lundi 24 novembre 2008

Théorie du Bordel Ambiant versus Va ranger ta chambre

Un jeune lecteur du Bas-Rein vient de me montrer comment, d'un simple click dans le menu "options", et c'est à peine croyable, je pouvais rétablir la date d'origine de mes anciens articles au lieu de les republier pèle-mêle avec les nouveaux, et restaurer ainsi une chronologie qui protègera du botulisme mes lecteurs non-immunisés contre les dangers qu'il y a à consommer des articles ouverts depuis plusieurs années, à l'instar de ce remarquable exposé sur la narration non-linéaire.
Qu'il en soit remercié : je vais donc tout remettre dans l'ordre, et après ça s'ra tellement propre qu'on pourra manger par terre.
Faites gaffe quand même sur quoi vous vous asseyez.

vendredi 21 novembre 2008

des séductions de l'esprit mauvais (2)

C'est un méchant homme qui entraine sa jeune et future victime dans les bois, la nuit tombe, il y a des bruits étranges, ça craque à chaque pas, et le petit garçon pleurniche : "j'ai peur !"
alors l'homme lui répond, agacé, "et moi alors, après ça y va falloir que j'rentre tout seul, dans le noir..... ! "
J'hésite sur la leçon à tirer de cette fable, ça dépend si le méchant dit ça sur un ton sarcastique ou sincère, je veux dire un peu apeuré aussi.
Je ne peux rien présumer de l'adjectif "agacé" vu qu'on me l'a racontée par Internet, sans le langage corporel, qui aide à saisir les ressorts comiques, surtout dans un cas si épineux.
En tout cas, plus tard qu'hier, on a essayé de faire passer un reportage sur une variante de cette histoire qui venait d'arriver dans la région dans le zapping de la chaîne, mais comme il manquait la chute, c'était bien moins drôle, et on s'est abstenus; c'est un peu la conclusion que tire Goossens d'une histoire analogue : "j'ai pas trouvé de gag".
Ca me gène d'autant plus de risquer cette plaisanterie dans ces circonstances - bien qu'elle recèle sans doute un enseignement - que la saga Saw triomphe au cinéma; qu'il s'agisse de fait divers affreux ou de film gore, c'est le triomphe du nihilisme dans un cas et sa promotion par l'art dans le second, et ça, je vois pas l'enseignement qu'on peut en tirer.

jeudi 20 novembre 2008

Webcames

Au boulot, cet après-midi, un collègue entre dans mon échoppe, et s'enthousiasme pour un site web où des amateurs, et surtout des amatrices, s'exhibent en train de se masturber. Il aimerait me faire partager son enthousiasme, puisque nous avons d'autres passions en commun, dans le septième art ou les fascicules anglo-saxons de figuration narrative, et il n'en revient pas du nombre de particulier(e)s qui se la mettent à l'air sur le web.
Je vais pas lui faire un cours de psychologie sur la profonde morbidité de la société contemporaine et les façons que chacun trouve de se (dé)composer avec, déjà, dit comme ça, ça a l'air vaguement mortifère, alors je lui rappelle simplement que les exhibitionnistes et les voyeurs partagent les deux faces de la même tartine.
Mais dans l'état où il est, ça lui fait rien du tout.
Comme il voit bien que je suis calmement mais fermement opposé à ce qu'il convertisse mon bureau en peep-show virtuel, et qu'il connait mon parcours de hard sevreur - lui se dit usager récréatif, bien qu'en grattant un peu, il s'interroge de lui-même sur la nature de cette récréation, et reconnaisse spontanément que y'a des fois où ça craint un peu, bref on pourrait poursuivre cette conversation dans mon cabinet de consultation si le boulot ne se jetait à ce moment précis sur nous comme la vérole sur le bas clergé breton sous la forme d'une journaliste qui, comme par hasard, a un sujet à monter en urgence sur une soeur Emmanuelle locale qui a consacré sa vie à soigner les alcooliques avec les moyens du bord, et que nous appelerons soeur Emmanuelle 2 pour préserver son anonymat.
Par contre, mon pote je l'ai bien observé quand la page de son site de webcame s'est affiché sur l'écran, yeux luisants devant les imagettes prometteuses, frétillements narinaires précurseurs de plongée dans les profondeurs de ce qu'il prend pour l'intimité d'autrui, s'il avait une queue il la remuerait, et je pèse mes mots, bref j'en ai déduit une méthode imparable pour le sevrage : pour guérir un cyber-dépendant sexuel, il faut le filmer pendant l'action, et lui repasser la bande après. Un gros plan de face suffit. Le mélange d'excitation, de frustration et de nostalgie absolues - bien que relatives - d'un Eden imaginaire est loin de constituer une publicité vivante pour la pornodépendance, surtout s'il arrive à les déceler sur son propre visage.
Evidemment, c'est une approche strictement comportementaliste, et rien ne dit qu'une fois qu'on aura le dos tourné, le dépendant ne détournera pas la caméra pour satisfaire à nouveau ses funestes appétits. Mais les approches traditionnelles semblent achopper, et le mal s'étendre.
Ca doit aussi marcher aussi avec l'alcool, parce qu'on paye la facture cash et que ça se voit, mais pas avec la clope, parce qu'on la paye quand c'est trop tard pour arrêter et qu'il y a très peu de temps encore, le tabac était une attitude valorisée socialement.
Si je résouds inopinément d'autres grands problèmes de l'humanité d'ici la fin de l'après-midi, je ne manquerai pas de vous tenir informés.

vendredi 14 novembre 2008

la dépendance affective pour les nuls

Wii mais non

à l'origine, cet excellent opus expérimental de frère zappa devait s'appeller "wii-zels ripped my skeud" mais c'était 40 ans avant l'invention de la console éponyme, alors ils ont préféré ne pas tomber dans la fosse commune des précurseurs incompris, à l'instar du rédacteur de cette légende abstruse.


Chez moi ils ont acheté une console de jeux Wii, soi-disant pour faire du sport à la maison. Mouais. Ca me rappelle ma mère, qui disait que les consoles de jeu c'était pour les jeunes, et qu'il faudrait inventer les consoles de vieux. Pour se consoler d'être vieux. Sauf que dans ma famille, on passe le plus de temps possible dans le déni de l'âge qu'on a, et après on rentre directement dans l'affliction et les rhumatismes, et c'est baisé pour la Wii.
C'est vrai qu'à condition d'avoir évacué la table basse (modèle Eventror de chez Nikea, idéal quand on rentre un peu éméché sans allumer la lumière du salon) on peut faire sur la Wii des parties de tennis ou de bowling relativement réalistes, et se retrouver incidemment avec un beau cratère au milieu de l'écran Plasma acquis la semaine dernière si l'on n'a pas bien attaché la dragonne de la poignée de commande et qu'on s'est un peu pris au jeu.
Et puis en cherchant un peu, j'ai découvert qu'on pouvait pirater tous les jeux du commerce, à condition de faire apposer une puce électronique à l'intérieur de l'unité centrale de la console, opération bénigne que de jeunes nerds proposent à l'encan pour une somme modique, jamais très loin de chez vous.
Après avoir collecté ces informations, j'ai eu un spasme moral : pour l'instant je ne vais pas faire pucer la wii, subodorant qu'une société qui institue le vol en bandes organisées comme valeur légitime n'a rien à envier à Gengis Khan sur le plan spirituel, qui était pourtant d'une autre trempe, sans avoir d'affinités particulières avec une religion même s'il était proche des monothéistes. Je veux dire qu'il n'avait pas besoin de manger des yaourts au bifidus actif "Ce qu'il fait à l'intérieur se voit à l'extérieur" pour être en bonne santé, ce qui est loin d'être le cas des nerds. Enfin, je me comprends.
Bon, je dis que j'ai eu un sursaut moral, mais ça relève plus de la prospective heuristique : je me suis vu en train de dérober des fichiers de 4 Gigas pour ensuite engueuler femme et enfants parce qu'ils jouent trop assidûment aux jeux que je leur aurais gravés, et franchement, ça le faisait pas.

samedi 8 novembre 2008

chiens d'aveugles


image trouvue sur un forum communautariste de partage de fichiers où il faut seeder autant qu'on leeche (arf)



Novembre, c'est le mois des courriers d'associations humanitaires. Amnesty envoie des stylos bic, La Croix-Rouge des couvertures de survie... l'idée est de susciter le don financier par l'envoi postal massif d'un produit manufacturé qui va évoquer la mission profondément humaniste de l'émetteur, et qui laisse le récepteur vaguement anxieux à l'idée d'être débiteur de l'offrande qui lui a été faite. Le blitzkrieg moral de ne rien renvoyer en échange cesse quand le chèque est signé. Enfin c'est comme ça que je l'analyse. La palme cette année pour moi à l'Unadev, qui m'a fait parvenir une peluche personnalisée avec porte clés nominatif sous emballage cartonné, suite à une campagne téléphonique musclée l'an dernier, où j'avais dû promettre de me fendre de quelques euros pour participer à la formation des chiens guides d'aveugles. L'éducation d'un chien guide coûte environ 20 000 €. Au cours de sa vie, une personne aveugle reçoit en moyenne 3 chiens guides. Il est difficile d'imaginer à quel point un voyant peut n'en avoir rien à battre.
Au téléphone, c'est facile d'éviter un fâcheux, il suffit de l'attaquer à la racine de son laïus par un vigoureux "mon téléphone n'est pas une boite aux lettres" qui le laisse coi, et on raccroche après un merci au revoir, parce qu'on n'est pas qu'un répondeur et qu'on compatit aux gens qui ont un métier merdique. Mais un humanitaire, il est moins aisé de s'en dessaisir, et puis si on donne, fatalement, d'une année sur l'autre, il s'accroche.
Je voulais faire un article vaguement scandalisé sur le harcèlement caritatif, après j'aurais dévié sur le fait que dans une société qui carbure au tout-matérialiste, les quêteurs auraient tort de se gêner s'ils veulent servir leur cause, et puis à l'école, ma fille s'est blessée alors qu'elle écrivait sur son cahier avec un crayon de bois, la mine s'est brisée et elle a reçu un petit éclat dans l'oeil, sans que la cornée soit atteinte, elle a vu flou pendant trois jours , alors j'ai envoyé 20 euros.
"Ils" sont très forts... Nécessité fait loi.

lundi 3 novembre 2008

le disque dur de Schrödinger


L'amicale de ceux qui se font choper avec la trompe dans le bol quantique a enregistré des vyniles qui souïnguaient méchant.

Il y a 15 ans, j'ai voulu rendre service à un copain qui avait des problèmes d'ordinateur, et j'étais tout content de pouvoir mettre ma science toute neuve au service du peuple, car depuis que j'avais laissé tomber la picole pour l'informatique ma vie s'était globalement améliorée, même s'il semblait obscurément subsister quelque chose de l'ordre du déplacement de symptôme - et je passai un soir chez lui muni de Norton Utilities, logiciel utilitaire de réparation et défragmentation de disques sur Macintosh, sans doute disponible sur pécé depuis.
Il préparait alors un film documentaire sur la physique quantique, et avait attiré mon attention sur le chat de Schrödinger, presque plus amusant que sa parodie sur la Désencyclopédie.
Alors que l'article sur la gurne, on jurerait du Dado.
Bref.
J'ai commis l'erreur du débutant, qui consiste à passer le logiciel de réparation depuis le disque à réparer, au lieu d'installer un système d'exploitation sur un disque externe puis de rebooter depuis ce disque, ce qui sera rendu plus compréhensible aux non-geeks par l'analogie de l'impossibilité pour un psy de faire une auto-analyse, l'obligation de s'adresser à un confrère.
A un moment donné, le contenu de l'ordinateur de mon ami a été dans un état tout à fait Schrödingeurien, et on aurait pu sans doute le sauver, si dans l'affolement général, au fur et à mesure que les données disparaissaient, je n'avais voulu à tout prix réparer mon erreur sur le champ, au lieu de prendre le temps de demander conseil (1), ce qui m'a conduit à re-rouler dessus en marche arrière, et donc après ça, il ne restait plus qu'à reformater et à pleurer le scénario disparu à jamais.
J'étais fasciné par la corrélation enchâssée des évènements : scénario sur le chat de S., disque dans l'état du chat de S, ça porte sûrement un nom imprononçable en philosophie (en-chat-ssée, miaoulol !) et maintenant que j'y pense, mon ami a ensuite lui-même chopé une maladie quantique, qui l'a laissé quelques mois ni mort ni vivant, mais depuis ça va beaucoup mieux, mais il n'a jamais repris le scénario de ce film, qui est donc non-advenu hors de la glèbe (non-glébeuse) de l'Incréé.
Je me suis récemment rappelé de tout ça parce que
-d'une part j'ai mis des années à rembourser ma dette psychique à cet ami, tâche que je m'étais assignée d'autant plus joyeusement épouvanté que la perte me semblait inestimable, bien qu'il m'ait fait comprendre bien plus tard que c'était presque un soulagement parce que c'était un projet plutôt galère dans lequel il s'était inconsidérément laissé embringuer par un beau-frère quantique addict, en tout cas la mésaventure a contribué à m'enseigner ce que la compassion active pouvait être, pour ne rien dire des déficits attentionnels chez l'enfant de plus de 70 kgs
-d'autre part parce que j'ai récemment flambé à jamais un 500 Gigas flambant neuf (justement) chargé jusqu'aux plats-bords de 7 heures de rushes sur la californie, mes 20 Gigas de musiques (juste un peu de mp3 pour ma consommation personnelle, Seigneur) autrement dit mon 500 Go a fait long feu, expression paradoxale puisqu'elle désigne quelque chose qui n'a pas duré, et même en le désossant/resossant dans un G5 par un port SATA, que dalle.
Heureusemement que j'ai eu la bonne idée de l'acheter à La Fnac qui m'en a rendu un neuf vu qu'il était garanti 2 ans, parce que la restauration de données, c'est pas donné, justement... C'était autour de chez tonton, ça m'a aidé à relativiser : quand la Toussaint te conduit à visiter tes morts, ou ceux qui sont plus très loin du bout, tu te dis que le deuil de 500 Go c'est pas grand chose... du pipi de chat de S...
Un moment, j'étais même soulagé, comme quand j'ai perdu mes économies à la Bourse.

extraits du wiki du chat de Schrödinger:

Le but est surtout de marquer les esprits : si la théorie quantique autorise à un chat d'être à la fois mort et vivant, c'est ou bien qu'elle est erronée, ou bien qu'il va falloir reconsidérer tous les préjugés. (...) Cette expérience de pensée et le paradoxe associé ont aujourd'hui pris valeur de symboles centraux de la physique quantique. Qu'ils servent à supporter un aspect de cette théorie ou qu'ils servent à défendre une option théorique divergente, ils sont appelés à la rescousse pratiquement à chaque fois que la difficile convergence entre la réalité macroscopique et la réalité microscopique (une situation caractéristique du monde quantique) est observée ou supposée.
Ca doit d'ailleurs contribuer à esbaubir les bailleurs de fond de l'accélérateur de particules genèvois, qui a fonctionné trois jours depuis son inauguration, et dont la facture de réparation s'élève déjà à 16,5 millions d'euros.



(1) comme dans la blague des deux chasseurs dont l'un tombe à terre les yeux révulsés et semble succomber à une attaque, affolé le deuxième chasseur appelle le samu ( le 15 souvenez-vous au moins de ça) :
-Au secours mon ami est mort, que dois je faire?
-Du calme, du calme, tout d'abord assurez-vous qu'il est bien mort.
-...
-Monsieur ??
-...
-Monsieur, ou ètes vous, répondez ?
-...BANGGG !!!
-Monsieur que se passe-t-il ?
-Voila c'est fait, et maintenant ?
qui est une parabole sur les hot-lines ET sur l'importance de bien formuler ses questions)

dimanche 2 novembre 2008

un dimanche de toussaint





Quand je suis visiteur de prison, j'y vais avec la casquette Alcooliques Anonymes.
Un peu angoissé à l'idée de faire le bien consciemment, ce qui semble pourtant une bonne idée, mais qui a tendance chez moi à se coincer un peu dans les noeuds de la fermeture éclair de la braguette de la conscience auto-consciente, je m'en vante un peu partout, dont ici, espérant que ça réduit d'autant ma propension à m'en faire une vertu souterraine. S'affranchir de ses défauts en s'en réclamant, à l'usage ça marche mieux avec les qualités.
Peu avant la Toussaint, j'anime une réunion à la maison d'arrêt, au cours de laquelle un prisonnier que j'estime assez avancé dans le programme de rétablissement qui nous est suggéré, en tout cas par rapport aux autres, évoque la possibilité qu'il a de sortir ce week-end, mais comme il se sent bien capable de se retrouver à l'insu de son plein gré le coude incrusté dans le zinc d'un bistrot, il préfère finalement rester à l'ombre, se sentant plus en sécurité dedans que dehors, comme nombre de détenus ayant admis leur faiblesse sans l'accepter vraiment - difficile d'être dans le déni quand on a gagné plusieurs mois d'enfermement pour des bétises commises dans les torpeurs éthyliques ; mais ici comme ailleurs, la prise de conscience est effective quand elle se traduit en actes : le feu ça brûle, mais c'est quand on ne met plus sa main dedans qu'on a intégré l'info.
Hormis le fait que disant cela j'ai l'impression de radoter et de m'offrir clandestinement l'occasion de me trouver supérieur à d'autres humains à peu de frais, le fait est que beaucoup d'entre eux, quand ils ressortent, retombent dans leur milieu et leurs habitudes d'origines, reboivent un jour le coup qu'il ne fallait que lui pour remettre le feu aux poudres, refont des conneries et retournent en prison sans passer par la case départ. Déterminisme social implacable, fatum individuel, ignorance crasse et déni de leur misère, karma waterproof, ah ça oui y sont souvent imperméables à l'eau, rien ne les menace moins qu'un coma hydraulique.
Quand je les sens en forme, et si je le suis aussi, il m'arrive de leur suggérer que leur prison n'a qu'un seul barreau et qu'ils tournent autour, mais j'y vais mollo parce que je connais les limites de leur sens de l'humour. Leur enfer est bien chauffé, mais on peut pas baisser le thermostat à leur place, ma brave dame.
Pendant ce temps-là, du côté de chez moi, femme et enfants se translatent jusqu'à chez mamie d'Albi pour les vacances, et au contraire (je n'ai jamais su si "à l'instar" ça voulait dire de la mème façon ou à l'inverse) de mon pote qui hésite à sortir de tôle, moi je n'ai guère envie de me retrouver tout seul à la maison devant mon ordi, ma télé, mes feuilles mortes que j'ai toutes ramassées, et ma vieille chatte noire qui demande dix fois par jour qu'on lui remplisse son écuelle de croquettes par osmose névrotique avec les habitants du lieu versés dans les arcanes du manque. Essayez de lire du Ecarte-Tôles à un chat qu'on a dû amputer de la queue tellement qu'il faisait rien qu'à traverser la route parce qu'il croyait que l'herbe était plus verte chez le voisin, il n'en a rien à fiche si vous n'agrémentez votre verbe de quelques poignées de FestiMiaou aux miettes de dauphin et de baleine.
Moi je rebosse lundi, j'encadre des étudiants en communication qui ont pour mission de réaliser des reportages sur l'hyper-alcoolisation des jeunes, et rien que le terme évoque ce sirop lexical qui nimbe toute chose d'une brume hamiltonienne, référence à David H. qui avait élevé la pédophilie au rang d'un art premier, quand c'était pas encore incorrect de dévoiler ses tendres cousines dans des magazines papier glacé... ou de dire biture-express ou grosse murge au lieu de cette hyper-alcoolisation répondant à une hyper-soif engendrée par un hyper-malaise des jeunes devant l'hyper-manque de sens de notre société qui leur propose toujours plus d'objets à se mettre dans tous les orifices que la nature prodigue nous a patiemment creusés dans le lit de l'évolution biologique, hyper-soif à étancher dans un hyper-marché suburbain, chez Lidl par exemple où le vin est à 1,30 euro le litre en moyenne, et j'ai trouvé des bières à 8 degrés, 1/2 euro la canette d'un demi-litre... comme ça, ceux qui ont choisi comme angle "comment s'hyper-alcooliser avec moins de 700 euros par mois" je sais où les envoyer enquêter, bien que l'angle ne soit pas forcément pertinent.
Donc j'ai deux jours à tuer, pas le temps d'aller voir mamie, et justement, j'ai un oncle dans le bordelais que j'aime bien et que je vois très peu, 78 ans, veuf relativement serein bien qu'inadapté à la vie solitaire qu'il mène désormais dans cette grande maison vide... le seul frère de ma mère, ils sont tous morts super-jeunes de ce côté-là, y'a quasiment eu aucune transmission de mémoire familiale maternelle, même si je me sens proche d'eux... au moins dans mes côtés inoffensif neuneu solitaire, mon oncle il a un côté comme ça, ma tante était une mamma italienne qui prenait tout le lit, et lui gueulait dessus comme un gosse, qu'il est d'ailleurs resté, avec ses yeux bleus délavés tendance faïence de piscine qu'aurait trop pris le soleil... toutes les assurances-vie avaient été placées sur lui, au pmu de la mort c'était le cheval fourbu donné gagnant d'avance, frêle et asthmatique pendant toute sa vie, avec son look pas du tout étudié d'humble parmi les humbles, et finalement c'est elle qui est partie en 8 jours... décédée d'un coma étrange pendant qu'il était immobilisé à l'hosto avec le bassin fracturé, je ne raconte pas l'histoire parce qu'elle n'est pas croyable, mais quand il est rentré chez lui tout était fini et maman dans la bière... on lui a quasiment volé la mort de sa femme, mais il a conservé le regard bleu piscine et enfant ahuri qu'il promenait sur la vie.
Avant de partir, je suis passé chez un copain mettre un disque de 500 Gigas en nursery, j'avais bon espoir de le retrouver vivant à mon retour, j'avais oublié que la Toussaint peut aussi s'appliquer aux disques dur, et il m'a offert un peu d'herbe, pour mon pétard annuel, dont je me suis aussitôt dessaisi de la moitié auprès d'un autre copain qui avait l'air de s'y connaitre encore plus en disques durs malades, plaisir d'offrir, joie de recevoir, et j'ai mâchouillé quelques feuilles de chanvre en descendant sur Libourne dans le crépuscule humide et ma ZX fatiguée, je ne voulais pas fumer, et j'avais souvenir que c'est vraiment trop pas grave en infusion homéopathique... sauf qu'après Libourne, la nuit tombe, et la route de Bergerac se perd dans des méandres de déviations de chantiers improvisées, avec ralentisseurs en Lego géants déposés au petit bonheur, et il pleut, ça fait longtemps que la ventilation est morte dans la voiture et le garagiste m'a installé un simulacre d'aération virtuelle qui fait un bruit de turbine assourdissant, avec un effet notoiremement insignifiant sur la buée qui envahit l'intérieur de l'habitacle, alors je suis obligé d'éponger compulsivement le pare-brise en remettant ma destination à la Providence, plus crédible qu'un GPS sur certaines opérations, je ne m'en fais pas trop sur le moment, je sais que quand je suis motivé par l'idée de faire le bien consciemment, (voir plus haut) la partie sécurité routière et exactitude de l'heure d'arrivée pressentie est prise en charge d'En Haut, à condition que je regarde la route et que je ne m'en vante pas trop.
Et j'arrive sans encombre chez tonton, bien qu'un peu hébété, hé bé, té, voilà mon neveu, trois ou quatre ans depuis mon dernier passage, ni lui ni la maison n'ont beaucoup changé, subrepticement décrépits sans doute, ah si tiens, le couloir du rez de chaussée a perdu l'odeur inimitable qu'il avait depuis au moins 40 ans et qui faisait comme un passage secret olfactif avec l'enfance, comme j'y venais très rarement c'était des effluves magiques, on passait en famille mais ça ennuyait mon père, ces séjours au coeur d'une ruralité que ma mère avait détesté assez jeune après le décès de ses parents, renâclant à une destinée vouée à l'arrachage de patates à la main, elle avait fui vers l'école normale et l'ascenseur social, et je râlais d'être ainsi amputé de cette famille invisible et pas assez intello qu'ils négligeaient et dont je pensais que mon père les méprisait, alors qu'en fait c'est simplement un milieu dans lequel il n'avait aucun repère, et aucune intention de fournir d'effort d'attention, ce qui est peut-être une définition présentable du mépris, donc on passait parfois en coups de vent dire bonjour à raymond et yolande, peut-être huit fois en vingt ans, voilà. Et maintenant, je suis adulte, j'ai 45 ans, quand la petite voix me le fait remarquer je lui demande "et toi, t'as quel âge ?" et on s'en tient là, et yolande est morte, et je prends l'initiative de venir passer deux jours chez tonton pour voir s'il devient fantômatique de son vivant. Parce que je l'avais trouvé mal en point il y a quelques années, il était déjà veuf mais m'avait fait écouter des vieux Aznavour de la période glauque pour m'exprimer l'inexprimable, et d'ailleurs il me dit qu'entre-temps il a vu un psy, et qu'ils ont convenu d'un commun accord qu'il était trop tard pour tenter quoi que ce soit.
Ce qui est incroyable, à part la disparition des arômes autrefois distillés par les murs mêmes de la maison de tonton, et l'absence persistance de tatie dont la voix de tonnerre éraillé résonne encore à mes oreilles, c'est qu'on a mis des noms aux rues et des numéros aux maisons, il me l'a dit l'autre jour au téléphone, c'est vous dire si la bourgade est située en bordure des autoroutes de l'information.
Les enfants sont au loin et ne donnent pas de nouvelles, confits dans l'ingratitude extra-territoriale, j'exagère, sa fille qui vit en Corse vient justement de passer 8 jours avec lui, mais les deux garçons en Nouvelle-Calédonie sont d'un laconisme et d'une absence d'affects exprimés proverbiales. Il s'agissait d'échapper à leur mère, le plus loin possible, aucun garçon ne pouvait pousser dans l'ombre de cette femme, d'ailleurs l'oncle (un frère de la défunte femme de tonton) croisé cet été à San Diego, devenu entrepreneur immobilier transcontinental avec signes extérieurs de richesse, maison opulente sur les collines de la Californie du Sud, domestiques installés à demeure, fille tristement folle d'inutilité et malade du fric de son père, alors qu'il était arrivé aux USA en 64 avec sa bite et son couteau, est un portrait craché de mon cousin calédonien, son neveu, le fils indigne de tonton. Ca devient compliqué, hein ? un peu comme quand tu essaies de lire un journal en rêve, tu sens qu'il s'agit d'un article très important, mais il y a des paragraphes entiers qui sont inscrutables, et ce que tu déchiffres est indicible, pardon, imbitable... cette famille maternelle, dieu sait que j'en entrevois des fragments et que j'en saisis des bouts, à travers l'évocation des spectres et les soupirs des vivants, mais le matériau est détérioré, pâteux, comme l'exemplaire défraîchi en édition de poche de "la machine à remonter le temps" de Herbert Georges Wells que je trouve dans la chambre du cousin maudit qui m'accueille à l'étage, parce que tonton il se couche à huit heures du soir, et vraiment Wells c'est tout à fait remarquable, un visionnaire de la fin XIXe dont je me dis qu'il faudrait le lire de retour chez moi, des idées et un vocabulaire à faire rougir de honte et d'indigence notre franglais light de 2008.
Tonton vit très ralenti, entre le lit qu'il a fait installer en bas, et la cuisine, un peu de télé mais pas trop parce qu'il n'y voit plus grand chose, un immense jardin qu'il ne peut plus faire parce qu'il a du mal à marcher, et guère plus de raisons de vivre que de raisons de mourir. Pas encore dans le mood de la chanson de Brel "les vieux" qui donne envie de sniffer un bon rail de cyanure sur un coin de calendrier des PTT orné d'une photo de chatons dans un panier, mais il s'en faudrait de pas grand chose. Je suis venu avec un cédérom des photos de californie de cet été, puisque je me sens un peu emprunté d'être venu en plénipotentiaire et unique représentant de la branche "jeune" de la famille, un peu de sang frais et de rires d'enfants ne ferait pas de mal à cette baraque, et tonton il a un pécé portable qui date du crétacé laissé par son fils avec windows 98 dessus et aucun logiciel photo que je connaisse, ça me prend deux après-midis pour lui faire une séance un peu longuette de "connaissance du monde" avec mon cédé dont les photos "chargent" une à une, retrouvant un peu de la magie ancienne de la séance de diapositives sur écran perlé et chargeur manuel, en faisant un talk-show circonstancié et complaisant. Et ça lui complait, à tonton. Je me suis habitué pour ma part à me sentir très Papa (le talk show pétri de certitudes pipotées à l'auto-bluff ) quand je viens dans la famille de Maman, il y a sûrement des entités, incubes, succubes et trépassés qui se montent le bourrichon dans les corridors de nos mémoires, mais on n'est pas trop portés sur le spiritisme alors on ne peut se fier à aucun signe, qui ne nous est d'ailleurs pas révélé.
Entre les séances Connaissance du monde, on discute avec cette complicité timide et pointillée qu'on a depuis 40 ans. Les trois feuilles d'herbe mâchonnées aussi religieusement que si c'était de l'ayahuesca me font percevoir toutes les nervures de la conversation en temps réel, ses impasses et ses open spaces, le lien social de raymond qui se résume à sa femme de ménage volubile mais intermittente dans ses visites, et ses regrets de s'être laissé marginaliser par son emploi à l'hopital du coin, les vicissitudes de l'exploitation agricole et le temps qui file avec trois gosses à charge. L'aveu d'avoir un peu foiré sa vie, obtenu sans extorsion et avec le sourire, preuve d'intimité.
Dimanche matin, je lui force un peu la main pour aller au cimetière, ça le gave sans qu'il ose le dire... c'est peut-être pour ça qu'il tente de nous tuer en traversant le rond point du Leclerc de Sainte -Foy en ligne droite, j'exagère encore mais ses rapports de vitesse deviennent approximatifs, je n'ai pas insisté pour conduire, je n'ai pas peur de mourir à la Toussaint, tout le principe du week-end repose sur l'idée, non de noble cause parce qu'adoucir quelques heures d'un vieillard solitaire relève d'un objectif plus modeste, mais de moment juste... qui a acheté du pain et un poulet rôti dans l'aube blafarde d'un dimanche matin de début novembre au Super U du fond de la Dordogne aux côtés de son oncle clopinant voit sûrement ce que je veux dire.
Plus tard dans la matinée, il s'arrête à peine devant la tombe de son ex, mourir c'est devenir un(e) ex, qu'il a beaucoup fréquentée ces dernières années, et il m'entraîne devant d'autres sépultures, me raconte des petites anecdotes, tiens regarde machin là il s'est suicidé à 40 ans, il avait deux enfants, et truc, là, le gitan, y se gène pas, regarde, et effectivement truc il s'est fait construire un mausolée qui tient à la fois du vivarium et du show room, un monument de granit briqué à mort sous une verrière de jardin d'hiver très classieuse, et ses potes ils ont tellement mis de fleurs dans l'allée qu'on est obligés de rebrousser chemin...
Dans l'après-midi, quand on s'est tout dit sans rien se dire, sur les uns et les autres et même sur nous, il sait que je dois partir et me fout gentiment dehors, en me disant que la prochaine fois, il aimerait bien que je lui ramène les enfants, et c'est inattendu de vitalité et d'espoir - qui - fait - vivre - bien - qu'il - ne - soit - pas - un - steak, parce que c'est dit avec une telle économie de moyens et en même temps une telle tendresse, alors que je tenais sans doute tellement à ce que le chagrin le domine comme un vieux puits de mine abandonné, et que cette lueur qui éclôt dans l'oeil de tonton témoigne de l'appel du vivant pour le vivant, même si j'ai bien l'impression de traverser la vie avec le même sourire de pioupiou décati que lui sur sa fin de vie, et qu'à ce moment là toute ma visite s'éclaire elle aussi de la lumière de l'auto-apitoiement par tonton interposé, merdalors, bref je manque m'évanouir de joie. Bien sûr que je te les ramènerai les gosses, tonton. Au printemps, si tu es encore là, mais tu viens de me faire comprendre que tu as bien l'intention d'y être.

Dissertation : l'auteur prétend faire un reportage mais fait usage de nombreux artifices fictionnels. Les as-tu clairement identifiés ? De plus, sous prétexte d'altruisme intra-familial, son égo s'avance et se pavane sous 234 masques différents, les as-tu reconnus ?