jeudi 31 janvier 2008

Dernier rappel d’air



“Toi grand, moi petit” © Grégoire Solotareff

Voilà, c’est déjà quasiment l’heure de nous quitter… Je vais finir comme j’ai commencé, la trompe dans le bol, même si entretemps j’ai changé de trompe et de bol, après avoir rincé et rangé l’autre, parce que sinon c’est le bordel. Je vais prochainement résilier mon abonnement au Monde version papier, et je suppose que mon blog n’y survivra pas, il est donc poli de venir prendre congé avant de partir dans une grande vacance et de l’abandonner sur l’aire de repos d’une autoroute de l’information - de vous à moi, j’ai bien peur de n’avoir jamais vraiment retrouvé ni la gniaque ni l’inspiration en rouvrant mon échoppe l’été dernier, c’était devenu assez besogneux, genre ce qui est une aide à un moment devient une entrave à un autre, c’était l’idée directrice d’un beau texte de Sri Aurobindo chanté dans le temps par Brigitte Fontaine avant qu’elle ne devienne une caricature de vieille tox foldingote, et je trouve ça bien compliqué de venir mater par un trou de serrure hyper-secret ce que je tente de déconstruire ici en rajoutant au passage une couche de confiture mentale - avec une certaine ténacité, puisque j’arrive aujourd’hui même à deux cent articles - mais la ténacité, ce n’est pas forcément la qualité première chez un dépendant… même si je ne tiens pas absolument à conserver ce statut de “dépendant” qui résonne parfois comme une crispation identitaire, alors qu’il suffit d’ouvrir la main et de penser à autre chose assez longtemps pour perdre ce statut. Intermittent du spectacle, c’est la même idée, pour perdre le statut, il suffit de ne pas faire ses heures. Si j’en crois quelqu’un qui avait l’air de s’y connaitre, j’aurais quand même sacrément déconné dans mes vies précédents pour avoir un karma difficile comme ça, et c’est peut-être inutile d’en rajouter, inutile de continuer à taper sur le même clou quand il est solidement fixé.
Et n’oublions pas que fin janvier est un moment propice pour démarrer des trucs : j’ai renoncé l’an dernier à peu près à la même heure à une dépendance au tabac vieille de 25 ans, et ça faisait bien 20 ans que je m’interrogeais sur le comment faire, et six mois plus tard j’ai été délivré de l’obsession mentale qui va avec, et je suis connu des services de la préfecture pour psalmodier en tous lieux l’aphorisme “la cigarette crée le manque qu’elle prétend combler”, provoquant des sourires entendus sur mon passage et sur mon soi-disant lâcher prise, mais du coup tous les espoirs me semblent aujourd’hui permis en ce qui concerne les dépendances contractées plus tardivement : laisser tomber la cigarette et surtout ne pas la reprendre, c’est comme tout, c’est difficile au début, mais si on fait ça proprement avec sérieux et constance y’a vraiment pas de raison que l’attachement ne se dissolve pas, et de fait il s’est dissous, et c’est pas cher. Evidemment, chez mes malheureux contemporains qui se crispent comme je me suis crispé pendant 25 ans, ça ne décoince guère; confronté l’autre jour à une nana qui “essayait” de cesser de fumer mais qui, en reprenant une de temps en temps, n’arrivait pas à quitter durablement l’égrégore des rechuteurs (celui qui guette tapi dans la soute, entre l’égrégore des fumeurs et celui des non-fumeurs, l’égrégore des rechuteurs n’est pas le moins puissant des démons) et que pouvais-je faire d’autre que lui psalmodier mon petit boniment avec les accents de sincérité qui tentent de susciter l’attrait plutôt que la réclame ?
Depuis le temps que je constate que l’abus de cyber (qui commence pour moi à plus d’une heure par jour, et j’explose tous les jours mon quota) est mauvais pour mon humeur et mon développement, je ne puis éternellement remettre au lendemain… sans subir l’érosion de ma crédibilité, de mon espoir, mon courage et finalement ma vertu, poil aux laitues.
J’ai des amis bloggueurs cyberdeps, et je suis toujours peiné de les voir radoter dans les ténèbres.
Il est temps de donner l’exemple.
J’ai fini par comprendre pourquoi personne n’écrivait “le guide du branleur” bien que le marché soit en constante progression, c’est parce que l’intuition suffit généralement pour en devenir un.
Tiens, d’ailleurs, merci à ma femme à qui je puis répondre “abstinent, s’il te plait ” quand elle me traite de branleur, même si c’est pour l’instant une mince satisfaction (le fait de répondre ça, pas ma femme).
Merci à Orroz, pour sa patience et son soutien constants depuis trois ans; on trouve son instructif ouvrage “Les dangers du sexe sur Internet ” ici et malgré le peu de suspense ménagé par le titre, c’est un excellent thriller, qui nous tient en haleine, même longtemps après l’avoir refermé (prévoir un protège-livre en papier kraft si vous envisagez de le lire dans le métro et ne voulez pas être l’attraction instantanée de la rame.)
Merci à Flo et Dado pour des raisons assez analogues quoique souvent divergentes, et merci aussi aux gens rencontrés ici, là et ailleurs (putain je ratisse large, c’est vraiment ballot que je renonce à la vie politique, comme disait Jospin en 2002.)

Je ne sais pas pourquoi je repense à cette phrase de Salman Rushdie “le monde est l’endroit dont nous prouvons la réalité en y mourant” (il devait penser à mon blog) ainsi qu’à cette autre “il n’y a personne dans les tombes”(titre d’un roman récent probablement dû à la plume d’un advaïta-védantiste qui aurait trop regardé Six Feet Under), mais qui est surtout une évidence dès qu’on y songe. En les cognant comme des silex l’une contre l’autre, la seule étincelle qui jaillit c’est “J’en ai un peu marre que tu parles de la mort” comme me l’a dit mon fils l’an dernier, ce qui m’avait convaincu d’aller faire quelques séances de rebirth, qui m’ont fait beaucoup de bien.

Chez l’auto-addicté, l’overdose peut être salutaire.

Commentaires

  1. Cet espace, ce lieu, est celui où règne le silence nocturne des vérités
    impensables, inexprimables, là où la pensée retourne en son silence
    originel ; l’existence dans la plénitude de son inexistence. Moment non
    manifesté, non-né, non-advenu. Temps inexistant pour un lieu sans
    localisation. Pour une parole vide de son silence, un dire vide du vide
    lui-même. Un inconnu à jamais indicible et obscur, une « ténèbre »
    insondable et invisible. L’intense abîme du néant en son rien. En cet
    informulable où prend source toute pensée de la non-pensée, où
    s’origine le contact ontologique fondamental, où s’enracine les
    premières lumières de la pensée matinale du logos philosophique. La
    patrie nécessairement oubliée de l’être.

    La révélation de l’inexistence de l’être, n’est qu’un moyen de sombrer
    plus avant dans l’absence de l’être. L’intolérable ne peut se
    comprendre, mais il est certain qu’une seule chance par lui nous reste
    offerte : celle d’accepter le non-sens. L’existant, le sujet, se
    retournant sur lui-même doit donc impérativement affronter dans
    l’angoisse, la nuit vide, l’absence cruelle, son ex-pulsion hors de lui-
    même vers le néant.
    Le sujet n’est rien d’autre que cette ouverture au néant, à
    l’innommable altérité face à laquelle il affronte, tout en rencontrant
    sa tragique limite ; limite tragique au sein de laquelle il atteint
    tout en l’ignorant son invisble souveraineté.
    Il n’est donc d’autre mission véritable pour l’être, il n’est d’autre
    fin authentique pour lui, qu’une souveraine perte définitive qui le
    condamne au silence du non-savoir et aux ténèbres de la nuit.

  2. c’est un peu ce qu’a dû se dire Keith Moon en entrant dans les bardos, car il est mort d’une overdose de cachets pour arrêter de boire, ce qui est à la fois ballot et pas banal. On se connait ?

  3. Bonsoir John. Merci pour la réponse. Non on se connaît pas, mais j’aime bien venir ici de temps en temps, où le combat est franc et clair, le désir infini et l’exécution restreinte, comme toujours, ce dont nous ne cessons de nous plaindre. Pouquoi le constat de notre finitude et l’angoisse qu’elle entraîne nous empêchent-ils de sortir de cette nasse ? Mourir n’est rien ; ce qui est important c’est d’achever de naître. N’avons-nous pas des tas d’enseignements, de techniques, voire de maîtres ou d’exemples, à notre disposition pour entreprendre ce travail ?
    Je n’ai pas écrit le texte que j’ai envoyé. Il est de Jean-Marc Vivenza et, si la réflexion est intelligente et fondée, je suis loin d’en tirer les pessimistes conclusions qu’elle incite à tirer. La vie est si belle qu’il faut l’emmener avec soi dans la mort et entrer dans les derniers bardos Eyes Wide Open. Peut-on y arriver ? On peut, oui ; ça se sait depuis toujours. J’en suis donc certain, mais le problème c’est que je ne suis pas tout à fait sûr de moi :-)

  4. Je me doutais un peu que ce n’était pas de toi : quelqu’un qui convoque “l’innommable altérité” et “sa tragique limite” dans “les ténèbres de la nuit” (nécessairement nocturne, la nuit) ne viendrait pas s’en lamenter à mon huis.
    Emmener la vie avec soi dans la mort, je ne suis pas contre, mais dans quelle poche ? S’il y a un truc qui peut te rassurer, ton “moi” dont tu n’es pas si sûr, ne survivra pas à la mort. Ca se saurait.

  5. Si c’est celui-là, on le voit venir de loin : “Jean-Marc Vivenza, le rédacteur d’une revue intitulée Volonté Futuriste, « Organe du futurisme européen révolutionnaire [le F.E.R.] »[35], est un musicien bruitiste, connu pour ses enregistrements en milieu industriel. « Il relie sa pratique aux conceptions futuristes, exaltation de la volonté, de la technique de l’homme total qui se crée lui-même”.
    Pas étonnant qu’il soit angoissé devant le néant tissé par son mental. On serait angoissé à moins.

  6. Tout à fait d’accord. Ces gens, loin d’être idiots, se complaisent souvent dans une forme de nihilisme désespérant alimenté par leur connaissance des grands classiques de la chose : Heidegger, Jean de la Croix, Boehme, Eckhart ou autre mystique rhénan dont ils n’ont retenu qu’une partie. Ils y tournent mentalement en boucle sans autre repère que leur inquiétude, sans aucune pratique qui leur permettrait de tenter d’en sortir comme le proposent les maîtres indiens, tibétains ou chinois. La religion, ou plutôt la religiosité leur sert parfois de patch.
    Que mon moi ne survive pas à ma mort, c’est évident et cela ne me soucie pas du tout. C’est pour cela qu’il faut mourir vivant, c’est-à-dire travailler à supprimer maintenant le moi encombrant afin qu’il ne gêne pas par la suite. Le dire est facile, le faire l’est moins.

  7. En fait, il est faux que le moi ne survive pas à la mort. Il se résorbe avec les vents au moment du bardo du moment de la mort, et ne restera que le vent très subtil monté de l’esprit très subtils (indestructibles). Ensuite, au moment du bardo de la vérité en soi, le corps d’état intermédiaire se déploie à partir du vent très subtil contaminé par tous les karmas (c’est lui qui garde les traces), de là il passe ensuite dans le bardo du devenir, et ça repart comme en 40.
    N’imaginez pas que vous allez pouvoir laisser votre karma au bord de la route au moment de la mort. Seuls les voiles correspondant au corps physique seront laissés derrière. Mais pas de chance, l’essentiel est ailleurs.

  8. ” N’imaginez pas que vous allez pouvoir laisser votre karma au bord de la route au moment de la mort.” merci d’avoir torpillé l’implicite qui sous-tendait la discussion et de nous couper toute retraite (sauf la retraite de tummo)
    Sur le forum pornodep, je faisais une analogie - en parlant d’autre chose à quelqu’un qui avait de grosses pulsions de prédation d’innocentes : c’est comme si, lui disais-je, en vacances au bord de la mer, tu te mettais en tête de défendre bec et ongles le trou que tu as creusé au bord du rivage et que tu remplis avec ton p’tit seau. Et de te lamenter d’avoir renoncé à cette folie : vider la mer dans TA flaque (par le truchement de ton seau).
    Il me semble que les professionnels occidentaux de “l’intense abîme du néant en son rien” type Vivenza en viennent à ce désespoir de façade de dépit de ne pouvoir se satisfaire (et pour cause) de cette évidence qu’ils ne peuvent rien agréger à eux de leur flirt mal-heureux avec la spiritualité. C’est pourquoi dans la catégorie bruitistes futuristes et révolutionnaires, je préfère le bill laswell de “city of lignt” http://music-share.blogspot.com/2007/09/bill-laswell-city-of-light-1997.html qu’on dirait inspiré par Amm@ et qui à ma connaissance ne se répand pas du fait d’un défaut d’étanchéité en propos houellebecquiens sur l’état de l’Homme ou de l’Histoire. L’hermétisme devient ainsi une façon élégante de se complaire dans le n’importe quoi quand on a des moyens mais pas de fin. C’est aussi pourquoi je ferme mon blog, lassé de mes propres écarts. Poil à la clé du placard.

  9. salut john et salut john
    j’ai la chance de connaitre le vrai bonhomme
    cela n’empeche que j’ai eu beaucoup de plaisirs à lire john

  10. C’est dommage que tu fermes ton blog. j’aurais bien aimer continuer à bavarder un peu avec toi.
    En parlant de tummo, tu devrais aller faire un tour à Harbin, en Chine, voir un peu les sculptures de glace du festival 2008. Malheureusement les sites n’en rendent qu’une infime et pâle idée. Si tu veux, je peux te transférer un incroyable .pps que j’ai reçu hier et qui en montrent à la fois la beauté et le gigantisme. Je nous souhaite un karma de cette nature, c’est-à-dire aussi “propre” que ces magnifiques objets. Le réduire alors en eau, comme le seront ces merveilles … Les formes, voiles en quelque sorte, auront certes fondues, mais nous emmènerons notre eau (notre karma résiduel, notre ‘vérité en soi’) de l’autre côté, à la manière des fremens d’Arrakis. Un peu grâce à tummo peut-être ou peut-être aussi un peu grâce à Amma selon les voies que l’on aura suivies.

  11. Continuer à discuter, c’est pas un problème. Tu trouveras mon adresse mail sur mon site dans le bandeau gauche du blog.
    C’est juste la machinerie du blog qui me pèse, qui ne fait pas fondre grand chose mais qui dégage par contre beaucoup de vapeur.
    Amma ou Tummo ? les copains de Flo sont tous hyper-spécialisés, qui dans Amma, qui dans le dzogchen, qui dans le rève lucide… moi j’ai pris deux cafés et l’addiction, parce que c’est tout ce qui restait de dispo !
    ;-)

  12. Bonsoir,
    Où avez-vous trouvé ce texte de Vivenza svp?
    Merci d’avance!!

  13. Salut John ! Cette décision prouve que tu as décidé de passer à autre chose : tourner la page permet d’avancer dans la connaissance du livre de la Vie (même si ce n’est qu’une page!). Quand j’ai décidé de fermer le Forum, j’étais dans le même état d’esprit. Et les mois qui ont suivi m’ont permis d’apprécier la liberté tout en étant satisfait du travail accompli. Le tien, ce blog mais aussi tous les soutiens envers les dépendants de toutes sortes, est du bon boulot, sois en remercié.
    Bonne route !
    Avec mon amitié.
    Orroz

Démons (13)

Du temps où les Inrockuptibles étaient une revue à dos carré intelligente et esthético-élitiste qui faisait découvrir à quelques privilégiés transis de plaisir des groupes inconnus et indispensables par le biais de compilations réservées aux abonnés et envoyées trimestriellement sous pli discret, certains disques pouvaient nous frapper durablement par leur hargne, leur délicatesse, la pureté de leur inspiration ou leur implacable beauté formelle, et notre pouvoir d’achat avait parfois du mal à suivre… 20 ans plus tard, on trouve tous ces incunables sur le réseau pire-tout-pire, et il sont toujours fréquentables, mais franchement, qui a besoin d’un énième Springsteen sous Prozac ou d’un nouveau Portishead ?

Y’a pas à chier, tout ça c’est la manifestation d’attachements périmés, dits névrotiques, dont on ne sortira que par une longue ascèse, menée dans le courant de l’existence, pour tarir à leur source les perturbations et même les simples distractions du mental, comme disait Arnaud des Jardins dans Rustica, puisqu’on en est resté/revenu là. Seule stratégie susceptible de récupérer l’énergie investie dans ces attachements présents dits normaux (mais on a vu qu’ils n’étaient pas très investis chez moi, et pour cause, on peut pas être au four et au moulin) ou périmés dits névrotiques (cf les 150 derniers posts) et de la mettre ailleurs. Là où j’en ai besoin, par exemple. Loin de cette nonchalance trafiquée pour bluffer l’angoisse de la lumière qui descend, je veux dire que j’ai la vue qui baisse, et ce n’est pas une métaphore, c’est physiologique, alors que je pensais que cette conséquence de l’âge du cristallin me serait épargnée (ne faisais-je pas partie des élus, bien qu’il y ait eu ballotage ?) et que ça n’arriverait jamais à un type comme moi, surtout sur ce blog où je me rêve à l’abri des conséquences de mes non-actes.

Idem pour le forum des z’Orroziens, où je déploie tout l’arsenal fourbi et rutilant de mon cyber-activisme pour dénoncer les ravages de l’addiction au porno. Tu parles. Le fait de me confronter avec mon “problème de téléchargement” me signale encore une fois si nécessaire qu’en matière d’addiction, quelle que soit la nature et la toxicité du produit, en l’occurence minime, c’est ma relation à lui, et partant le comportement (la compulsion) qui est altéré, et c’est cela qui est à voir d’abord puis à rectifier, plutôt que de loucher sur le produit, l’impossibilité à vivre avec et les difficultés à faire sans, etc… et il n’y a pas moyen de faire de petits arrangements avec le mal absolu sans être fortement amoindri sinon dans son essence, du moins dans son existence. Nous ne le rencontrons jamais, le mal absolu (à qui je refuse la majuscule) il nous est toujours relatif, n’empèche que en définitive c’est ça qui nous bouffe, des trucs non résolus et des yaourts périmés qui refont surface pour qu’on les résolve… mais il est difficile de sortir de ses rails sans pour autant dérailler, alors on pare au plus pressé, et ça repart pour un tour. Sans compter le fait que si je jongle de l’une à l’autre et me sers de mes addictions pour justifier mon immaturité, je risque pas trouver la sortie tout de suite ! il faut donc bien commencer par renoncer au symptôme (retrouver la phrase de Eckart Tolle qui parle des occidentaux attachés à leur vernis de culture et ne vivant que par lui, wouarf wouarf)
Inutile donc de persister à diaboliser mon avidité (“Perseverare Diabolicum” disaient les Romains qui n’étaient pas si fous) pour le moment. Ironiser sur ma petite psychopathologie du téléchargement ne fera que ricaner le démon éponyme, s’il existe. C’est d’en avoir croisé en rêve qui me les a rendus sensibles, les démons. Pour les anges, je crois que je ne suis pas équipé pour recevoir certains types de fréquences, ce qui n’est pas une raison pour se lamenter du handicap - assez commun chez les dépressifs - au lieu de rechercher comment combler cette carence en sels minéraux autrement qu’en écoutant les 48 albums de Steve Roach déjà stockés, et en lorgnant sur le 49ème, qui n’est toujours pas disponible en shopdropping1 , sans parler du fait qu’en ce qui concerne les 48 précédents, chacun représente selon mes proches l’archétype du disque idéal pour faire fuir vos amis en fin de soirée, et que j’en viens même à me demander si la musique n’est pas aussi un moyen pervers de marquer son territoire, de signaler à l’autre qu’il est dans votre univers, et qu’il n’y est pas forcément le bienvenu. Oups, j’ai bien fait de dire qu’il fallait que j’arrête de voir le mal partout.

(1) tendance culturelle véhiculée sur la Toile qui consiste à déposer gratuitement un objet à la sauvette dans un rayon d’un grand magasin, soit l’inverse du “shoplifting” (vol dans les magasins)

En plus de toutes les misères susdites, j’ai découvert qu’avant de me connaitre, mon chat avait posé pour des photos de charme. Je suis consterné de ma crédulité.

Commentaires

Elle marche pô ton adresse “johnarobazouanadoo”; c’est con je t’avais enoyé une vraie bafouille qu’est jamais partie; j’me vengerai !

mercredi 30 janvier 2008

Edmonds XII (12)



Evidemment, si le malaise n’était que musical, on s’abstiendrait d’écouter des disques qui procurent inoportunément l’impression que le train est passé sans qu’on soit monté dedans, (cf posts précédents) et d’ailleurs où pouvait-il bien aller, surtout si notre besoin de s’emplir de musiques nouvelles évoque d’autres besoins plus anciens, et qu’on sait déjà par expérience que le trou à remplir est sans fond, et se dire (sans le faire) que tant qu’à ressasser, autant ressasser des mantras, ils sont là pour ça à condition d’y mettre du coeur à l’ouvrage. Mais bon, sur un blog consacré à l’auto-addiction®, quand on a épuisé le sujet on peut bien passer un peu de musique, ça finira bien par ramener au Sujet, épuisé. Un peu comme le cinéma, la musique et ses personnages hauts en couleur procurent des plaisirs de substitution à tous ceux dont l’emploi de bureau ne comble guère les besoins d’aventure. ET pourquoi la musique ? c’est aussi un monde d’où le doute est banni, ma perception m’informe immédiatement sur mes goûts et mes dégoûts, je n’ai que des certitudes. De là à croire que partager ses certitudes est enrichissant… c’est comme le gars qui lit la presse d’opinion pour être conforté dans les siennes, ça tourne un peu en rond, mirontaine mironton.
Imaginons donc que je me la joue “aspirant-au-buzz musical se poussant du coude dans sa sphère d’influence réduite à lui-même” et que je me fasse l’avocat du démon du téléchargement; moins évident que les filles d’hier, parce que c’est compliqué de mettre un mp3 en ligne sur un blog du Monde, qui réduirait ma logorrhée à la portion qu’on grute; ayant néanmoins retrouvé le goût de la curiosité pour la chose sonore (pour cause de symptôme baladeur, et parce que j’ai toujours été un gros consommateur de musique, cet espace qui s’ouvre à l’intérieur de l’autre sans le recouper) je tombe récemment dans le bureau d’un collègue sur une obscure compilation d’artistes ayant participé il y a quelques années aux Transmusicales de Rennes, festival réputé à juste titre pour défricher de nouveaux territoires. Et qu’est-ce qui accroche mon oreille, mmh ? un groupe disparu, un disque introuvable (le groupe s’appelle Sweet back et le disque Amok, et le temps que je comprenne les implications il est déjà trop tard pour s’esclaffer) que je me procure donc par des voies licencieuses, et ô surprise, c’est pas comme dans les compils des Inrocks quand le seul morceau potable, celui qui justement était sur la compile, vous a fait acheter une daube pleine d’hormones, là tout l’album est du même tonneau. On dirait des sessions instrumentales inédites de Morphine période “Cure for Pain“. Hallelouia, merci ô démon du téléchargement.
Quelques jours de diète sonore font d’ailleurs remonter à la limite du champ perceptif de vieilles rengaines : Johnny Rotten période Sex Pistols ou Howard Devoto période Magazine, ou encore quelques années plus tard les juifs ashkénazes de Minimal Compact et leur cold wave existentialiste, tous figés/empaillés dans la splendeur primordiale du nihilisme adolescent et jubilatoire, qu’on revisite comme dans un musée, puis qu’on combat avec des antibiotiques à large spectre : faux prêcheurs farceurs d’Alabama 3, ambient-dub de Bill Laswell, qui n’a jamais eu un jeu de basse extraordinaire, mais qui s’est toujours retrouvé au centre de collectifs hallucinants, et c’est peut-être ça la Sagesse, de savoir bien s’entourer, et qui a joué avec tellement d’avant- gardes expérimentales, qui vont du total planant au trash-jazz-métal en passant par une palette de styles musicaux étonnants, dont certains qu’il a inventés lui-même, qu’on se demande quand il a trouvé le temps de dormir, d’aller pisser et d’épouser la chanteuse éthiopienne Ejigayehu Shibabaw (gasp !), lui qui est à la musique moderne frappadingue ce que Steve Roach est au new-age mou du genou : le nouveau Balzac, et je n’en reviens toujours pas de découvrir des allumés qui passent leurs nuits à faire partager leur passion, certes au mépris des droits d’auteur, mais c’est quand même moins prévisible et plus audiovisuel que mes lancinances et rotomontades d’ex-futur rock critic… ceci dit, si je perds mon temps à écrire cet article en faisant comme si je voulais en venir quelque part, alors qu’il serait si simple de mettre en ligne l’intégrale de King Crimson remixant Gérard Manset et tout le monde verrait de quoi il retourne, il est normal qu’en retour je tente de vous faire perdre le votre, je veux dire, c’est humain… bon c’est vrai que je connais aussi des mecs qui mettent à la disposition de leurs frêres affamés leurs collections persos de photos de cul sur des serveurs plus ou moins accessibles, et qu’à une époque tant d’admirable philantropie me scotchait grave à mon écran, me mettant la larme à l’oeil et la goutte au nez… mais aujourd’hui je trouve ça moins élégant que de proposer de la musique en ligne, surtout si elle est très difficilement accessible ailleurs, alors que les robinets à porno sont omniprésents, et diffusent à l’envi leur totalitarisme soft (selon l’expression de Baudrillard) ou hard (selon la tronche défaite de ceux qui ploient sous son joug.)
Après tant d’excès et de rapines sonores, on se surprend à rêver la nuit de gens malhonnètes et de ruelles non éclairées, dans lesquelles on n’ose s’aventurer parce qu’on se doute bien que ce qui nous y guette tapi n’a rien du comité de quartier. Les souvenirs soit-disant personnels deviennent plus précis mais moins accablants qu’on croyait. Si on réussit momentanément à refaire un film tragique à partir du stock mémoriel, l’instant d’après on n’y croit plus, et puis qu’est ce que ça sera dans 20 ans si on n’essaye pas de changer de disque, même en ayant pris la mesure de l’inertie du navire, de moins en moins maniable au fur et à mesure qu’il accomplit son trajet vers sa destination finale et inconnue, ses cales emplies d’un amer bitume ?
“cause the righteous truth is there aint nothin worse than some fool lyin on some third world beach in spandex psychadelic trousers smokin damn dope, pretendin he gettin conciousness expansion, I want conciousness expansion I go to my local tabernacle and I sing!


Alabama 3 “Ain’t Goin’ To Goa” (1997)

Commentaires

  1. A propos de Steve Roach, tu connais “Secret Rooms” de Kevin Braheny ?
  2. non, mais je viens de le trouver là (encore un site de partage, et j’ai même pas fait exprès, décidément…) http://stigmarestroom.blogspot.com/2007/05/kevin-braheny-secret-room-1991.html
    à la première écoute, ça me rappelle plus Vangelis que Roach… et les sons synthétiques m’en semblent bien naïfs…mais vu ce que j’écoute en ce moment, je me rappelle que quand je buvais beaucoup de mezcal je trouvais que la tequila c’était de la flotte… et que quand je trouve quelque chose cucul, j’ai intérèt à gratter pour voir s’il n’y aurait pas une vraie émotion derrière.
  3. Si je l’ai cité avec Steve Roach c’est qu’ils ont fait un album ensemble, Western Spaces (pas inoubliable), et la piste 6 de Dreamtime Return 1 sent très fort le Braheny aussi, mais je ne sais plus où j’ai mis la pochette du CD pour vérifier.
    Ce que j’aime surtout chez lui c’est son violon synthétique qui a une texture sonore très intéressante (et qui est l’élément principal de Dreamtime Return 1-6).
  4. p’tain c’est super-technique comme discussion mélomaniaque… j’ai du mal avec tout ce qui est narratif chez roach, je préfère les immersions ambient gloubi-boulguesques. Bon comme c’est toi la prescripteuse, je vais réessayer dreamtime return, je te l’échange contre les tibétains de mon nouvel ami (essaye de trouver sa photo, c’est une publicité vivante pour ce qu’il écoute)
    http://music-share.blogspot.com/2008/01/3-laswell-ambient.html
  5. Trop chiants les tibétains… Pour le reste, rassure-toi, on n’est pas obligés d’avoir les mêmes goûts musicaux.

mardi 29 janvier 2008

Dém-onze (11)



Ca c’était d’la musique, bon diou !

Janvier c’est pas toujours un mois super-génial, même en imaginant Nicolas et Carla bien au chaud dans leur petit nid douillet, tout vibrillonants d’amour. On repart dans le passé, moins invivable, mais moins accessible. Aiguisé par un article dans Rock et Folk, ou électrisé par un morceau écouté clandestinement sous les couvertures chez Patrice Blanc-Francard ou Bernard Lenoir, qui officiaient nuitamment sur France Inter, affamé dès le lendemain matin de nouvelles claques acoustiques, on dépensait jadis tout son argent de poche en vyniles prometteurs, qu’on ramenait transi d’espoir d’une escapade en vélo au Mammouth de Palavas, mais il fallait parfois plusieurs semaines pour apprivoiser la galette, tant la première écoute pouvait s’avérer rugueuse et déroutante, nous élargissant sans pitié le paysage musical - soumis à cette époque à une expansion qui semblait ne devoir jamais prendre fin… mais on en voulait pour son argent, donc on relisait religieusement l’article prescripteur signé de Philippe Manoeuvre (qui ne s’était pas encore discrédité en passant à la télé) s’imprégnant jusqu’à plus soif de ses justifications autoréférentes, pour se persuader du bien-fondé de notre achat, et on remettait le disque sur la platine jusqu’à ce qu’il soit intégré à notre oreille et acquis à notre sensibilité, pour ne pas dire rallié à notre cause; car à 17 ans on écoute de la musique comme on brandit un étendard. Le mauvais haschich avait tôt fait d’ouvrir les portes de la perception sonore et d’extruder des paysages en 3-D et en temps réel, s’il vous plait (dix ans avant les premières images de synthèse, les images fixes de théières sur fond d’océan glauque qu’on découvrait à Imagina) à partir du premier sous-Pink Floyd venu.

Et puis avec l’âge et la technosphère vint le téléchargement et ses heures sombres, et pas uniquement pour l’industrie du disque, où l’on crut qu’on allait enfin pouvoir assouvir ses désirs insatiables, sans prendre garde à la contradiction dans les termes, on pensait pouvoir s’redilater à nouveau les horizons et pourquoi pas revoir s’ouvrir la Mer Rouge, ou à la rigueur ta mère noire, compensant le haschich perdu par la foi et la sensibilité musicale retrouvées… mais en vain, car en chemin on se perd complètement, et on se retrouve assez vite à servir la Machine, comme le chante Holden. (ou comme le Floyd, justement, le prophétisait dans Welcome to the Machine), et on maudit les rock-critics depuis longtemps vendus aux enseignes commerciales de continuer à nous le cacher, bien qu’à leur place on aurait fait pareil, d’ailleurs on avait la lâcheté, la médiocrité du mauvais musicien (celui qui ne travaille pas assez son instrument pour savoir s’il a un potentiel ou non) et l’aptitude à engranger des informations inutiles qui auraient fait de nous un excellent rock-critic au lieu d’être ballotés sur les océans de la vie, et rappelons-nous tous les disques qu’ils ont prétendus géniaux et qui se sont révélés n’être que la hype de la semaine, ils mériteraient qu’on les pende avec leurs boyaux aux grilles de la première maison de disques en faillite venue, heureusement qu’ils ont perdu toute crédibilité et qu’ils sont gaiement étrillés par une saine jeunesse, qui plus est féminine, et qui rappelle utilement les fondamentaux en des temps d’avant les rock-critics).

Allez, on remplace la presse spécialisée par la blogosphère, et on recommence, avec des jeux d’influences un peu plus élaborés que les injonctions à “acheter ce disque” mais le principe reste le même pour déclencher le buzz et stimuler le commerce défaillant, à coups d’agrégateurs et de flux RSS, et l’érosion/fractalisation du marché va aller s’accélérant. Quelqu’un qui vendra 150 exemplaires de son cédé sur son site web sera considéré à fort potentiel. Car maintenant que les disques ne valent plus rien (à produire dans de bonnes conditions, si, ça reste assez onéreux, mais à dérober à l’étal, franchement, c’est moins chiant que d’aller à la fnac, et un français sur deux télécharge, et le second n’aime pas la musique) et que l’artiste est relégué au rang de support de promotion pour tourneur de spectacle, maintenant qu’on peut se gaver de mp3 jusqu’à s’en faire péter les disques durs sans débourser un liard, on voit bien que la valeur qu’on attachait aux disques, et cette élévation sacrée qu’ils nous procuraient parfois, dépendait d’un rapport intime et cultuel avec l’objet, un rituel complexe (décrit en début d’article, ami égaré par mon slam saoulant) dont la mécanique semble à jamais endommagée. Et puis les journées n’ont que 24 heures, et la production de musique à priori intéressante excède largement les capacités d’écoute attentive de tout auditeur, tout comme l’accroissement incessant du volume de la production culturelle oblige l’amateur éclairé (et même son frère de lait l’amateur dans le noir pendant la panne EDF) à restreindre de plus en plus leur champ d’investigation.

Idem en sciences, ou dans n’importe quel domaine de la connaissance humaine, rappelons-nous l’idéal de l’honnète homme du 17ème siècle de savoir un peu de tout, il serait mal barré aujourd’hui. Essayez de lire Le Monde tous les jours, ou même Courrier International toutes les semaines, qu’on rigole. En tout cas, à céder aux sirènes du Moloch pire-to-pire, vient le jour où tout skeud ne fait que raviver d’anciennes réminiscences, où toute curiosité est morte, où la musique comme la littérature n’évoquent plus que “perte, tristesse, nostalgie d’un monde perdu, enfance brisée et faucheuse omniprésente” (snif) concepts qui peinent à faire vendre de nouveaux exemplaires de quoi que ce soit, à part peut-être des cercueils. On se sent un peu comme le gros bonhomme dans “Le Sens de la Vie” juste avant qu’il mange l’after eight fatal : on n’en peut plus, on regrette déjà, mais le pire reste à venir.



Commentaires

Impressive ! comme dit la voix-off dans Quake III lorsqu’on met en plein dans le mille au railgun. J’aime bien ton analyse.

Sinon, je trouve toujours aussi marrants tes coq-à-l’âne : on part de bon pied un froid matin de Janvier, on fait un petit coucou en passant à Carla et Nicolas dans un lit douillet, et l’on finit dans le resto chic du Sens de la Vie après avoir traversé en courant le cabinet de travail de Pic de la Mirandole. Qui croirait qu’on est en train de parler de musique et de sa consommation ?

jeudi 24 janvier 2008

Démons (10)

Coincé dans les embouteillages en allant bosser ce matin, en songeant à ce présent gris sale qui préfigure comme deux gouttes d’eau la bande annonce d’un avenir noir pâle sous ce ciel d’encrier qui pèse comme un couvercle mal vissé sur la Loire, réécoutant bien trop fort le premier album des Damned que j’écoutais il y a 30 ans pour me désinhiber de mon éducation plombée, et qui me permet de réaccéder instantanément, avec une intensité inattendue, à l’ancrage acoustico-psychico-spatio-temporel de cette stratégie, de son échec et de la frustration subséquente, je me chope une bouffée de “tiens voilà j’ai 45 ans, et qu’ai-je fait de ma vie ?” (d’ailleurs j’ai stabiloté rageur la tendre résine du cédé “succès de ma jeunesse enfuie, la salope !” alors qu’en y songeant, ma jeunesse est restée là où elle était, c’est moi qui suis passé, parti, emporté par la vie en m’accrochant à ce présent qui devenait déjà du passé, ce qui au passage prouve bien l’inconsistance ontologique du moi, qui n’aurait pas besoin de se raccrocher aux branches basses du matérialisme spirituel s’il perdurait dans sa nature) j’écoute sans l’entendre la musique de ces jeunes gens énervés des débuts du punk, et l’effet est aussi dépressif que des cassettes de développement personnel pour reprendre confiance en soi sur de la musique lénichiante, comme si j’utilisais cette musique pour me lamenter de cette révolte qui n’était pas mienne, de cette violence dont je n’étais pas capable jusqu’à ce que je découvre qu’on pouvait en faire usage contre soi-même et qui est aujourd’hui obsolète, dont les échos moqueurs résonnent dans mon tombeau à roulettes qui m’emporte vers l’usine qui va fermer sans que les ouvriers aient pu se résoudre à passer en salle d’incinération, et je m’autopsie en direct le quart d’heure d’auto-apitoiement grave. Comme je garde les yeux ouverts en roulant dessus à petite vitesse sans en rajouter ni en enlever, le temps que j’arrive au boulot, c’est passé. Et L’album des Damned, je le pose là pour ne pas aller dormir avec.


mardi 22 janvier 2008

Démons (6) (9bis)

J’allais poster le (9) mais Flo me l’a chipé , et je me suis aperçu que j’avais oublié le (6); comme je m’en doutais, y’en a deux qui suivent, mon haltère et mon négro, alias Bave l’éponge et Bob l’épave. Tant pis.

Cher Blog,
je viens de me faire enlever une dent de sagesse, et le dentiste me suggère de garder la bouche fermée pour la journée. Tout à l’heure, tandis qu’il m’extrayait les petits bouts de racine cassés en me récurant vigoureusement la mâchoire de sa pince croco, j’avais beau ne nourrir aucune appréhension inutile et bénéficier de tout le confort anesthésique, je voyais bien que mon âme tentait de se réfugier dans ma chaussure gauche, alors qu’elle n’ignorait pas que c’était une impasse.

Comme j’ai quand même envie de l’ouvrir, je vais condenser ma pensée en tournant sur les deux DDS qu’il me reste. Une résidente du Maroc vient de me prospecter téléphoniquement pour me proposer avec un enthousiasme qu’on jurerait non feint, d’aller chercher des cadeaux que je n’ai pas espérés, et dont je n’ai nul besoin, dans un magasin pas très loin de chez moi, dans le cadre du nouveau programme de harcèlement samsarique mondialisé, et il a suffi que je lui élocutionne péniblement ce que je viens de t’expliquer (”MMOORRFF …ENLEVé DENT DE SAGESSE…MMOORRFF…Peux PAS PARLER… MMAALLL…”) pour qu’elle se confonde en excuses, et je crois que j’ai enfin trouvé la parade à cet affreux spam téléphonique qui fournit de l’emploi à la main d’oeuvre qui n’arrive pas à intégrer physiquement l’Europe mais qui concourt comme elle peut au fonctionnement de ses organes économiques, fussent-ils cancéreux, comme ces organismes vaguement suspects qui vous appellent au moins une fois par semaine pour vous proposer des dégrèvements fiscaux conséquents si vous pouvez justifier de tant de K€ d’impôts annuels, et qui eux se traitent par le frauduleux mais imparable “je ne suis pas imposable” qui les fait vous abandonner, brusquement déconfits.

Le 31 décembre 2007, après avoir installé la nouvelle version de DVD Studio Pro (empruntée à un ami qui tient à conserver l’anonymat) sur mon disque de démarrage, sans laquelle j’étais jusqu’alors confronté à la mystérieuse transmutation de tous les menus de mes DVD de films de famille en caractères cyrilliques au moment de leur gravure, j’ai cru utile de défragmenter ce disque avec TechTool Pro, utilitaire de maintenance pour Macintosh, en espérant un gain conséquent de productivité. J’ai légèrement négligé de vérifier la compatibilité de mon système d’exploitation actuel avec ma version piratée de l’utilitaire, qui m’apparaissait certaine, au mépris d’Aragon (“rien n’est jamais acquis à l’homme”, nous rappelait-il, et chacun connait la difficulté qu’il y a à ne pas anthropomorphiser un disque dur).
L’ordinateur a passé quelques heures à ruminer tous mes fichiers avec de petits bruits flippants de déglutition numérique, à partir d’un disque externe sur lequel je faisais tourner une version légèrement antérieure de mon système d’exploitation, ce qui me permet de parer à différentes éventualités, qui ne tardent pas à croître de façon exponentielle dans le cerveau du geek confronté aux éventuels problèmes d’exploitation de l’usine à gaz que devient nécessairement son ordinateur de bureau qui transforme sa demeure en succursale négligée, en entrepôt désaffecté, et j’ai été intrigué par sa lenteur de défragmentation, même si je tourne sur une vieille bécane de 2001 (l’odyssée de mes spasmes). J’ai compris plus tard que Tech Tool n’arrivait pas à interpréter sa nourriture, et que le résultat de ce mâchouillage ne serait pas celui attendu : après une bonne demi-journée suivie d’une nuit d’exécution des routines, quand j’ai voulu redémarrer du disque d’origine, je me suis heurté à la panne-archétype-de-la-terreur du technicien de maintenance : le système qui plante pendant le redémarrage, avec le message d’erreur qui suggére de redémarrer… désopilante boucle infernale, suivie de l’abattement d’avoir trop ri : on se dit que là, on est allé trop loin, que dès le lendemain (on n’est que le 1er janvier, et déjà à deux doigts de la cybercuite émotionnelle) on abdiquera son habileté, sa prétendue connaissance encyclopédique des trucs à pas faire, et surtout son orgueil, en poussant la porte du premier magasin de fournitures informatiques venu, si on a de la chance on acquerra un utilitaire de réparation, si on en a moins il faudra s’engager dans une procédure plus hasardeuse et plus onéreuse de récupération de données sur système de stockage endommagé, en abandonnant sa machine au bon vouloir et à l’incompétence de techniciens vénaux et méprisants… on se dit qu’on commence bien l’année, que c’est là une preuve supplémentaire de la nécessité absolue de s’extirper une bonne fois pour toutes de ces sables mouvants et chronophages de l’informatique domestique, pour passer à des loisirs moins destructeurs - partager ce temps qu’on s’était promis de jeux et de ris entre les siens, tiens, le petit aura déjà 16 ans dans quelques mois - et si on ne se laisse plus déstabiliser émotionnellement, on est quand même usé par les milliers d’heures qu’il a fallu pour acquérir les routines intuitives qui font de nous un demi-dieu dans les arcanes du labyrinthe que nous avons nous-même tracé, et qui ne servent qu’à rien d’autre qu’à s’en remettre une couche dans la cyber-attitude, savoir-faire d’aucune utilité discernable…
Si ça ne tenait qu’à moi, vu la tournure écologiquement viable qu’il nous va falloir prendre si nous voulons survivre à la facture (en cours de calcul) de notre mode de vie à crédit sur le dos de la planète, je me fabriquerais bien un nouvel ordinateur à partir des circuits hors d’usage de ma chaudière à fuel, mais lors des premiers crash tests, la carte mère en fibre de coco s’est mise à fumer méchamment, peinant à être refroidie par les packs de congélation bleuâtres issus de la glacière à pique nique, et malgré les babas qui nous serinent avec raison depuis des lustres “essaye de te fabriquer ce dont tu as besoin”, force est de constater que nous sommes de plus en plus dépendants de technologies qui nous sont vendues clés et ennuis en mains, pour la maintenance desquelles nous dépendons à 100% d’une des maffias les plus obscures et puissantes qui soient, dont la réparation est aujourd’hui moins à notre portée que de produire de l’électricité pour ses propres besoins si on est un rurbain qui peut se payer un capteur solaire. Mais bon, pousser une gueulante contre le cyber-complot galactique, y’a des blogs spécialisés pour, ne nous complaisons pas dans l’attitude de victime consentante, ça serait pousser le bouchon un peu loin du bord.

Je ne sais plus comment j’ai résorbé la panne infernale, sinon qu’après avoir consulté sur le pécé de ma femme les forums de secours d’urgence aux macs en détresse, j’ai trouvé le raccourci clavier ad hoc qui m’a permis de sortir du cercle vicieux, ou d’y re-rentrer selon l’optique où l’on se place, et j’ai fini par dépanner le bouzin après avoir parcouru plusieurs pistes infructueuses pour en explorer une franchement poétique, avec un bout d’extension appartenant au système 9.2.1 (alors que je tourne sous 10.4.10) retrouvé sur un CD de sauvegardes de bouts de trucs gravé en 2002, l’équivalent heuristique du morceau de sparadrap qui vient à bout de la gangrène, et que ça m’a un peu mangé mon week-end du jour de l’an pour retrouver une situation légèrement inférieure qualitativement à ce qu’elle était avant mon intervention.

Flûte, voici que les beugues se mettent dans mon blog : à force d’invoquer les démons, le (6) a réapparu, je rebaptise donc cet article (9 bis) sans trop m’acharner à vouloir les dénombrer, ça ne ferait qu’empirer. Et je ne rejoins pas pour autant les rangs des conspirationnistes, si le (6) avait disparu c’est sans doute parce que je lui avais sournoisement inclus postérieurement une vidéo dedans et j’avais du tripoter le titre sans m’en apercevoir. La science triomphe toujours du chaos quand elle est au service du confort intellectuel.

Je n’ai pas voulu suggérer de conclusion à l’article, sinon la figure imposée qu’en 2008, en ce qui me concerne, je propose de mettre un terme à cette quincaillerie sans conscience qui n’est que ruine de larmes, et dont le lancinant babil n’est pas sans rappeler les grincement obtenus par Bill Laswell en frottant une fourchette sur du métal rouillé.

Commentaires

  1. Un prof de mathématique nous racontait que Neper avait inventé le logarithme dans le seul but de compter les démons. Est-ce une jolie légende ? je n’ai pu retrouver cette information nulle part. Mais c’est une idée bien utile lorsque tu en seras au post Démons (13734983).

  2. “Plus j’essayais de les compter, plus ils se multipliaient” observais-je dans le songe qui inspira le premier article de la série Démons. D’ailleurs,je ne suis pas très féru de théologie mais il me semble bien que les professionnels de la profession insistent bien sur le côté indénombrable.
    Et je sais bien que tout en recensant un certain nombre d’entre les miens, il m’arrive de les créer du regard.
    Sur Neper, j’en connaissais une autre, qui disait que la progression géométrique des motifs de la toile d’araignée répondait à la fonction mathématique du logarithme népérien, que la bestiole “extériorisait” de façon innée, sauf lorsqu’un chercheur farceur (il y en eut) lui avait fait ingérer de la mescaline, et là il faudrait que je retrouve la photo, parce que ça ressemble à tout sauf à une toile d’araignée.

  3. J’ai vu ces photos. D’autant que je me souvienne, ces petites bestioles supportent assez mal la caféine, aussi : c’était la toile la plus abominablement débile de la série…

samedi 19 janvier 2008

Démons (8)

Devant moi, une black entre à la Fnac, traînant derrière elle une énorme valise tachetée façon léopard. Mû par une impulsion naturelle, je la rejoins et lui propose de porter sa valise. Elle me dévisage sans mot dire, m’abandonne son lourd bagage et se dirige vers les rayons. Je tente de la suivre mais elle me sème rapidement. Je me dis que je suis condamné à revenir hanter ce rêve jusqu’à ce qu’elle puisse récupérer sa malle, préposé à la consigne onirique. Je regarde la valise, qui est maintenant d’une ignoble teinte beigeasse, comme celle de mes grands-parents quand ils venaient chez nous en week-end dans les années 60. Sur la fin de sa carrière, mon grand père a fait de longs séjours en Afrique pour le compte du BIT (on ne rit pas du Bureau International du Travail) et nous envoyait du Cameroun des cartes postales pleines d’éléphants, de zêbres ou de crocodiles, qui nous laissaient rêveurs. Au réveil, je pense que maintenant que je sais à qui appartient réellement cette valise, je ferais mieux de l’ouvrir plutôt que de la trimballer partout. Mais ça va pas être facile : il y a quelques jours, j’ai rêvé de mes grands parents, j’étais dans le salon de leur maison de C** et ils se présentaient à la porte de la terrasse. Pas de problème avec ma grand-mère, mais j’étais saisi d’une terreur glacée à l’idée de laisser entrer mon grand-père dans sa propre maison; dans le rêve, j’ai clairement conscience qu’il est mort et enterré, donc que celui que je vois est un fantôme affamé, dont je sens la malveillance rayonner comme de la radioactivité autour de lui (en me remémorant le rêve, je sens qu’il est possible que sa propre terreur à se voir réincarné en fantôme, lui qui fut un indécrottable matérialiste, soit à l’origine du rayonnement maléfique) et je lui envoie à la figure le verre en pyrex que je tiens à la main ; il s’éclate contre le chambranle de la porte, des éclats volent en tous sens et lui interdisent de franchir le seuil.
C’était un article de thérapie transgénérationnelle, reste plus qu’à trouver le thérapeute.

Commentaires

  1. J’aime bien la chute de la BD. Je vois qu’à propos de thérapie transgénérationnelle, on a subi le même type de chantage idiot.

  2. Pour ne pas faire d’erreur d’interprétation, peux-tu s’il te plait développer cette notion de chantage idiot et me dire à qui elle s’applique ? parce que pour tout te dire, j’ai déjà du mal à savoir de quoi je parle, et pourtant j’essaye de clarifier tout ce qui peut l’être, même si mon rappel de rêves est très fragmentaire et leur interprétation tragiquement freudienne, et je ne cesse actuellement de reprocher à certains leur tentation pour l’hermétisme, alors qu’ils ne font sans doute que “résumer” leur pensée dans des termes qu’ils croient à la portée de leur interlocuteur, présumant un référent implicite commun, bref je ne vois pas.

  3. >> peux-tu s’il te plait développer cette notion de chantage idiot et me dire à qui elle s’applique ?

    Quand j’étais petit et que je voulais pas manger ma soupe, ma môman me disait : pense à tous ces petits biafrais qui meurent de faim…

  4. ah oui, c’est furieusement transgénérationnel de reproduire le même genre d’argument débile…