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samedi 28 mars 2015

des ivrognes, du trône de chair et du berceau du chat

Les sanitaires du rez-de chaussée où je lis Saint Augustin dès potron-minet, au coeur de ce royaume nocturne que personne n'a la folie de me disputer, n'ont pas toujours présenté cet aspect satiné.
Pour le bonheur, faire la chair rose. Le reste devrait suivre, avais-je lu quelque part.
Oncques mes waters ne furent si ouatés.
En 2010, nous entreprîmes de les faire ériger pour permettre à mes parents vieillissants d'éviter de monter à l'étage lors de leurs rares visites.
Nous nous en ouvrîmes auprès de L.G, qui venait de nous raccorder au tout-à-l'égoût et s'était révélé un habile artisan dans sa partie, malgré des manières un peu frustes, une présence physique intimidante évoquant le personnage campé par Gérard Depardieu dans Uranus, avec qui il partageait la nécessité d'être fréquemment ravitaillé en muscadet, et le décès prématuré de plusieurs pieds d'hortensias ratatinés au tractopelle lors des travaux susnommés.
Peut-être connaissait-il quelqu'un de confiance à qui confier leur réalisation ?
Il prétexta des aptitudes dans ce domaine avec une bonne foi assez désarmante pour remporter le marché.
Nous allâmes ensemble au Bricomat du coin choisir les matières premières nécessaires à bâtir un cabinet de toilette comportant douche, wc, lavabo, cloisons en placoplâtre propres à garantir l'intimité de l'édifice et des rituels intimes qui s'y pratiquent, porte en 180 x 83, etc... que nous entreposâmes au garage.
D'importantes modifications du système de circulation des fluides furent décidées, impliquant la machine à laver, la chaudière, les entrées et sorties d'eau des futures toilettes et lavabo.
L.G. démarra les travaux, fit venir un plombier de ses amis pour les raccordements...
puis disparut.
Habitués aux humeurs fantasques du bonhomme, nous lui avions confié un jeu de clés.
Le printemps vint, et s'en fut.
Malgré de multiples relances,
L.G. brillait par son absence.
Au garage, les cartons éventrés sanglotaient muettement sur leur déréliction.
Je parvins à convaincre L.G. de finaliser les travaux pendant nos vacances d'été.
Las, à notre retour de congés, nous éprouvîmes devant le spectacle ci-dessous un fort sentiment de déconvenue, et l'affaire semblait  pour tout dire mal engagée, voire compromise.



Rien n'était achevé, mais de plus l'utilisation des cabinets était soumise à une condition draconienne : l'ablation de la jambe gauche, critère qui a fait reculer plus d'un derrière pressé enhardi par l'urgence.
Rapidement, je donnai son congé au maitre d'oeuvres, sans indemnités.
Comment avait-il pu se lancer dans une telle galère, qui excédait si visiblement ses compétences ?
J'en avais mal pour lui.
Il réclamait de moi un effort vigoureux et soutenu pour déporter au loin les bornes de ma bienveillance, et j'ignorais si j'allais pouvoir triompher de cette épreuve assurément prescrite par quelque Dieu farceur.
De plus, je ne me voyais pas amputer mes parents pendant leur sommeil d'un membre certes inférieur mais si pratique pour se déplacer d'un endroit à l'autre.
De la chambre aux toilettes, par exemple.
Peut-être valait-il mieux renoncer à toute l'affaire ?
Pour parler vulgaire, nous n'étions pas dans la merde, et n'étions pas près d'y être.
Après quelques temps de convalescence spirituelle, je connus alors l'anamnèse, au sens étymologique que Philip K. Dick confère à ce mot : oubli de l'amnésie.
Et me rappelai un petit pépère, technicien chauffagiste en retraite de son état, qui m'avait déjà arrangé bien des coups foireux dans la baraque, et qui se retrouva bientôt par la grâce de Dieu à la tête d'un puzzle sanitaire de 5000 pièces, indéchiffrable pour un simple mortel à l'intelligence pratique limitée comme moi, mais qui semblait faire sens pour lui, en bon demi-Dieu anonyme du tubulaire qu'il était, habilement travesti en retraité sifflotant à toute heure du jour d'absurdes ritournelles entendues sur RTL avec une gaieté inoxydable.
Et modeste avec ça !
Tandis qu'il s'activait à nettoyer mes écuries d'Eauchasse, je dûs m'absenter précipitamment pour Montpellier, où ma mère menaçait de quitter ce plan terrestre.
Elle mourut dans nos bras, mon frère et moi.
Quand je revins atomisé at home, les travaux étaient presque achevés, et Beloute sifflotait de contentement en finissant l'enduit du placo.
De ces chiottes où ma mère ne s'assiérait jamais.
Je les ai barbouillés d'un vilain rose, à la hâte dans mon brouillard de larmes filiales, pour marquer le coup.
Vous en déduirez ce que vous voulez, à chacun son job.


Un léger indice visuel pour les quêteurs/quêteuses d'absolu à travers les symboles.
Non, je ne l'ai pas affiché dans les cabinets.

Les erreurs commises par L.G. furent réparées, la porte achetée par lui et qui ne convenait pas fut vendue sur le Bon coin après un prudent délai d'un an pendant lequel j'attendis qu'il la récupère s'il en voulait, mais il ne reparut pas.
L'autre nuit, je tombai sur ceci dans mon Saint Augustin :
"Je n'ai jamais été ivrogne, mais je connais des ivrognes que vous avez rendus sobres. Ainsi c'est grâce à vous que les uns ne sont pas ce qu'ils ne furent jamais; c'est grâce à vous aussi que d'autres ne sont plus ce qu'ils furent; c'est grâce à vous enfin qu'ils savent les uns et les autres qu'ils vous le doivent."
Comme s'il attestait en cela l'existence de réunions Alcooliques Anonymes au 4ème siècle.
Moi qui ai connu mon quart d'heure de grâce aux AA, je vais prier pour L.G. pour qu'il voie la lumière, et ne la confonde plus avec celle du bistrot.
Tout cela se télescope un peu avec l'actualité récente, cf la note d'hier, et des évènements plus intimes,  à base de religion et de reliances, heureusement indicibles (l'article est déjà long), pleins de karass et de wrang-wrang.
Donc non seulement indicibles mais inintelligibles.
L.G faisait manifestement partie de mon karass.
(Nous autres, bokononistes, croyons que l’humanité est organisée en équipes qui accomplissent la volonté de Dieu sans jamais découvrir ce qu’elles font. Bokonon appelle ces équipes des karass)
Comme en atteste la mésaventure advenue au héros du Berceau du Chat, savoureux roman de Kurt Vonnegut déjà cité hier, j'hérodote un peu mais tout-est-lié, mésaventure analogue à la mienne en nature bien que plus forte en intensité, et rapportée ci-dessous.


Miaou 

Durant mon voyage à Ilium et au delà, expédition qui me prit deux semaines au moment des fêtes de fin d’année, j’avais prêté gracieusement mon appartement new-yorkais à un poète pauvre du nom de Sherman Krebbs. Ma deuxième femme m’avait quitté, me trouvant trop pessimiste pour ne pas rendre la vie impossible à une optimiste. 
Barbu, Krebbs était une sorte de Jésus-Christ blond avec des yeux d’épagneul. Ce n’était pas un ami intime. J’avais fait sa connaissance à un cocktail où il s’était présenté à moi comme président national de l’Association des poètes et des peintres en faveur de la guerre nucléaire immédiate. Il cherchait désespérément un toit, pas nécessairement à l’épreuve des bombes, et il se trouvait que j’en avais un. 
Quand je revins à New York, encore tout vibrant des stupéfiantes implications spirituelles suscitées par l’ange de pierre abandonné d’Ilium, je trouvai mon appartement dévasté par le vandalisme nihiliste. Krebbs était parti, mais il avait auparavant laissé pour trois cents dollars de communications téléphoniques interurbaines, mis le feu à mon divan en cinq endroits, tué mon chat ainsi que mon avocatier et arraché la porte de mon armoire à pharmacie. 
Il avait aussi écrit ce poème par terre, sur le linoléum jaune de la cuisine, à l’aide de ce qui se révéla être de l’excrément : 

J’ai une cuisine
Mais elle a une piètre allure 


Elle ne sera rupine
Que si je lui assure
Les services d’un vide-ordures. 
Il y avait un autre message, d’une écriture féminine, marqué au rouge à lèvres sur le papier mural au-dessus de mon lit : « Non, non, non », dit la pauvrette. 
Enfin, le cadavre de mon chat portait autour du cou une petite pancarte : « Miaou. » 
Je n’ai pas revu Krebbs. Pourtant, j’ai le sentiment qu’il faisait partie de mon karass. Si tel est le cas, il y a joué le rôle d’un wrang-wrang. Selon Bokonon, un wrang-wrang est une personne qui fait dévier le cours des spéculations d’une autre personne en réduisant ce cours, par l’exemple de sa propre vie, à une absurdité. 
J’aurais pu être vaguement enclin à bannir de mes pensées, comme dénué de signification, l’ange de pierre d’Ilium ; et à passer de là à la considération que rien n’a de sens. Mais après avoir vu ce qu’avait fait Krebbs, surtout à mon pauvre petit chat, je décidai que le nihilisme ne me convenait pas. 

Quelque chose, quelqu’un ne voulait pas que je sois nihiliste. C’avait été la mission de Krebbs, qu’il en ait été ou non conscient, de me désenchanter de cette philosophie. Bien joué, M. Krebbs, bien joué.

Le très saint livre en pdf.