jeudi 24 janvier 2008

Démons (10)

Coincé dans les embouteillages en allant bosser ce matin, en songeant à ce présent gris sale qui préfigure comme deux gouttes d’eau la bande annonce d’un avenir noir pâle sous ce ciel d’encrier qui pèse comme un couvercle mal vissé sur la Loire, réécoutant bien trop fort le premier album des Damned que j’écoutais il y a 30 ans pour me désinhiber de mon éducation plombée, et qui me permet de réaccéder instantanément, avec une intensité inattendue, à l’ancrage acoustico-psychico-spatio-temporel de cette stratégie, de son échec et de la frustration subséquente, je me chope une bouffée de “tiens voilà j’ai 45 ans, et qu’ai-je fait de ma vie ?” (d’ailleurs j’ai stabiloté rageur la tendre résine du cédé “succès de ma jeunesse enfuie, la salope !” alors qu’en y songeant, ma jeunesse est restée là où elle était, c’est moi qui suis passé, parti, emporté par la vie en m’accrochant à ce présent qui devenait déjà du passé, ce qui au passage prouve bien l’inconsistance ontologique du moi, qui n’aurait pas besoin de se raccrocher aux branches basses du matérialisme spirituel s’il perdurait dans sa nature) j’écoute sans l’entendre la musique de ces jeunes gens énervés des débuts du punk, et l’effet est aussi dépressif que des cassettes de développement personnel pour reprendre confiance en soi sur de la musique lénichiante, comme si j’utilisais cette musique pour me lamenter de cette révolte qui n’était pas mienne, de cette violence dont je n’étais pas capable jusqu’à ce que je découvre qu’on pouvait en faire usage contre soi-même et qui est aujourd’hui obsolète, dont les échos moqueurs résonnent dans mon tombeau à roulettes qui m’emporte vers l’usine qui va fermer sans que les ouvriers aient pu se résoudre à passer en salle d’incinération, et je m’autopsie en direct le quart d’heure d’auto-apitoiement grave. Comme je garde les yeux ouverts en roulant dessus à petite vitesse sans en rajouter ni en enlever, le temps que j’arrive au boulot, c’est passé. Et L’album des Damned, je le pose là pour ne pas aller dormir avec.


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