mercredi 1 mars 2017

Malfaisants, froids, persistants (5)

De retour de notre balade dans le Multivers (article précédent) il faut bien admettre, à défaut de l'accepter pleinement et inconditionnellement, que dans notre Uni-vers, Anders Behring Breivik est en prison après avoir commis l’irréparable. 77 fois.
(Je pars du principe optimiste que les blessés, réparables, ont été réparés, ou sont en passe de l'être, traumas psychologiques non inclus).
Kjirsten Fjord, la gentille secrétaire avec qui il aurait pu convoler à l’issue du Congrès d’été des Jeunes travaillistes sur l’ile d’Utøya, gît sous une couverture, déjà froide, du sang s’écoulant de ses oreilles.
J’ai vu les photos.
Elle a l'air abattue.
Froidement.
Comme les 76 autres Jeunes travaillistes qui ont eu la malchance de ne pas se cacher assez bien.
Ils n’avaient pas été assez attentifs aux leçons de vie de « How not to be seen ».
J’en profite donc pour renouveler à Breivik mes chaleureux encouragements à croupir longtemps en prison.
Jusqu’à sa mort, en fait.
Et si possible, que ses gardiens mettent « The Torture Never Stops » de Frank Zappa à donf et en boucle dans sa cellule(1).
Que le seul film disponible en téléchargement légal sur l’Intranet de la prison soit « Where the dead go to die », et que les sous-titres soient décalés.
Qu’il ne dispose pas du logiciel pour les resynchroniser.
Que quand il donne ses treillis militaires et ses Rangers à nettoyer au pressing de la prison, ils lui rendent à chaque fois une djellaba tachée et deux babouches de pied gauche.
Que…
Une minute.
J’ai déjà vu ce genre de réaction dans le film coréen « J’ai rencontré le diable».
Un flic traque le tueur en série qui a tué sa fiancée enceinte… et devient pire que lui. Bien pire.
Au cinéma, les Coréens n’ont pas de tabou avec la cruauté, mentale ou physique.
Le film devient assez vite inconfortable pour l’infortuné spectateur qui s’est laissé embarquer dans cette vengeance qui tourne mal, heureusement tempérée par un humour atroce. 
Dans les moments pénibles, il est conseillé de se rappeler que c’est du cinéma.
Avec Anders Behring Breivik, non, pas moyen. Il n'est pas conseillé de se rappeler que c'est réel, mais c'est réel quand même.
Il a eu une vie de merde, alors il a théorisé sur l’islamisation de l’Europe, et il s’est pris pour un Croisé.
Son Manifeste ressemble à un bouquin de Maurice G. Dantec (qui a fusionné avec le Grand Tout l'été dernier mais ça fait bien 15 ans qu’il avait commencé à breiviker, ou Breivik à dantequiser, ou tous les deux à houellebecquiser) encore plus mauvais que d’habitude, et après il a soigneusement préparé, planifié, puis exécuté son petit massacre.
Alors que peut-on en dire ?
Tous les matins, je pense à Anders Behring Breivik.
Je ne lui envoie pas de l’amour, ça non. J’ai déjà bien du mal à en envoyer dans un rayon de 1 mètre 50 autour de moi, alors pensez, atteindre la Norvège, ça serait un peu présomptueux.
Et puis c'est un peu tard. Fallait être là dans sa jeunesse. Avant que le ver ne dévore le fruit de l'intérieur.
Je me demande comment c’est, dans sa tête.
Je ne suis pas le seul.
La pièce manquante dans ce puzzle, c’est bien son absence d’empathie, sa faculté d’occulter le fait que ses cibles sont des êtres humains comme lui.
J’ai la chance de ne pas être le papa de feu Kjirsten Fjord.
Mais quoi d’autre ?
Entre gens civilisés, on peut parler du Mal.
On ne s’en prive pas.
« La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du Mal » nous disent les philosophes.
"C’est au nom de la morale, c’est au nom de l’humanité qu’ont été commis les pires crimes contre l’humanité. C’est au nom de la morale qu’ont été commis les pires crimes immoraux. Morale perverse, donc : on est moraux avec ceux qui partagent notre monde de représentation et on est pervers avec les autres parce que la définition de la perversion, c’est pour moi celle de Deleuze et de Lacan : est pervers celui qui vit dans un monde sans autre." nous dit l'abbé Cyrulnik.
Très bien.
Breivik utilise les méthodes des djihadistes qu’il prétend combattre, et devient comme eux.
Mais à part ça ?




Alex + Ada
Sarah Vaughn, Jonathan Luna



(1) "Des mouches vertes bruissent, dans ce cachot du désespoir
Des prisonniers geignant marinant dans leur pisse grattent leur tignasse noire
Une pâleur blafarde tombant d’un trou à des années lumières,
C’est leur lueur du jour, rien d’autre ne les éclaire
Et ça pue tellement que les pierres asphyxiées
pleurent un jus verdâtre de venin
Dans l’antre où brûle l’immense forge du Malin
et où la torture est sans fin
La torture est sans fin."

(à suivre)

lundi 27 février 2017

Monstres, tabac, Mal (4)

Résumé des épisodes précédents :

Dans un coin reculé du Multivers, au sein d'une réalité aussi alternative que les faits éponymes, Maurice G. Breivik n’a pas été abandonné à la naissance par son père, n’a pas été élevé par une mère dépressive qui, après un passage à vide, a retrouvé son équilibre intérieur grâce à la célèbre méthode d’épanouissement personnel « Méditer moins de 3 minutes par jour, c’est possible » popularisée par Christophe André.
Il n’est donc pas devenu un tueur de masse, mais un placide chef d’entreprise, qui fait juste un peu des blagues la nuit sur Internet avec son copain Marcelin Deschamps, parce qu’il trouve qu’il y a un peu trop d’Arabes en Norvège, et un peu trop d'étrangers dans le monde, si vous voulez le fond de ma pensée, mais après vous penserez à rabattre la lunette, sinon bonjour l'odeur.
En tissant patiemment sa toile sur le Web, il a fini par séduire Kjirsten Fjord, gentille secrétaire à la Ligue des jeunes travaillistes, en lui adressant une série de mails enflammés dont le thème principal, « Ma vie de Courgette (dans le frigo de ton coeur) » a porté la correspondance amoureuse à son point d’incandescence où elle con verge avec la littérature érotique, se jette sur elle, lui déchire tous ses habits et prétend après coup qu'elle était consentante, puisqu'elle n'a rien dit. 
A un tel point d'incandescence, d'ailleurs, qu'en recevant ses mails, Kirsten a dû éteindre son ordinateur à grands seaux d’eau claire, et s’est faite un peu gronder par Jean-Lük Mélenchønberg, le chef de la Ligue des jeunes travaillistes.


"Ma vie de courgette" a été adapté avec succès 
en film d’animation pour les petits et les grands, 
mais surtout pour les petits, quand même.

D’ailleurs Richard Millet l’a bien dit, « Breivik aurait pu être un grand écrivain, s’il n’avait préféré raconter des conneries sur internet ».
Bien sûr, Breivik admire en secret Bachar, Kadhafi et Saddam, qui ont su selon lui (et selon Jean-Pierre Filiu aussi) confisquer les aspirations légitimes des peuples arabes à l’autodétermination et les mettre à genoux, voire carrément par terre, pour assouvir leurs propres appétits.
Mais dans ce coin reculé du Multivers, ça ne porte pas à conséquence, et il peut se monter le bourrichon avec ses petits copains de la fachosphère en discutant de Kirkegaard sur des forums de téléchargement illégal de philosophes vérolés tout en mangeant du saucisson halal en slip, car c'est aussi ça la magie du virtuel, sans que la violence générée sur les réseaux sociaux ait une incidence dans le réel.
Et les jeunes travaillistes peuvent continuer à tenir leur Université d'été sur l'ile d'Utøya, en forme de coeur, sans s'y faire trouer la peau comme des jeunes travaillistes lapins à la fête foraine.
Il faut juste développer une bonne tolérance aux discours de Jean-Lük Mélenchønberg.

 

Utøya, Jeudi 12. (la veille)


(à suivre)

dimanche 26 février 2017

Méfaits des monstres, persistance du froid & tabac du Mal (3)

Je repense à Anders Behring Breivik.
Est-ce qu’il a été humilié quand il était petit, au point d’en concevoir une soif de revanche vis-à-vis de la société ?
Sa biographie est éclairante. 
On est à deux doigts de ces biopics de pacotille publiés à longueur d’année sur la désencyclopédie par des gens qui se croient drôles. 
A de rares exception prèsce n’est pas le cas. 
Sa bio, donc : ses parents divorcent lorsqu'il est âgé d'un an. 
Rejet partiel, puis définitif par le père.
Mêre dépressive. 
C’est un peu la tarte à la crême des psychopathes qui le sont devenus par carence affective, mais c’est vrai.


Elève brillant. 
Ambition démesurée. 
Création d’un site de vente de faux diplômes. 
Succès. 
Rappel à l’ordre par le Ministère du Download. 
Pertes en bourse. 
Retour chez sa mère. 
Deux ans de Jeu de rôle en ligne massivement multijoueur (World of Warcraft) dans la gueule. 
Abandon de toute vie sociale, pour laquelle il n'avait pas d'aptitudes particulières. 
Radicalisation sur Internet, comme on dit sans savoir que les Desperate moudjahidines n’en ont pas le monopole, sur des sites d'extrême droite. 
Ecriture du Manifeste 2083, bricolé avec beaucoup d’emprunts à tout ce que les théoriciens sulfureux produisent de meilleur, sans citer ses sources. 
C'est pas bien. 
Préparation minutieuse de l’attentat, conçu comme une opération marketing pour la diffusion de ses idées. 
Tuerie de masse. 
Prison. 
Echec de l'opération marketing.
C'est un peu comme si Houellebecq avait sorti "Soumission" le jour de l'attentat de Charlie-Hebdo.
Baston de psychiatres : est-il responsable de ses actes ?
Procès.
Reconnu responsable, après contre-expertise.
Condamné à la peine maximale.
Intente un procès à l'État norvégien pour des conditions de détention qu'il juge « inhumaines » (son accès à Internet a été suspendu par le Ministère du Blasphème et du Download).
Gagne son procès.
Mais ne regagne pas le droit de discuter avec ses copains sur Internet.
Et l'Etat norvégien a fait appel.
On en est là.
Enfin, le jugement a sans doute été rendu, mais je ne trouve pas l'info.
La démocratie a du mal à s'en remettre, quand elle renonce à éliminer ceux qui la combattent les armes à la main.

Une fois, Breivik a trouvé 77 x d’un coup.
Et pourtant, ils s’étaient bien cachés.

(à suivre)


samedi 25 février 2017

Persistance des monstres, tabac froid & méfaits du mal (2)

Anders Behring Breivik continue de me hanter, mais moins que la Norvège.
La Norvège a de quoi être hantée pour longtemps, et si j’étais Norvégien et que sa petite prison dans la mairie jouxtait ma petite maison dans la prairie, je dormirais sans doute d’un sommeil inquiet. 
Et je raterais toutes mes mayonnaises. 
Mais j’ai d’autres chattes à fouetter. 
D'ailleurs « L’espoir n’est pas un steak, » miaulent mes chattes quand je les fouette, et il me faut les nourrir plusieurs fois par jour. 
Surtout que celle qui est en phase terminale, entre sa chimio, un régime de faveur à base de Whiskas en gelée amoureusement écrasés à la fourchette et des shoots de Seroplex® pour chattes, elle a méchamment repris du poil de la bête.
Dans sa prison, Breivik bénéficie aussi d'un régime de faveur, mais il est toujours grognon, insatisfait, ce qui reste pour moi une énigme. 
J’ai l’impression d’être face à une équation à une seule inconnue, mais que je ne parviens pas à résoudre.



Déjà tout petit, Anders Behring Breivik appliquait  la solution finale
aux équations à une inconnue dans ses cahiers de trigonométrie. 


« Les méchants ont sans doute compris quelque chose que les bons ignorent. » disait Woody Allen.
Le mal en moi, j’arrive à le reconnaitre. Je gère. Enfin, j'essaye. Mais ça ne me met pas dans un état où je me sens déterminé à assassiner 77 personnes et à en blesser 155 autres à la carabine parce que ça va représenter ma modeste contribution à l'amélioration des trucs qui ne vont pas bien dans le monde.
Est-ce une question de différence de nature, ou d'intensité ?
Ah là là, les article sur le Mal, c’est moins chiant que les articles sur le Bien, mais c’est plus dur à écrire.
Breivik n’est pas non plus un psychopathe aux 23 personnalités dissociées comme le facétieux personnage du dernier Schmalayam. Shyamalan. Shalamayan. Encore raté, tant pis.
C’est vrai qu’en en matière de dégueulasserie et/ou de perversité, la réalité est loin devant les trash movies.
D'après mes sources, qui sont les mêmes que les vôtres, Breivik n'a même pas 2 personnalités dissociées comme Mehdi Meklat, qui était la coqueluche des médias parisiens crypto-sionistes le jour et la voix de la haine des exclus la nuit, par le biais d’ignobles tweets racistes, sexistes, homophopes et antisémites
Il a été obligé de quitter la France en attendant que ça se tasse, houhouhou le vilain pas beau.
« Ma part d’ombre a été expulsée mais je dois y réfléchir. Ça mettra du temps. Et puis, je vais me détourner de ceux qui me veulent du mal et aller vers ceux qui me veulent du bien. » nous a-t-il déclaré sur le tarmac de l’aéroport, sans vouloir nous révéler sa destination.


Peut-être qu'il a embarqué pour l'île d'Utøya, en forme de coeur. 
Visitez la Norvège.
(à suivre)

vendredi 24 février 2017

Monstres froids, méfaits du tabac & Persistance du Mal (1)

J’ai beau fumer du porno, ça ne m’empêche pas d’être préoccupé par l’actualité internationale, bien au contraire. Parcourir les headlines du Monde plusieurs fois par jour, c’est un peu le même genre de stress que la clope ou le cyberQ, et je suis à peu près aussi impuissant devant les catastrophes mondiales autoproclamées que derrière mon tabagisme pédocharcutier.

Il y a des choses que je ne comprendrai jamais.
Comme Anders Behring Breivik, ce terroriste norvégien d'extrême droite qui a perpétré et revendiqué les attentats du 22 juillet 2011 en Norvège qui ont fait un total de 77 morts et 151 blessés.
Il a fait ça de façon très méthodique, détournant l’attention de la police par un attentat à la bombe à Oslo avant d’aller assassiner 69 personnes, pour la plupart des adolescents, sur l'île d'Utøya. 
Déguisé en policier, pour ne pas les effrayer. 
C’est salement diabolique.
Les Américains, qui nourrissent une fascination certaine pour les tueurs en série, ne se sont pas écharpés pour acquérir les droits d’adaptation de l’histoire de ce tueur de masse. 
Normal : les idées qu’il revendique dans le manifeste de 1500 pages qu’il a laissé pour justifier son geste sont en grande partie celles du nouvel occupant de la Maison Blanche.
Son soutien au « conservatisme culturel », à l'ultranationalisme, au populisme de droite, à l'islamophobie, au sionisme, à l'antiféminisme et au nationalisme blanc, même noyés dans un délire de chrétien fondamentaliste, font tache.

Par contre, ça peut intéresser les Japonais.
Ce qui attire mon attention sur ce malade un peu oublié, c’est un article du Monde sur la condamnation de la Norvège pour traitement « inhumain » envers Breivik.
Il se plaint de s’être radicalisé en prison tout seul comme un chien d'infidèle, puisqu’il est à l’isolement 23 heures par jour.
Il se plaint de la restauration, de l'inanité spirituelle des programmes télé, et d’être lourdement affecté par l’isolement.
Breivik emmerde prodigieusement la Norvège, et représente un défi aux lois de l’Etat de droit.
Breivik, c’est Blasphemator® en plus con et en moins drôle.
Nettement moins drôle.


Un nouveau dérapage pour Nicolas Canteloup, 
qui s’est déguisé en Breivik ce matin sur Europe 1.
L'humoriste n'a pas fait rire tout le monde avec sa dernière chronique !

Je découvre au passage le monde merveilleux du counterjihad, chouette, un nouveau mot.

Cinq ans et demi après le massacre, Breivik ne manifeste aucun remords. 
« C’est toujours le même tueur narcissique », assure la journaliste Asne Seierstad, qui lui a consacré un livre et reçoit depuis ses missives.
Ben manquerait plus que ça soit un tueur altruiste. 
Ou qu'il soit une publicité vivante pour le narcissisme.

En France, on est tout aussi embêtés par le retour potentiel des djihadistes capturés en Syrie et en Irak.
On devrait les enfermer en cellule avec Breivik, et le problème serait vite réglé.
Finalement, le plus courageux là-dedans c'est Emmanuel Macron.


Mike Mignola, Hellboy in Hell

(à suivre)

mardi 14 février 2017

"Silence" de Scorsese : le vrai martyr du film c’est le stagiaire de France-inter

Sur France-Inter, il y a un stagiaire multimédia qui est payé au lance-pierres pour retranscrire sur une page web les veillées du dimanche soir du Masque et la Plume, l'émission des critiques cinéma de France-inter.
Prions pour lui.
J'ai écouté celle sur "Silence", le dernier film de Scorcese.
Franchement, ça donne envie.
De ne pas aller voir le film.
En ayant l'impression de l'avoir vu.
Ils sont forts, ces critiques.

Mais le plus intéressant, c'est la retranscription du stagiaire, qui joue avec les polices de caractère, leurs taille, leurs graisses, et une poignée de photos pour tenter de restituer à l'écrit l'ambiance de l'émission.
Là où c'est passionnant, c'est qu'il échoue totalement.
Il rajoute une locution ici, pour passer de l'oral à l'écrit, il corrige une bafouille là, mais on perd totalement tout le verbal du critique, son intonation, ses petits jeux radiophoniques.
Tout ce qui fait le sel de la chronique chantée, directement issue du Moyen Age, disparait.
Ce résumé écrit d'une causerie est sans doute institué pour faire gagner un temps précieux à ceux qui, non contents de ne pas avoir le temps d'aller voir le film, n'ont pas non plus celui d'écouter le podcast de l'émission.
Les mêmes qui regardent les films romantiques en accéléré pour en arriver plus vite à la scène du baiser. Adieu les préliminaires, fuck off les relations humaines, allons à l'essentiel.
Si vous voulez l'écouter, c'est à 3'06" sur le podcast. Je dis ça pour vous faire ainsi gagner 3 minutes de votre précieux temps, quitte à le reperdre en continuant de lire mon article.
J'en ai déjà perdu beaucoup moi-même à comparer la version chantée de la chronique et la version écrite, pour constater l'appauvrissement humain dont je vous cause.
Sans parler de la solitude du stagiaire multimédia de France-inter, terrifiante.
Il a sans doute été formé à l'école 42qui forme des développeurs informatiques, et dont les candidats codent quinze heures par jour pendant les quatre semaines de compétition que durent les épreuves de sélection des futurs élèves.
Grâce à qui je peux lire sur Internet la critique radiophonique (chantée par des journalistes de presse écrite) d'un film que je n'irai pas voir au cinéma.
Merci Internet.


Invité sur le tournage de "Silence", Woody Allen essaya de faire un selfie,
mais il n'y avait pas de pellicule dans la caméra.

dimanche 5 février 2017

La DADS-U sans peine


Tous les ans, au mois de janvier, c’est la même sinécure : La DADS-U (déclaration automatisée des données sociales unifiée) est à produire avant le 31.
C’est une formalité obligatoire pour toutes les entreprises relevant du régime général et des collectivités publiques.
Elle permet, à partir d'un logiciel de paie, de déclarer toutes les données des salariés, en un seul envoi, à destination des organismes concernés. 
Ainsi, sur net-entreprises (service gratuit de télédéclarations proposé aux entreprises par les organismes de protection sociale pour effectuer en ligne leurs déclarations sociales : embauche, Urssaf, Assedic, retraite et retraite complémentaire), il est possible d’envoyer une DADS-U à destination de :
la Cnav/TDS pour le compte des partenaires TDS,
les institutions de retraite complémentaire Agirc-Arrco (IRC),
les institutions de prévoyance (IP) adhérentes au CTIP,
les mutuelles adhérentes à la FNMF,
les sociétés d'assurances adhérentes à la FFSA, et leurs délégataires de gestion.

On le voit, c’est quand même fondamental. 
Dans la grande nébuleuse des déclarations spécifiques émises à longueur d’année à destination des partenaires sociaux sus-cités, une myriade d’organismes collecteurs parasites, entités mystérieuses aux hermétiques acronymes réclame des déclarations surnuméraires, afin de s’acquitter de taches redistributives. 
A moins que ce ne soit pour justifier leur existence à leurs propres yeux, comme tout organisme qui se respecte, selon la théorie d’Henri Laborit.
Au fil des ans, la gigantesque usine à gaz de ces organismes collecteurs-distributeurs se modernise. Il fut un temps où je devais m’acquitter de certaines de ces taches sous forme de déclarations papier. 
Aujourd’hui, tout est informatisé, ou en voie de. 
Avec un petit quelque chose de progressivement coercitif : la nouveauté de cette année, c’est que la DADS est à produire sous forme d’un fichier informatique à la norme 4DS V01X10.
Pour cela vous devez donc disposer d'un logiciel de paie conforme à la norme 4DS V01X10.
Ca parait logique, mais ça coute une blinde. 
De toute façon on a été obligés de basculer il y a deux ans, notre logiciel de paie d’intermittents du spectacle handmade ne satisfaisait plus aux exigences d’un certain nombre de déclarations tout aussi obligatoires que la DADS-U.
Et de toute façon, avec la généralisation de la DSN, on n’y coupait pas.
La Déclaration Sociale Nominative est censée remplacer dès 2016 l’ensemble des déclarations actuelles effectuées par les entreprises et leurs mandataires. 
Simplification administrative. Intention louable s’il en est. 
La Dun, Une Seule Déclaration Pour Les Remplacer Toutes !  comme ils disent chez net-entreprises sur le ton de « Un Anneau pour les gouverner tous (…) Et dans les ténèbres les lier / Au pays de Mordor (le Pays Merveilleux dans lequel la déclaration sociale nominative remplace et simplifie la majorité de vos déclarations sociales en automatisant leur transmission à partir des données de paie) / Où s'étendent les ombres. 
Sauf que quand on emploie des intermittents, ça mordorise moyennement bien, et il faut continuer à remplir et renvoyer toutes les attestations qu’on envoie déjà, ou comme ils disent poliment chez Audiens-Prévoyance : des formalités non substituées perdureront pour Pôle emploi :
La DUCS, l'Avis de versement, l'Avis de régularisation et les Attestations Employeurs Mensuelles pour les employeurs de salariés du spectacle.

Je ne sais plus qui (mais je crois bien que c’est mon comptable, qui en connait un rayon) disait qu’en France, quand on voulait réformer un bordel, on se contentait de rajouter une couche de complications sur le dessus. 
C’est le cas.

Et avec les fluctuations annuelles, voire trimestrielles, de certaines cotisations (par exemple, le Taux de la cotisation d’accident du travail des artistes passe de 1,19% à 1,26%. sauf en «Alsace-Moselle» où il passe de 0,98% à 1,40%, et je vous déconseille de chercher à savoir pourquoi), c’est plus prudent d’avoir un logiciel qui anticipe ces fluctuations et les répercute sur les fiches de paye que vous émettez, sinon les URSSAF vous tombent dessus à bras raccourcis. 
C’est ça ou aller à la pêche aux taux sur une myriade de sites pas vraiment référencés.
Bon, nous ça va, on a de quoi se payer un logiciel de gestion de paye à 900 € + 250 € de mise à jour annuelle, mais chez les petites compagnies théâtrales, ça tousse.
Bref.
Je gère l’administratif et le social de la boite à la petite semaine, dès que j’ai un trou dans le planning je fais de la R&D, et j’essaye d’être toujours largement en-deça des dates limites des déclarations, sachant que les capacités de traitement déclinent au fur et à mesure que les serveurs s’engorgent et que les hot-lines burnoutent.

Pour la DADS-U 2017 (sur les salaires 2016), je fais bien tout ce qui est indiqué sur les nombreux "courrier privilège" que je reçois en avalanche sur la fin d'année 2016 de la part de mon éditeur de logiciel de gestion de paye des intermittents, les trains de mesures et de contre-mesures annoncées puis retirées, puis remises mais pas tout à fait pareil, je me sens prêt à en découdre, quand soudain une modification des taux d’accident du travail met en péril toute la manoeuvre avec l’émergence d’un nouveau code risque A.T. = 921CC (sauf dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle, mais c’est vraiment pas des gens comme nous) qui remplace le 921CB depuis début 2017, apprends-je avec stupre et faction.
(mais je crois comprendre qu'il ne faut le mettre à jour qu’après avoir validé la DADS, sinon ça fout le bazar) 

J’ai attaqué le chantier DADS-U (comme Unifiée) début janvier, j’ai le temps de voir venir. 
La première tentative d’envoi après édition du bilan de contrôle, des Etats de fin d'année et autres tableaux récapitulatifs régularisateurs annuels, se solde par un échec : comme en plus des techniciens et des réalisateurs nous avons aussi embauché des artistes en 2016, il faut être en possession d’une notification d’AT923AC pour 2016, dont j’apprends miraculeusement par ma lettre d’information confidentielle qu’elle s’obtient auprès de la CARSAT au 08 21 10 44 20, parce que sans eux je serais encore en train de chercher.
Et c’est quoi la Carsat, et pourquoi ils me bloquent ma DADS ? Les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) sont des organismes du régime général sécurité sociale de France métropolitaine ayant une compétence régionale. (…) Les Carsat exercent leurs missions dans les domaines de l'assurance vieillesse et de l'assurance des risques professionnels (accidents du travail et maladies professionnelles). 
Je sais pas trop ce qu’y foutent dans leurs bureaux, mais apparemment leur pouvoir de nuisance est exorbitant, puisque leur décision d’harmoniser les taux d’accident du travail fout en l’air le précieux travail d’harmonisation et de simplification administrative réclamés par un Etat fort qui veuille à raison entrer de plain-pied dans le XXIeme siècle.
Bon, je les appelle, je leur demande l’attribution du fameux taux d’AT923AC pour 2016, et après 2 semaines à les tanner par internet, ils me l’envoient par mail : « Je vous informe de l'ouverture du risque 923 AC section 02 à effet du 01/01/2016 pour le passage de votre DADS. Pour information, ce risque a été regroupé au 01/01/2017 sous le code risque 923 AD il ne nous est plus possible techniquement de notifier un taux AT 2016, aussi vous ne recevrez pas de notification papier pour cette section. »
Ah oui j’avais bien remarqué sur net-entreprises que mon taux de cotisation A.T avait basculé dans l'ère du 923 AD mais que c'était pas rétroactif sur 2016. Mais on me la fait pas, moi, je suis pas tombé de la dernière circulaire administrative distribuée sous le manteau à une poignée d’initiés Illuminati et Francs-Maçons.
N’empêche que mes déclarations suivantes  à la norme 4DS V01X10 tellement clean qu’on pourrait manger dessus avant de se torcher avec sont retoquées par leur putain de robot, au prétexte imparable de l’Anomalie E9914 - Cette déclaration ne peut être acceptée, car une précédente déclaration de numéro d'avis de dépôt ###, déposée le 04/01/2017 et de numéro d'ordre 1 contenant la même liste d'établissements a déjà été acceptée.
Et en plus, E9915 - Une déclaration a déjà été acceptée pour cette entreprise de SIREN ## et pour l'établissement de NIC 000##, dans l'envoi de nom DADS-##-20170104.txt et de numéro d'avis de dépôt ## déposé sur net-entreprises le 04/01/2017. Une correction des données déjà déclarées pour l'établissement de NIC 000## doit faire l'objet d'une déclaration annule et remplace différente pointant sur cette déclaration de numéro d'avis de dépôt ###.
En d’autres temps je me serais affolé. 
Effondré. 
J’aurais pleuré mon psy pour avoir du Seroplex®. 
J’aurais recommencé à boire.
D’autant plus que d’après net-entreprise, j’ai droit en tout et pour tout à trois essais de DADS-U avant d’être éliminé, et vraisemblablement transformé en farine animale.
Mais bon, là je fais ça en dilettante, patiemment, un jour à la fois, quand ça me gave je passe à autre chose et j’y reviens plus tard, je vois que mon dialogue avec les robots ne passe pas, un peu comme dans l’article d'Ian Alexander L'ère des machines quand il dit « Mais quelqu'un a-t-il déjà songé aux robots crétins ? Quelqu'un a-t-il anticipé que le monde tomberait aux mains d'une armée de répondeurs téléphoniques ? » et je me dis que la solution consiste à parler à un être humain, le tout c'est de trouver qui appeler, je commence par remplir en ligne une demande d’aide, pourquoi Moïse a-t-il erré 40 jours dans le désert si ce n'est parce que les Hommes ont horreur de demander leur chemin, et quasiment dans la minute une opératrice me rappelle, et me dit de donner le numéro d’ordre 4, et je le fais, et ça passe, ma DADS-U est validée, et je peux me regarder dans un miroir sans avoir une image dégradée de moi-même.
Ca tombe bien, on est déjà fin janvier, il est grand temps d'attaquer la paye du mois, et la DSN phase 3. Vu les messages qui pleuvent les jours suivant sur le forum de discussion et d'entr'aide des utilisateurs du logiciel de paye des intermittents, je m'en tire à bon compte.

[Edit]

On pourrait penser à la lecture de l’article que je peste contre les complexités administratives qui sont faites aux petits entrepreneurs.

En fait, je voulais en tirer une conclusion positive, en insistant sur le fait que c’est un miracle quotidien de percevoir des Assedic pour les uns et des compléments retraite pour les autres, que la désorganisation informatique des grandes administrations n’empêche pas ceux-ci de fonctionner à peu près pendant les travaux de modernisation, et puis la rédaction m’a tellement fatigué que j’ai oublié. En plus j’ai rechopé un lumbago, tout seul comme un con devant mon ordi, dans le froid d’un dimanche pluvieux sur mon fauteuil directorial cassé.
Ca m’apprendra à ne pas prendre mon repos dominical.
Le Saigneur y m’a bien puni.