mardi 29 mai 2018

Mon nombril, ma bataille (6)

Force est de constater que les parties intimes
vues en coupe sont quand même beaucoup moins érogènes.
Bon dis donc coco, si t'es parti à repeindre le salon, on va essayer d'aller au bout des choses, donc si on veut résumer ta pensée, avec l'alcool on paye cash, avec le tabac on paye quand c'est trop tard, et le p0rn, on paye quand ? hein ? et comment ?
- ben déjà, si on est un peu malin, le p0rn on paye pas, on en trouve du gratuit partout, on va quand même pas engraisser les margoulins du pain de fesse, mais en fait, au-delà de cette bravade affligeante, force est de constater comme on dit sur M6 que le p0rn on le paye à la fois cash et à crédit(1), et surtout on finit par payer de sa personne, dans sa chair et de son esprit. Je ne reviendrai pas sur les lésions étrangères affectant l'imaginaire sexuel de ceux qui se livrent au p0rn à l'excès. D'abord parce que c'est la pierre angulaire (quoiqu'un peu branlante) sur laquelle j'ai bâti ce blog il y a 15 ans, mais aussi parce que j'arrive à un âge où une érection tient déjà du miracle, alors me masturber devant du p0rn est pressenti comme un événement tellement néfaste sur le plan énergétique qu'en général je m'abstiens sans peine mais sans joie, et tout cela reflue hors de moi, bien qu'à regret, petit à petit, et par saccades. Soyons honnête, ça met quand beaucoup plus de temps à me quitter que je ne le pensais, mais il est vrai que j'ai passé des années entières à guerroyer contre le p0rn, comme un Don Quichiotte du cyberspace, ça n'aide pas. Il vaut mieux lâcher l'affaire et aller voir ailleurs si on y est.
L'année dernière j'ai remis un compteur d'abstinence à tourner sur un forum de pornodeps caché bien en évidence au milieu de ce blog, parce que je trouvais que ça recommençait à déraper, et que mes dépressions avaient bon dos, surtout depuis que le lithium m'assure une relative stabilité du survol en mode drone furtif de mes champs de bataille passés, puisque je persiste souvent à les hanter plutôt que d'expérimenter l'incroyable richesse potentielle de l'instant présent, une fois que sa perception est décontaminée des scories d’hier, qui pour la plupart remontent aux calendes grecques.
Et je me demandais si je ne me condamnais pas moi-même à vivre entre deux eaux troubles comme le malheureux alcoolique du post précédent, ni noyé ni sauvé, pour toujours et à jamais.
Et puis comme disaient les Anciens, il semble bien que qui vive par le zguègue risque de périr par le zguègue, puisque depuis quelques années s'est développé en mes tréfonds un kyste épididymaire qui atteint maintenant une taille respectable, comme un gros sac de cacahouètes surnuméraires à l'intérieur de mon sac de cacahouètes normales (sans gluten). Quand j'ai appris que cet enkystage était relativement bénin quoiqu’inconfortable et un peu flippant, ça m'a rappelé cette blague entendue au CP/CE1 des deux gars qui discutent sur un banc :
"ah mon pauvre, t'as pas idée... si tu savais... à nous deux on en a cinq !
- ah bon ? pourquoi ? t'en as qu'une ?"
J’ai récemment consulté un urologue pour envisager une ablation du kyste, opération qu’on m’avait déconseillée tant que je n’étais pas gêné, parce que même si c’est banal et sans danger, même si c’est sous anesthésie générale et même si je ne suis pas hypocondriaque, je ne me ferais pas ouvrir le scrotum à la légère. Le spécialiste n’a pas voulu se mouiller, il m’a dit que des gens venaient le voir avec des kystes moins gros, d’autres attendaient que ça soit plus volumineux pour consulter, mais il me laissait seul juge de la gêne ressentie. Je l’ai interrogé sur les conséquences de l’acte chirurgical, il m’a répondu « un mois sans se baigner », comme l’été arrive, c’est tout réfléchi et carrément raidi bitoire, pour l’instant je vais continuer à vivre avec ma tumeur non-suspecte, ça fait presque 10 ans que ça dure, tant que les femmes ne me dévisagent pas l’entrejambe sur la plage, j’assume. Et puis c'est pas un truc de fille, ça, dévisager l'entrejambe, plus un truc de mec. Entre cette inflation du cours de ma Bourse, ma toison pubienne qui se couvre de neige à l'approche de l'hiver et la réduction de la taille de mon pénis que je constate même en dehors des périodes dépressives, je me dis qu’au fond, ce que j’ai perdu en bite, je l’ai gagné en couilles.

(1) cf "Quand tu aimes la musique sans la payer, c'est comme si tu allais aux putes, tu t'amuses bien, et au moment de payer tu t'enfuis en sautillant, le pantalon sur les chevilles, parce que les macs c'est vraiment des connards." qui devient « Quand tu aimes le p0rn sans le payer, c'est comme si tu allais aux putes, tu t'amuses bien, et au moment de payer tu t'enfuis en sautillant, le pantalon sur les chevilles, parce que Dédé la cyber-Saumure c'est vraiment un connard."

mercredi 23 mai 2018

Mon nombril, ma bataille (5)

L'alcoolique à l'abstinence difficile qui avait brocardé le petit Jésus (post antépénultième) en le dessinant crucifié sur un tire-bouchon dans le bulletin paroissial du mouvement AA était très perturbé par les conséquences pourtant prévisibles de son blasphème, et émargeait sans doute aussi aux Narcotiques Anonymes puisqu'il leur avait emprunté la sacro-sainte formule auto-introductive en réunion "je m'appelle Jean-Luc, je suis abstinent de tout produit modifiant le comportement..." à laquelle il ajoutait d'un air entendu "et j'essaye aussi d'être abstinent de tout comportement modifiant le comportement, mais c'est difficile en ce moment "; le pauvre se définissait quasi-exclusivement par ses addictions passées et l'historique de ses efforts visant à l'en débarrasser.
On se doute bien que l'individu qui se présente spontanément comme fortement attaché à son identité de dépendant aura sans doute du mal à passer à autre chose, une fois le sevrage achevé. J'admirais les fulgurances éventuellement hors-sujet de ses partages en réunion ("J’ai été éduqué “façon amour” et “réalité attachement”, comme il y a des blousons en skaï “façon cuir”, ça ne pouvait que me plaire), mais il était très instable, au bout de quatre ans on aurait dit qu'il venait de démarrer l'abstinence la semaine dernière, on murmurait qu'il avait tâté de la magie noire, et que ça lui avait bien niqué les canaux. Avait-il réellement flirté avec des forces qui le dépassaient et en avait-il gardé un trouble du sens commun, ce qui lui permettait de peindre des moustaches à la Joconde, puis de fondre en larmes parce que Mona Lisa avait du poil au menton ?
Je l'ignore, c'était il y a 25 ans au groupe AA de Belleville-Amandiers que j'ai cessé de fréquenter en quittant Paris  en 1996.

L'inscription au mur :
"Salle de réunion / Dispersion des cendres"
(en français et en flamand)
devant un funérarium en Belgique.
Don anonyme de ma belle-soeur
réalisé lors de la dispersion de sa maman.
Un membre des AA me terrifiait pour d'autres raisons : il semblait à jamais dérivant entre deux eaux, c'est à dire qu'il n'était ni perdu ni sauvé, pour toujours et à jamais, son visage le prouvait en retournant doucement vers Cro-Magnon, visage perpétuellement défait et aux traits à demi-effacés pour avoir mariné trop longtemps dans un mélange d'eau de vaisselle et de "spiritueux à base de whisky" comme on en trouvait des flasques très bon marché chez Ed l'épicier discount, mais son assiduité aux réunions le préservait de sombrer totalement. Alors les autres membres du groupe de la rue Rambuteau, qui tenaient réunion dans cette salle en sous-sol des Halles dont les murs suintaient le manque et la souffrance humaine, avaient dérogé à la règle de l'anniversaire de sobriété continue, pour offrir  au noyé une petite cérémonie pour ses 3 mois d'abstinence, parce que déjà ça c'était incroyable.
Ses cheveux en broussaille, son éternel walkman vissé aux oreilles, son anorak bleu passé à l'orange, il nous souriait de toute sa gratitude à travers ce nuage d'hébétude qui sourdait de lui. C'était mignon, mais j'étais épouvanté par "la possibilité du nul", pour paraphraser un Houellebecq en biais(1), je trouvais atroce pour lui qu'il puisse voir la lumière mais se révèle incapable de vivre dedans comme le faisaient les autres membres en se faisant mutuellement la courte échelle vers le Dieu des AA, peu exigeant sur les conditions d'entrée. J'aurais préféré la mort à un sort si funeste. Je n'étais plus du tout hanté par l'idée de ne pas être à la hauteur (post précédent), parce que je sentais bien que le pronostic vital était engagé, et que je ne voulais pas mourir de ça. J'avais peu d'espoir sur le long terme mais j'appliquais donc scolairement ce qu'on me suggérait, et comme ils le suggéraient, c'est à dire 24 heures à la fois. C'est dans l'adversité et les circonstances difficiles que je me révèle apte à dépasser mes limites, alors que dans le confort, j'ai tendance à piquer du nez, comme beaucoup de gens.
Bref.
Pour cesser de boire j'ai été aidé par le fait que la toxicité du produit se paye cash, sur l'état général, le boulot, les relations personnelles.
Mais pour ne plus fumer, je mégote et tergiverse depuis 25 ans, comme notre ami noyé plus ou moins volontaire; il faut dire que le tabac, on paye à crédit. On paye quand c'est trop tard, quand le généraliste vous envoie chez le pneumologue qui demande à Piccoli dans ce vieux film de Bunuel s'il peut "l'ouvrir dans la semaine" pour vérifier un truc. Je connais plein de gens dans la même situation que moi, qui marchandent au jour le jour entre leur vital, leurs pulsions et la distance qui les sépare du premier buraliste, et ce n'est pas parce que nous sommes plus nombreux que nous avons plus raison.
J'ai donc tout intérêt à me rappeler que l'échec est total, la cabane sur le chien etc... sinon je vais me croire guéri et tout sera à recommencer après la première cigarette dite "récréative", ou le premier joint éponyme.

(1)quand j'étais petit on m'appelait "bec en biais", ce qui à tout prendre est plus élégant que "gueule de travers". Ca ne s'est guère arrangé quand je me suis fracturé la mâchoire au fond d'un canyon espingouin, mais c'est une autre histoire.

samedi 19 mai 2018

Mon nombril, ma bataille (4)


selfie en béton précontraint
réalisé à vélo en allant au boulot,
qui est un peu revenu (26 km A/R)
"Je ne suis pas à la hauteur", mon credo de dépressif récemment contrarié dans son actualisation par les effets du lithium, ça me rappelle vaguement quelque chose, un sentiment de honte et d'incapacité diffus à certains moments-clés de l'enfance et de l'adolescence.
A 6 ans, j'avais des petits voisins enfants de rugbyman, et après un bon western à la télé le dimanche après-midi nous nous adonnions parfois à des jeux un peu brutaux sur la pelouse du jardin; je me rappelle d'une fois où j'avais dû me faire un peu mal en leur compagnie, je chouinais grave et je revois leur père tenter de me consoler sur un ton badin "mais enfin John, t'es un dur !", et moi de lui répondre, toujours en geignant "bouhouhou...non, chuis un mou !", provoquant l'hilarité générale et donnant ainsi naissance à une blague familiale légendaire, mais c'était pour moi un énoncé objectif d'un défaut de constitution.
Je crois me souvenir que je n'avais pas du tout prévu de dire ça à ce moment-là, surtout au risque de perdre la face auprès de mes voisins dans les siècles des siècles, mais je venais de déduire de mon comportement peu combatif un certain manque de motivation à affronter la vie, et j'étais condamné à l'avouer (comme je me sentirai plus tard condamné à avouer des tas de trucs pas toujours répréhensibles; l'aveu constituera peut-être chez moi une stratégie défectueuse en elle-même.)
Et surtout je ne pouvais pas me laisser enfermer dans cette image mensongère de "dur" dont Pierre F. voulait m'affubler, même pour rigoler.
"Je ne suis pas à la hauteur", ça me fait aussi penser à ma mère, qui n'avait pu s'empêcher d'ouvrir en cachette un lourd cahier Clairefontaine pourpre à petits carreaux sobrement intitulé "Ma vie, tome 1" que j'avais commencé à rédiger vers 11 ans, et elle s'était beaucoup inquiétée d'y trouver nombre de considérations plombées autour du concept de "tout est vain" (=> puisqu'on meurt à la fin) qui l'avaient beaucoup inquiétée, elle me l'avait avoué bien plus tard. Mais elle s'était bien gardée de m'envoyer chez le spichologue, car le Pater Familias professait haut et fort à l'époque que l'inconscient n'existait pas, et que la spichologie n'était donc d'aucune utilité.
"Tout est vain" n'équivaut pas à "Je ne suis pas à la hauteur" bien que le second puisse mener au premier par utilitarisme psychologique, cf la fable de La Fontaine dans laquelle le renard, désespérant de pouvoir attraper les raisins situés trop en hauteur, décrète qu'ils sont trop verts.

autre selfie en béton précontraint
un peu plus ressemblant,
réalisé à vélo en revenant du boulot,
qui est un peu reparti (26 km A/R)
"Tout est vain" est un mantra puissant, qui m'a beaucoup servi pour désamorcer les atteintes des déceptions, désillusions, désabusions que ne manque pas d'occasionner la confrontation du monde, de l'idéal et du potentiel personnel.
J'en ai usé et abusé, et finalement il ne m'a protégé de rien du tout puisqu'une fois parvenu à l'âge adulte, biologiquement parlant, j'ai eu recours à des moyens plus triviaux (alcool, tabac, p0rn) pour combattre les frustrations, le plus souvent en les exacerbant.
Bref, comme je me suis défini il y a deux articles de ça "abstinent de tout", j'espère que le renoncement n'est pas la résignation, sinon je vais me reprendre les mêmes baffes quand mon vital va se réveiller et ruer dans les brancards de l'ambulance.
Heureusement que je n'ai pas cessé de boire comme j'arrête de fumer, il y a longtemps que je serais mort.
Et même si ça marche cette fois-ci, rien ne m'interdit de disparaitre dans quelques années, emporté par un cancer du poumon consécutif à 35 ans de tabagisme passionné.
INRI pas du tout.

mercredi 9 mai 2018

Mon nombril, ma bataille (3)

Je discute avec mon psy des bienfaits du lithium, eu égard à ma situation subjectivement difficile de grande "vacance" professionnelle ces derniers temps. J'ai l'impression d'être en suspension sur un plancher de verre, d'où je peux voir les abysses souterraines dans lesquelles je n'ai pas jusqu'à présent chuté ou culbuté vers les Enfers, virtuels ou réels, quand je ne suis plus bon qu'à être nourri à la cuiller. A tort ou à raison, j'attribue cela aux vertus du médicament. Mais c'est peut-être du manioc magico-religieux, comme les liens que j'ai imaginés (bien que vécus) entre la cigarette et la lombalgie. Je suis incapable de m'en attribuer spontanément la paternité, mais si ça se trouve, l'impossibilité de sombrer dans une belle grosse dépression vient de moi et de mon expérience, ou même de Dieu, mais vu de la façon dont je prie, quand je prie, ça m'étonnerait.
Là, le bottom of ze bottom, je n'y ai pas accès, c'est comme un paysage sous-marin observé depuis un bateau à fond transparent dans les calanques marseillaises, où l'eau doit être assez dégueu, quand même. C'est comme un plafond de verre, mais à l'envers.
 Le plafond de verre, j'ai été obligé d'aller regarder sur internet, un jour tous les journalistes se sont mis à utiliser l'expression comme s'ils s'étaient passé le mot comme un virus, comme les "black blocs" quelques semaines plus tard, le plafond de verre, c'est le fait que, dans une structure hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes, et que Femmes, Noirs, Musulmans, Enarques n'ayant pas fréquenté Polytechnique ou la bonne loge maçonnique, s'écrasent comme des merdes contre un plafond invisible en voulant prendre leur envol vers des postes avec plus de responsabilité et de rémunération.

Ma prochaine start-up :
les croisières Warsen à fond transparent
"20 000 lieues sous les cyberdeps"
Le plancher de verre du lithium, lui, me contraint à observer la dépression comme une féérie des fonds marins, joue écrasée contre la vitre transparente, en regrettant ou non (c'est laissé à mon appréciation) de ne pouvoir rejoindre l'inarticulé, le borborygme, le cri de dépit et d'effroi absolu.
Je viens de passer trois mois dans uns stase inconfortable, à somatiser plutôt qu'à intellectualiser, entre tabagie, stupéflip et mal de dos, là je suis abstinent de tout, mais alors INRI pas du tout.
INRI pas du tout, c'était une blague sacrilège d'un membre des AA qui avait dessiné de façon très réaliste pour la gazette interne du mouvement un Christ crucifié sur un tire-bouchon orné de l’inscription " INRI pas du tout" et qui s'était évidemment fait tomber dessus par les Vieux Crocodiles AA, qui y avaient vu la religion tournée en dérision, bien que je ne pense pas que ce soit ce qu'il ait voulu dire, mais enfin il endurait une forme de rejet au sein même du mouvement réputé accueillir tous les membres animés d'un "désir sincère d'arrêter de boire", même les rechuteurs au long cours, et sa disgrâce était mal vécue par l'intéressé, très perturbé par sa provocation et pensant être sur le point de se faire excommunier. Il en faut heureusement plus que ça pour se faire chasser des AA, il faut quasiment s'auto-exclure et ne pas revenir, sinon la porte est toujours ouverte.

Devant mes aveux tourmentés d'envisager de chercher du boulot ailleurs et de tenter de faire du commercial, le psy me parle d'actions visant à conforter ou compenser le postulat "je ne suis pas à la hauteur", c'est vrai qu'il m'a connu surtout sur ce mode, et comme il est en forme il m'explique qu'un postulat désigne un principe non démontré utilisé dans la construction d'une théorie mathématique.
Un autre mathématicien peut très bien arriver par derrière et mettre le postulat par terre, toutes les théories qui en découlent sont à jeter elles aussi; ce qu'il veut me suggérer c'est que j'essaye de faire différemment de d'habitude quand je me prends la cabane sur le chien.
C'est encourageant.