mardi 15 août 2006

La vie met longtemps à devenir courte

Il y a 20 ans, quand j’ai brièvement interrompu mes études pour devenir idole des jeunes et artiste de variétés, après 6 mois de répétitions acharnées dans une cave fétide et un concert d’adieux prématurés au music-hall qui rassembla un nombre incalculable de 45 personnes dans la salle des fêtes de Castelnau le Lez, la saxophoniste du groupe dans lequel j’officiais comme guitariste me proposa une excursion en Espagne : son petit ami allemand du moment débarquait au volant d’une Mercedes 220 D flambant neuve, et elle n’était plus très certaine de vouloir passer 10 jours en tête à tête avec lui. J’étais embauché comme chauffeur d’occasion et bon copain-zône tampon au cas où leur relation deviendrait tendue. Au bout de trois jours, je nous plongeai tous les trois dans un ravin catalan de 17 mètres de profondeur. Louée soit l’industrie automobile allemande, car je m’en tirai avec un bras et une mâchoire cassés, l’allemand avec un trauma crânien sans gravité, bien que pour un allemand l’impossibilité de boire de la bière puisse à la longue être incapacitante, mais N. morfla assez sévèrement : la moëlle épinière pincée, une jambe cassée et l’autre paralysée, elle dût subir les années suivantes un certain nombre d’opérations chirurgicales importantes qui la laissèrent boitillante.
La vie et ma mauvaise conscience nous séparèrent, et je n’eus pendant 20 ans que des nouvelles en pointillé, par mon frère musicien.
Cet été, je me repointai dans la région, et l’appelai au téléphone, me prétendant désireux de la revoir. Au bout d’un long silence géné, elle m’avoua qu’elle n’y tenait pas tellement. Dans l’impasse, je n’eus pas la présence d’esprit de lui balancer un expiatoire et provocateur "j’ai foutu ta vie en l’air, tu peux bien m’offrir un café", et le pardon n’est pas quelque chose qui se négocie aisément au téléphone. Surtout que j’avais vraiment envie de savoir ce qu’elle était devenue. Sur le moment, ça a bien fait marrer mon fils, qui ne m’avait jamais vu me prendre un râteau avec une fille. Après, je me suis dit que j’aurais pu donner des nouvelles de temps en temps au lieu de nous mettre dans cette situation à la con, mais que si elle ne peut me pardonner, ou pardonner mon silence, c’est son problème.
Dans la vie, y’a des trucs qu’on peut pas réparer. Quand c’est pété, c’est pété.
L’humilité consiste à accepter ce qu’on ne peut changer, et à changer ce qui peut l’être.

_________________________

En ce qui concerne le présent, retour aujourd'hui de 3 semaines de célibat quasi-monastique, mais avec enfants, parents, beaux-parents, oncles veufs abandonnés sur le bord de l’autoroute de l’information, en testant les leçons évoquées ici, en essayant de ne pas trop songer à me faire ainsi "dispenser de leurs faiblesses ou de leur difficile destin", sinon ça marche pas, tout en évitant de m’y identifier à outrance, avec dans l’idée qu’à l’âge où la vie continuera mais où on la regardera passer assis sur un banc, ça sera chouette d’avoir quelques bons souvenirs.
En attendant les bardös.
Et comme le dit Peter Sloterdijk : "Il faut distinguer un pessimisme méthodologique d’un pessimisme existentiel. Le pessimisme méthodologique s’impose parce que penser au pire est le fondement même de l’analyse. Mais le métier de professeur consiste à penser au pire tout en menant une vie heureuse. J’ai bien essayé, comme personnage psychologique, d’être aussi désespéré que les théories que je tenais des maîtres de notre génération. Il m’a fallu vingt ans pour retrouver la capacité de méditer le pire tout en adoptant une attitude existentielle tournée vers le bonheur. Car le devoir de l’homme est d’être heureux. Si on veut échapper au piège du ressentiment, il faut vouloir le bonheur."

Commentaires

  1. …dur…mais il me semble que le plus fort des pardons est celui qu’on s’offre à soi-même.

  2. Ce n’était en effet pas une très bonne idée de la revoir 20 ans après. Et encore une chance que tu n’aies pas eu la présence d’esprit de etc., tu te serais senti obligé de lui retéléphoner 20 ans plus tard pour t’excuser de cette remarque déplacée.

    Le passé c’est le passé et tu ne peux pas changer un truc qui s’est produit, qui plus est contre contre ta volonté, il y a vingt ans.

    Un petit conseil: relis ton article précédent sur Ulysse et Personne. :p

  3. 8ème étape du programme AA ?
    justement, on en a parlé lundi dernier ! t’as fait la démarche, ça n’a pas marché. L’action n’est pas toujours suivie de la réaction, surtout, comme le dit Dado, 20 ans après. Je ne me vois pas, pour ma part, appeler la copine à ma soeur à qui j’ai bouzillé la dentition de la machoire supérieure suite à l’accident de la voiture que je conduisais. C’était il y a encore plus longtemps que toi, c’est à dire 25 ans ago. De plus, ma soeur n’a plus de nouvelles de cette copine depuis très très lontemps. En y réfléchissant, j’ai quelques remords qui ressurgissent. Bah, ça passera. Et puis, j’ai encore pas franchi le cap de la première. Alors, la huitième !!!!!!

  4. On ne peut pas réparer ce qui s’est produit dans la matière (les corps) mais on peut réparer ce qui s’est produit dans l’esprit, en l’occurence : la culpabilité. Peut-être en te disant que:
    1/ elle était à l’origine de la triangulaire qui a conduit à l’accident
    2/ tu as fait la démarche du pardon
    3/ elle n’a pas voulu pardonner
    Donc, ça lui appartient et pas à toi.
    Maintenant, si la culpabilité persiste c’est qu’il y a autre chose…

  5. “1/ elle était à l’origine de la triangulaire qui a conduit à l’accident”
    ‘tain j’adore ! Vas-y John, fais-lui porter le chapeau, à cette &$% ! C’est de sa faute !
    Apparemment il y en a qui vont mettre du temps à comprendre qu’autrui n’est jamais responsable de nos actes. Sinon c’est la porte ouverte à toute justification et il n’y a aucune libération possible dans la justification.

  6. merci à tous pour vos honorables contributions. Ca me donne plein d’idées pour de nouveaux articles, car j’ai toujours peur de manquer de matière ;-)

lundi 14 août 2006

Clinique de la raison si nique

Il y a 15 ans, (difficulté actuelle à ne pas commencer mes phrases par ce tic verbal "il y a 15 ans", "il y a 20 ans", "il y a 25 ans" comme s’il ne m’était rien arrivé de notable depuis) j’ai recopié d’une main tremblante le texte suivant dans un grand cahier noir : " Le désir « d’identité » semble être la plus profonde des programmations inconscientes, tellement cachée que pendant longtemps elle échappe même à la réflexion attentive. En quelque sorte, un « quelqu’un » formel est programmé en nous comme porteur de nos identifications sociales. Il assure en tous lieux le primat de ce qui m’est étranger à ce qui m’est propre; là où le moi semble être, les autres étaient là avant moi pour m’automatiser par ma socialisation. La vraie expérience que nous faisons de nous-mêmes, dans un n’être personne originel, reste enseveli dans ce monde sous le tabou et la panique. Au fond, aucune vie n’a de nom. C’est le "personne" en nous, conscient de lui-même - il ne reçoit nom et identité qu’à sa "naissance sociale" qui demeure la source vivante de la liberté. C’est le "personne" vivant qui, en dépit des atrocités de la socialisation, se souvient des paradis énergétiques au-dessous des personnalités. Son principe vital, c’est le corps doué d’une présence d’esprit que nous devons appeler non pas nobody mais yesbody, et qui, au cours de l’individuation, est à même de passer du narcissisme réflexif à la découverte réfléchie de soi dans la totalité du monde. Mais si jusqu’à présent des incursions mystiques dans ces zônes les plus intérieures du vacuum préindividuel étaient l’affaire exclusive de minorités méditantes, il y a aujourd’hui de bonnes raisons d’espérer que pour une telle "Aufklärung" se trouveront aussi, enfin, des majorités dans notre monde déchiré par des identifications en lutte. Il n’est pas rare qu’il soit indispensable, dans l’intérèt de la simple survie, de pouvoir être personne, comme l’Odyssée le montre dans son passage le plus grandiose et le plus drôle. Au moment décisif de son errance, après s’être enfui de la caverne du Cyclope aveuglé, Ulysse, le héros grec doué de présence d’esprit, crie à ce dernier : c’est Personne qui t’a aveuglé ! C’est ainsi qu’on triomphe de la mono-ocularité et de l’identité. Par ce cri, Ulysse, le maître de l’auto-conservation astucieuse, atteint le sommet de la présence d’esprit. Il quitte la sphère des causalités morales primitives, le piège de la vengeance. Dès lors, il est à l’abri de la jalousie des Dieux. Les Dieux se moquent du Cyclope quand il les exhorte de le venger. De qui ? De Personne ? Cela était et restera l’utopie d’une vie consciente dans un monde où chacun peut s’arroger le droit d’être Ulysse et de laisser vivre le "personne" en dépit de l’histoire, de la politique, de la citoyenneté, de l’être-quelqu’un. Sous la forme de son corps éveillé, il doit commencer l’errance de sa vie qui ne lui épargne rien. Exposé à un danger, l’homme doué de présence d’esprit redécouvre en lui son "n’être personne". Entre les deux pôles du n’être personne et de l’être quelqu’un se tendent les aventures et les vicissitudes de la vie consciente. En elle disparaît définitivement toute fiction d’un moi. C’est pourquoi c’est Ulysse, et non pas Hamlet, qui est le vrai ancêtre de l’intelligence moderne et perpétuelle". Peter Sloterdijk, "Critique de la raison cynique" J’envisageais de me gausser doucement de ce texte, de ses fulgurances brumeuses, de ses voeux impies et impuissants à faire advenir un "éclaircissement" conjuré phrase après phrase par une imbitabilité qui fleure bon l’hermétisme et la claustrophilie philosophiques - alors que Michel Onfray casse la baraque avec sa langue claire et précise bien qu'à mon avis inutilement revancharde. Au passage, j’aurais ricané de ma propension à m’embarquer pour nulle part à bord de navires théoriques qui prenaient l’eau avant même d’être sortis du port, (le bouquin de Sloterdijk fait 700 pages du même tonneau), et puis… bien que le nombre de ses disciples réalisés soit sans doute très réduit, je suis tombé sur une interview du bonhomme qui met un peu de lumière dans sa soupe, et j’ai réfléchi que ce texte me parle quand même de quelque chose que je ne méconnais pas entièrement : les "paradis énergétiques au-dessous des personnalités", bon sang mais c’est bien dur ! sont ceux que j’ai arpentés fiévreusement, titubant sur les trottoirs glissants du cyber-porno, mon "être-quelqu’un" réduit à un oeil, une main sur la souris et l’autre dans le froc, et de ma fenètre, aujourd’hui, il me semble bien que le "n’être personne" trouve une application concrète dans le fait que pour s’en sortir, il faut se faire si petit que le porno ne puisse nous trouver. Avec l’humilité substituée à l’humiliation, évidemment. Mais il est difficile de faire le malin et de rester humble en même temps. Aujourd’hui je fais le malin, on fera un point sur l’humilité demain.

Commentaires

salut john..

fallait pointer du doigts ce qu’il fallait regardez…

j’aurais pas trouvez..

“O Theuth, découvreur d’arts sans rival, autre est celui qui est capable de mettre au jour les procédés d’un art, autre celui qui l’est, d’apprécier quel en est le lot de dommage ou d’utilité pour les hommes appelés à s’en servir ! Et voilà maintenant que toi, en ta qualité de père des lettres de l’écriture, tu te plais à doter ton enfant d’un pouvoir contraire de celui qu’il possède. Car cette invention, en dispensant les hommes d’exercer leur mémoire, produira l’oubli dans l’âme de ceux qui en auront acquis la connaissance ; en tant que, confiants dans l’écriture, ils chercheront au dehors, grâce à des caractères étrangers, non point au dedans et grâce à eux-mêmes, le moyen de se ressouvenir”

je trouvais bizarement ces deux textes complementaires…

(source cf :http://www.decroissance.info/Les-illusions-de-la-techno)

mardi 25 juillet 2006

Je veux du nougat



Ma soeur devait avoir 5 ou 6 ans et c’était la chouchoute à son papa. Nous, les garçons, on était un peu jaloux et observions dubitatifs cette discrimination positive, mais y’avait pas grand chose à faire, et puis on se tapait suffisamment dessus - 18 mois nous séparaient - pour avoir de quoi se distraire. Un soir, v’là qu’la soeurette part abruptement sur une idée fixe : "Je veux du nougat". (un peu comme "les seins des femmes" du post précédent)
Absence de friandise dans la maison n’empèche pas le désir de se manifester avec force.
Il veut souvent s’éprouver lui-même, bien qu’il prétende tendre à sa satisfaction.

"Je veux du nougat".
-On t’a dit qu’y en a pas.
"Je veux du nougat quand même."
-Ca commence à bien faire.
"Je veux du nougat ! Je veux du nougat ! Je veux du nougat !"
Bien qu’inconcevable eu égard au traitement de faveur dont elle jouissait alors, la chute est prévisible : devant la réitération insensée du mantra, mon père finit par lui mettre une méga-fessée et zou, au lit.
Braillements inconsolables.
Il remonte dans sa chambre :
"Et maintenant, tu veux encore du nougat ?"
Elle, entre deux sanglots, et d’une voix hachée :
"Hou-ou-ui-ui-ui !!! "
Ce fut le seul épisode vraiment psycho de ma soeur, qui s’arrangea ensuite pour avoir des désirs mieux adaptés à ses ressources, dût-elle se les créer.
Quelle ne fut pas ma surprise, bien des années plus tard, d’entendre Brigitte Fontaine sortir "le nougat", qui raconte à peu près la même histoire.
Il y en a aussi une variante chez Goossens, mais il faudra que je la retrouve dans mes vieux Fluide Glacial à la rentrée.
On a le temps.
Le désir de nougat a un peu perdu de sa lancinance.
J’ai redécouvert le chocolat.


Commentaires

  1. La quête de l’état de chouchoute à son papa peut faire des ravages quand on devient grande fifille.
    Il faut juste apprendre à s’auto-individuer. Chez moi, c’est pas une mince affaire mais avec du temps et de la persévérance, on arrive à tout.
    J’ai pu, grâce à ton post, revenir sur des souvenirs d’enfance que je croyais oubliés. Mais sans doute les avais-je occultés pour moins me responsabiliser.
    En tout cas, merci pour ton post. Il a fait du bien à une ancienne chouchoute à son papa qui enfin accepte cet état par rapport à un frère et une soeur qui s’en fichent bien de savoir s’il y en avait un ou une que le soi disant papa préférait.
    Accepter ce qui a été mais qui ne sera plus.
    Et puis, au fait, merci pour ton lien sur ton blog d’avant les vacances. J’ai apprécié l’intention-;)

  2. y a t’il une vie avant la mort ?
    y a t’il une mort avant la vie ?
    y a t’il une vie avant la vie ?
    y a t’il une mort avant la mort ?
    y a t’il une vie après la mort ?
    y a t’il une mort après la vie ?
    y a t’il une vie après la vie ?
    y a t’il une mort après la mort ?

lundi 24 juillet 2006

Au commencement des temps





Il n’échappera à personne que cette planche de bédé a été conçue et réalisée par une femme.
Vive les femmes, donc.

Lectures d’été


Je viens de passer deux semaines à bronzer comme un imbécile, comme diraient les blacks (mais peut-on le faire intelligemment ?) à nager inconsidérément sous l’eau, ce qui m’a filé une bonne otite, à jouer avec mes gosses… à me reposer d’un premier semestre assez intense. Mystérieusement, au lieu de chercher à se faire des potes au camping, mon ado de 14 ans est resté sagement collé à nous, alors on a gravement sympathisé. Et puis j’ai bouquiné. Au lieu de vanter les charmes vieillissants de la littérature dans une civilisation du tout-image et du non-sens, on ferait mieux de s’interroger sur notre constant besoin d’évasion, et par conséquent sur la nature de la prison. J’écris ça par intermittence, car un frelon s’est enfermé avec moi dans le bureau par cette chaude nuit d’été malgré que je lui aie laissé la fenètre ouverte en grand. Quand il se réveille, je sors du bureau en éteignant la lumière, mais comme il fait nuit et que je suis plus qu’à moitié à poil, les risques que je me fasse sauvagement piquer par ma victime passive et colérique est grand.

En tout cas pendant ces quinze jours j’ai fait ce que je sais le mieux faire (et que je ne faisais plus depuis un certain temps) : lire.
J’ai lu ça :

ça remet les idées en place sur notre héritage culturel. Nous sommes tous les enfants des babs des 70’s, keupons et nihilistes de tous poils inclus.









puis j’ai lu ça :


c’est un excellent polar social et ethnique sur l’amérique contemporaine, un peu le pendant littéraire de la série "The Wire"










et ça :

de la SF très honnète, entre Dick et ses émules. Ca insiste beaucoup sur les pouvoirs du rêve et l’amnésie généralisée comme force de gouvernance.











et puis j’ai gardé le meilleur pour la fin :

et là je cale un peu : intrigue confuse, pléthore de personnages secondaires bien qu’on connaisse assez tôt les coupables, raccourcis abrupts et conseils d’un laconisme monastique.
Y’a pas : si je veux sortir de ma fascination d’amoureux transi pour le bouddhisme, va falloir que j’aille y voir de plus près.
Mon Dieu ! Combien de fois l’ai-je déjà pensé et prétendu !




Commentaires

  1. >> un frelon s’est enfermé avec moi dans le bureau par cette chaude nuit d’été malgré que je lui aie laissé la fenètre ouverte en grand.

    C’est assez idiot les frelons. Contrairement aux abeilles et aux guêpes qui font dodo la nuit, dès que ça voit une lumière, ça fonce dessus - un peu comme ces têtes de linottes de papillons. Sinon, une fois que c’est près de sa lumière, c’est pas aussi agressif que je le croyais.

    Une fois, on avait un nid de frelons dans un chataignier à l’entrée d’une ferme et la nuit, il y en avait des dizaines collés à la vitre. Ca faisait assez film d’horreur. Quelques uns arrivaient à rentrer par les trous des boiseries. On a fait un massacre. Le jour, on pouvait s’approcher à trois mètres du nid, on se faisait pas attaquer (et heureusement d’ailleurs parce que trois piqures de frelons et hop! plus de Dado).

    >> bien qu’on connaisse assez tôt les coupables.

    C’est pas étonnant, Flo t’avait déjà raconté l’histoire, donc tu connaissais la fin.

    Sinon, toujours aussi excellentes les BD de Xavier Gorce! :) ))

  2. j’ai fini par latter le frelon concon qui refusait la liberté de la fenètre ouverte en me disant qu’il me ressemblait beaucoup (à part que j’ai renoncé à me piquer;-)
    ‘tention, j’ai modifié traitreusement mon commentaire du post précédent.

dimanche 9 juillet 2006

Grossesse nerveuse



9 mois sans porno.
Un petit pas pour mon zob, un grand pas pour mon humanité.

C’est pas qu’elle revienne à grands pas, du fait que je passe encore le plus clair de mon temps dans les chambres noires (Bashung).
M’enfin mon écran est redevenu un écran, mon clavier un clavier et mon blog un blog.
Et ma vie une vie.
Pour éviter de piétiner plus longtemps dans l’antichambre qui sépare l’abstinence de la sobriété, il est temps de passer à la phase 2 du plan B, qui ne consiste pas à partir en vacances en camping dans les Landes avec la malle pleine de bouquins de développement personnel à consulter chaque fois que les allemands houblonophiles de la tente d’à coté m’en laisseront le loisir, mais à me rappeler que quand j’ai cessé de boire, je me suis tourné vers la SAO (Sobriété Assistée par Ordinateur) et que c’était p’têtre pas la meilleure idée de l’année, bien qu’elle m’ait aidé au départ.
Et je ne puis retourner en deçà de toute addiction.
Faudrait remonter avant la clope, avant la première fille dont je suis tombé maloureux, avant les 3 mois que j’ai passés sous-nutri du fait d’une erreur du service pédiatrique…
Je ne puis que continuer de démonter patiemment les dépendances actuelles centrées sur l’informatique - la neutralité du mot, qui recouvre des comportements à base émotionnelle : jeux, forums, téléchargement, cybercul.
Tuer l’autre, avoir raison, avoir tout vu ou à défaut une vidéothèque bien membrée, instrumentaliser la pulsion au service de l’espèce en la détournant au service de ses appétits qui n’ont d’autre fin concevable que l’auto-dévoration.

Je juxtapose l’analyse de Dartan (1970) à celle de Flo (2006) : le collage, comme le montage, c’est donner du sens à de la matière, et une école permanente du regard.

Dartan met en scène des personnages censés incarner des fonctions psychologiques dans un mémorable et confidentiel pédagodrame :

"(…) le cas du chocolat comparé à celui de l’adultère peut donner une première idée de ce que sera la morale à l’avenir. Le médecin qui déconseille une denrée insalubre est déjà une sorte de moraliste. «Abstiens-toi du chocolat, dit-il en substance, tu jouiras d’une bonne santé hépatique. Si tu en manges, tu auras mal au foie…» Pour maîtriser la gourmandise, cette récompense assortie de la menace d’un châtiment suffit souvent. Mais les débordements de la pulsion sexuelle aux heures de crue ne se contiennent pas si facilement. Il faut jeter dans la balance une récompense d’un autre poids : la chose à quoi les humains tiennent le plus. C’est ce que fait la morale. Aussi les moralistes se gardent-ils de déconseiller l’adultère : ils le proscrivent, et assortissent cet interdit de menaces (naguère efficaces mais dévalorisées aujourd’hui : l’enfer et la réprobation publique en même temps que divine) et d’une récompense formidable : la morale elle-même. «Abstiens-toi de l’adultère, tu jouiras de ta propre «moralité» et, dès lors, du pouvoir de blâmer à «BON DROIT» !…»
Si la morale foire aujourd’hui, c’est parce que la psychanalyse l’a privée de cette récompense suprême : il nous est devenu impossible de croire au «bon droit» de ceux qui nous blâment. Nous sommes restés plus ou moins persuadés du nôtre quand nous blâmons, mais le coeur n’y est plus : nous savons trop combien ceux que nous blâmons y croient peu !

Flo se livre aux considérations issues de son talent inné pour l’auto-observation allié à des pratiques qu’on devine musclées : "quand on constate que la pente naturelle de l’être humain est le plus pur égoïsme, on comprend que pour contrebalancer ça, ce n’est pas avec le dzogchen qu’on va y arriver. Plutôt en faisant peur aux gens : "si tu voles, tu iras en enfer". La peur, ça marche beaucoup mieux que les appels à la raison, ou à la compassion, qui sont les qualités les moins répandues au monde. Ce n’est pas que les gens se détournent de l’une ou de l’autre, c’est qu’ils ne savent même pas que ça existe. En effet, on croit que la compassion, c’est d’aider ses amis, mais ce genre de compassion, même les velociraptors en sont capables. Pour le reste… si l’on interrogeait la motivation de ceux qui font de l’accompagnement aux mourants ou qui servent aux restos du coeur, on serait très déçu. Pour le peu que j’ai vu, ils ne faisaient que fuir leurs problèmes, au mieux s’acheter une bonne conscience et être les sauveurs du monde. Mais c’est bien. Faire le bien pour une mauvaise raison, c’était précisément le propos de la religion. Propos soutenus par Padre Pio ou Maître Philippe, qui malgré leur statut de réalisés, ne parlaient pas différemment du curé du coin d’il y a 100 ans. C’est qu’il avaient compris que les gens sont des velociraptors et qu’il fallait avant tout les empêcher de nuire. AU fond, la religion avait de bonnes raisons de se défier de la science, et peut-être que le Grand Inquisiteur qui a chopé Giordano Bruno n’était pas si fou que ça. Peut-être qu’il avait eu une vision, que la science allait ôter aux gens la peur de l’enfer, et que les gens allaient pouvoir laisser libre cours à leurs pires instincts. Vendre du sang contaminé, des médicaments périmés, polluer le monde entier, ruiner un pays, où est le problème, maintenant que la science a montré que Dieu n’existait pas et qu’il n’y avait pas d’enfer ? Ou croit avoir montré, parce qu’en réalité il y en a bien un, mais pas avec des démons et des chaudrons."

Pour les pornodeps, la peur de l’enfer ne marche que dans un seul sens : la peur d’y retourner. C’est pourquoi ils ne peuvent s’éloigner qu’après avoir suffisamment mariné dans leur jus et sérieusement motivés à s’en sortir.
Et l’abstinence ne peut consister à se retenir.
Ce n’est pas par la frustration que l’on quitte ces marécages.

Donc la phase 2 du plan B, si je jette les clopes et l’ordi, il va falloir que je me trouve des trucs à faire.
Un mot encore, et surtout une pensée, pour ce cybernaute inconnu qui vient souvent me consulter en tapant "je me masturbe devant ma mère" dans Google et dont je ne puis étancher la soif d’émotions inédites. Ami matriolâtre, ne reste pas scotché devant ton écran si tu ne veux pas te retrouver plus tard avec des souvenirs guère plus excitants que des gigaoctets de muqueuses stockées dans les entrailles indifférentes d’un disque dur acheté un samedi pluvieux au Carrefour de Vitrolles.
Et puis, laisse ta mère en dehors de tout ça, au fond elle n’y est pas pour grand chose, ou alors va lui cracher le morceau, ou trouve quelque part en toi le courage d’aller en parler à un psy, mais franchement, c’est pas une bonne idée que de rester planté là dans le néant avec ta requète qui ne peut aboutir.

Bonnes vacances à tous.

Commentaires

  1. >> Si la morale foire aujourd’hui, c’est parce que la psychanalyse l’a privée de cette récompense suprême : il nous est devenu impossible de croire au «bon droit» de ceux qui nous blâment.

    Soit il faut envisager que Jésus ait pu inventer la psychanalyse avec son histoire de poutre et de paille dans l’oeil, soit il faut trouver une autre solution pour ce jugement. ;)

  2. Dado, ton commentaire serait pertinent si les gens comprenaient quoi que ce soit à Jésus. Mais c’est un des plus grands incompris de l’histoire.
    John, il n’y a que les yogas qui te sortiront vraiment d’affaire. Je n’ai pas encore atteint la grande béatitude simultanée, mais plus ça va, plus je pense que c’est possible, les signes précurseurs apparaissant les uns après les autres. Après, bien sûr, ça suppose d’y passer du temps, mais perso, je me dis que pour obtenir un truc 1000 fois mieux que l’orgasme normal, ça vaut le coup d’y passer un peu de temps. Mais est-ce bien vrai que c’est 1000 fois mieux, me dira-t-on ? ça oui j’en témoigne, car j’ai eu le début de la chose en rêve, et 1) c’est plus fort 2) ça dure tant qu’on maîtrise le trajet des gouttes dans le canal central. Ce que tu ne pouvais faire que quelques fois quelques secondes par jour, tu t’imagines pouvoir le faire une heure par jour, en beaucoup mieux, tout seul, avec en plus un gain de conscience et d’énergie ? Je ne comprends pas pourquoi tous les cyberdépendants ne sont pas en train de plancher sur cette pratique…

Transmissions


Quand j’ai eu 13 ans, mon père m’a emmené voir Little Big Man au ciné-club de l’IUT de Lannion, film auquel il vouait une profonde admiration sans trop pouvoir nous expliquer pourquoi, et que je pense liée à la simplicité et la profondeur des liens qui se tissent entre Dustin Hoffmann et son grand-père adoptif, alors que les filiations sont diablement plus épineuses chez les Warsens depuis au moins l’aube de l’humanité. Ce faisant il m’a alors "transmis" ce qu’il considérait comme la quintessence des valeurs humaines dans l’esprit le plus sacré qu’un marxiste puisse concevoir.
Hier soir j’ai montré ce film à mon fils (14 ans) dans le même esprit.
Il m’a dit que c’était un film très spirituel, et que maintenant il comprenait pourquoi "j’étais comme ça" (?)
Ce que les Indiens d’amérique du nord nous ont transmis avant de disparaitre, à part le souvenir romancé par les enfants de leurs bourreaux d’une civilisation édenique qui renvoie aux fariboles éternelles de l’homme - en - harmonie - avec - la - nature, c’est le tabac, grâce auquel ils ont peut-être ourdi de faire des millions de morts post mortem de par le monde au moment même où ils voyaient leur inéluctable fin.
Ca fait un peu mesquin et conspirationniste, mais faites interpréter un petit texte sur cette hypothèse par un historien qui se prend une flèche dans le bide avant de parvenir à la fin de son explication, et vous aurez un sketch rigolo. Chaque fois que j’allume une clope, je pense à eux. Bien joué, messieurs les Peaux Rouges.
Mon grand-père, lui, m’emmenait l’été voir des westerns et des grands films d’aventure au Kinopanorama de la Motte Picquet ou à l’Artel Champigny les étés où j’allais le visiter à Créteil. Il y prenait un vif plaisir, qu’il ne s’était pas autorisé dans l’éducation de ses enfants. Lawrence d’Arabie, Il était une fois dans l’ouest ou Autant en emporte le vent m’ont ainsi laissé d’impérissables souvenirs autant liés à l’émerveillement adolescent devant les chatoiements des romances en technicolor qu’à l’indulgente et inédite complicité de l’aïeul qui en toutes autres circonstances monopolisait la parole, qui Incarnait La Parole dans les repas de famille : occasions tout aussi inédites de m’interroger sur le soudain silence paternel.
Bref. Au retour du cinéma, je me laissais gaver de confiture de framboises par ma grand-mère en dévorant la collection du journal Spirou qui m’attendait au grenier. Papi était fâché avec sa soeur pour une histoire de succession immobilière en indivision sur laquelle ils n’avaient pu tomber d’accord sans que l’un d’eux s’imagine lésé et rompe les relations diplomatiques. Trente ans plus tard, mon père et ses frères se sont brouillés à mort pour d’identiques raisons, et c’est un de mes oncles qui a rameuté toute la marmaille de la fratrie pour un week-end "Goodbye à Créteil" début juillet puisqu’il vit dans la maison qui jouxte celle de mes grands-parents et qu’elles vont être vendues. J’ai eu ainsi l’occasion de passer une nuit dans cette maison inhabitée depuis 3 ans, vide de meubles et aux plafonds craquelés et décrépits, cette maison que j’ai connue ors, pourpres, ris et jeux. Mon grand-père est mort en 93, et ma grand-mère l’été dernier. Il nous a légués cet "élitisme qui fait encenser l’émotionnalité complaisante d’individus complètement cérébraux mais fans d’auto-analyse, et qui fait ignorer tout ce qui se passe en-dessous du diaphragme." selon la jolie formule de flo, et contre lequel il serait vain de chercher à se rebeller, sous peine de tomber dans l’erreur suggérée par l’Empereur à Luc Skywalker dans Le Retour du Jedi : "donne libre cours à ta colère contre moi" (mais ça marche avec toute la smala des émotions et jugements négatifs) "et tu ne m’en rejoindras que plus tôt du côté obscur" ou quelque chose comme ça.
Cette maison pleine de fantômes de souvenirs, mais pour le futur acquéreur elle ne sera que bonne affaire une fois remise à neuf. Et les fantômes iront vivre ailleurs. C’est la même force qui dégrade la maison de mes grands parents et qui fait pousser l’herbe dans mon jardin, la bonne comme la mauvaise.
On transmet ce qu’on peut. Flo me suggère de "me faire transmettre le vase par les moines car c’est la base des yogas" mais cette semaine-là je me ferai transmettre l’appartement de mes parents en indivision avec mon frère et ma soeur. Avec évidemment une bonne probabilité qu’on se foute sur la gueule après leur décès, bien que nos relations soient actuellement cordiales, pour la raison que les mêmes causes engendrent les mêmes effets. D’où l’intérèt d’assortir ma sympathie cérébrale envers le bouddhisme d’un début de passage à l’acte. Bien que je me sente proche de la position de lds qui prétexte qu’il faille "des préliminaires, un maître, l’intention pure d’agir pour le bien de tous les êtres…" sans parler du fait que ce qui me retient depuis 25 ans c’est une vague peur du ridicule de me retrouver en pyjama à réciter des mantras envers des divinités exotiques. Et ça, si je regarde bien, je sais qui me l’a transmis, et de qui il le tenait. Et contre quoi c’était censé les protéger. Heureusement, un Jedi ne cherche jamais à se venger.
Sur les émotions et la fin de vie j’ai bien aimé le post trouvé en lien d’Iznogoud -spéciale dédicace pour Fabienne, Yo !
Je pars en retraite spirituelle au camping Bimbo de Biscarosse, c’est là que vous pouvez me transmettre vos commentaires pendant les 15 prochains jours. N’oubliez pas votre maillot.


Commentaires

  1. Bonne vacances alors ! C’est un excellent post, j’ai bien rigolé.
  2. Je ne sais pas si tu as vu, mais il y a 4 semaines possibles chez les lopön. Si tu ne trouves pas moyen de t’y rendre (alors que tu trouves celui de partir 15 jours en camping), tu m’auras convaincue que ton intérêt pour le bouddhisme est purement fascinatoire, et que tu préfères la position de victime passive à celle du mec qui essaie vraiment de s’en sortir. Il est vrai que la position de victime passive a un avantage : on a l’espoir que quand on s’y mettra, tout ira bien. Quand on s’y est mis, on voit en revanche tout ce qui reste à faire, et bien que les problèmes courants soient résolus, c’est peut-être moins réjouissant que des lendemains qui scintillent par le fait d’être toujours repoussés au lendemain.
  3. aarh, mes fidèles grognards…
    (pincement d’oreille + larme à l’oeil ;-) )
    dado, je ne pense pas que mon post soit excellent, sinon j’en retirerais la même jubilation que toi, or il n’en est rien :( je crois que l’objectivation de ma problématique n’arrange pas mes caramels mous, et que tant que mon blog me sert à ça, ben ça n’avance pas des masses. Néanmoins je suis content qu’il en fasse rire au moins un !
    flo, merci pour “l’intérèt fascinatoire” qui résume bien mon attitude par rapport à la vie dans son ensemble. Je vais méditer là-dessus en débronzant de honte.
  4. Ca fait tout de même bien plaisir de lire un amateur de Goossens. Il n’y en a pas tant que cela.