dimanche 17 décembre 2006

Névroses et spiritualité


les dessins sont©Xavier Gorce/LeMonde.fr

Comment faire pour avoir une balance commerciale affective excédentaire ? Pour celui qui a déjà tâté des psys à poil dur ou long et des mouvements en 12 étapes, la question se pose. Car ça semble finalement le seul moyen d’agir juste, hormis la voie qui suppose de se passer de l’affect, et qui ne peut être réservée qu’à des privilégiés de la souffrance, afin de n’être plus tenu par les couilles ou écrasé de rancoeur par les attentes insatisfaites, pris en otage par ce que nous croyons être l’univers mais qui n’est que nos propres réactions infantiles à son incapacité ontologique à nous satisfaire.
Nous sommes toujours débiteurs de l’univers. On lui doit tout, c’est clair. D’ailleurs on rend nos emprunts à la sortie, pas forcément dans l’état où on les avait trouvés en entrant : tout dépend des graines karmiques qui ont germé dans cette existence-ci, et de celles qui sont restées en terre sans se développer, et qu’une incarnation future favorisera peut-être. La spéculation s’arrète là où elle ne porte plus de fruits.
J’en parlais la semaine dernière avec un ami, qui a autrefois vécu auprès d’un swâmi, pour la proximité duquel il était prêt à rester dans l’ashram et à abandonner la vie civile si ce swamî n’était décédé au bout de 11 mois (peut-être mon ami puait-il trop fort de l’âme trop près du swâmi; trente ans plus tard il travaille dans une savonnerie et dit avoir constaté le fossé culturel qui nous interdirait la voie dévotionnelle; pour les Orientaux l’existence serait une malédiction et le but de cesser de renaître, ils viseraient l’extinction, alors que chez nous on est attaché à une certaine joie de vivre (malgré ou à cause de la crucifixion ?) ce qui fait que le plus souvent, quand on se met à mouliner des prières comme des bourrins, on arrive péniblement à se hisser au rang d’honnètes pratiquants.
Il y aurait donc comme un malentendu fondamental. Nous commençons à pratiquer pour de mauvaises raisons : nous en espérons un mieux-être et des accomodements. Une amie qui pratique beaucoup dit quelque part que “dans le bouddhisme, la compassion est censée venir par l’empathie. Ce n’est pas spécialement qu’on devient gentil, mais si on se prend toutes les baffes qu’on donne aux autres, on commence à réfléchir quant à celles qu’il convient de donner vraiment, et celles qui ne sont pas nécessaires.”
Vu comment on est gaulés par chez nous, il vaut mieux demander tout de suite à être libérés de l’ignorance et de l’égo, d’apprendre voir la nécessité de nos névroses et ainsi de suite. Le lama l’a dit comme ça en passant cet été : L’enseignement doit être pris dans son contexte, et non au pied de la lettre, ce que j’ai traduit par “décodez ce qui peut vous toucher au plus intime derrière les rituels et ce que vous pouvez appeler notre folklore.”
Je relie donc cela avec le “plus j’en apprends, moins j’en sais - ce qui me rend humble, mais je désire sincèrement continuer à progresser” trouvé en commentaire au “nous avons demandé Sa protection et son aide, et nous nous sommes abandonnés à Lui complètement” d’un livre de réflexions de membres des Alcooliques Anonymes : du coup, les AA semblent tibétains et les tibétains d’aiguisés discursifs.


Commentaires

  1. Je ne sais pas ce que tu appelles un honnête pratiquant. Pour moi c’est qqn qui n’a pas besoin d’avoir une balance affective excédentaire. Donc c’est possible…

  2. arf oui ça c’est sûr on devient bouddhiste pour les mauvaises raisons. Mais ce qui est fort, c’est qu’on finit par s’en apercevoir, de grès ou de force … et c’est là qu’on se dit, ah oui, en fait je suis même pas débutant, je suis qu’un apprenti débutant ….

    et ça fait regarder les autres pratiquants et le maître d’un autre oeil … avec plus de respect en fait ….

  3. Intéresant ton texte, John. L’attachement à la joie de vivre cela peut-être aussi se détacher de ce qui nous éloigne de l’essentiel, et notamment ce qui nous fait fuir dans les dépendances.

    Il y a aussi cette notion de “décréation” dont parle Simone Weil, qui peut-être mise en relation avec cette confiance suggérée par les AA dans une puissance supérieure.

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