mercredi 30 janvier 2008

Edmonds XII (12)



Evidemment, si le malaise n’était que musical, on s’abstiendrait d’écouter des disques qui procurent inoportunément l’impression que le train est passé sans qu’on soit monté dedans, (cf posts précédents) et d’ailleurs où pouvait-il bien aller, surtout si notre besoin de s’emplir de musiques nouvelles évoque d’autres besoins plus anciens, et qu’on sait déjà par expérience que le trou à remplir est sans fond, et se dire (sans le faire) que tant qu’à ressasser, autant ressasser des mantras, ils sont là pour ça à condition d’y mettre du coeur à l’ouvrage. Mais bon, sur un blog consacré à l’auto-addiction®, quand on a épuisé le sujet on peut bien passer un peu de musique, ça finira bien par ramener au Sujet, épuisé. Un peu comme le cinéma, la musique et ses personnages hauts en couleur procurent des plaisirs de substitution à tous ceux dont l’emploi de bureau ne comble guère les besoins d’aventure. ET pourquoi la musique ? c’est aussi un monde d’où le doute est banni, ma perception m’informe immédiatement sur mes goûts et mes dégoûts, je n’ai que des certitudes. De là à croire que partager ses certitudes est enrichissant… c’est comme le gars qui lit la presse d’opinion pour être conforté dans les siennes, ça tourne un peu en rond, mirontaine mironton.
Imaginons donc que je me la joue “aspirant-au-buzz musical se poussant du coude dans sa sphère d’influence réduite à lui-même” et que je me fasse l’avocat du démon du téléchargement; moins évident que les filles d’hier, parce que c’est compliqué de mettre un mp3 en ligne sur un blog du Monde, qui réduirait ma logorrhée à la portion qu’on grute; ayant néanmoins retrouvé le goût de la curiosité pour la chose sonore (pour cause de symptôme baladeur, et parce que j’ai toujours été un gros consommateur de musique, cet espace qui s’ouvre à l’intérieur de l’autre sans le recouper) je tombe récemment dans le bureau d’un collègue sur une obscure compilation d’artistes ayant participé il y a quelques années aux Transmusicales de Rennes, festival réputé à juste titre pour défricher de nouveaux territoires. Et qu’est-ce qui accroche mon oreille, mmh ? un groupe disparu, un disque introuvable (le groupe s’appelle Sweet back et le disque Amok, et le temps que je comprenne les implications il est déjà trop tard pour s’esclaffer) que je me procure donc par des voies licencieuses, et ô surprise, c’est pas comme dans les compils des Inrocks quand le seul morceau potable, celui qui justement était sur la compile, vous a fait acheter une daube pleine d’hormones, là tout l’album est du même tonneau. On dirait des sessions instrumentales inédites de Morphine période “Cure for Pain“. Hallelouia, merci ô démon du téléchargement.
Quelques jours de diète sonore font d’ailleurs remonter à la limite du champ perceptif de vieilles rengaines : Johnny Rotten période Sex Pistols ou Howard Devoto période Magazine, ou encore quelques années plus tard les juifs ashkénazes de Minimal Compact et leur cold wave existentialiste, tous figés/empaillés dans la splendeur primordiale du nihilisme adolescent et jubilatoire, qu’on revisite comme dans un musée, puis qu’on combat avec des antibiotiques à large spectre : faux prêcheurs farceurs d’Alabama 3, ambient-dub de Bill Laswell, qui n’a jamais eu un jeu de basse extraordinaire, mais qui s’est toujours retrouvé au centre de collectifs hallucinants, et c’est peut-être ça la Sagesse, de savoir bien s’entourer, et qui a joué avec tellement d’avant- gardes expérimentales, qui vont du total planant au trash-jazz-métal en passant par une palette de styles musicaux étonnants, dont certains qu’il a inventés lui-même, qu’on se demande quand il a trouvé le temps de dormir, d’aller pisser et d’épouser la chanteuse éthiopienne Ejigayehu Shibabaw (gasp !), lui qui est à la musique moderne frappadingue ce que Steve Roach est au new-age mou du genou : le nouveau Balzac, et je n’en reviens toujours pas de découvrir des allumés qui passent leurs nuits à faire partager leur passion, certes au mépris des droits d’auteur, mais c’est quand même moins prévisible et plus audiovisuel que mes lancinances et rotomontades d’ex-futur rock critic… ceci dit, si je perds mon temps à écrire cet article en faisant comme si je voulais en venir quelque part, alors qu’il serait si simple de mettre en ligne l’intégrale de King Crimson remixant Gérard Manset et tout le monde verrait de quoi il retourne, il est normal qu’en retour je tente de vous faire perdre le votre, je veux dire, c’est humain… bon c’est vrai que je connais aussi des mecs qui mettent à la disposition de leurs frêres affamés leurs collections persos de photos de cul sur des serveurs plus ou moins accessibles, et qu’à une époque tant d’admirable philantropie me scotchait grave à mon écran, me mettant la larme à l’oeil et la goutte au nez… mais aujourd’hui je trouve ça moins élégant que de proposer de la musique en ligne, surtout si elle est très difficilement accessible ailleurs, alors que les robinets à porno sont omniprésents, et diffusent à l’envi leur totalitarisme soft (selon l’expression de Baudrillard) ou hard (selon la tronche défaite de ceux qui ploient sous son joug.)
Après tant d’excès et de rapines sonores, on se surprend à rêver la nuit de gens malhonnètes et de ruelles non éclairées, dans lesquelles on n’ose s’aventurer parce qu’on se doute bien que ce qui nous y guette tapi n’a rien du comité de quartier. Les souvenirs soit-disant personnels deviennent plus précis mais moins accablants qu’on croyait. Si on réussit momentanément à refaire un film tragique à partir du stock mémoriel, l’instant d’après on n’y croit plus, et puis qu’est ce que ça sera dans 20 ans si on n’essaye pas de changer de disque, même en ayant pris la mesure de l’inertie du navire, de moins en moins maniable au fur et à mesure qu’il accomplit son trajet vers sa destination finale et inconnue, ses cales emplies d’un amer bitume ?
“cause the righteous truth is there aint nothin worse than some fool lyin on some third world beach in spandex psychadelic trousers smokin damn dope, pretendin he gettin conciousness expansion, I want conciousness expansion I go to my local tabernacle and I sing!


Alabama 3 “Ain’t Goin’ To Goa” (1997)

Commentaires

  1. A propos de Steve Roach, tu connais “Secret Rooms” de Kevin Braheny ?
  2. non, mais je viens de le trouver là (encore un site de partage, et j’ai même pas fait exprès, décidément…) http://stigmarestroom.blogspot.com/2007/05/kevin-braheny-secret-room-1991.html
    à la première écoute, ça me rappelle plus Vangelis que Roach… et les sons synthétiques m’en semblent bien naïfs…mais vu ce que j’écoute en ce moment, je me rappelle que quand je buvais beaucoup de mezcal je trouvais que la tequila c’était de la flotte… et que quand je trouve quelque chose cucul, j’ai intérèt à gratter pour voir s’il n’y aurait pas une vraie émotion derrière.
  3. Si je l’ai cité avec Steve Roach c’est qu’ils ont fait un album ensemble, Western Spaces (pas inoubliable), et la piste 6 de Dreamtime Return 1 sent très fort le Braheny aussi, mais je ne sais plus où j’ai mis la pochette du CD pour vérifier.
    Ce que j’aime surtout chez lui c’est son violon synthétique qui a une texture sonore très intéressante (et qui est l’élément principal de Dreamtime Return 1-6).
  4. p’tain c’est super-technique comme discussion mélomaniaque… j’ai du mal avec tout ce qui est narratif chez roach, je préfère les immersions ambient gloubi-boulguesques. Bon comme c’est toi la prescripteuse, je vais réessayer dreamtime return, je te l’échange contre les tibétains de mon nouvel ami (essaye de trouver sa photo, c’est une publicité vivante pour ce qu’il écoute)
    http://music-share.blogspot.com/2008/01/3-laswell-ambient.html
  5. Trop chiants les tibétains… Pour le reste, rassure-toi, on n’est pas obligés d’avoir les mêmes goûts musicaux.

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