anhédonie plus ou moins longue selon la force de l’ego du sujet, puis vient un plaisir béatifiant sans objets mentaux, le corps se débrouille alors tout seul, il est libéré du mental.
  2. Comme d’hab’, toujours très fin ce fichu P.K. Dick! ;)

3 commentaires:

  1. pas mal, ouais, k dick, the case of the dick, le point de vue énergétique sur la question est que en retardant la pulsion de plaisir, donc en économisant aussi sa force sexuelle, on obtient une grande quantité d'énergie intérieure, qu'on peut à loisir "transmuter" en énergie spirituelle et en extase. le plaisir, de la maison terre, investit la maison ciel, et effectivement cela procure une jouissance très supérieure à la jouissance physique proprement dite, puisque le cerveau est boosté et que la sécrétions d'endorphines par la glande pituitaire est décuplée.
    quand on fait l'amour à sa partenaire avec un abandon total (excluant une volonté de plaisir physique)l'orgasme qu'on éprouve est aussi spirituel, en plus d'être physique. cette expérience même si on ne la vit qu'une seule fois dans sa vie, transforme totalement la personnalité... voilà pour l'antihédonisme...

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  2. J'ajouterais 3 dernières petites choses à propos de la méditation... que l'on trouve dans les livres qui en parlent et qui me font marrer.

    1° "Sans but ni profit"
    Toutes les études scientifiques sérieuses qui sont menés sur la méditation montrent que la méditation augmente la concentration... Concentration qui fait souvent défaut dans les activités les plus importantes comme le travail mais aussi les plaisirs de la vie. Il serait difficile de ne pas en tirer profit quand on est un ado indolent.

    2° "pas seulement une technique de bien-être"... Si c'en est aussi une, ce serait dommage d'en exclure ton fils... Sachant que l'investissement en terme de pnb est assez ridicule.

    3° "pas de mérite"
    Sachant que mes parents n'étaient pas des flèches et que j'ai longtemps eu une scolarité plus que médiocre (mon orthographe défaillante en est la preuve), la facilité avec laquelle mes enfants ont brisés le karma familial à ce niveau m'agace un peu. (ils méditent parfois avec nous)

    Bref, tu devrais proposer à ton fils de t'aider à franchir le premier pas... en lui proposant la chose comme s'il s'agissait d'une activité super naze qui ne sert de toutes façons à rien.

    S'il a l'esprit de contradiction comme mon fils peut l'avoir... Ca peut, peut-être, l'intéresser.


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  3. Les choses ont pas mal changé de ce côté (l'article a quand même 9 ans !) et Hugo est aujourd'hui étudiant en 2eme année de psycho, après une scolarité difficile mais au cours de laquelle il a fourni des efforts constants et méritoires.
    Si je lui suggère l'argument que tu me proposes, il va juste croire que j'ai fumé une cigarette mal roulée.
    Je crois plus à l'exemple qu'au discours : s'il me voit méditer, qu'il me demande pourquoi et que je lui réponds ce que tu me suggères, ça va l'intriguer.

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