Souvent, on nous dit "il faut respecter les croyances des autres". Mais qu'est-ce que le respect ? Est-ce que c'est se dire sincèrement "je respecte les croyances des autres" ? Cette sorte de "respect" n'est rien d'autre qu'une façon déguisée de se dire "qu'est-ce que je suis quelqu'un de bon !". Son résultat, c'est simplement de renforcer l'image de soi. L'image d'un soi respectueux des autres. Qui est simplement l'autre face de l'image d'un soi pas respectueux. Premièrement cela ne préjuge nullement du comportement effectif. Un peu comme dire je t'aime. L'autre jour, quelqu'un me parlait d'un garçon qui n'arrêtait pas de lui dire qu'il l'aimait, mais qui en définitive qui ne lui montrait pas plus d'amour que ça. Ce type ne faisait que se fantasmer étant amoureux, et c'était l'image de soi qui lui plaisait. De même, un tas de gens se fantasment respectueux des autres et ne le sont absolument pas. Ce qu'ils appellent "respect", c'est la sensation de bien-être induite par l'image "moi respectant les autres". Si cette sensation est là, peu leur importe de mettre leur chaîne hi-fi à fond toutes fenêtres ouvertes, de faire crotter leur chien sur les trottoirs etc...
Cela pose finalement la question de savoir ce qu'est le vrai respect. Le vrai respect n'induit ni des mots, ni une mise en scène de sa propre image ou de celle de l'autre. Il n'y a pas de sensation d'être comme ceci ou comme cela. En fait, on ne sait pas, l'action est naturelle et il n'y a pas de pensée particulière à ce sujet. Autrement dit, il n'y a ni "respect", ni "non-respect". Il n'y a rien du tout. Car s'il y a quelque chose, il y a moi qui observe la chose, et s'il y a moi, il y a les autres. Pour qu'il n'y ait plus ni moi ni autres, il faut que la chose disparaisse, aussi louable soit-elle.
Chepa prenait l'autre jour l'exemple de la dévotion. "Si vous vous dites "que mon maître est grand et bon", c'est que vous n'avez rien compris aux enseignements du bouddha". Et pour cause. Le premier objet de cette pensée "que mon maître est grand et bon", ce n'est pas mon maître, c'est moi. Si c'était mon maître, j'écouterais ce qu'il dit au lieu de me créer des sensations agréables en m'improvisant auteur d'une pièce dont il serait le héros - car si je puis créer un tel héros, c'est que moi-même je suis quelqu'un de grand et de noble.
Nous en revenons à ce que je disais l'autre jour. On peut soit examiner la pensée du point de vue de son objet, ce qui serait comme examiner une arme sans voir à quoi elle est destinée, soit examiner la pensée du point de vue du penseur dissimulé dans son coeur. C'est ainsi que l'on perçoit que les pensées ne sont pas faites pour décrire le monde, mais uniquement pour magnifier le penseur.
De même, l'art ne décrit pas la nature, ou les choses, mais l'esprit. Si j'écoute une oeuvre à la gloire du communisme (Gayaneh, de Khatchaturian) et que j'en déduis que le communisme est bon, je suis dans une grande confusion. L'artiste, dans son oeuvre, ne fait que retranscrire l'exaltation (la magnification de soi) qu'il éprouve à la pensée du communisme. Toutes exaltations étant égales, il se peut qu'elle soit contagieuse, et que je me retrouve dans un sentiment exalté, qui va générer ses propres images n'ayant probablement rien à voir avec le communisme. L'erreur serait ici de croire que les choses désignées par ces images sont bonnes. Mais en fait, ces images ne font que décrire le sujet qui les crée. Sujet qui disparaîtra avec elles. Il en va de même pour toute noble cause qui nous exalte. Le sujet naît avec la noble cause, disparaît avec elle, et il est le véritable objet de la cause. L'objet de la liberté, c'est moi. L'objet du respect, c'est moi. L'objet de la protection des marsupilamis et des femmes battues, c'est moi. Moi, moi, moi. La réalité est tout autre, et elle est inconnaissable.
Comme le disait Chepa l'autre jour : "Quand je regarde cette fleur devant moi, c'est clair, c'est vide, c'est quelque chose en mon pas rien, mais je ne sais pas ce que c'est".