Je fus hanté très tôt par des vues pessimistes sur la futilité de toute entreprise humaine, et j’y suis encore sensible, cette chanson récente d’Alexis HK vient me le rappeler. Mais il s’agissait déjà de pallier à une certaine langueur, un manque d’énergie constitutif par des vues dépréciantes.
On imagine sans doute ainsi s’établir dans un certain au-delà de la déception en affadissant par avance tous les plaisirs de la vie.
Quelle erreur ! On se prépare en fait à de sévères déconvenues, et c’est comme si la vie nous prenait au mot et nous mettait en demeure de prouver nos prémisses.
"Dans son étude sur la forme que revêt le masochisme chez l’homme moderne, Thedor Reik avance une vue intéressante. Le masochisme est plus répandu que nous ne l’imaginons car il prend une forme atténuée. La dynamique de base est la suivante: le sujet perçoit quelque chose de mauvais dont la venue est inévitable. Il ne peut rien faire afin d’interrompre le processus; il est réduit à l’impuissance. Le sentiment de son impuissance engendre chez lui le besoin d’exercer quelque contrôle sur cette souffrance imminente - n’importe quelle forme de contrôle fera l’affaire. C’est logique: le sentiment subjectif de sa propre impuissance est plus douloureux que la souffrance à venir. Aussi le sujet a-t-il recours, pour se rendre maître de la situation, à la seule voie qui lui reste ouverte: il concourt à hâter la venue de ce malheur prochain. Cette activité encourage chez lui l’impression erronée qu’il aime la souffrance. Il n’en est rien. La vérité est simplement qu’il ne peut plus supporter sa propre impuissance, ou son impuissance supposée. Mais le mécanisme par lequel il acquiert la maîtrise de cette souffrance de toute façon inévitable l’amène automatiquement à devenir anhédoniste (c’est-à-dire à ne plus pouvoir ou à ne plus vouloir éprouver le plaisir). L’anhédonie s’installe sournoisement et en vient, au fil des années, à dominer le sujet. Ainsi apprend-il, par exemple, à différer la gratification - c’est là une étape du triste processus de l’anhédonie. En apprenant à retarder la gratification, il éprouve un sentiment de maîtrise de soi; il est devenu stoïque, discipliné; il ne cède pas à la pulsion. Il possède la maîtrise. Maîtrise de soi quant à ses pulsions, maîtrise de la situation extérieure. Il est un sujet qui se maîtrise et qui maîtrise. Bientôt, il a étendu le processus et exerce sa maîtrise sur d’autres sujets, car cela fait partie de sa situation. Il devient un manipulateur. Naturellement, il n’est pas conscient de la chose; il ne s’agit pour lui que d’atténuer le sentiment de son impuissance. Mais la tâche qu’il s’est ainsi fixée le conduit à asservir insidieusement la liberté d’autrui. Pourtant il n’en retire aucun plaisir, aucun gain positif sur le plan psychologique; tous ses gains à lui sont fondamentalement négatifs."
Mon fils manifeste un gros potentiel de branleur, et je ne parle pas du catalogue "Sexy Galeries Lafayettes" retrouvé sous son oreiller un jour de grand ménage.
Ca, c’est de son âge.
C’est une nonchalance généralisée sur laquelle j’ai peine à ne pas projeter la mienne à son âge, et l’effet miroir n’est pas ce qui se fait de mieux pour amorcer le dialogue, d’autant que nous avons déjà décidé de sous-traiter toute la partie travail scolaire avec des étudiantes plus pédagogues que nous devant 1/ l’incapacité d’Hugo à travailler tout seul 2/ notre incapacité à travailler avec lui.
Moyennant quoi il engloutit le PNB d’un petit pays africain en cours particuliers et se maintient bon an mal an à 9,5/20 de moyenne générale.
Et j’ai beau m’accuser de fuir le débat, ça se passe mieux quand j’évite de renforcer ses résistances en le soumettant à des interrogatoires gestapistes sur tel ou tel travail qu’il avait à rendre la semaine dernière, ce qui me renvoie aux incapacités de mon père qui mimait à la perfection le dieu de colère de l’Ancien Testament mais n’était pas foutu de nous donner, à mon frère et moi, un cours de maths sans que ça tourne à la tragédie humaine.
"Si peu d’invention, c’est à désespérer de l’homme. Ils croient mûrir parce qu’ils ont des enfants. Ils croient aimer parce qu’ils n’osent plus tromper leur femme. Ils n’auront jamais fait que vieillir. Ils n’auront jamais fait qu’être vieux."
Christian Bobin, Le Très-Bas
Certaines formes de méditation pourraient faire penser à la recherche délibérée de l’anhédonie, mais il n’en est rien.
Certains yogis, ont développé un mental n’ayant pas de phénomène discursif (souvent confondu avec le vide mental), mais en réalité ils sont fortement concentrés sur leur corps, ressentant l’apparition des sensations douloureuses ou plaisantes, mais en ne les évaluant pas.
(Au contraire du comportement de Mr tout le monde qui serait d’intensifier le mental pour oublier les sensations douloureuses.)
Certaines écoles préconise de balayer successivement toutes les parties du corps en ressentant toutes les sensations, mais sans y associer le mental qui s’approprierait aussitôt ces sensations.
Suit alors une phase d’anhédonie plus ou moins longue selon la force de l’ego du sujet, puis vient un plaisir béatifiant sans objets mentaux, le corps se débrouille alors tout seul, il est libéré du mental.
Rédigé par: houdib | le 12 avril 2006 à 09:47| Alerter
Rédigé par: Dado | le 12 avril 2006 à 16:47| Alerter