Des établissements d’hébergement pour personnes âgées ont tardé à communiquer le nombre de morts dû au coronavirus et à informer les familles de l’état de santé de leurs proches. Certaines ont déjà porté plainte.
Par Béatrice Jérôme, Lorraine de Foucher et Sofia Fischer Publié dans Le Monde le 23 avril 2020 à 11h00
La sonnerie du téléphone tire Sébastien Lévêque de son sommeil. Embrumé par la fatigue, l’ouvrier de 40 ans décroche. Il est 8 heures ce samedi 28 mars. Au bout du fil, une aide-soignante de la Rosemontoise, à Valdoie (Territoire de Belfort), la maison de retraite où vit son père Bernard depuis six ans, lui annonce sa mort dans la nuit, suspicion de Covid-19.
« J’ai à peine eu le temps de reprendre mon souffle qu’elle a enchaîné sur les pompes funèbres. Que je devais les contacter en urgence pour faire enlever son corps, elle avait l’air pressée de s’en débarrasser. »
Sébastien ne comprend pas, trois jours avant il avait eu un appel de l’Ehpad, son père était tombé, mais il était en forme, seulement 73 ans, et aucune pathologie. Il y avait bien cette petite grippe qui circulait un peu entre les résidents, mais rien de grave l’avait-on rassuré, et jamais le mot « Covid » n’avait été prononcé.
Il ne reste de Bernard qu’une urne qui attend Sébastien sur une étagère des pompes funèbres de la petite ville de Delle. Le fils n’a jamais pu revoir son père, ni même récupérer ses affaires. Cette disparition sans bruit ni rites se transforme en deuil impossible. « Je me dis qu’il n’est pas mort, je ne réalise pas. C’est un choc terrible, un traumatisme. Nous, les familles, nous étions coupées du monde, on ne nous a rien dit. Il n’y a eu aucune communication, aucune humanité. Payer aussi cher pour mourir comme ça, j’ai la haine qui brûle en moi », pleure-t-il au téléphone.
Début avril, l’affaire de la Rosemontoise éclate dans les journaux. Le virus a coûté la vie à dix-sept de ses résidents. L’établissement devient le premier en France placé sous tutelle dans le cadre d’une procédure d’urgence sanitaire. L’hécatombe s’est poursuivie depuis avec onze nouvelles victimes du Covid-19. Sébastien, lui, s’est rendu à la gendarmerie de Saint-Amour (Jura) pour porter plainte contre l’Ehpad pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « non-assistance à personne en danger ». « S’ils avaient mieux communiqué, s’ils avaient été transparents avec nous, je n’aurais pas porté plainte. Mais là maintenant on monte un collectif avec les familles, et on veut un procès », revendique ce supporteur du FC Sochaux-Montbéliard, initié au football par son père, ancien ouvrier chez Peugeot.
Ni veillées ni embrassées une dernière fois par leurs proches, des milliers de personnes âgées sont mortes ces dernières semaines, comme Bernard Lévêque, asphyxiées par le Covid-19, seules au fond de leur chambre. Entre le 11 mars et le 20 avril, les maisons de retraite sont restées portes closes, pour ne plus laisser entrer le virus. Et certains Ehpad ont aussi érigé un mur du silence autour de la tragédie qui les ont frappés. Ces structures ont-elles été débordées par la violence de l’épidémie au point de ne plus pouvoir communiquer ou bien ont-elles opté pour l’opacité afin de masquer des défaillances ?
Des dizaines de familles se sont déjà tournées vers la justice. Certaines pour obtenir le simple récit des faits, d’autres parce qu’elles ne croient pas à la fatalité. Les enquêteurs voient se multiplier le nombre de plaintes, « sans avoir les moyens d’y faire face », en plein confinement. « Elles sont de plus en plus nombreuses et vont augmenter dans les prochains mois, anticipe un gendarme missionné sur ce type de dossiers. Le problème, c’est que les gens ne sont plus habitués à la mort : ils veulent des réponses. »
Au 17 avril, le parquet de Paris avait enregistré vingt-six plaintes pour mauvaise gestion de la crise sanitaire, sans être en mesure de distinguer celles qui concernent un hôpital, un Ehpad, ou une autre structure, ni celles déposées par des familles ou par des personnels. Le procureur de Paris, Rémy Heitz, a indiqué sur Franceinfo le 31 mars que le parquet n’en était pas « encore à orienter ces plaintes et à prendre des décisions. Mais nous les traiterons et nous allons les analyser ».
Ailleurs, les enquêtes sont déjà lancées. Comme à Mougins (Alpes-Maritimes). Dans cette commune de la Côte d’Azur, la maison de retraite La Riviera a vécu un cauchemar à huis clos. Depuis le 17 mars, trente-sept personnes âgées y sont mortes du Covid-19, soit plus du tiers des cent neuf résidents.
Aucun drame n’a connu le même retentissement médiatique depuis le début de la crise sanitaire. Aucun n’a donné lieu à autant de plaintes, connues à ce jour. Sept familles de résidents décédés ont porté plainte contre X. Les premières ont débouché sur l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « non-assistance à personne en danger » et « homicide involontaire » par le parquet de Grasse, le 2 avril. Depuis, quatre ont directement saisi le tribunal. Le maire (Les Républicains) de la ville, Richard Galy, s’est porté partie civile dans le dossier.
« Aucun symptôme » du Covid-19
Ces plaintes sont toutes motivées par « la loi du silence », selon les familles concernées, qui a régi La Riviera les deux dernières semaines de mars. Le 15, le virus pénètre dans l’établissement, par l’intermédiaire de son directeur et de son médecin coordinateur, tous les deux testés positifs et placés en arrêt maladie. Le 31, Nice-Matin titre sur les « douze morts » de Mougins, et lève le voile sur une hécatombe à l’insu des familles. Alors qu’un journaliste fait le pied de grue devant l’établissement pour obtenir des réponses, la veille, Korian − le groupe privé français est le leader européen des maisons de retraite − et l’agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte-d’Azur avaient d’abord tenté d’expliquer que les morts étaient « peut-être liées à des causes naturelles ».
Pourtant, administrativement, le Covid-19 est bien mentionné. Les certificats de décès remis aux pompes funèbres qui enchaînaient les allers-retours dans l’Ehpad depuis quinze jours indiquaient bien : « suspicion Covid-19. » Charles-Ange Ginesy, président (Les Républicains) du conseil départemental des Alpes-Maritimes, assure avoir reçu du directeur régional de Korian de PACA-Est le premier signalement de décès lié au virus le 18 mars, dans le « reporting » régulier qu’il a exigé des Ehpad au début de la crise. Entre le 18 et le 30 mars, il reçoit quatre bilans. Le dernier date du 28 mars : douze morts.
Dans ce dernier décompte figure Yvette Sinicropi, 84 ans, décédée le 26 mars dans cet établissement. Son mari, 91 ans, a d’abord reçu un appel de l’Ehpad. Sa femme « n’était pas très bien », on lui demande s’il a un contact avec une entreprise de pompes funèbres. Nouveau coup de fil dans la matinée : Yvette est morte, mais personne n’évoque le Covid-19. On assure même à la famille qu’elle ne présentait « aucun symptôme ». Son époux est prié de venir chercher ses affaires. C’est en route vers la maison de retraite que le nonagénaire est alerté par un message d’un de ses fils, qui, ayant lu Nice-Matin, lui dit de faire demi-tour. « N’y allez pas : il y a douze morts du Covid dans l’établissement ! »
Ces omissions en cascade poussent les plaignants à rechercher des « responsables » de la mort de leurs proches. « J’ai des griefs autant envers l’Etat qui n’a pas bien géré la crise qu’envers la direction de Korian », assure Arnaud, petit-fils d’Odette Noyer qui a appris par les pompes funèbres que sa grand-mère était morte du Covid-19. Le jour de son décès, l’Ehpad lui a assuré qu’elle se portait bien même si elle avait été « mise sous oxygène »… Interrogé par Le Monde, le porte-parole de Korian affirme que « la famille » d’Odette a bien été informée à temps que son état s’était dégradé.
Querelle des tests
Depuis la médiatisation de la tragédie de La Riviera, la directrice générale du groupe, Sophie Boissard, a reconnu le 10 avril, sur RTL que « la violence de l’épidémie a été telle que l’information et les contacts n’ont peut-être pas été ce qu’ils auraient dû être au quotidien ». Face aux accusations « d’omerta » notamment de la part de l’avocat de plusieurs plaignants, Fabien Arakelian, le groupe choisit de se retrancher alors derrière la consigne des ARS de leur communiquer le bilan du nombre de morts, à elles et à elles seules. Conseillé par l’agence Havas, le groupe a, depuis, littéralement modifié sa stratégie de communication. Désormais, il publie un décompte national chaque semaine. Le 17 avril, on comptait 511 morts parmi les 23 000 résidents des 308 Ehpad que possède Korian en France. La justice devra répondre aux questions des familles : comment un tel désastre a-t-il pu se produire ? Quelles erreurs, quelles négligences ont été commises ? Par qui ?
A Mougins, le scandale « ne fait que commencer », assure une source proche du dossier. Mais déjà en coulisses l’Etat déplore l’attitude du groupe privé qui ne l’a pas suffisamment alerté. La sous-préfète de Grasse, Anne Frackowiak-Jacobs, regrettait dans les colonnes de Nice-Matin, début avril, « que la réaction du groupe Korian n’ait pas été aussi rapide que nous l’aurions souhaité ». Trois jours plus tard, Charles-Antoine Pinel, directeur général France Seniors chez Korian, accusait « les autorités sanitaires locales » d’avoir « tardé à réagir ». Du côté des gendarmes, on indique que « tout le monde − l’ARS comme Korian − est entendu ».
Ces attaques réciproques ont révélé une difficulté structurelle à coopérer entre les ARS et les Ehpad − si ce n’est un gouffre −. Parmi les nombreux exemples de difficultés dans la répartition des rôles, que le drame de Mougins met en lumière, figure la querelle des tests.
L’absence de dépistage précoce des résidents a été pointée du doigt par la droite locale. Le maire (LR) de Mougins, Richard Galy, a été le premier à souhaiter des tests systématiques. Le président du conseil départemental, Charles-Ange Ginesy (LR), a écrit au ministre de la santé et des solidarités, Olivier Véran, et à l’ARS dès le 24 mars, pour demander « un élargissement immédiat des dépistages de l’ensemble des résidents ». En vain.
A Mougins, seuls trois tests ont été réalisés mi-mars, conformément à la consigne du ministère de la santé. La règle en vigueur était alors de cesser les dépistages au-delà de trois cas de Covid-19 avérés. Pourtant Louise (son prénom a été modifié) comme d’autres proches de résidents en est certaine : « Si tous les pensionnaires avaient été testés vers le 20 mars, une bonne partie seraient encore en vie aujourd’hui », assure cette femme qui a attendu deux semaines pour apprendre que sa mère avait contracté le Covid-19, dont elle a finalement guéri.
La direction du groupe et l’ARS PACA auraient-ils dû enfreindre la consigne nationale et décider un dépistage plus large ? Ont-ils fait preuve de légèreté ? L’un et l’autre se sont renvoyé la responsabilité de ne pas avoir pris l’initiative. « L’ARS était d’abord soucieuse de disposer de tests suffisants pour les hôpitaux, ce que l’on peut comprendre », concède un responsable du groupe. Un fonctionnaire d’une ARS, interrogé par Le Monde rappelle toutefois que les décisions d’ordre médical relèvent des établissements. En clair, Korian n’avait pas besoin du feu vert de l’ARS pour lancer des tests. « Aucun laboratoire n’était en mesure de [leur] délivrer des tests en grand nombre sans l’aval de l’ARS », rétorque la direction de Korian.
Devant la campagne politique de la droite locale en faveur des tests et l’émoi des familles face à la série noire des décès, Philippe De Mester, le patron de l’ARS PACA, a fini par faire passer des messages au cabinet d’Olivier Véran pour que les tests puissent être réalisés à plus large échelle dans les Ehpad. Korian, de son côté, a actionné ses relais : « On a mis un grand coup de pression sur le ministère », reconnaît Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privées pour personnes âgées (Synerpa).
La demande a été entendue. Le 6 avril, Olivier Véran annonce le virage. Il faudra, dit-il, « tester tous les résidents et tous les personnels à compter de l’apparition du premier cas confirmé de malade de coronavirus » au sein des Ehpad. Sans la tragédie de Mougins et son retentissement médiatique, le gouvernement n’aurait sans doute pas fait cette annonce aussi vite. Il n’en reste pas moins qu’à Mougins, entre le premier cas de Covid-19 et le dépistage des résidents, il se sera écoulé plus de trois semaines. Pendant lesquelles plus d’un tiers d’entre eux sont morts.
« Comptage informel »
Du temps perdu pour sauver des vies ? Korian balaie cette accusation. Quand bien même le nombre de résidents atteints aurait été détecté très en amont, un responsable du groupe confie au Monde qu’il aurait été difficile d’organiser dès la mi-mars une « unité Covid de taille suffisante » pour isoler tous les résidents malades des autres. Très vite, les onze lits prévus initialement se sont révélés insuffisants. Il a fallu que plusieurs dizaines de personnes meurent pour que « d’autres lits se libèrent », déplore cet acteur au cœur de la gestion de crise. Et qu’enfin le 9 avril les personnes contaminées soient regroupées par étage.
Si Korian doit répondre des accusations d’opacité, il n’est pas le seul. Orpea, numéro 2 sur le marché privé, se distingue aussi par sa discrétion depuis le début de la crise sanitaire, regrette Guillaume Gobet, délégué syndical CGT :
« Ces grands groupes privés de santé ont du mal à dire publiquement qu’il n’y a pas assez de matériel, de personnel, ou que la crise du Covid est difficile. Ils sont là pour faire de l’argent, pas du social, et l’image de marque, les belles plaquettes, c’est important pour les investisseurs. ».
Ce représentant syndical s’étonne qu’Orpea passe aussi facilement à travers les gouttes médiatiques. En effet, à part à la résidence du Parc, à Chambray-lès-Tours (Indre-et-Loire), où la situation est qualifiée « d’explosive » par France Bleu Touraine et dans lequel le directeur a confirmé au Monde « neuf décès » tout en s’étonnant de cet adjectif « explosif », aucun autre établissement sous la bannière Orpea qui verrait un quart à un tiers de ses résidents disparaître en quelques semaines, ne défraye la chronique. « Moi, je n’ai aucun chiffre, explique Guillaume Gobet, on fait un comptage informel à la CGT, mais on n’arrive pas à savoir. Appelez le siège, si vous avez des infos, ça m’intéresse, moi je n’en ai jamais eu. »
Pour le savoir, il faut contacter Image 7, la puissante agence de communication dirigée par Anne Méaux, qui s’occupe d’Orpea. La réponse tombe douze heures après :
« Malgré toutes les précautions que nous avons prises dès la mi-février et l’engagement de nos collaborateurs, nous comptons naturellement des décès parmi nos résidents. Il y a d’une part les décès de résidents testés positifs au Covid mais également les décès suspectés d’être liés au Covid. Sur ces deux catégories, nous comptons en France 420 décès soit 1,5 % de nos résidents et patients. »
Dans quels établissements ces décès ont-ils eu lieu ? Pourquoi aussi peu d’entre eux ne sont apparus sur les radars médiatiques ? A ces questions, pas de réponse. Un reporter niçois décrypte : « J’ai peur que tant qu’il n’y a pas des journalistes postés tous les jours devant tous les établissements de France, il y ait des “Mougins” qu’on ignore partout sur le territoire. »
Le secteur privé n’a pas le monopole du manque de transparence. A la Rosemontoise, à Valdoie, l’établissement à but non lucratif, où est mort Bernard Lévêque, le père de Sébastien Lévêque, l’opacité était une consigne transmise par l’encadrement aux soignants. « On nous disait de dire aux familles que tout allait bien, ou juste que leurs proches pouvaient être un peu malades mais de ne pas rentrer dans les détails », raconte Marie (le prénom a été modifié). Quand fuite le bilan accablant des dix-sept morts, le téléphone de l’accueil s’affole : « Une dizaine de familles se sont mises à appeler régulièrement : “vous nous dites qu’ici c’est le paradis, mais dans les médias on voit que c’est l’enfer, on veut la vérité”. » Quelques membres du personnel brisent l’omerta et parlent aux journalistes, prenant le risque de « se faire virer pour faute lourde plutôt que d’être poursuivi pour non-assistance à personne en danger », déplore Marie.
Un mail tombe dans la foulée sur l’intranet :
« Si la presse ou toute personne étrangère cherche des informations sur l’Ehpad (…) la Rosemontoise, personne d’autre que l’ARS ou le CD [conseil départemental] ne sont habilités à répondre. Toute personne qui communiquera qqs infos quelle qu’elle soit est susceptible de sanction. Merci de répondre à rien ni à personne. (…) Si vous voyez la presse ou toute personne étrangère à l’Ehpad, vous êtes prié de bien vouloir le signaler à l’équipe de direction. »
A l’oral est même ajouté que parler, « c’est du pénal ». « Sur le moment, ça fait froid dans le dos. Puis l’injustice l’emporte, on se dit qu’il faut protéger les résidents, le cœur est plus fort que la peur », termine Marie.
Il a fallu deux semaines pour que Joël Goldschmidt accepte de répondre aux questions du Monde. Le président de l’association Servir, qui gère l’Ehpad de la Rosemontoise ainsi que trois autres institutions médico-sociales de la région, ne voulait pas s’exprimer trop vite. Ce chercheur des laboratoires Roche à Bâle (Suisse), âgé de 59 ans, dirige bénévolement cette structure chrétienne évangéliste à laquelle est rattachée la maison de retraite de Valdoie. Il fait des milliers de kilomètres par an, « même pas remboursés », précise-t-il, et connaît lui-même bien le Covid-19 : il a passé son mois de mars alité à cause du virus, son père vient d’en mourir. La crise à la Rosemontoise a percuté de plein fouet son engagement religieux. Attaché à ses valeurs d’humanité, Joël Goldschmidt a très mal vécu les accusations « d’inhumanité » qui ont fleuri dans les journaux.
« Moi-même j’ai perdu mon père du Covid, mais je n’ai pas accusé l’hôpital d’avoir mal fait son travail. On n’a jamais vécu une crise comme ça, je ne vois pas comment elle aurait pu être gérée parfaitement. Oui, il y a eu des loupés sur l’information et la transparence. Il faut avoir l’humilité de le reconnaître. Parler plus n’aurait pas fait baisser le nombre de morts, mais oui ça aurait diminué le choc », se défend-il. A l’évocation du mail de menaces de sanction aux employés, il répond y être étranger, que c’est « difficilement entendable » d’avoir fait cela, mais qu’il s’agissait de rappeler que la communication sur l’hécatombe de la Rosemontoise était réservée à l’ARS.
Silence et discrétion
Cette consigne de silence et de discrétion a effectivement été transmise à tous les Ehpad du territoire. Olivier Obrecht est le directeur adjoint de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté. C’est lui qui échange avec les journalistes depuis le début de la crise qui a durement frappé sa région. A la question sur la non-diffusion des chiffres des décès et des contaminations, il répond que « ça n’est pas une information d’utilité publique ».
« Autant on a incité les Ehpad à tout dire aux familles des résidents, et ne pas l’avoir fait est une anomalie, autant on leur a dit d’être très vigilants avec la presse. J’assume la retenue d’informations, car l’important est ailleurs, il faut s’occuper des soignants et des vivants. Notre boulot à l’ARS, c’est l’organisation d’un système, pas la transparence. Et le bilan des morts Ehpad par Ehpad n’a aucun intérêt. On ne voulait pas stigmatiser ceux où il y avait des décès comme étant des mauvais Ehpad, car c’est rarement le cas », explique-t-il.
Derrière les murs de la Rosemontoise, les pensionnaires vont enfin prendre leur première douche après un mois de toilettes à la va-vite pratiquées par des soignants débordés par le Covid. La plainte de Sébastien Lévêque n’est pas encore arrivée au siège de l’association Servir. Joël Goldschmidt ne prend pas ça « à la légère » − sa responsabilité de président pourrait être engagée −, mais il reste « serein ». Olivier Obrecht concède que les plaintes vont sûrement se multiplier à l’issue de l’épidémie : « Les contentieux sur la prise en charge sont liés à un défaut de communication. Les gens ont l’impression qu’on leur ment, alors ils attaquent en justice. »
Ces plaintes déboucheront-elles sur des procès, celles de Valdoie, de Mougins, mais aussi de Clamart (Hauts-de-Seine), là encore contre Korian, ou de Chaville (Hauts-de-Seine) contre un Ehpad privé du groupe Villa Beausoleil ? « Les Ehpad n’auront pas de mal à démontrer qu’ils ont fait tout leur possible, veut croire Florence Arnaiz Maumé. Il leur sera facile de prouver que leur responsabilité n’est pas engagée. En revanche, il est certain que l’Etat a tardé à réagir », soutient la directrice générale du Synerpa. « Dans ce genre de dossier, on assiste souvent à une conjonction de défaillances », reconnaît un enquêteur. De fait, philosophe-t-il : « Quand un avion s’écrase, c’est rarement uniquement la faute du pilote. »