samedi 29 avril 2006

Victimes consentantes



Je n’ai pas grand-chose de nouveau à dire sur la dépendance, car qu’elle soit sexuelle, opiacée, pochtronale ou spirituelle, elle consiste toujours à "effacer la douleur par ce qui la provoque" selon le mot de Russell Banks, et c’est salvateur quand tu le comprends dans le bon sens. 
Mais se sauver de quoi, et pour aller où ? Je n’ai pas évoqué comment les Pink Floyd avaient prédit dès 1975 (et Guy Debord huit ans plus tôt, dans des termes à la fois plus poétiques et plus confus) que nous finirions dévorés par nos amies les machines dans leur flamboyant et neurasthénique "Wish You Were Here", car ça donnerait du grain à moudre à ma tendance à la victimisation, et je ne veux pas prendre mon cas pour une généralité; encore moins évoquer une énième fois la situation pathétique de tous ces accros d’Internet qui préfèrent s’aggriper au néant glacé de leur écran plutôt que d’aller chercher à accomplir leur destin, aussi anodin ou grotesque qu’il fût, dans le réel, à commencer par moi ces dernières années. Si je ne me fends non plus d’aucun billet d’humeur sur la situation internationale, qui ne laisse pourtant pas pas d’être préoccupante, c’est parce qu’ici je ne fais aucun complexe de n’évoquer que moi et mon rapport à la Maladie. Je pourrais aider mes frères d’infortune sur les forums de naufragés, mais plus j’abstine et moins je me sens légitimé d’un discours rédempteur sur des bienfaits que je suis encore loin d’apprécier à leur juste valeur; d’ailleurs, un nouveau cyber-pote m’a gentiment fait remarquer que sur ces forums, j’avais tendance à radoter. Je peux très bien me contenter de radoter ici sans ennuyer personne. Bien que je reste très vigilant sur l’émotionnel pour éviter tout désagrément durable, je me sens un peu dans la position du mec décrit par Flo : quelqu’un qui souffre (d’un excès de plaisir, par exemple…) entame une ascèse. Son ascèse le rend meilleur. Devenant meilleur il se la joue et devient puant. Etant puant ça lui retombe sur la figure, et il souffre. Souffrant, il a un accès d’humilité. Son humilité le rend meilleur. Devenant meilleur il redevient puant…Où est le progrès dans tout ça ? Un mal entraîne un bien, et un bien entraîne un mal. Il serait temps de voir que ça n’a pas de fin.
Ainsi parlait Flo.
Bref, il n’y a que l’abstinence à long terme qui permette de se débarasser de cet encombrant mépris pour soi-même, générateur de bien des errements. Heureusement, le travail s’est jeté sur moi comme la vérole sur le bas-clergé breton, et je suis charette jusqu’à fin mai. Ce qui ne veut pas dire que je me réfugie dans l’hyperactivité tel le workholic de base, mais il n’y a plus trop de place pour d’encombrantes questions en ce moment.
comme le disait Orroz,"tu n’es ni un monstre, ni un pervers, mais bien une victime de cette société trop permissive qui s’est laissée avoir par la "libération sexuelle" et l’invasion de la pornographie. Mais tu es aussi une victime consentante, et c’est cela qu’il faut d’abord traiter. Tu as fait le premier pas en venant sur ce Forum, à toi de faire tous les autres en te sevrant."
J’aime bien ce terme de victime consentante : il faut commencer par cesser de consentir, et continuer de commencer.
Ce qui me travaille en ce moment, c’est mon couple, enfin, ce qu’il en reste après le Tsunami. Pour entrer dans un espace neuf, il s’agit quand même de renoncer à se plaindre d’avoir tout gâché, et pour ça il faut bien que les morceaux de semoule qui flottent à la surface du gâchis soient scrutés à deux. En sombrant benoîtement dans le porno, j’ai fui - et cru échapper aux - responsabilités de ma vie exogène.
Aujourd’hui elles s’imposent à moi.
C’est pas trop tôt.
D’une compagne plaisante, j’ai réussi à faire une femme irritable, auprès de laquelle je professe souvent des opinions démenties par mes actes. Ma femme, c’est mon Golem. Elle me rappelle qui je fus, et qui je pourrais être. Evidemment, cette perception déformée et culpabilisée est fausse et nourrirait mon dépit si je la laissais faire : l’avantage, c’est que grâce au sevrage, je vois que mon couple était un drame auquel je ne crois plus.
Ma chérie est d’une grande patience.
Je ne sais pas si mon "couple" va exister un jour. Ca fait 15 ans que je le boude,et je lui en ai mis pas mal dans la tronche. Je vais pas accuser Jeannette d’avoir été une victime consentante de mes erreurs. Ca serait un peu fastoche. Là encore, aucun discours n’est légitime. S’il ne me vient spontanément que des excuses ou des regrets, il n’y a que des actes à poser.
C’est presque reposant.
Je voudrais remercier au passage mes appétits grossiers (dans le sens où il est clair que j’ai eu les yeux plus grands que le ventre) de m’avoir offert l’éjaculation précoce comme conséquence assez directe de ma fuite au porno, alors que j’étais plutôt un bon coup. Au moins comme ça je ne peux plus entretenir la moindre illusion sur ma capacité à satisfaire sexuellement cette femme noire hypothétique qui n’existe que dans ma tête, bien qu’elle pousse une bonne gueulante sur The Great Gig in The Sky, dernier morceau de la face A de Dark Side of The Moule.









mardi 18 avril 2006

Rémanences pascales






Commentaires

  1. Bonne continuation ! :)

  2. Ouah, tourner un film ! Trop génial ! Tiens je sais pas si t’as vu la pub pour “la nuit du poker”, elle est géniale.

  3. beuh non, on peut la voir où ? et t’es sûre que tu te moques pas, là ? j’aurais tendance à penser que si je suis capable de diriger une équipe même dans mon costume à paillettes de lavette cosmique, c’est à la portée de n’importe qui. Le tournage est fini, il me reste encore le montage et le mixage pour flipper ma race, rhaaa !

  4. la pub était sur yahoo mais elle n’y est plus apparemment.

  5. Le montage, c’est les doigts dans le pif avec ton expérience et dans les yeux de la script pour chaque faux raccord et le mixage ça sera juste le bout du rouleau…et des angoisses… Après tu peux compter 3 ans avant d’avoir un regard frais sur ton truc et ne plus voir seulement les merdes… Wellcome

  6. si je pars du principe - et que je le garde au frais dans ma conscience de veille - que la négativité affichée de mon esprit n’est qu’une manifestation particulière d’énergie qui relève d’un apprentissage et sur laquelle j’évite de poser des jugements de valeur, tout va bien.

mardi 11 avril 2006

Impermanence


Ce matin, dans la file d’attente, au tabac, un pépé de 70 ans demande à la buraliste Chobiz, vous savez, celui qui est en vitrine. C’est un journal de cul avec son dévédé. Torride. La buraliste, d’une neutralité indicible, lui enfourne son journal dans un pochon opaque. J’imagine pépé rentrant chez lui, se faisant revenir à la poële son gigot d’agneau-flageolets, puis il se mate son dévédé, en pensant à mémé, qui est au cimetière depuis l’an dernier, et il boit un petit coup de rouge pour faire passer : après l’amour, le champagne.
Rien que pour adoucir les dernières années de tous les veufs en milieu rural, il faut sauver la pornographie.
Sinon, lundi dernier y’a un mec d’un centre de post-cure qui s’est fait amener en réunion AA par un membre très serviable du groupe, hier on a appris qu’il s’était suicidé dans la semaine.
Les absents ont toujours tort.


Commentaires

  1. “Rien que pour adoucir les dernières années de tous les veufs en milieu rural, il faut sauver la pornographie.”
    Tu sais, moi qui ait une tendresse particulière pour les handicapés, la dernière fois que j’en ai croisé plus de 20 en moins de 30 minutes, c’était au salon de l’érotisme à Bruxelles… Pour eux aussi, faut sauver la pornographie…
  2. Génial ! tu me donnes même l’idée pour une nouvelle campagne : “le porno, c’est fun pour les vieux et les handicapés !” mais comment dire aux autres que c’est la louze ?

lundi 10 avril 2006

les mots volés


La prière qui monte immédiatement après "Mon Dieu, préservez-moi de me prendre pour un minable", c’est "Mon Dieu, préservez-moi de l’auto-apitoiement." Puisqu’on en est à demander des choses qu’on se pense incapable de s’apporter tout seul, autant y aller franco.

Je fus hanté très tôt par des vues pessimistes sur la futilité de toute entreprise humaine, et j’y suis encore sensible, cette chanson récente d’Alexis HK vient me le rappeler. Mais il s’agissait déjà de pallier à une certaine langueur, un manque d’énergie constitutif par des vues dépréciantes.
On imagine sans doute ainsi s’établir dans un certain au-delà de la déception en affadissant par avance tous les plaisirs de la vie.
Quelle erreur ! On se prépare en fait à de sévères déconvenues, et c’est comme si la vie nous prenait au mot et nous mettait en demeure de prouver nos prémisses.

"Dans son étude sur la forme que revêt le masochisme chez l’homme moderne, Thedor Reik avance une vue intéressante. Le masochisme est plus répandu que nous ne l’imaginons car il prend une forme atténuée. La dynamique de base est la suivante: le sujet perçoit quelque chose de mauvais dont la venue est inévitable. Il ne peut rien faire afin d’interrompre le processus; il est réduit à l’impuissance. Le sentiment de son impuissance engendre chez lui le besoin d’exercer quelque contrôle sur cette souffrance imminente - n’importe quelle forme de contrôle fera l’affaire. C’est logique: le sentiment subjectif de sa propre impuissance est plus douloureux que la souffrance à venir. Aussi le sujet a-t-il recours, pour se rendre maître de la situation, à la seule voie qui lui reste ouverte: il concourt à hâter la venue de ce malheur prochain. Cette activité encourage chez lui l’impression erronée qu’il aime la souffrance. Il n’en est rien. La vérité est simplement qu’il ne peut plus supporter sa propre impuissance, ou son impuissance supposée. Mais le mécanisme par lequel il acquiert la maîtrise de cette souffrance de toute façon inévitable l’amène automatiquement à devenir anhédoniste (c’est-à-dire à ne plus pouvoir ou à ne plus vouloir éprouver le plaisir). L’anhédonie s’installe sournoisement et en vient, au fil des années, à dominer le sujet. Ainsi apprend-il, par exemple, à différer la gratification - c’est là une étape du triste processus de l’anhédonie. En apprenant à retarder la gratification, il éprouve un sentiment de maîtrise de soi; il est devenu stoïque, discipliné; il ne cède pas à la pulsion. Il possède la maîtrise. Maîtrise de soi quant à ses pulsions, maîtrise de la situation extérieure. Il est un sujet qui se maîtrise et qui maîtrise. Bientôt, il a étendu le processus et exerce sa maîtrise sur d’autres sujets, car cela fait partie de sa situation. Il devient un manipulateur. Naturellement, il n’est pas conscient de la chose; il ne s’agit pour lui que d’atténuer le sentiment de son impuissance. Mais la tâche qu’il s’est ainsi fixée le conduit à asservir insidieusement la liberté d’autrui. Pourtant il n’en retire aucun plaisir, aucun gain positif sur le plan psychologique; tous ses gains à lui sont fondamentalement négatifs."
rapporté par Philip K. Dick dans Siva (Trad. Robert Louit)


Mon fils manifeste un gros potentiel de branleur, et je ne parle pas du catalogue "Sexy Galeries Lafayettes" retrouvé sous son oreiller un jour de grand ménage.
Ca, c’est de son âge.
C’est une nonchalance généralisée sur laquelle j’ai peine à ne pas projeter la mienne à son âge, et l’effet miroir n’est pas ce qui se fait de mieux pour amorcer le dialogue, d’autant que nous avons déjà décidé de sous-traiter toute la partie travail scolaire avec des étudiantes plus pédagogues que nous devant 1/ l’incapacité d’Hugo à travailler tout seul 2/ notre incapacité à travailler avec lui.
Moyennant quoi il engloutit le PNB d’un petit pays africain en cours particuliers et se maintient bon an mal an à 9,5/20 de moyenne générale.
Et j’ai beau m’accuser de fuir le débat, ça se passe mieux quand j’évite de renforcer ses résistances en le soumettant à des interrogatoires gestapistes sur tel ou tel travail qu’il avait à rendre la semaine dernière, ce qui me renvoie aux incapacités de mon père qui mimait à la perfection le dieu de colère de l’Ancien Testament mais n’était pas foutu de nous donner, à mon frère et moi, un cours de maths sans que ça tourne à la tragédie humaine.

"Si peu d’invention, c’est à désespérer de l’homme. Ils croient mûrir parce qu’ils ont des enfants. Ils croient aimer parce qu’ils n’osent plus tromper leur femme. Ils n’auront jamais fait que vieillir. Ils n’auront jamais fait qu’être vieux."
Christian Bobin, Le Très-Bas


Commentaires

  1. Je viens d’apprendre ce qu’est l’anhédonie et j’ai fait un rapprochement avec certaines techniques de méditation.
    Certaines formes de méditation pourraient faire penser à la recherche délibérée de l’anhédonie, mais il n’en est rien.
    Certains yogis, ont développé un mental n’ayant pas de phénomène discursif (souvent confondu avec le vide mental), mais en réalité ils sont fortement concentrés sur leur corps, ressentant l’apparition des sensations douloureuses ou plaisantes, mais en ne les évaluant pas.
    (Au contraire du comportement de Mr tout le monde qui serait d’intensifier le mental pour oublier les sensations douloureuses.)
    Certaines écoles préconise de balayer successivement toutes les parties du corps en ressentant toutes les sensations, mais sans y associer le mental qui s’approprierait aussitôt ces sensations.
    Suit alors une phase d’anhédonie plus ou moins longue selon la force de l’ego du sujet, puis vient un plaisir béatifiant sans objets mentaux, le corps se débrouille alors tout seul, il est libéré du mental.
  2. Comme d’hab’, toujours très fin ce fichu P.K. Dick! ;)

dimanche 9 avril 2006

6 mois

6 mois sans user du népenthès pornographique. Je devrais être satisfait de mes efforts. En goûtè-je les fruits ? Il se trouve que le porno, comme l’alcool, était à la fois symptôme et justification de mon dégoût de la vie, dégoût qui n’est pas désespoir "la chair est triste hélas et j’ai lu tous les blogs" mais réaction de compensation au dépit né de la constatation qu’elle ne peut répondre à des attentes insatiables : plus on en a plus on en veut, mais moins on en a plus on en veut aussi.

Comme le disait Dartan, "Tous, tant que nous sommes, avons en nous "quelque chose" qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c’est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s’éternisent chez les humains. Mais ce n’est grave et dangereux qu’autant que nous en sommes inconscients. C’est alors seulement que nous agissons en gorilles."
Bref. Quand je mate le blog de Cha, qui met en scène ses propres ecchymoses avec une cruauté narquoise qu’elle voudrait cathartique, mais peut-être que ça lui sert juste à survivre à ses pulsions destroy, je me dis que si j’ai cessé de boire, la gueule de bois ne s’est jamais dissipée, et ma "structure dépendance" a trouvé d’autres terrains de jeu. Je retourne donc fouiller il y a 20 ans, quand le monde se divisait en choses sacrées (les femmes, le rock dépressif, l’ivresse haschichine et la bande dessinée) tragiques (Philip K. Dick) dérisoires et insignifiantes (tout le reste). De ce point de vue, je vis aujourd’hui dans une insignifiance à laquelle je dois donner du sens, sans lequel aucun progrès réel ne peut se manifester, abstinence ou pas.
Il n’est pas inutile non plus de relire tout ce que les Alcooliques Anonymes ont pondu sur l’auto-apitoiement : qu’on soit ex-pochtron, chrétien ou bouddhiste, ou rien du tout avec des casseroles au cul, le remède préconisé est partout le même : accepter les choses que nous ne pouvons changer, ne pas focaliser dessus et s’attaquer à ce qui peut l’être, et qui est généralement sous notre nez.

samedi 8 avril 2006

Instants fugaces



Je fais une plaisanterie inattendue à une personne que je ne connais pas. Elle rit de bon coeur, et c’est une invitation instantanée à l’allégresse; je prends conscience que mon désespoir est un pardessus élimé que j’ai endossé en m’abreuvant de Gérard Manset et autres professionnels de la lamentation, et que j’en suis donc libre pour aujourd’hui si je le désire. Ca dure une seconde et demie, et elle est géniale.
A 20 ans le coeur se pose où l’oeil se pose. Et ça s’arrange pas forcément après. Depuis, j’ai lu des livres qui m’ont fait entrevoir l’idée d’une possibilité de maturation affective, mais je ne voulais rien lâcher question tristesse. C’était ma crispation identitaire de prédilection. Et puis la maturation affective, ce me semble aujourd’hui un énoncé paradoxal. Les croyances les plus enracinées sont les colorations émotionnelles contractées dans l’enfance, voire même avant. Les miennes furent malheureuses, mais je n’eus de cesse de les entériner et de les reconduire. Je peux trouver que ça craint ou que mon égoïsme se drape dans de piteux voilages, je peux surtout continuer d’observer les occurences et absences du phénomène, ses mécanismes d’apparition et de résorbtion. Vous allez me dire qu’à mon rythme actuel, je vais mettre 14 000 ans à sortir de l’émotionnel, surtout que j’ai appris à le bloquer pour ne plus en souffrir, et qu’il va falloir que je déterre quelques cadavres. Que quand j’aurai fini de faire le deuil de l’Irrémédiable, du Disparu et de l’Irréparable, je serai au seuil de la mort. C’est possible. J’essaye de faire du mieux que je peux, le plus souvent possible. J’en suis à m’adresser ainsi à l’Esprit de l’Univers : "Mon Dieu, préservez-moi de me prendre pour un minable." Pas de manifester des comportements lamentables ou pitoyables, non, ça c’est mon boulot, mais d’endosser la fonction, le personnage intérieur. Les manifestations sans la personne pour les incarner, ç’est déjà bien moins pénible.
A part ça, il se pourrait aussi que le dernier Ballard ne soit pas indispensable. Ca m’apprendra à piller la rubrique littéraire du Monde au lieu de faire mon Warsen. A propos, demain j’arrose mes 6 mois sans porno. Dans la plus stricte intimité, mais avec mon pantalon.