Je n’ai pas grand-chose de nouveau à dire sur la dépendance, car qu’elle soit sexuelle, opiacée, pochtronale ou spirituelle, elle consiste toujours à "effacer la douleur par ce qui la provoque" selon le mot de Russell Banks, et c’est salvateur quand tu le comprends dans le bon sens.
Mais se sauver de quoi, et pour aller où ? Je n’ai pas évoqué comment les Pink Floyd avaient prédit dès 1975 (et Guy Debord huit ans plus tôt, dans des termes à la fois plus poétiques et plus confus) que nous finirions dévorés par nos amies les machines dans leur flamboyant et neurasthénique "Wish You Were Here", car ça donnerait du grain à moudre à ma tendance à la victimisation, et je ne veux pas prendre mon cas pour une généralité; encore moins évoquer une énième fois la situation pathétique de tous ces accros d’Internet qui préfèrent s’aggriper au néant glacé de leur écran plutôt que d’aller chercher à accomplir leur destin, aussi anodin ou grotesque qu’il fût, dans le réel, à commencer par moi ces dernières années. Si je ne me fends non plus d’aucun billet d’humeur sur la situation internationale, qui ne laisse pourtant pas pas d’être préoccupante, c’est parce qu’ici je ne fais aucun complexe de n’évoquer que moi et mon rapport à la Maladie. Je pourrais aider mes frères d’infortune sur les forums de naufragés, mais plus j’abstine et moins je me sens légitimé d’un discours rédempteur sur des bienfaits que je suis encore loin d’apprécier à leur juste valeur; d’ailleurs, un nouveau cyber-pote m’a gentiment fait remarquer que sur ces forums, j’avais tendance à radoter. Je peux très bien me contenter de radoter ici sans ennuyer personne. Bien que je reste très vigilant sur l’émotionnel pour éviter tout désagrément durable, je me sens un peu dans la position du mec décrit par Flo : quelqu’un qui souffre (d’un excès de plaisir, par exemple…) entame une ascèse. Son ascèse le rend meilleur. Devenant meilleur il se la joue et devient puant. Etant puant ça lui retombe sur la figure, et il souffre. Souffrant, il a un accès d’humilité. Son humilité le rend meilleur. Devenant meilleur il redevient puant…Où est le progrès dans tout ça ? Un mal entraîne un bien, et un bien entraîne un mal. Il serait temps de voir que ça n’a pas de fin.
Ainsi parlait Flo.
Bref, il n’y a que l’abstinence à long terme qui permette de se débarasser de cet encombrant mépris pour soi-même, générateur de bien des errements. Heureusement, le travail s’est jeté sur moi comme la vérole sur le bas-clergé breton, et je suis charette jusqu’à fin mai. Ce qui ne veut pas dire que je me réfugie dans l’hyperactivité tel le workholic de base, mais il n’y a plus trop de place pour d’encombrantes questions en ce moment.
comme le disait Orroz,"tu n’es ni un monstre, ni un pervers, mais bien une victime de cette société trop permissive qui s’est laissée avoir par la "libération sexuelle" et l’invasion de la pornographie. Mais tu es aussi une victime consentante, et c’est cela qu’il faut d’abord traiter. Tu as fait le premier pas en venant sur ce Forum, à toi de faire tous les autres en te sevrant."
J’aime bien ce terme de victime consentante : il faut commencer par cesser de consentir, et continuer de commencer.
Ce qui me travaille en ce moment, c’est mon couple, enfin, ce qu’il en reste après le Tsunami. Pour entrer dans un espace neuf, il s’agit quand même de renoncer à se plaindre d’avoir tout gâché, et pour ça il faut bien que les morceaux de semoule qui flottent à la surface du gâchis soient scrutés à deux. En sombrant benoîtement dans le porno, j’ai fui - et cru échapper aux - responsabilités de ma vie exogène.
Aujourd’hui elles s’imposent à moi.
C’est pas trop tôt.
D’une compagne plaisante, j’ai réussi à faire une femme irritable, auprès de laquelle je professe souvent des opinions démenties par mes actes. Ma femme, c’est mon Golem. Elle me rappelle qui je fus, et qui je pourrais être. Evidemment, cette perception déformée et culpabilisée est fausse et nourrirait mon dépit si je la laissais faire : l’avantage, c’est que grâce au sevrage, je vois que mon couple était un drame auquel je ne crois plus.
Ma chérie est d’une grande patience.
Je ne sais pas si mon "couple" va exister un jour. Ca fait 15 ans que je le boude,et je lui en ai mis pas mal dans la tronche. Je vais pas accuser Jeannette d’avoir été une victime consentante de mes erreurs. Ca serait un peu fastoche. Là encore, aucun discours n’est légitime. S’il ne me vient spontanément que des excuses ou des regrets, il n’y a que des actes à poser.
C’est presque reposant.
Je voudrais remercier au passage mes appétits grossiers (dans le sens où il est clair que j’ai eu les yeux plus grands que le ventre) de m’avoir offert l’éjaculation précoce comme conséquence assez directe de ma fuite au porno, alors que j’étais plutôt un bon coup. Au moins comme ça je ne peux plus entretenir la moindre illusion sur ma capacité à satisfaire sexuellement cette femme noire hypothétique qui n’existe que dans ma tête, bien qu’elle pousse une bonne gueulante sur The Great Gig in The Sky, dernier morceau de la face A de Dark Side of The Moule.
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