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mercredi 25 octobre 2023

Le vélo dans l'eau

Début septembre, mon vélo a fini par être réparé. J'avais eu un petit accident sans gravité en allant au bureau, un mois plus tôt. De vous à moi, j'allais un peu vite, et je circulais sur un trottoir, j'étais donc en tort. Ca reste entre nous. J'ai réussi à sauter du vélo avant la collision, sans me blesser, et c'est lui qui a tout pris. J'aimerais bien que quelqu'un ait filmé la scène, pour comprendre comment j'ai fait. Ca sent l'intervention divine, que je ne méritais pas franchement, sur ce coup-là. M'enfin, c'est pas moi qui décide : la survenue des miracles n'est pas une méritocratie, ça marche plutôt comme le résume un copain "I prayed to god for a bicycle, but then I realized god doesn't work like that, so I stole a bicycle and prayed for forgiveness." En l'espèce, pendant que le mien était en réparation, j'ai emprunté celui de mon fils, qui m'a regardé partir chaque matin d'un œil inquiet et soupçonneux.
Je ne peux rouler que printemps-été, mon amplitude horaire fait qu'entre octobre et mars, il fait trop nuit pour que j'aille et revienne du bureau à vélo, un parcours de 25 km aller/retour, essentiellement constitué d'un chemin de halage le long de la Sèvre Nantaise, emprunté par les piétons, leurs bambins, leurs aïeuls, leurs chiens, les SDF, les migrants, réfugiés en attente d'asile climatique et autres Palestiniens égarés, et enfin les cyclistes; c'est donc un laboratoire de partage de l'espace public au quotidien. 
Le cycliste se doit de ne pas effrayer le piéton, qui reste prioritaire, en signalant sa présence par un avertisseur sonore avant de le frôler à mort à la vitesse ahurissante de 20 km/h, dans un hurlement de freins mal huilés, pour éviter son chien, qui ne regarde et n'écoute que la voie de son maitre, et n'anticipe pas du tout la trajectoire des autres usagers de la route. Arf.

Même pas mal.
Même pas mort.
La saison cycliste s'est achevée fin septembre, alors que le Never Ending Summer 2023 était loin d'avoir jeté ses derniers feux. Elle a coïncidé avec une marée haute d'un coefficient de 109 lors de mon ultime trajet de retour, le dernier jour de mon forfait mobilité, conclu au semestre avec l'entreprise, qui me verse une prime mensuelle de 40 euros, à condition que je pédale tous les jours, sans faire aucunement usage de mon véhicule à combustible fossile. 
En fin d'année, la prime est intégralement dépensée en pneus de rechange et en réparations diverses, parce que ça me fait quand même 2400 km par an, y'a un coefficient d'usure, en plus des incidents de parcours et des accidents voyageur. 
Malgré mon logiciel conscience_lucidité, qui tourne toujours en tâche de fond quand je suis au guidon de mon cheval de fer, j'ai au moins un pépin par an. 
Il y a les vieillards maniaques, à ne pas effaroucher, mais il y a aussi les chiens, imprévisibles, et aussi des escarmouches avec les chats, qui bondissent des fossés à la poursuite des souris, en oubliant toute prudence, et c'est pas moi qui leur jetterai l'abbé Pierre. 
25 km, ça fait 2 fois 50 minutes/jour de vigilance allumée tout le temps; sur 50 minutes, il y a forcément des trous conscientiels, des instants d'inattention. Or, si Dieu pardonne, le cyclisme rarement. Je ne suis pas de la génération qui porte un casque à vélo, mais suite à une chute mémorable (j'avais emprunté le vélo électrique de ma femme et n'avais pas bien mesuré la vitesse acquise), j'en ai acheté un jaune fluo, et même que je le porte, et c'est pas du luxe.
Ce soir-là, au moment où je rejoins le chemin de halage, la Loire est déjà passée par dessus l'écluse de Pont-Rousseau, elle remonte généreusement dans son affluent, et les bords de Sèvre sont inondés. Me voici débarrassé du risque piéton.

La Sèvre à marée descendante.
Qui l'eut crue ?

Au début, je trouve ça rigolo de rouler dans 10 à 20 cm d'eau, c'est un plaisir innocent et jubilatoire, ça me ramène à mon enfance, mais elle est un peu boueuse (l'eau, pas mon enfance) (en été, le bassin versant de la Sèvre n'est alimenté que par les usines d'épuration, j'ai appris ça en montant un reportage local sur la sécheresse persistante) et il faut rouler doucement, je ne sais jamais avant d'aborder une section immergée si la profondeur va tolérer mon passage et si je vais pouvoir poursuivre mon trip de vélo d'eau ou rebrousser chemin pour éviter la noyade. 
Daniel Goossens, " Les 2 roues"
Quand la berge est inondée sur plusieurs centaines de mètres, ça devient chaud patate. Je me transforme en Bernard Lavilliers du trajet domicile/bureau. Je suis en short et en sandales, j'avais anticipé, mais si je tombe, j'ai toutes mes affaires dans mon sac à dos, l'électronique embarquée appréciera moyen.  La chaussée engloutie, ça me rappelle aussi l'Afrique, un voyage à moto en Tanzanie à la saison des pluies. 
Des préados du quartier, réfugiés sur un banc déjà à moitié submergé pour assister au spectacle de cette petite apocalypse liquide et silencieuse, me saluent avec des bravos et des encouragements. Ils n'en reviennent pas de voir le vieux Charley passer à vélo tandis que l'eau continue à monter; comme il y a quelques négrillons parmi eux, ça y est, je suis en Louisiane, au coeur du bayou. Grâce à ce coefficient de 109, l'imagination m'entraine enfin là où je souhaite aller, et non là où l'avidité m'accule (le mot est faible). Je rentre chez moi un peu mouillé, et pour tout dire déguisé en zone humide, mais transfiguré par cette expérience de vélo dans l'eau. 
Je suis un précurseur : selon les plus récentes simulations du GIEC, dans 30 ans, le bassin hydrographique de la Loire se sera considérablement élargi, et tout le monde pédalera dans les flaques; sauf moi, dont le caveau sera inondé. 

En rose, projection à 30 ans du bassin hydrographique de la Loire autour de Nantes.
Je ne place pas le sticker "Vous êtes ici", 
sinon vous allez vous inviter à l'apéro.
Encore plus fort : ci-dessous, un mec sur Reddit a eu l'idée, pour rigoler dit-il, de faire une carte de la Bretagne à niveau marin +70m, quand tous les glaciers auront fondu. 
La ville de Rennes a disparu sous les eaux et celle de Nantes est devenue Nantes-sur-mer. 
Cette fonte semble inéluctable, quoi que nous fassions dans le futur.
C'est les autonomistes bretons qui vont être contents, à force de réclamer l'indépendance, ils vont l'avoir sans combattre, et ils n'auront plus à envier l'insularité des Corses pour exacerber leur sentiment d'identité.



Références & liens à consulter  pour hâter l'avènement de Waterworld :
(à chaque fois que vous cliquez, n'oubliez pas que vous faites chauffer un data Center en Californie, dit-il en cliquant comme un ouf) 

https://webzine.voyage/france/cartes/montee-des-eaux-en-france/


https://www.climatecentral.org/ 


Epilogue
un peu comme la drogue, quoi.
Quand donc sortirai-je de cette problématique ?


dimanche 27 août 2023

Non explosés

Cet été, mon passeport était périmé, et les délais pour le renouveler sont devenus surréalistes depuis le Covid, alors j'ai dit à ma femme qu'il était grand temps qu'elle s'affranchisse du patriarcat toxique, et que si elle voulait vraiment aller en Corée avec notre fille, elle n'avait qu'à y aller sans moi, et j'ai fait la tournée des vieux potes âgés en solo.
C'est si bon d'être célibataire, quand ça ne s'éternise pas, bien sûr. Et quand c'est un célibat choisi, plutôt que subi. J'ai passé quelques jours comme majordome chez un auteur de BD que je n'avais pas revu depuis des lustres, puis serveur/plongeur dans le bar d'un ami glacier en Provence, car participer à son activité professionnelle était le seul moyen de le fréquenter en juillet, et début aout, je me suis retrouvé à squatter quelques jours la location de vacances de ma sœur, au-dessus de la plage de Trestraou, sur la commune de Perros-Guirec, où je vécus enfant, on s'en fout grave, mais pour moi ça compte. 

Entre Perros et Ploumanach, même quand il fait moche, c'est beau.
Et si je n'avais pas été du coin, j'aurais trouvé la semaine plutôt déprimante : il a fait gris, il y a eu du vent, et des grosses vagues se sont formées, un temps à ne pas mettre un abbé Cottard dehors, mais rien d'aussi dangereux que les rouleaux dits "de bord" qu'on trouve dans les Landes, et qui sont fourbes et piégeux(nommés ainsi sans doute en hommage à Guy Debord, parce qu'ils participent eux aussi de la société du spectacle, à la fin duquel il ne restera qu'eux). A Perros-Guirec, aux grandes marées, par temps médiocre, on n'est pas irrémédiablement aspiré vers la pleine mer par le ressac, entre deux armoires normandes liquides qui vous tombent sur la margoulette et vous mettent cul par dessus tête. Pas de baïne indifférente à votre présomption de bien connaitre l'océan, générant un fort courant vous entrainant au large malgré de vigoureux mouvements des membres supérieurs et inférieurs jusqu'à épuisement des forces déclinantes. C'est franc, c'est sain. Toute tentative de noyade par imprudence est déçue. En plus, aucune difficulté pour y rentrer : l'eau et l'air étaient à la même température de 17°. Pour moi qui suis quasiment né là, et qui y ai connu une adolescence de geek bercée par le bruit des vagues de livres qui s'échouaient sur le rivage de mon cerveau (les livres, c'est tout ce qu'il y avait pour geeker, à Perros-Geekrec, à part deux chaines de télé en noir et blanc), j'y ai nagé en toute confiance, et avec plaisir. 
Je m'y sens étrangement chez moi, bien que j'en sois parti en 1979. Comme les imbéciles heureux qui sont nés quelque part de la chanson de Brassens.

Les natifs du coin n'ont pas de souci pour se baigner là.
Il suffit d'aller nager derrière les vagues.

Quelques jours plus tard, ma sœur m'envoie un article de Ouest France.

"Un promeneur a découvert, en début d’après-midi, vendredi 11 août 2023, un obus enfoui dans le sable de la plage de Perros-Guirec (..) Une équipe de déminage a enfoui l’obus antiaérien (engin explosif couramment retrouvé sur les plages) dans le sable avant de le faire exploser."

Ca fait donc près de 80 ans que cet obus dormait sous le sable. Des générations d'enfants (et de parents) sont nés, ont grandi et sont morts après avoir trottiné sur le rivage, juste au-dessus de lui, et ont clapoté sans claboter dans les vagues de Trestraou, sans troubler son sommeil de mort ni se faire sauter avec. Rien d'exceptionnel, des obus non explosés, on en retrouve aussi fréquemment vers chez moi, plus bas sur la façade atlantique; faut croire que les détonateurs s'altèrent dans le temps, alors que la charge explosive reste intacte.
Si Dieu existait, est-ce qu'il les ferait péter au passage des touristes allemands, est-ce qu'il me foudroierait si j'écris de telles âneries revanchardes ? La haine du Boche ayant fini par s'éteindre dans les campagnes bretonnes, dont les sillons sont désormais abreuvés de marées noires et d'algues vertes plutôt que de sang impur, on est même carrément devenus potes avec les Chleuhs pour envoyer des missiles en Ukraine, j'ai moi-même de bons amis Chleuhs, c'est dire à quel point je ne suis pas rancunier question munitions non explosées, et les bords de la Mer Noire seront bientôt plus dangereux que la plage de Trestraou.
Comme j'ai repris le microdosage de psychédéliques, ça me rend un peu allégorique, et je me mets à rêvasser sur ces trajets que nous parcourons tous les jours, dans nos têtes, marchant sans le savoir au dessus d'obus non explosés, qui sont là depuis des lustres, jusqu'au jour où boum. Ou pas.
Des obus non explosés dans ma tête, je crois qu'il m'en reste assez peu en stock, depuis le printemps dernier, et je m'en réjouis. J'ai le sentiment d'avoir fait un peu le tour, et pas mal déminé, avec l'aide du psychiatre qui me suit depuis 2011, et qui envisage de mettre fin à nos séances, depuis que j'ai interrompu mon traitement au lithium l'an dernier et que je manifeste des signes inquiétants de santé mentale persistante. Pourvu que ça dure.

Le jour où je suis parti, le beau temps est revenu sur Trestraou.
Perros-Guirec n'était pas assez grand pour nous deux.


mardi 3 août 2021

Loukoum et Tagada contre les IgG anti SARS-CoV-2 (5)

Si vous respirez comme une vieille de 80 balais qui fume 3 paquets par jour (j'en connais) depuis plusieurs semaines alors qu'en fait pas du tout, c'est vraisemblablement que vous trainez une infection pulmonaire retorse et mystérieuse. Si elle s'avère résistante aux antibiotiques et ne peut pas tout de suite être cataloguée aussi facilement que vous le souhaiteriez dans la gamme des effets secondaires de votre immunothérapie, il se peut que votre oncologue vous adresse à un pneumologue pour en savoir plus, que celui-ci vous prescrive un test sanguin, ultime moyen de dépistage du Covid si le test PCR de la semaine dernière s'est révélé négatif, tout en lançant toute une batterie d'examens sanguins sur les maladies auto-immunes après avoir regardé vos scanners thoraciques de plus en plus alarmants en poussant des petits couinements d'impuissance dépitée. Il se peut aussi qu'il parte en vacances ou qu'il ne soit tout simplement pas disponible tandis que vous recevez le résultat par internet, et que vous soyez un peu démuni pour l'interpréter en l'absence de personnel médical spécialisé parmi vos proches.


Ainsi de cette sérologie, reçue hier soir après prise de sang, et qui semble afficher un taux d'anticorps anti SARS-CoV-2 S 22 fois supérieur à la normale. Heureusement que vous n'êtes pas hypocondriaque, que vous êtes juste malade, mais quand même, c'est troublant. Des articles scientifiques consultés sans pouvoir mettre la main sur des indicateurs chiffrés ajoutent à votre trouble :



Une amie infirmière rangée des voitures mais encore pertinente et qui trouve que ça fait quand même beaucoup, accrédite l'idée d'un douloureux combat intime entre les anticorps et le virus. Seriez-vous Survivor, à l'insu de votre plein gré ? Comme vous ne parvenez pas à joindre votre système immunitaire en PCV, malgré toute la méditation que vous faites quand vous parvenez à respirer, il faudra attendre l'avis d'un généraliste, celui-là même qui l'an dernier à la même heure confondit votre mélanome avec un inoffensif angiome, pour vous entendre dire qu'un tel taux d'anticorps IgG est juste révélateur de quelqu'un de correctement vacciné (j'ai eu deux injections d'Astra Zeneca dont la seconde remonte au 15 juin), malgré la formulation relativement ambigüe du résultat d'analyse.
Si cette info peut servir à quelqu'un, tant mieux.

////////////////////// Ma_Fâcheuse_Infection_Pulmonaire® est un spin-off (série dérivée) de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome, la création de John et Jeannette Warsen toujours en cours d'adaptation par les studios Disney, avec possiblement Scarlett Johansson dans le rôle de l'oncle Olog Black Window®, si elle accepte de ne pas demander des droits prohibitifs si la série sort en streaming avant de sortir en salles. ////////


dimanche 9 mai 2021

Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome (4)

Concernant mon cancer de la peau toujours en cours, et ce n’est pas une métaphore pour désigner l’existence qui m’est proposée en attendant qu’elle ne le soit plus, je suis rendu, comme disent les petits-beurre Lu, à 6 mois de traitement, soit juste au milieu de la durée de soin prévue pour guérir de ma longue maladie. Donc finalement, vu de Sirius, ça sera assez court. En principe.
C’est bien la première fois qu’il me tarde d’y être, plutôt que de regretter de n’y être pas allé. Ou de n’y être plus. Vous faites quoi, vous, en un an ? 
Moi, je guéris d’une grave maladie au nom pas sympa, et ça me laisse du temps pour mettre un peu d’ordre dans ma vie, un jour à la fois. Il ne s’agit pas de brûler mes vaisseaux (= prendre une décision en s'interdisant de revenir en arrière, bien qu’on ne revienne jamais en arrière, sauf à voyager dans une machine à flux temporel inversé, ou de rétropédaler sur mon blog).
Si on sait que c’est notre dernière année de vie ici-bas, on s’agite, forcément, on tente de la remplir à fond, pour conclure et laisser trace. Ce n’est que dans l’ignorance de notre condition mortelle qu’on temporise, qu’on ajourne les grands travaux intimes. 
Si le voile de cette ignorance est levé par l'oncle Olog, quels grands travaux va-t-on entreprendre ? 
Saint-Just disait «les circonstances ne sont difficiles que pour ceux qui reculent devant le tombeau» et il ne parlait pas des défectuosités du samsara, ou plutôt, il dénonçait ceux qui les prétextaient pour ne rien faire. Mes affaires terrestres et spirituelles sont figées, engluées dans une sorte de stase temporelle, ce qui est un peu pléonastique puisque la stase désigne un état de choses marqué par l'immobilité absolue, que l'on oppose au déroulement normal des processus. En tout cas depuis quelques mois, j’évite de m’énerver, parce que ça n’apportera rien de bon, cf tes 50 dernières années, pauvre abruti. Tu permets que je m’appelle pauvre abruti ? que je fasse de l’humour auto-dépréciatif, comme les Juifs s’autorisent et même s’encouragent à en faire à leur endroit ? Tu n’es pas juif. Je sais. Ta mère était pire qu’une mère juive. Je sais. Ca compte pas. Laisse-moi travailler. Remonte à l’étage et va faire suer ton fils jusqu’à ce qu’il se rabiboche avec son ex.

L'année prochaine à Marienbad,  l'année dernière à Contis-Plage.
Et réciproquement.
Depuis l’épisode précédent du feuilleton de mon mélanome que je persiste à refuser d’écrire pour éviter de flatter mes tendances victimaires judéiformes érigées en star-système,
et que vous n’êtes pas du tout en train de lire, puisque vous avez été victime d’une suggestion hypnotique contractée en regardant un vieux film de Cronenberg, et que vous êtes en fait en train d’acheter le formidable recueil « L’été de l’infini » de Christopher Priest à la lbrairie la plus proche, voire directement au Bélial, sur les conseils de ce nouvel ami imaginaire que vous vous êtes fait en discutant de l'adaptation du Prestige, je me suis installé dans la routine des soins, et je dois dire que j’encaisse un peu mieux le traitement qu’au début. 
C’est quand même pas du jus d’orange qu’ils me perfusent. Au vu de mes résultats d’analyse, encourageants, et d’absence de métastases discernables par tomographie, par devant et par derrière, l’intervalle entre les séances d’immunothérapie a été porté de 3 à 6 semaines, mais avec double ration de pembrolizumab® pour l'équipage. 
Ai-je gagné au change ? Comme tous les trois mois, j’ai encore fait des tours de manège dans les scanners la semaine dernière. Un cérébral + un PETscan. (Lors d'un PET scan ou d'un examen TEP, c'est kif kif bourricot, Tomographie par Emission de Positons, la caméra TEP détecte les photons d'annihilation issus du produit radiopharmaceutique, alors que les rayons X issus du scanner fournissent l'image anatomique de la partie du corps examinée.)
Toujours pas attrapé la queue du mickey, malgré tous ces tours de manège gratuit, ou plutôt, pris en charge à 100% par la Sécurité Sociale au titre d'"affection de longue durée". 

Mon dernier scanner, sans avoir fumé de CBD avant.
Dans les scanners, les mickeys c’est moins facile à attraper que des aliens dans le buffet, parce qu’ils vous font baisser votre pantalon, sans l’enlever, ce qui confère toujours une grande élégance, puis les bras sont ligotés le long du corps avant que vous soyez enfourné dans le tunnel de plastique intelligent qui va dévisager chaque cellule de votre corps dans le blanc des yeux en moins de 45 minutes chrono.
Pour le scanner cérébral, c’est plus rapide, chez moi il y a beaucoup moins de neurones à inspecter que dans le temps, mais le produit qu’ils injectent avant le scan donne des nausées, je me suis fait avoir la première fois, maintenant j’y vais à jeun.  Cette fois-ci, j’ai osé demander auprès des techniciens de l’hôpital pour connaitre mon poids informatique, et contrôler ainsi si j’avais grossi. Ils m’ont dit que ma base de données faisait quand même 40 Gigaoctets. Prochaine étape : insister pour savoir combien est facturée chaque session de tomographie à la Sécu par le centre de cancérologie, et être empli d'une terreur sacrée, qui ne fasse toutefois pas reculer devant le tombeau.
J’étais curieux de la représentation graphique de la base de données de mon petit corps malade en 3D, ils m’ont même remis une image de contrôle du scanner. Mon oncle Olog trouve le résultat très satisfaisant, bien que comme tu le vois, je porte à gauche, mais ça, ça ne date pas d’hier. Encore que dans le temps, j'avais la trompe bien au milieu. 

Un PET scan plus ancien, quasiment pré-bloguien

Blasphémer Ganesh plutôt que risquer de dé-voiler le visage d’Allah, c’est plus prudent, bien qu’avec les suprémacistes hindous actuellement au pouvoir et l'Inde submergée par une deuxième vague ravageuse, on se demande un peu ce qu’ils foutent, tous ces dieux hindous qui semblent se désintéresser de leurs fidèles… à part Kali, qui poursuit son job, quoi qu'il en coûte.
Après avoir vu des images de corps incinérés sur le parking d’un crématorium de New Delhi, je me demande comment font les gens pour continuer à lire du Stephen King. Pour s'évader ? s'évader où ? il n'y a plus d'ailleurs. Il n’y en a jamais eu, en fait. Je pourrais faire un billet néo-dépressif sur ce thème, mais à quoi bon ? c’est pas ça qui me ramènerait Marie-Louise.

- Mélanome !
- Pembrolizumab® ! Echec !
A côté, je me sens chanceux avec mon cancer : chanceux d'avoir été dépisté à temps, chanceux qu’il soit peu étendu, qu’il soit pris en charge à 100%, que le traitement ne soit pas débilitant, et qu’après une entrée douloureuse dans le royaume des cancéreux, mes semblables, mes frères, mes soeurs, aussi, si tu pouvais remettre ta perruque, merci, chanceux que cette grave maladie survienne pendant une période de chômage, de blacklistage et de Prud'hommes qui tardent à émettre leur délibéré en faveur d'un CDI, comme si c'était une machination complotiste pour me faire retourner écrire des bêtises dépitées ici et dans d'autres endroits encore plus secrets, m'enfin grâce à ça je puis gérer mon planning de soins sans trop avoir à jongler avec un agenda professionnel, puisque j'occulte ma maladie à mon employeur, qui sinon me trouverait bien moins sexy comme CDD, bien que comme je l'ai dit je suis aussi blacklisté qu'un mélanome puisse l'être; dans d'autres circonstances, j'aurais certainement couiné ma race que j'étais sans emploi et avec un cancer, et pourquoi pas bipolaire et alcoolique, aussi, pendant que j'y étais ? 
Et ça n'aurait pas été beau à voir.  
Alors que là, non. Et je l'ai dit, j’ai bon espoir d’en être sorti à la fin de l’année. Le cancer me contraint à rédiger des billets optimistes. C'est le monde à l'envers. Plus jamais ça !!
D’ange annonciateur de mort, ma célèbre oncologue Mélanie Mélanome est devenue au fil de nos entretiens une sorte de Sainte Laïque, qui m’absout des mes péchés (en particulier celui qui m'a mené chez elle : m’être mis au soleil pendant 40 ans au mépris de toute crème solaire) au fur et à mesure que recule pour moi l’échéance fatale jusqu’au-delà de l'horizon de l’improbable, bien que personne ne soit encore jamais mort, et que je peux tout à fait périr d'autre chose dès ce soir, ou alors mi-juin d'une thrombose lors de ma seconde injection d'Astra Zeneca, ce qui ne manquerait pas de piquant, tandis que son quotidien à elle reste solidement rythmé par des annonces de mauvaises nouvelles à faire à des patients moins chanceux que moi. 
J'aurais bien aimé qu'elle me fasse une ordonnance pour acheter du ouiski sans alcool à la pharmacie, en prévision de la murge de déconfinement que Napoléon IV ne va pas tarder à promulguer, parce que avec mon cancer, dans d’autre pays j’aurais déjà eu droit à des pétards sans tabac, alors faut pas déconner, mais je n'ai rien pu lui dire, à ma Sainte Métastase, elle n'aurait rien répondu, et m’aurait regardé avec son sourire triste et masqué. Alors j'ai préféré me taire, parce que j'ai les mêmes à la maison, et que je n'ose pas leur faire des blagues comme ça non plus.
Question de tenir la route ou la brouette, pour contrer les effets invalidants du traitement, qui se manifestent par de la fatigue et des courbatures diffuses et permanentes, j'ai décidé de vivre comme si je n'étais pas malade, pas comme un putain de poutine de négationniste, mais que la maladie se rappellerait à moi bien assez tôt, et du coup je n'entretiens plus le besoin compulsif d’y penser. (A part le fait d'écrire sur mes blogs, où je décèle toujours une dimension de comorbidité, mais ça datait de bien avant le mélanome, et j'ai quand même bien ralenti mon débloggage, en fréquence et en intensité.) J’ai remarqué qu'au bout de deux heures d’efforts des bras, des jambes et des reins, je n’ai plus de jus dans les membres, j’ai brûlé mon gasoil pour la journée, et qu'il est alors temps d’aller faire autre chose, voire de m’allonger avec un bouquin. Du coup, je m’astreins chaque jour à pratiquer ces 2 heures d’activité physique ! et le potager n'a jamais été aussi propre; quand j’étais bien portant, je n’en faisais pas autant.
Et il est clair que plus j'ai d'activité, moins je subis les courbatures. J'ignore si j'en ai moins, mais je les ressens moins, un peu comme avec les acouphènes dont l'intensité subie diminue quand on apprend à ne plus les écouter (ce qui les renforce quasi-mécaniquement) et à dissocier la gène du percept.

C'est loin du chef d'oeuvre annoncé
par télérama, babelio et sens critique.
Et ce n’est pas la maladie, mais le traitement, qui m’affaiblit. Apparemment, on ne booste pas impunément le système immunitaire sans fatiguer son hôte. Et si ça se trouve, c’est même pas le traitement, qui a bon dos, c’est la vieillerie. Mais je ne le saurai qu'après avoir cessé le traitement.
C'est comme ça que suis parti jouer de la débroussailleuse à Albi, chez mémé Rimpoché, après avoir sérieusement potassé la notion de motif impérieux au sens juridique du terme car le long du parcours de 650 km, le danger le plus périlleux n'était pas d’ingérer une salade aux germes dans une station d’autoroute aux restaurants fermés, mais plutôt d’affronter les redoutables Sphynx en goguette de la maréchaussée en ayant coché la bonne case dérogatoire et développé le bon argumentaire.
A 93 ans, et vivant seule chez elle, ma belle-mère se réjouit difficilement d’écouter ses vieux Pink Floyd à fond la caisse toute la sainte journée. 
Et elle ne m’a toujours divulgué aucun mantra secret sur la pratique de Longévité. Pourtant, il serait temps !
Elle reste tout aussi discrète sur le mantra encore plus secret qui lui permet de continuer à survivre à une existence d’une grande aridité entre nos visites, pour ne pas dire une vie de merde, et je lui en sais gré.
C’est peut-être ça, le Grand Secret : attendre et reporter la plainte jusqu’à la tombe. 
Dans le caveau, personne ne vous entend couiner. En attendant, on passe de bons moments ensemble. J’ai passé la semaine à débroussailler et délierrer son jardin. Y'a 2500 m2, y'avait de quoi jouer, y s’agit pas d’effleurer les racines, un pote local m’avait prêté une débroussailleuse, et hardi petit. On y a passé quelques jours loin de chez nous, ça fait du bien. Les gosses ont gardé la maison et le nouveau chat. J'avais emporté mon petit banc de méditation : la difficulté, c’est juste de s’asseoir et de faire croire à la viande qu’elle peut s’identifier à l’esprit. Même 25 minutes par jour, c’est affreusement compliqué tellement ça serait trop simple. Tout le mois de janvier j'y étais, mais là j'ai du mal à m'y remettre (sic). J'en conclus aisément que même si je n'ai pas connu de vortex dépressionnaire depuis l'invention du lithium, en 2015 en ce qui me consterne, je reste le variant breton.  Ma prison n’a qu’un seul barreau, et il fait 27 pouces. Mais je cesse de tourner autour quand je veux. En principe. Quand je fournis l'effort, en tout cas. Et le scanner du cerveau de l'autre jour a quand même révélé que l'énorme tumeur, évoquant à s'y méprendre une bite en érection et qu'ils avaient diagnostiquée inopérable lors du précédent contrôle, est apparemment en voie de résorption.
Ce qui confirme mes progrès dans l’intention de pratiquer le bouddhisme.
Et contrairement à ce que j’annonçais dans le précédent épisode de Loukoum et Tagada, je ne me suis pas lancé à corps perdu ou retrouvé dans le Qi Gong pour Stimuler Mon Systême Immunitaire.
Une amie qui en faisait depuis 30 ans a attrapé un cancer du sein. Ca m'a tout coupé, bien que ça soit une excuse un peu facile, je n'en disconviens pas. Peut-être que grâce à la pratique du Qi Gong, où elle doit être un peu plus assidue que moi avec la méditation, elle a évité tout un tas d'autres maladies.
 « La pratique du Qi Gong a aussi mené quelques amis à des maladies ou à la mort, comment savoir ce qui est souhaitable ? Comment savoir si c’est un échec ou un succès ? »
- Tu ne peux pas dire ça. Enfin, je crois que c’est pas ça que tu voulais dire. Le Qi Gong n’est pas cancérigène. En principe. Tu peux dire « la trajectoire de certains amis impliqués dans la pratique du Qi Gong a été impacté par des maladies à métastases, sans permettre leur rétablissement ».
comment savoir ce qui est souhaitable ?
- « souhaitable » du point de vue de qui, c’est là la question. Quand le cancer triomphe, l’individu hôte meurt. En principe. Le souhait d'épanouissement de la maladie signe sa fin. Le cancer semble alors aussi concon que le scorpion qui était monté sur le dos de la grenouille pour traverser la rivière et qui la pique à mi-parcours, prétextant que c’est dans sa nature. Comment la nature pourrait-elle être porteuse de mort et d’extinction ? si  nous cessions de l’anthropomorphiser, on aurait une chance de le voir. Du point de vue du patient, certains cancers (le plus célèbre restant Fritz Zorn) témoignent d’un désir de mort.
Comment savoir si c’est un échec ou un succès ?
- du point de vue du patient atteint du cancer, que désire-t-il vraiment ? et puis j’ai tellement tronçonné tes trois lignes que je ne vois plus que tu parles de l’effet du Qi Gong sur le cancer. 
Je pense que certains cancers aussi invasifs que dopés aux stéroïdes se moquent bien de pratiques énergétiques. Il n’y a pas d’études sur le sujet.

J'avais en mémoire que "es tut mir leid" c'était "ça me fait de la peine", 

mais mon fils m'a dit que c'est plutôt "je suis désolé"

j'ignore si "es tut mir leid für dich" est plus correct, 

ou si c'est de l'allemand petit nègre.

Même si l'expression "petit nègre" est sans doute

désormais interdite par les ligues de vertu.

Es tut mir leid au Q.

Mon amie malchanceuse, je l’ai baptisée « Miss Tutmirleid ». Ca ne fait rire que moi, et son mari, qui lui a collé un badge, et qui ne parle pas très bien allemand. Je lui fais des tartines d'exposés oncologiques, on se marre bien. Il ne faut pas s’acharner thérapeutiquement à faire rire les cancéreux trop fort, sinon les métastases se dispersent dans tout l’organisme, au gré des secousses provoquées par la rigolade. 
Ce qui est cool, par contre, c’est que les cancéreux ont le droit de faire des vannes sur le cancer comme seuls les Juifs ont le droit de faire des blagues sur les juifs Palestiniens.
Chanson découverte trois mois avant d'apprendre que j'avais un crabe, qui ne m'a pas moins fait rire ensuite. Mauvais esprit, mais assez bien faite, malgré quelques facilités d'écritures (je suppute//qui rime avec femmes de petite vertu)

Sinon, cette semaine on a fait la sépulture d’un pépé punk-farceur de nos connaissances, dont tout le monde pensait que c’était le cancer qui avait eu sa peau, et ils se sont rendus compte presque après-coup qu’il avait succombé au Covid, personne ne s’en est aperçu avant qu’il soit trop tard et le mystère reste entier sur le vecteur de transmission, personne autour de lui n’était atteint.
Et en plus, il avait reçu les 2 piqûres de vaccin Pfizer.
Heureusement que je suis pas Francis Lalanne, je l'aurais mal pris.
Sinon, ça va.

Y'a pas un mec des X-Men qui a le même bob, Bob ?
A part qu’avec mon cancer de la peau, je suis maintenant contraint de faire du jardin et de l'ordinateur avec un chapeau à la con, et ne plus m'exposer au soleil never again quand l'indice UV dépasse 1.
Ce sont des petites misères, par rapport à ce que ça pourrait être.
Et pour pouvoir relancer la saison de jogging, à laquelle la chirurgie, le confinement et le chocolat à l'orange ont porté des coups difficiles à parer, je teste depuis deux semaines un régime dont je parle depuis des années, en remplaçant le repas du soir par un fruit, un yaourt. Les oncologues proscrivent les jeûnes pour les malades du cancer, ils ont bien raison, mais un régime comme ça, Mélanie n'a rien dit, ce qui me freinait dans l’application de cette méthode c’était surtout la crainte de fâcher Jeannette et sa politique des bons petits plats quoi qu’il en coûte, là avec mon statut (mon cancer de Schrödinger, même) je jouis d’une certaine immunité diplomatique, concernant l'alimentation je fais un peu ce que je veux, bref y’a cabane. Profitons-en : le corps vit très bien avec un seul repas par jour. Le mien, en tout cas. En deux semaines, j'ai déjà perdu 3 kgs. En conservant ce rythme, dans moins d'un an j'aurai totalement disparu.

[EDIT]

Raoul Cauvin, le vénérable scénariste (82 ans) des 65 tomes à ce jour des aventures des Tuniques bleues (dans Spirou) n’a pas eu besoin d’un roman fleuve pour annoncer, même pas dans un article mais dans les commentaires de son blog, qu’il arrêtait de travailler, pour des raisons impérieuses :
« Il doit détruire pour survivre » :
Enfin le biopic du mélanome Mélenchon
"Disons simplement que je m'apprête bientôt à rejoindre les grands parents de Greg et Leslie (des lecteurs du journal qui venaient de perdre leur grand mère). L'oncologue est formel. Encore quelque mois à vivre avant d'aller, là-haut, rejoindre tous ceux qui m'ont précédé. Fallait bien que ça m'arrive aussi un jour. Contrairement à certains, je n'ai pas voulu partir cash, créer la surprise... J'ai préféré prendre un peu de temps pour vous avertir. Voilà qui est fait... J'espère m'en être bien tiré... Bien à vous et, tant que je peux encore le faire...vous dire... A+ »

 Une grande leçon de sobriété, donc, à l'intention du public restreint des amateurs de chroniques d'auto-nécrologie. De toute façon, c'est pas un concours de vitesse. On vient tous du même endroit, on va tous au même endroit. Le premier arrivé attend les autres. En principe. Moi, plus je vois mon oncologue, moins elle est formelle; j’aimerais bien voir le bas de son visage, un jour. J’ai pas l’impression qu’elle ressemble à Alien.


[EDIT_2]

 "Du coup, je m’astreins chaque jour à pratiquer ces 2 heures d’activité physique ! et le potager n'a jamais été aussi propre; quand j’étais bien portant, je n’en faisais pas autant." La peste soit des blogs : depuis que j'ai écrit ça, je me retrouve à nouveau très fatigué depuis la semaine dernière, juste bon à regarder des vieux films à la téloche, lire des Christopher Priest très adjaçents, et écouter des Steve Roach quand les enfants dorment. Je ferais mieux d'utiliser mon clavier à autre chose qu'à fabuler.


(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)

lundi 1 mars 2021

C'était le bon temps des restaurants ouverts

Que sera notre futur ? d'après Mathieu Bablet,
pas très jouasse (à la surprise générale).

Planête Terre, vers la fin de l'an 1 du règne du Covid intersidéral, comme l'appelle affectueusement Alain Damasio dans la postface de Carbone et Silicium (une BD ambitieusement déprimante qui annonce notre date de péremption encore mieux que les yaourts, et l'avènement de la post-humanité des Intelligences Artificielles). 
Au bout d'un an, et si aucun proche n'a encore été atteint, on s'habituerait presque à cette apocalypse molle et larvée; cette semi-vie en animation suspendue, l'autre moitié toujours retenue en otage par l'infernal virus Gégène.
Un état de semi-vie ? dans une stase où je conserve une conscience et une capacité limitée à interagir ? Aurais-je basculé en me penchant sur un tiroir ouvert au funérarium de Herbert Schönheit von Vogelsang, dans le Ubik de Dick ? Ca expliquerait pourquoi l'inscription "Je suis vivant et vous êtes mort" ne cesse d'apparaitre en surimpression sur la faïence des toilettes, sans doute pour me faire penser à racheter de l'Ajax WC, mais j'oublie tout le temps. Mais Schönheit von Vogelsang, je ne m'en lasse pas, car ça veut dire "Beauté du chant des oiseaux", rappel utile, car quoi que nous fassions ou ne fassions pas, le printemps arrive. 
Le pêcher près du compost est plein de bourgeons, et le rouge-gorge juché dessus braille comme s'il était doté d'enceintes 150 Watts. Mais qu'on ne s'y trompe pas : simultanément, la bladerunnerisation de la société va bon train. Je t'en foutrai, moi, de la science-fiction.

Derrière chez moi, les voisins aussi sortent sans masque.
Le relâchement est général, car les Français en ont ras le bol.
Quand je veux entrer dans le futur, plus besoin de lire de la SF qui fait mal à la tête, je sors dans la rue avec un masque, et me voici téléporté dans un épisode un peu longuet de Black Mirror. Et quand je veux entrer encore plus loin dans le futur, et envoyer un message fort au gouvernement, je sors dans la rue sans masque, mais là c'est carrément de la fiction spéculative à long terme, sans date butoir. Une utopie échevelée. Et de toutes façons je ne fais que quelques mètres avant d'être arrêté par la maréchaussée, ou par des passants indignés par mon visage découvert, alors qu'ils n'ont même pas lu "Indignez-vous." Et même ça, c'est de la science-fiction, vu que j'habite à la campagne et que c'est pas les bestiaux dans le champ de Raymond qui vont me verbaliser quand je sors dans le quartier.
" Aah ça, y sont forts, les Arabes, d'avoir réussi à nous faire tous porter le niqab, même les mecs, et d'avoir collé ça sur le dos des Chinois. N'empêche que Hong Kong Soushi, là, en Birmanie, elle l'a bien dans le baigneur, ça me console un peu, même si ça nous rendra pas Steve
Allez, René, remets-moi un 51 ! Hein ? René ? t'es où ? Caisse tu fous ?" 

2021, l'année de la vache qui ne rit plus.
Mais ça fait déjà 6 mois que René s'est pendu dans l'arrière-salle de son bistrot désert. C'est pourquoi une quarantaine de députés de tous bords politiques demandent au premier ministre d’étudier la réouverture des restaurants « au déjeuner, pour ceux qui en font la demande », à partir du 30 mars et « avec les procédures sanitaires adéquates », dans une tribune publiée par Le Journal du dimanche.
Il y a aussi les rassuristes, cette nouvelle marque de complotistes plus ou moins scientifiques qui nagent à contre-courant pour affirmer que le coronavirus n’est pas aussi dangereux qu’on le prétend. 
Le mot rassurisme est plus poétique qu’effondrologue, mais tout autant inquiétant. Es tut mir leid, comme disent nos amis allemands. (mot à mot = ça me fait de la souffrance)
Tous ces gens ont tellement idéalisé le passé qu'ils ont oublié les catastrophes qui survenaient parfois, quand c'était soit-disant le bon temps des restaurants ouverts. Ils prétendent n'avoir jamais vu le sketch des Monty Python dit "The Dirty Fork Sketch", qui évoque sans tabou les périls de ces établissements engloutis avec cette époque à jamais révolue où l'on pouvait se restaurer sur place avant de retourner au bureau, en attendant de pouvoir retourner se confiner le week-end.


Les sous-titres sont livrés à part :
d'ailleurs en recherchant ce sketch (que j'avais vraisemblablement idéalisé) j'ai trouvé l'intégrale des sous-titres :
https://www.ibras.dk/montypython/justthewords.htm
et aussi l'intégrale des sketchs, qui me permet de m'y retrouver plus facilement que dans ma pile de fichiers .mkv :
Alors oui, ça c'était l'Age d'or, et oui, c'était mieux avant. C'est clair. Enfin, chaipas, moi. Peut-être que je surréagis (y'a pas à dire, overreact c'est mieux en anglais) à une situation amenée à évoluer lentement, sans toutefois pouvoir jamais revenir au monde d'avant puisque la vie n'est que flux, comme les disques de Steve Roach, et puisque selon le célèbre fragment d'Héraclette, nous ne mangeons jamais deux fois dans le même restaurant, surtout depuis qu'il est fermé et que je consomme le contenu de la barquette qu'il m'a vendue sur un banc public à côté du bureau de chômage.

lundi 30 mars 2020

Yves Cochet : « il est souvent trop tôt pour voir s’il est déjà trop tard »

Yves Cochet : « Avec mes copains collapsologues, on s’appelle et on se dit : “Dis donc, ça a été encore plus vite que ce qu’on pensait !” »
Par Vanessa Schneider
Publié aujourd’hui dans Le Monde à 08h29

Yves Cochet : "je fais super-bien Stan Laurel"
Jolly Jumper : "ne l'écoutez pas, son triomphe lui est monté à la tête"
ENTRETIEN
L’ancien ministre de l’environnement, qui se prépare à un effondrement du système depuis des années, voit l’actuelle crise sanitaire conforter ses théories. Et regrette de n’être pas pris plus au sérieux en ces temps de confinement.

Nous étions allés le voir dans sa longère bretonne où il préparait la fin du monde. Il venait de sortir un livre, Devant l’effondrement. Essais de collapsologie (Les liens qui libèrent), et on le regardait comme un doux dingue, un drôle de Cassandre. C’était en septembre 2019, autant dire il y a une éternité. Avec l’arrivée du coronavirus et le confinement, fini de ricaner : et si Yves Cochet avait eu raison avant tout le monde ? Joint, cette fois, par ­téléphone, l’ancien ministre de l’environnement de Lionel Jospin a la pudeur de ne pas fanfaronner. Certes, il avait écrit noir sur blanc qu’une pandémie pourrait déclencher l’effondrement généralisé – page 123 de son livre –, mais il n’en rajoute pas.
« J’aurais plutôt pensé que cela viendrait d’une crise du pétrole ou d’une catastrophe climatique », reconnaît-il. Il avait prévu la fin du monde entre 2020 et 2030, il a été un peu pris de court. « Avec mes copains collapsologues, on s’appelle et on se dit : “Dis donc, ça a été encore plus vite que ce qu’on pensait !” » Il va sans dire que la situation actuelle apporte de l’eau à son moulin. « Tout cela montre que la mondialisation nous fragilise et rend vulnérable notre économie. Nous sommes trop interdépendants, il n’y a pas assez de résilience locale. Il faut absolument essayer de créer des biorégions qui seraient autonomes en énergie et en alimentation. »

Une longueur d’avance en matière de confinement
L’ancien leader des Verts, qui se prépare à l’apocalypse depuis des années, a pris un sacré coup d’avance en matière de confinement. Dans la maison qu’il ­partage avec sa fille et ses deux petits-fils, il dispose d’un puits doté d’une pompe à bras, de trois citernes comportant chacune 1 000 litres d’eau de pluie, d’un étang dont l’eau peut être filtrée et de bois pour se chauffer pendant cinq ans. « On avait prévu le coup depuis quinze ans. Nous sommes autonomes en eau et en énergie », se félicite-t-il. En matière alimentaire, il n’est pas encore au point et doit se déplacer comme tout le monde avec son autorisation sur papier à l’hypermarché du coin. Un point faible qu’il s’applique à réparer : il s’est acheté des graines et quelques serres et compte bien voir pousser mâche, haricots, tomates et radis dans sa ­ parcelle. Le confinement à la campagne n’a pas le même goût qu’en ville, il l’­admet volontiers : « Contrairement à ceux qui sont bloqués dans leur HLM au onzième étage, nous sommes des ­privilégiés. On a du calme et un bois pour se promener. »
Dans sa petite communauté (il héberge un woofeur, qui bricole pour lui en échange d’une place pour sa caravane, et la petite copine de l’un de ses petits-fils), il respecte les règles en vigueur et les gestes barrière. « S’il n’y avait pas l’immense malheur du monde, on serait presque heureux, constate-t-il. On déjeune ensemble dehors, on ne s’embrasse pas. On a de l’alcool et du gel pour se désinfecter les mains. Et, comme ­personne ne vient nous voir, on est rassurés ! » Sa fille a fermé son cabinet d’ostéopathe ainsi que le temple hindouiste installé à la place de l’ancienne piscine. « Avec un de mes petits-fils, qui est également converti, ils font des chants et des prières pour améliorer la situation, mais je n’y crois pas trop », sourit-il.

Pas donneur de leçons
Au-delà de la crise sanitaire, l’écologiste planche déjà sur les scénarios qui pourraient entraîner un effondrement global du système. « Les chauffeurs routiers, déjà exploités, n’ont plus la possibilité de s’arrêter dans les restoroutes, qui sont fermés, note-t-il. Quand ils en auront marre de manger des sandwichs industriels, on peut imaginer qu’ils décident de s’arrêter de rouler, leur défection provoquera alors la rupture de la chaîne alimentaire. » La fin du monde, Yves Cochet n’est pas sûr et certain qu’elle ait lieu ce coup-ci. S’il pronostique une grave crise économique à l’automne, il ne se mouille pas trop quant à son ampleur : « Tout dépendra du nombre de morts, estime-t-il. S’il y en a beaucoup, on peut basculer dans de l’incontrôlable, de la panique, des émeutes, des scènes de pillage, le chaos social. » Il concède néanmoins, en citant Pierre Dac, qu’« il est souvent trop tôt pour voir s’il est déjà trop tard ».
L’ancien ministre se garde de donner trop de leçons au pouvoir en place. « Ils ont merdé sanitairement, ils ont fait des erreurs d’estimation au début et n’ont pas commandé assez de gel, de masques et de tests. Le confinement a un peu tardé, mais à présent la situation est assez bien gérée. » Le premier discours d’­Emmanuel Macron lui a plu – « un vrai discours présidentiel, du sérieux, c’est ce qu’il fallait faire ». Il apprécie le ministre de la santé, Olivier Véran, et a un faible pour le directeur général de la santé, Jérôme Salomon : « Il est épatant, je l’adore. Tous les soirs, je le regarde à la télévision à 19 heures. Il est bonhomme, habile, il se donne à fond. » Il a tout de même un petit regret : personne au ­sommet de l’État ne songe à lui demander son avis : « Aucun de ceux qui réfléchissent à cette situation depuis des années n’a été appelé, déplore-t-il. C’est dommage, car on a écrit des livres et des articles qui pourraient aider à la réflexion. » Et de soupirer : « Ils ne nous prennent toujours pas au sérieux. »

dans la même collection, en voie de réimpression sur du PQ recyclé dès qu'on aura été livrés :
https://johnwarsen.blogspot.com/2019/02/le-succes-inattendu-des-theories-de.html

dimanche 22 mars 2020

Le renouveau de la SF italienne

" Je vous écris d’Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours. Les courbes de l’épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l’était par rapport à nous il y a quelques semaines.

Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés. Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu’une grippe», et ceux qui ont déjà compris..." 
J'aurais pas cru trouver une aussi bonne nouvelle de Science-Fiction sur un blog intitulé "Profession gendarme". Mais c'est vraiment très bon.

http://www.profession-gendarme.com/lorsque-tout-sera-fini-le-monde-ne-sera-plus-ce-quil-etait/


Je crois qu'il faut encourager les vocations littéraires chez les forces armées, soumises à rude épreuve ces derniers jours, car écrire apaise, et comme le disait le Général, "un pays dans lequel il existe 350 sortes de fromage est difficile à confiner." C'est pourquoi je m'en fais l'écho. La dernière fois que j'avais lu de la SF italienne, c'est quand Paolo Bacigalupi avait écrit quelques romans effondristes à une cadence effrayante (La Fille automate, Water Knife). La fois d'avant, c'est quand Léonard de Vinci avait prophétisé l'hélicoptère de la sécurité civile dédié à l'aide médicale d'urgence, juste avant de se crasher avec Thierry Sabine et la Joconde. 
A côté, on sent bien que les Français tâtonnent encore avec leur pâlote resucée de Shining :

https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/03/21/journal-d-un-parent-confine-semaine-1-comment-je-suis-devenu-instit-par-interim_6033980_4497916.html


Sur le fond, et en bien plus concis, la nouvelle italienne du gendarme m'évoque celle de Ian Watson "La machine à voyager très lentement dans le temps", dans laquelle l'écrivain anglais imaginait que Dieu s'auto-confinait dans une machine temporelle qui marchait à l'envers pendant 40 ans... pour aller sauver l'humanité dans le futur, sinon c'est un peu vain, et je ne peux vous en dire plus sans déflorer l'intrigue, mais si vous avez 20 minutes devant vous, n'hésitez pas à la lire.

mardi 16 août 2016

Les rochers de Ploumanac'h

La côte de granit rose est une curiosité géologique qui s'étend de Perros-Guirec à Trégastel.
C'est un chaos rocheux rosâtre créé par des dieux aux pieds légers, qui se sont livrés là à une partie d'osselets endiablée, puis sont partis en laissant tout en plan.
Leur mère ne leur demandait pas de ranger leur chambre.
300 millions d'années de vents et de marées plus tard, leur ancien terrain de jeu est poli, érodé, creusé de vasques à taille humaine, mélange de gigantesque et d'infime.
C'est là que j'ai appris à gambader, dans ces rochers aux formes arrondies, incurvées (pour ne pas dire maternelles), quitte à y revenir plus tard en tournant le dos à la beauté ou à être foudroyé par elle, comme un adulte stupide qui ne capte plus ce qu'il a sous les yeux.
Petit, je trouvais l'endroit génial pour son côté parc d'attractions naturel, et je ne voyais pas son aspect sacré, et puis quand on habite trop près de la splendeur, on s'y habitue. Ca devient un acquis. J'avais un prof d'histoire-géo qui s'y promenait avec son chien deux heures par jour, quel que soit le temps. Lui, il avait compris le truc.
C'est pas parce que c'était chez moi il y a longtemps que j'y reviens. Bien sûr, quelques souvenirs affleurent lors des randonnées. Mais je ne viens pas pour ça. Je viens pour la contemplation. Les attachements qui se défont, les idées sur soi qui se dissolvent quand on s'asseoit quelques heures sur une de ces dalles de plusieurs tonnes, granuleuses mais pas inhospitaliers aux séants spectateurs.
Dans le temps, il y avait des vieilles qui savaient sur quel rocher s'asseoir pour se ressourcer énergétiquement, sur quel autre s'allonger pour traiter telle ou telle affection. Ce savoir s'est perdu avec elles. Tant pis. Plus le temps passe, plus le site devient un haut-lieu de mon petit druidisme privé. Cet été j'y ai juste fait un jogging, et passé une après-midi dans les cailloux de la plage de Tourony avec ma soeur et ses enfants, dont l'étroitesse d'esprit se fissurait face à la beauté du lieu.
Ici, peu de chances d'apercevoir des musulmanes se baignant en burkini : la mer elle est trop froide, et y'a vachement de courant. Ca n'arrête pas de monter ou de descendre, à 4 noeuds de moyenne. Quand il fait beau c'est splendide, et quand il fait moche c'est splendide aussi.
Je ne mets pas de photos, je m'arrangerais pour y glisser des selfies et ce n'est pas le propos.
Si je refais des infections dépressives majeures comme l'an dernier, il faut que je me rappelle que Ploumanac'h guérit tout et que je peux toujours m'y traîner, quel que soit mon âge et mon état (ils ont créé un chemin déambulateur-friendly sur le sentier des Douaniers), et retrouver cet état d'harmonie et d'unité avec le monde que je ne trouve pas dans beaucoup d'endroits sur Terre.