Hier, j'ai bricolé un teaser d'une minute trente neuf pour une compile en cours. J'ai pas mieux à faire ? Sans doute que si, mais là je me sentais inspiré, et je n'ai pas pu lâcher prise avant l'aboutissement que vous tenez sous les yeux et à portée de clic.
Le plus drôle dedans, c'est Daniel Morin brocardant les députés LRM ayant prolongé l'autorisation du glyphosate il y a quelques mois. Peut-être que j'aurais dû faire de la radio. On saura jamais.
La pochette du disque.
J'aurais pu faire graphiste, aussi.
C'est évident.
Voire directeur artistique.
Cette compilation pour sauver Francis Lalanne, membre de plusieurs espèces menacées (l'espèce humaine, la sous-espèce endémique des gilets jaunes, et celle des auteurs-compositeurs interprètes), est enfin en vente à nos bureaux, pour une somme modique. Elle sert aussi à financer sa campagne électorale, pour nous débarrasser des listes LRM/ Glyphosate et RN / Roundup qui, trois semaines avant le scrutin, accaparent la moitié des voix françaises dans les sondages Ifop.
Tous les dons seront reversés à ses amis gilets jaune devant et marron derrière, avec déduction fiscale.
Quand j'avais 20 ans, Francis Lalanne aussi, et tout allait bien. On filait le parfait amour. C'est Jean-Louis Foulquier qui nous avait présentés, dans son émission du soir sur Inter, où toute la chanson française défilait un jour ou l'autre.
Francis venait de sortir un excellent premier album, intitulé "J'ai 20 ans", ça c'est pas banal, parce que moi aussi, à l'époque. Ah, je vous l'ai déjà dit ? flutalors. Il se livrait à des concerts marathon de quatre heures et plus, c'était Springsteen, c'était Hendrix, et puis c'était Lalanne aussi, on était subjugués.
Si on n'est pas subjugué par Lalanne à 20 ans, on ne le sera jamais plus.
Mais assez vite, on dût déchanter, haha, car l'homme changea, révéla sa nature fantasque, on lui diagnostiqua une rupture du joint d'étanchéité émotionnelle, et nous nous quittâmes vaguement brouillés. Il continua sa vie, sur l'étagère, et moi j'entrai dans la Matrice.
En plus, j'avais beau jouer à la perfection "J'ai de la boue au fond du coeur" en picking, je n'ai jamais séduit la moindre donzelle en exécutant à la tronçonneuse basse cette boucherie pour cockers tristes.
36 ans plus tard, j'ignore tout de ce qu'est devenu Francis, et je ne cherche surtout pas à le savoir : l'artiste m'est devenu indifférent, et l'homme suscite au mieux un sourire gêné.
Et pendant qu'on rigole, les nationalistes de tous pays de la CEE s'apprêtent à se donner la main en une grande farandole pour encaisser les bénéfices du naufrage de l'Europe, dans un timing impeccable.
C'est pour ça qu'il faut me donner vos sous, m'sieu dames.
En attendant, la compile est téléchargeable ici :
Le moins qu'on puisse en dire, c'est que dans le genre mollasson, c'est du brutal.
En anglais, le derrière de la pochette du disque s'appelle le back cover. T'as vu la playlist ? Quasiment que des nouveautés vieilles. On croit rêver.
Cerise sur le gâteux :
si l'on exclut le jingle de lancement "l'appel des ronds points", la compilation compte 33 titres, soit autant que de listes électorales enregistrées en prévision du scrutin.
Le jeu consiste à réattribuer chaque chanson à sa liste, pour décrypter le sens caché de la compile !
Les cinquante meilleures réponses recevront la compile dédicacée par Francis !
Depuis que j'ai croisé l'effondrologie dans Télérama (article précédent) j'ai renoncé à écrire sur ce blog anciennement consacré à l'effondrement de mon nombril. Je trouve plus intéressant de relayer quelques articles d'effondrologues, qui ont l'avantage de périmer moins vitement et d'être de plus longue portée sur le plan spirituel.
Le succès inattendu des théories de l’effondrement in Le Monde, 6 février 2019
Pour les « collapsologues », notre civilisation, fondée sur les énergies fossiles, disparaîtra dans les années 2030. Une pensée qui rencontre de plus en plus d’écho auprès du grand public.
C’est une vision qui donne le vertige. Et qui provoque un abattement teinté de sidération. Celle d’un monde où les infrastructures n’existent plus à grande échelle, ni les institutions telles que nous les connaissons. La dernière goutte de pétrole a été brûlée, la nourriture et l’eau potable se sont raréfiées, la lumière électrique, les ordinateurs et les voitures apparaissent comme un lointain souvenir. Les guerres, les épidémies et les famines ont décimé la moitié de la population mondiale. Ce scénario n’est pas celui du roman post-apocalyptique La Route de Cormac McCarthy. C’est l’une des thèses de « l’effondrement » de notre civilisation, défendue par des chercheurs, des experts et quelques hommes politiques, qui rencontre un succès inattendu auprès du grand public.
En quelques mois, ce terme, ainsi que celui de « collapsologie » (du latin collapsus, « tombé en un seul bloc »), est devenu incontournable. On l’a entendu dans la bouche du premier ministre Edouard Philippe, faisant référence à l’ouvrage du biologiste et géographe américain Jared Diamond, Effondrement(Gallimard, 2006) ou dans l’appel de 200 personnalités pour sauver la planète, publié dans Le Monde en septembre 2018.
Un podcast, Présages, et une Web-série documentaire, Next, lui sont consacrés, les groupes Facebook se multiplient sur le sujet, comme Transition 2030, La collapso heureuse ou Adopte un collapso, des « apéros collapso » sont organisés. Un module vient d’être créé sur le sujet dans deux masters de l’université de Cergy-Pontoise, en Ile-de-France.
Une nouvelle science
Un engouement cristallisé autour de la succession de catastrophes liées au dérèglement climatique depuis l’été dernier, de la démission fracassante de Nicolas Hulot ou du mouvement des « gilets jaunes ». Mais cet emballement s’explique surtout par le succès de l’ouvrage Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015) de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, vendu à 60 000 exemplaires, essentiellement en France et en Belgique. Les auteurs y définissent ce qu’ils considèrent comme une nouvelle science interdisciplinaire, la « collapsologie ».
En compilant des études, des faits, des prospectives, ils assurent que l’on assistera, pour certains au plus tard dans les années 2030, à un effondrement mondial et systémique de la civilisation thermo-industrielle, fondée sur les énergies fossiles. « Cela signifie que dans tous les pays du monde, les besoins de base (alimentation, eau, logement, chauffage, transports, etc.) ne seront plus fournis, à un coût raisonnable, à une majorité de la population par des services encadrés par la loi », explique Yves Cochet, ancien député et ex-ministre de l’environnement, qui dirige aujourd’hui l’Institut Momentum, un cercle de réflexion.
Quelle sera l’étincelle ? « Les déclencheurs possibles sont multiples », affirme le mathématicien. Ce processus pourrait démarrer avec une crise financière plus importante que celle de 2008, la fin des énergies fossiles, un relagarge rapide de méthane depuis la toundra sibérienne qui augmenterait brutalement la température mondiale ou encore une crise sociale d’ampleur inédite.
L’idée n’est pas neuve. Elle trouve ses racines dans les années 1970, dans un contexte de peur d’un hiver nucléaire. En 1972, le rapport Meadows « Les limites à la croissance » annonçait un écroulement de nos ressources et de nos économies pour les années 2030 si nous poursuivions le même mode de vie. Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat n’ont ensuite cessé de tirer la sonnette d’alarme quant à l’emballement de la machine climatique.
L’ère anthropocène
Tous les indicateurs sont d’ores et déjà au rouge : la température mondiale s’est élevée de plus de 1 °C depuis l’ère préindustrielle, la concentration en CO2 de l’atmosphère a atteint un niveau inégalé depuis 800 000 ans, 60 % des vertébrés ont disparu depuis 1970 et probablement plus de 75 % des populations d’insectes volants en trois décennies en Europe, ce que l’on nomme la sixième extinction de masse. De sorte que la Terre est entrée dans une nouvelle époque géologique, l’anthropocène, où l’humanité est la principale force de mutation de la planète. Les collapsologues citent également la consommation effrénée de matières premières, la démographie galopante, les migrations en hausse, la fragilité du système économique et financier…
Autant de données qui leur font dire que l’effondrement est déjà en cours. « Il s’agit d’un processus qui a commencé, qui n’a pas encore atteint sa phase la plus critique et qui sera graduel », estime l’ingénieur agronome de formation, Pablo Servigne, soulignant que « les effondrements de civilisation, comme [celles] des Mayas et des Romains, se sont toujours faits sur plusieurs décennies ».
Le chercheur n’exclut pas pour autant un « scénario plus catastrophiste ». Celui d’un effondrement brutal de notre civilisation. Selon lui, la configuration de notre société occidentale, où tout est « interconnecté » du fait de la mondialisation – flux économiques, d’informations, de matériaux, de ressources, etc – vient « accélérer et aggraver la dynamique de rupture ».
Une rupture qui sera d’autant plus « violente » que « personne n’est préparé », s’inquiète Julien Wosnitza, qui a signé un ouvrage intitulé Pourquoi tout va s’effondrer (Les Liens qui libèrent, 2018). L’ancien banquier de 24 ans a quitté le domaine de la finance et se consacre désormais à la protection des océans. Il considère que nos représentants « vont à l’inverse de ce qu’il faudrait faire » en menant des politiques de croissance, quand il faudrait prendre « des mesures impopulaires » comme, par exemple, « diviser par dix le niveau de vie de la population ». A l’instar de ses confrères collapsologues, le jeune homme ne croit pas aux politiques de transition écologique – « Il est trop tard ».
La question pour eux n’est désormais plus de savoir si la catastrophe va survenir, mais comment l’amortir et vivre avec. Contrairement aux survivalistes américains qui construisent des bunkers et font des réserves de nourriture pour faire face seuls à un monde post-carbone, les collapsologues français défendent des valeurs comme l’entraide, le partage, la résilience ou encore la décroissance. Ils promeuvent la création de petites communautés autosuffisantes en énergie et en nourriture, sur le modèle de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
« Mise en récit d’alertes »
Selon Pablo Servigne, la spiritualité a aussi un rôle à jouer dans cette transition. « Notre rapport au monde, aux autres êtres vivants, qui nous voulons être en tant qu’individu, sont des questions fondamentales, qui ne sont pas réservées uniquement aux religions et qui ressortent forcément lorsqu’on évoque la possibilité de fin du monde », estime le chercheur, également coauteur du livreUne autre fin du monde est possible (Seuil, 2018), vendu à 25 000 exemplaires, qui apporte des pistes pour vivre « sereinement l’après ».
L’appellation de « science » dont se revendique la collapsologie est loin de faire l’unanimité parmi les universitaires. Elle relève plutôt de la « mise en récit d’alertes » qui peut permettre de « susciter une prise de conscience de la population », juge l’historien de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz. Pour le chercheur au CNRS, le mouvement mélange deux processus très différents : le changement climatique qui est avéré et l’épuisement des ressources, en particulier du pétrole, qui est toujours repoussé à plus tard. Plutôt qu’un effondrement, la crise environnementale est surtout « une violence lente qui touche déjà les plus pauvres ». Une chose est certaine : la planète et l’humanité sont mal en point, collapsologie ou pas.
Qui sont les « effondristes » ?
Désormais, le sujet de la collapsologie a dépassé les cercles d’écologistes radicaux ou de climatologues aguerris. Aucun chiffre n’existe néanmoins pour quantifier la diffusion de ce mouvement. Un questionnaire élaboré par Loïc Steffan, professeur de management à l’université d’Albi et fondateur du groupe Facebook La Collapso heureuse, dans le cadre d’un travail avec ses étudiants, en octobre 2018, donne toutefois un aperçu de qui sont les « collapsologues », « collapsonautes », « effondristes » ou « transitionneurs », selon comment on les nomme. Sur les 1 600 personnes qui ont répondu, 61 % sont des hommes, 40 % ont entre 35 et 49 ans, 85 % ont fait des études supérieures, le plus souvent longues, 64 % vivent en ville ou en banlieue, 30 % se déclarent « très à gauche » (et 28 % ne croient pas à la politique) et 57 % adoptent un mode de vie « plutôt écolo ».
Nous ne voulons pas croire à ce qui se passe sous nos yeux : l’effondrement de notre civilisation. Or, plutôt que de sombrer dans le désespoir, il nous faut accepter l’idée d’une catastrophe certaine, nous dit le chercheur Pablo Servigne. C’est, selon lui, le préalable pour que l’humanité trouve la force d’inventer un nouvel horizon. Le climat qui se dérègle, la biodiversité qui disparaît, la finance qui devient folle… et si ces événements conduisaient, par un effet domino, à un effondrement de civilisation ? L’hypothèse, hier cantonnée aux seuls milieux survivalistes, devient une certitude pour beaucoup. En France, s’ils sont de plus en plus nombreux à y croire, c’est notamment grâce à un livre des chercheurs Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Paru en 2015 et vendu à 45 000 exemplaires, l’ouvrage a contribué à populariser le terme de « collapsologie », autrement dit l’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle. Trois ans après, le duo, associé à Gauthier Chapelle, propose une nouvelle étape en forme de « collapsosophie », une sagesse intérieure qui permettrait de croire à l’effondrement… tout en continuant à croire à un avenir.
Explications de Pablo Servigne, « chercheur in(Terre)dépendant ».
son interview (repiquée aussi dans Télérama du 17/12/18) est là :
Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, de Pablo Servigne et Raphael Stevens, éd. Seuil, 304 p., 19 €.
Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), de Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle, éd. Seuil, 336 p., 19 €.
Messieurs dames, bonjour. Nous rentrons du forum des Seniors Atlantique 2018, où nous avons pu vérifier auprès de la Carsat que nous l’avions bien dans le baba pour partir prochainement en retraite avec tous nos trimestres cotisés, il nous faudra donc attendre d’être presque vieux et que ça ne vaille plus trop la peine, et à ce moment-là je compte beaucoup sur mon fils qui travaille au Gérontopôle pour me faire la petite piqûre qui va bien, afin qu'il puisse hériter et surtout profiter de nos maigres économies (plus de 300 000 € selon mon dernier relevé de la Banque Postale) au lieu de me laisser tout claquer bêtement en soins palliatifs.
J'ai menti, il reste une feuille.
Sauras-tu la retrouver ?
En traversant l’avenue de la Gare, nous passons devant une maisonnette dont le jardin s’orne d’un plaqueminier. J’ignorais le nom de l’arbre mais ça ne m’a pas empêché de le reconnaitre, à cette période de l’année il a perdu toutes ses feuilles, et ses fruits orangés se découpent sur le ciel bleu cobalt comme un filtre photoshop un peu appuyé. Sur la photo le bleu n'est pas cobalt, c'est une photo que j'ai trouvé sur Google Pieds®, l'appli pour se balader à pied sur Google Maps, et je n'ai pas voulu tricher sur la chroma. Toujours est-il que c'est un peu déroutant, cette nudité si féconde. Chez un arbre, je veux dire.
Ce qui est curieux avec le kaki, c’est que le plaqueminier se retient d'offrir ses fruits bourrés de provitamine A, de carotène et de vitamine C jusqu'à l’entrée de l’hiver, puis il faut se dépêcher de lui courir au Q avec un nescabo, parce qu'à la première gelée, si on ne ramasse pas les kakis on se retrouve avec un arbre à vomis, y'a pas d'autre mot, les fruits pourrissent sur l'arbre et suintent à terre dans les mille teintes d'un dégueulis automnal, ça ne dure pas mais les voisins ont largement le temps de faire un signalement aux gendarmes pour outrage au bon goût jardinier sur la voie publique, et attendez, n'allez pas les consommer maintenant, malheureux, en raison de leur forte teneur en tanin c'est très astringent et immangeable à ce stade, il faut encore les faire mûrir quelques semaines dans une cagette au garage, ça se déguste presque blet.
Je n'invente rien, je l'ai lu sur un blog.
Et j'ai pas mal pratiqué.
J'ai dit dans une cagette, pas sur une assiette.
Là ils risquent de s'abimer par simple contact
des uns avec les autres. Vous n'écoutez rien.
Mais de la même façon qu'il est difficile de décrire la couleur bleu cobalt à un aveugle de naissance, il est délicat d'expliciter le goût du kaki à celui qui n'en a jamais mangé. C'est très sucré, assez capiteux, et il y a comme un arrière-goût délicieusement exotique de chair humaine avariée, je dis ça pour les étudiants japonais cannibales qui je le sais, sont nombreux à me lire en prenant des notes.
Pendant ce temps-là, sous le plaqueminier, il y a très clairement un pépé qui est en train de ramasser ses kakis. Nous passons à 20 km à l’heure, parce que cette section de l’avenue est en travaux et l'on n'y roule que sur une voie, et on a tout le temps de distinguer pépé qui s’active doucement avec son seau et son escabeau, et qui fait rien qu’à exciter notre convoitise pour tous ces beaux fruits qu’il n’aura jamais le temps de manger avant qu’ils soient tous pourris de chair humaine.
Ma femme m’a appris à aimer les fruits pourris kakis, l’apprentissage fut presque aussi long que pour la propreté, mais maintenant ça va, nous en raffolons tous les deux, ça nous fait au moins un truc en commun, alors une idée me vient : et si on demandait à pépé si par hasard il ne nous vendrait pas quelques kakis ? je n’ose pas parler de don, même si j’y pense, parce que si le mot existe encore dans le vocabulaire commun, la pratique, elle, a été bannie par la société marchande.
La maison de pépé ne paye pas de mine et en plus,
ces imbéciles de Google Pieds® sont passés au printemps,
le plaqueminier (à babord de l'image) ne ressemble à rien.
Le temps que je formule cette idée à ma compagne, qui se trouve aussi être mon chauffeur, on a quasiment contourné le Super U, et comme les travaux de voirie devant chez pépé restreignent la circulation à un one way dans le sens Décathlon --> Super U, il nous faut refaire le grand tour par le boulevard de l’Europe puis repasser devant le stade et le lycée pour reprendre l’avenue, le temps d’échafauder un plan diabolique à base d'empathie.
A force de lire toutes ces conneries bouddhistes sur l'altruisme et la bienveillance chez Mathieu Riccard et ses sbires mal fagotés, il faut bien que je teste un peu la validité de leurs hypothèses dans le réel, les bouquins ça va bien cinq minutes; ma femme n'est pas emballée, elle croit à une lubie irréaliste, elle voudrait peut-être me dire des choses blessantes pour m'éviter d'être déçu par le refus de pépé, mais comme c’est sa voiture, c’est elle qui la conduit, elle se concentre et garde ses remarques pour plus tard, pour une fois que j'ai l'air déterminé, elle ferme sa gueule, et se gare juste devant chez pépé, je descends et l'aborde plutôt prudemment, que votre arbre est joli, que vos fruits semblent beaux, et vous allez pas manger tout ça, si ? parce que ma belle-mère qui a 91 ans, elle nous en donne des caisses, elle ne peut pas tout consommer elle-même, et avec ma femme, nous adorons les kakis, et les votres sont vraiment splendides, enfin vous voyez le genre, je vais pas vous en faire une cagette à conserver au garage en attendant qu'ils mûrissent, mais enfin, pour un geek vieillissant à vue d'oeil (sans doute à cause de tous ces kilomètres que je me tape sur Google Pieds®) je suis soudainement assez inspiré pour les civilités, sans doute motivé par l'appât du fruit, qui est au moins à 5,80 € / kg au Super U tout proche, mais en fait je m'en fous, ce qui me plait c'est de tester mon désir tout neuf dont je n'étais même pas au courant avant de passer devant l'arbre de la kakinaissance du Bien et du Mal dans l’avenue de la Gare.
Vu le râteau que je me suis pris récemment en me plantant une fois de plus la flêche du désir dans le pied, sans y mettre toutefois la gravité quasi-pathologique que cet évènement revêt traditionnellement sous mon crâne de piaf, c’est sans doute un défi intime que je me lance là. Histoire de me refaire. Mon désir semble sûr de lui, de sa légitimité et des moyens habiles qui vont lui permettre d'atteindre son but, puis de s’éteindre une fois satisfait.
Pépé n'a pas le monopole de la charité.
Soeur Emmanuelle 2 va bientôt sortir.
Devant ma volubilité, pépé est d’abord assez circonspect, faut vous mettre à sa place : si des gens s’arrêtent devant chez vous et commencent à vous vanter les charmes de votre jardin, vous vous demandez un peu à quel moment ils vont déballer la marchandise qu’ils ont à fourguer, et quand je lui adresse mon simple souhait de lui acheter ces beaux fruits qu’il ramasse de cet arbre splendide, des fois qu’il en ait de trop, pour pas gâcher, il me prévient qu’il n’est pas chez lui, que la maison appartient à une personne très âgée qui n’a plus toute sa tête, qu'il fait quelques travaux d'entretien pour rendre service (lui aussi s'est peut-être fait enfler par Mathieu Riccard) et qu’il ne peut donc prendre cette décision à la place du propriétaire, qui lui est sans doute définitivement aux abonnés absents, car nous ne le verrons pas se découper en silhouette derrière la vitre de la véranda moisie et piquée de rouille tel un témoin silencieux de désastres anciens déjà parti vers un monde meilleur.
Je sens bien que je lui deviens moins antipathique quand je le laisse parler, mais l’affaire semble désormais assez mal engagée. Beau joueur, je lui débite encore quelques amabilités météo (c’est tout ce qu’il me reste en stock) avant de prendre congé en lui souhaitant une bonne journée, et je repars vers la voiture; c’est à ce moment-là qu’il me glisse « vous en voulez combien ? » comme dans les films qui finissent bien, et là, tout en retournant chercher un sac Super U dans le coffre de mon véhicule à combustible fossile, je ne puis empêcher un sourire imbécile de s’épanouir mollement sur mon visage pas vraiment prévu pour, comme un kaki trop mûr.
Le monsieur qui-n-est-pas-maitre-chez-lui me donne 5 kgs de kakis de la main à la main, je le remercie chaudement, et ma femme n'en revient pas de mon toupet, et de ma chance insolente.
Si je résume l'affaire, qui s'est déroulée en 10 minutes chrono même si j'en fais des caisses trois semaines plus tard parce qu'il pleut et que j'ai fini de fendre mon bois pour l'hiver, un désir s'est élevé, une stratégie a été imaginée, un échange non-économique a eu lieu, dont les acteurs sont sortis gagnant-gagnant.
Pourquoi tout n'est pas aussi simple que ça dans ma vie, putain de moine (tibétain) ?
Les gens étant de plus en plus fatigués intellectuellement, si on veut qu'ils lisent quelque chose il faut leur faire une version BD, en voici donc un extrait mis en images par nos graphistes :
Pas d'affolement & pas d'outrage :
on n'y vendait pas de porc halal.
Je ne fréquente plus les bars depuis un certain nombre de 24 heures, comme on dit dans le mouvement, c'est pour ça que j'ignore que le café Death Porc a fermé il y a deux ans quand j'y donne rendez-vous à une jeune femme qui m'a parlé au téléphone de son désir d'arrêter de boire. Quelqu'un lui a transmis mon numéro, elle m'a appelé en me confondant avec la personne qui lui avait donné mon contact, je lui ai brièvement expliqué mon parcours à base de meetings Alcooliques Anonymes, et nous avons convenu de nous retrouver une demi-heure avant la prochaine réunion, qui a lieu ce dimanche pluvieux à 19 heures. Sauf que le café Death Porc a fermé il y a deux ans, vous êtes bouchés ou quoi ? c'est con, j'aurais bien aimé y siroter une limonade de son vivant, sur son emplacement s'érige au jour d'aujourd'hui un bistrot crépi d'écarlate qui ne me dit rien qui vaille, pas la moindre Servante entrevue à travers la vitre, et C. m'attend sous la plouie depuis 10 minutes, j'étais coincé dans un bouchon, nous nous rabattons sur le Délirium, orné d'un éléphant rose, et situé de l'autre côté des Bains Douches municipaux qui abritent aussi la maison des associations de winners anonymes tels que les AA, les NA, Prostate 44... on s'engouffre dans l'estaminet, et là, c'est le drame : ils passent Rain Dogs, un vieux Tom Waits que je n'ai quasiment pas acoustiqué depuis que j'ai posé mon verre, en '92, et rien que d'entendre le refrain de More Than Rain au début de la face B, j'ai tout qui me remonte...
It's more than rain that falls on our parade tonight It's more than thunder And it's more than a bad dream now that I'm sober Nothing but sad times...
La blague à la con sur Dieu qui marche toujours au début de la phase d'alcoolisation
Cette chanson qui résonne comme une ordonnance pour fanfare anémiée n’est pas vraiment une réclame pour l’arrêt de la boisson. Faut dire que sans Tom Waits, je ne serais peut-être pas devenu malade alcoolique de manière aussi rapide et enthousiaste. Il semblait incarner une publicité vivante pour le produit, et m’a longtemps servi de prétexte et de modèle pour boire. Comme j’étais très fan, je me suis longtemps demandé, avant et après avoir cessé de consommer, si ce mec avait vraiment bu tant que ça ou si c’était du flan, et s'il était aussi sobre désormais qu'il le prétendait en '87 dans More than Rain, je n'ai jamais eu la réponse parce que c'était avant internet, et entre-temps j'ai oublié la question parce qu'elle a perdu toute espèce d'importance, Hortense, mais dans la nuit qui suit cette réunion dominicale de novembre 2018, elle me revient en tête et je pars à la pèche, je ne dors pas beaucoup en ce moment et au bout d'un temps certain je tombe là-dessus :
où Tom raconte comment sa femme l'a sauvé en l'amenant à fréquenter les AA et à poser son verre, et où il fait la part des choses.
"I mean, one is never completely certain when you drink and do drugs whether the spirits that are moving through you are the spirits from the bottle or your own. And, at a certain point, you become afraid of the answer. That’s one of the biggest things that keeps people from getting sober, they’re afraid to find out that it was the liquor talking all along."
Incroyable ! ça fait 30 ans que j'espérais qu'il lui fut arrivé la même chose qu'à ouam ! Merci la programmation musicale du Délirium ! Merci à ma Puissance Supérieure !
Tom Waits est des nôtres !
il est Témoin de Gévéor comme les autres !
Je ne fréquente plus les réunions AA depuis des années, je ne bois pas, je n'ai pas soif, je n'ai pas envie d'aller m'y vanter des mérites que je ne m'attribue pas, je préfère me la péter en solitaire sur mes blogs, je n'avais pas du tout prévu de devenir dépendant de ce produit - ni d'aucun autre, d'ailleurs - j'estime avoir restauré une bonne santé qui préexistait à l'apparition du symptôme alcool et ne vois donc nulle raison de me réjouir, je ne ressens pas non plus le besoin maladif d'aller exposer en réunion AA mes vues hypo-dépressives sur l'évolution de mes apnées du sommeil spirituel en me morigénant de ne pouvoir pour aujourd'hui (comme il est dit dans Notre Méthode) appliquer le programme de rétablissement qui nous est suggéré dans d'autres domaines de ma vie, et ces idées font sans doute partie de la maladie, d'ailleurs je les expose aisément en réunion, puisque coucou, m'y revoualou.
Pourtant, après avoir accompagné C. en réunion ce dimanche sans avoir fourni d'effort particulier, lié que je suis par le serment de Toronto, j'y dénombre 2 pelés & 3 tordus anonymes mais très sympa, c’est agréable d’être accueilli aux AA quel que soit le nombre d'années d'absence, y’a pas beaucoup de groupes humains capables de cette chaleur "à froid", ça procure un attachement positif, ça prouve que le mouvement reste vraiment tourné vers le meilleur de ce « désir sincère d’arrêter de boire » et de continuer d’arrêter, et de la joie sans mélange issue de la libération de l'esclavage !
Et si je suis capable de retrouver le chemin des réunions pour quelqu'un qui a sollicité mon aide pour pousser la porte, il existe quelqu'un d'autre à qui ça ne ferait sans doute pas de mal d'y retourner s'y confronter à d'autres alcooliques plus ou moins rétablis, parce qu'il est plus qu'un peu sorti du programme de rétablissement qui lui est suggéré au cours des dernières 24 heures et de celles qui les précèdent, et dès le lendemain je me fais la réunion du lundi rien que pour moi, et je retrouve mes potes âgés qui m'accueillent eux aussi comme s'ils m'avaient vu la semaine précédente, et le jeudi j'en fais une troisième avec C. et j'y retrouve un mec que je croisais dans les meetings à Paris il y a 25 ans, et ça ne me laisse pas insensible.
Ca m'est arrivé d'être en déplacement (en France mais aussi en principe à l’étranger), d'aller à une réunion AA et de m’y sentir chez moi. Le mois dernier, une journaliste m'avait spontanément filé un contact à Ajaccio pour y aller, ça aurait été rigolo, mais je suis resté collé à un autre CDD plombier polonais continental subjugué comme moi par l'insularité locale.
En quête d’un minimum d’honnêteté sinon c’est pas la peine de venir, lorsqu’on me passe la parole en réunion je dois reconnaitre que je traverse une période un peu perturbée, j’ai chopé un attachement là où je ne m’y attendais pas, il était sans doute là en germe, attendant les circonstances favorables pour s’épanouir, et maintenant l'obsession est là pour que je m'en éloigne, en attendant c'est inconfortable. Heureusement la philosophie AA aurait tendance à me ramener aux fondamentaux. Et puis grâce aux meetings j’irrigue mon cerveau en faisant des choses nouvelles, l'autre soir j’étais ravi d'arpenter ces quartiers de la ville dont je ne suis pas familier, j'adore marcher, d’ailleurs je me suis paumé grave pour retrouver la réu, mais sans alcool, rien n’est vraiment grave.
Accompagner C. à ses premières réus c’est juste transmettre un peu de ce que j’ai reçu, et c’est précieux. Et je ne veux pas interférer avec ses débuts en AA, je trouve ça déjà génial qu’elle soit venue et revenue aux réunions cette semaine et qu’apparemment ça lui fasse de l’effet, ça veut dire que les AA, ça marche encore (j’ai parfois des doutes, dont je lui fais part, pas pour moi, je vis sur mes acquis, mais pour les nouveaux) et je n’ai pas d’autre intention / prétention que d’être un passeur, comme J. l’a été en lui filant mon numéro, et je ne voudrais pas paraitre insistant, l’attrait vaut mieux que la réclame dit-on chez nous même si ce slogan date un peu, plus personne n’utilise le mot réclame depuis la mort de la mère Denis.
C. me parle de son envie de capituler, j’essaye de l’aider à distinguer entre abandonner la lutte (contre la soif) et lâcher prise (admettre sa défaite devant le produit et passer à autre chose) (et pas à un autre produit, si possible)
Je lui souffle qu'en étant attentive en réunion, y'a quand même beaucoup de matos qui est déballé, et les gens qui ont de la bouteille dans le mouvement expliquent bien comment ils ont procédé, c’est instructif et distrayant. J’admets que oui, les addictions un peu lourdes comme l’alcool, quand on cesse de se destroyer avec, mettent à nu le manque, et qu’il faut s’en occuper. Sinon, les blessures secrètes que tu traitais par l'alcool, elles vont revenir s'occuper de toi, et elles vont pas faire semblant. J’ai fréquenté pas mal de psys, de différentes écoles, j’ai appris des trucs, mais au final, c’est quand même à moi de faire le taf. Heureusement, d’ailleurs, sinon je resterais un assisté, un infirme spirituel.
Bon ça y est, je recommence à ne plus pouvoir dormir plus de 3 heures d'affilée sans neuroleptiques, la reprise est bien là, tu l'as voulue tu l'as eue.
C'est quand même c’est moins grave que si c’était pire.
Je fumerais bien une clope, tiens.
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échangé avec C. :
" Je n'y croise pas beaucoup de jeunes, dans ces réus, et les rangs me semblent bien clairsemés par rapport à la décennie précédente, je n’en fais pas une maladie, mais je me mets à la place d’un(e) jeune qui franchit la porte pour la première fois et qui débarque dans un groupe où la moyenne d’âge est sensiblement élevée… comment va-t-il s'identifier pour accrocher l'abstinence ? je ne vois pas bien comment enrayer le phénomène - j’ignore s’il y a un réel « déclin » en nombre de membres, mais j’ai trouvé que les groupes qu’on a faits ces 2 dernières semaines n’étaient pas particulièrement fournis.
- Oui ben c’est peut être à nous de les fournir !! Dommage que tu ne veuilles pas animer en plus toi qui aimes parler !
- Merci, ça me rappelle l’histoire du mec qui se tourne vers Dieu parce qu’il voit un gamin crever dans la rue, et il entre alors dans une Sainte colère :
« Dieu, espèce de salaud ! cet enfant est en train de mourir, et tu ne fais rien ! »
et Dieu lui répond :
- Comment ça, je ne fais rien ??? Je t’ai fait, TOI ! »
(racontée sur le bon ton, cette histoire te garantit peut-être une limonade gratuite au Délirium avant la réu)
L’essentiel, c’est qu’on aille bien, les autres on s’en fout !
;-))))))
Pour ce qui est d'animer, j’en suis à essayer de freiner une perturbation, en cessant de l’alimenter.
C'est pas évident, surtout après avoir passé un mois à essayer de faire sauter une porte avec ma volonté déchainée du fait que j'arrivais pas à l'ouvrir avec le coeur (encore un concept AA ma foi bien utile)
Donc pour ce qui est de modérer les réunions, la première urgence c’est de parvenir à redevenir modéré.
Ensuite on verra.
Et je n’aime pas parler, ou alors de moi, mais ça me saoule vitement.
J’aime bien écrire, parce que écrire c’est radoter, et avoir toujours raison dans son discours tant qu'on reste seul ou entouré de ses amis imaginaires…
... c'est un peu naze, parce qu’au moins, quand j’ai tort, j’ai la chance d’apprendre quelque chose de nouveau et d’utile.
...je noircis le tableau, mais y’a de ça.
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La semaine suivante au Délirium, en attendant C. devant ma limonade, c'est pas Tom Waits qui passe dans le poste mais un groupe de rock sixties, la curiosité me pousse à demander au barman ce qu'on entend, ça fait combien de siècles que j'ai pas discuté avec un barman ? et nous voilà partis à causer musique, ça devient vite pointu, il m'évoque son goût pour les reprises françaises des années 60-70 du rock américain et les traductions littérales des expressions idiomatiques qu'on trouve dans ces chansons, le pire des yéyés pour lui c'est Eddy Mitchell qui a massacré "No Particular Place to go" de Chuck Berry par des paroles particulièrement détournées et ridicules, je me détourne du comptoir pour voir si on n'est pas filmés, car j'ai écrit deux jours avant un article sur le sujet... ça veut dire quoi, que l'extérieur reflète l'intérieur ? c'est dingue, quand même...
« Coïncidence : Tu ne faisais pas attention à l’autre moitié de l’événement. »
Le Délirium : l'endroit idéal pour écluser un godet entre alcooliques
sympathisants non pratiquants juste avant la réunion AA.
Epilogue :
1/ au bout de deux semaines C. me libère de mon engagement en me disant que c'est bon, maintenant je vole de mes propres ailes... c'est bien cool, je vais pouvoir redéployer les miennes.
2/ pendant les finitions de cet article beaucoup trop boursouflé pour être honnête, j'ai éconduit les fâcheux téléphoniques habituels : la Fondation de France, les tristes enculés des chiens d'infidèles soit-disant d'aveugles de l'UNADEV. Allez pourrir ailleurs. J'ai mes oeuvres.
Normalement, début novembre, je suis dans ma belle-famille, ou ce qu’il en reste, pour aller saluer tous ces morts que je n’ai pas connus, et les quelques-uns que j’ai connus. Et les survivants. Des fois je préfère rester à Nantes pour les Utopiales, mais cette année l’affiche est tellement laide que je n’ai aucun regret à m’enfuir. Pourtant j’ai repéré au premier coup d’oeil qu’elle est de Beb Deum, que lui-est-il arrivé ? Beb, si tu me lis, reprends-toi, redeviens l’illustrateur magicien que tu fus il y a 300 ans dans les pages de Métal Hurlant. Et donc, la Toussaint dans l’albigeois, comment que ça se danse ? hé bien disons que y'a des saisons plus animées que d'autres. Cette année c'est assez calme. A 73 ans, Tatie régresse doucement vers une triste parodie de sub-humanité, confite dans la rancoeur et l’orgueil blessé d'une princesse déchue, la vie n’a pas été tendre avec elle mais elle la lui a bien rendu, alors que Mamie d’Albi, à 91 ans, est restée valide, souriante, fraiche et autonome, comme si Gériatrix, la fée du troisième âge, la reboostait toutes les nuits en secret à grands coups de baguette magique, même si elle regarde un peu trop Nagui à mon goût, ce dont on se fiche.
En ce qui me consterne, je me traîne un blues d'attachement post-Corse assez encombrant et handicapant au niveau du choix des pensées, mais chacun ses problèmes, je me soigne par la lecture et le jogging : j’ai remarqué que le fait de ressasser dégradait ma concentration, donc je fournis un effort inverse de défragmentation par une attention soutenue à des ouvrages traitant de la Corse ou se passant en Corse, pour l'instant ça ne marche pas terrible.
un flim qui ne se passe pas
en Corse, mais ça pourrait
Pour vous parler très franchement, je crois que je tente de rester dans le mood et d'alimenter l’obsession tout en prétendant m’en détacher, je lis donc "la Corse, ile de Granit" de Dorothy Carrington, une Anglaise qui est tombée amoureuse de l'île à la fin des années 50 et l'a parcourue en tous sens, livre fortement suggéré par des amis suisses résidents sur l'ile depuis 40 ans que j'avais visités lors d'un précédent séjour, et sur les précieux conseils de Louis Julien Poignard, président à vie du Groupement de Réalité Réelle Ratée, je lis aussi en parallèle "A son image", de Jérôme Ferrari que j'ai volée dans son garage, une histoire très triste et très contemporaine qui se passe en Corse.
Et bien sûr Les déportés du Cambrien de Robert Silverberg, mais ça c’est pour me détendre, j’ai du mal à écrire un article sans mettre le mot Silverberg dedans, c’est devenu un tic.
Et le jogging, hé bé comme je suis dans mon septième mois d’abstinence de tabac, je commence à pouvoir trottiner sur plus de 10 km tous les jours, donc ça devient intéressant en termes d'effet, bien que ça soit toujours astreignant à pratiquer, même si endorphines riment avec géraldines.
Ce sont peut-être les vibrations du trot sur route (50 km cette semaine-là) qui font que le 1er novembre au soir, j'ai une incisive du haut montée sur pivot - conséquence d'une période de ma vie plus relâchée sur le plan de l'hygiène dentaire, sans parler de ma chute de 17 mètres dans un ravin - qui me lâche et choit dans ma bouche. Il faut que je m'en occupe tout de suite, car la semaine prochaine je repars à Bourges, et il ne faut pas traîner avec les pivots, la gencive peut se déformer, et on est quittes pour repartir à zéro.
Effet collatéral du lendemain des Trépassés ? Tous les dentistes du coin sont pleins, ou absents.
J'en vois un qui porte un nom maghrébin dans le volume Les Pages Jaunes de Mamie(1), je me dis qu'il y a des chances qu'il soit dispo, c'est pas raciste, vous ne connaissez pas les Tarnais. Effectivement, super-dévoué à sa clientèle, il me dit au téléphone pouvoir me caser cet après-midi entre deux patients.
le vieux dessin de Xavier Gorce
Quand j'arrive à son cabinet, c'est lui qui vient m'ouvrir, il n'a pas d'assistante. Et à peine installé en salle d'attente, il revient me chercher et me prie de le suivre à son cabinet; dès les premiers échanges parlés, ça commence à déraper. Il me demande comment c'est arrivé, d'où je viens, et je ne sais pas, vu que je ne parviens guère à penser à autre chose, je ne dois pas pouvoir m'empêcher de lui souffler que j'ai passé une semaine de rêve à Ajaccio et que j'ai du mal à m'en remettre, et il part tout de suite dans les tours, pas les deux qui se sont effondrées en 2001, non, mais il surenchérit sur les rêves qu'il avait lui et qu'il a réalisés, comme faire le tour du monde, retaper un château et l'habiter avec la femme de sa vie, ce à quoi je lui rétorque en me rappelant un vieux dessin de Xavier Gorce que si ceux-là sont achevés il va lui falloir trouver un nouveau rêve; il me regarde alors d'un air penché, comme s'il y avait un mot que je ne comprenais pas dans le mot "heu-reux", je n'insiste pas, la dernière fois que j'ai voulu plaisanter avec un dentiste, un juif sépharade, il était en train de me dévitaliser une dent et je lui ai raconté la blague ashkénaze "alors c'est un juif, il rencontre un autre arabe", et ça s'est assez mal fini pour ma dent.
Je comprends progressivement que je vais avoir droit à une conférence spiritualiste sur l'état du monde et des gens qui le peuplent, que je le veuille ou non, donc je choisis de le vouloir et de participer, sinon ça va être chiant.
Qu'apprend-on sur les bancs
de la maternelle de la spiritualité ?
Pendant qu'il me bricole la prothèse dentaire et trifouille mes intérieurs buccaux, j'ai droit à un exposé circonstancié de ses vues z'éclairées sur les gens qui ne sont pour la plupart ni conscients ni libres, un autre, bienvenu en ce moment précis de ma life, sur les racines de l'attachement, un autre encore sur l'insolence du bonheur qu'il incarne auprès de ses amis... comme j'ai la bouche encombrée par intermittence de cotons, de clamps et de ciment à prise rapide, c'est pas facile de soutenir la conversation, mais il ne s'en formalise pas. Il sait qu'il bénéficie d'un auditoire captif, il en profite pour pousser son avantage. Je comprends que j'ai affaire à un autodidacte acharné qui dit avoir pris beaucoup de temps pour étudier et comparer des systèmes de pensée qui l'ont mené à une approche largement inspiritée(2) du bouddhisme; il cite tout d'abord le dalaï-lama comme lecture, puis finit par se citer lui-même, dans un court poème qu'il me récite de tête sur un homme qui, dans le repos de son âme, peut remercier Dieu de pouvoir goûter le nectar divin déposé en lui.
Il fait ça tout en rédigeant la cyber-feuille de maladie, c'est assez émouvant.
Dans un autre temps, c'est moi qui bassinais mes amis avec ce type de discours, mais j'ai fini par moins bien tolérer le décalage entre ce que je racontais et ce que je vivais, et j'ai lâché l'affaire avant de sombrer dans l'alcool et le pessimisme. La démence, je l'ai gardée pour plus tard.
Puisque ce banal rendez-vous de chirurgie dentaire de lendemain des Trépassés a maintenant viré à la conférence Krishnamurti, je m'inquiète à un moment donné de la durée de la séance et m'enquiers d'éventuels patients éventuellement en train de mourir d'autre chose dans la salle d'attente et susceptibles de réclamer des soins après mon passage, il me répond qu'il les a prévenus et que tout va bien. Dans ce cas, je ne m'inquiète plus, bien que la causerie prenne un tour surréaliste quand il file une dernière analogie : "je veux me réveiller un jour dans la peau d'un Roi, et pour cela rien de tel que de traiter ma femme comme une Reine : tous les matins, je lui prépare le petit déjeuner, puis je le lui apporte au lit, et nous prenons une heure pour discuter."
C'est pas con, il faudra que j'essaye.
Mais il a pas dit combien de temps ça allait prendre.
Il ne prend pas la carte bleue, il y a un distributeur juste à côté du cabinet où je retire 200 euros en liquide que je lui remets, je n'ai pas vu l'ombre d'une feuille de soins il a tout fait sur son écran dont je ne vois que le dos, mais ma confiance est absolue, à ce stade, ma dent est recollée, la feuille de soins il m'a dit qu'elle était partie, que je n'allais pas être remboursé de beaucoup mais qu'il s'était arrangé pour que ce soit au max, nous avons émis des phéromones de satisfaction mutuelle, et je lui dis en rigolant que j'en ai pour mon argent.
Rois et reines
Sur le contenu, c'est vrai, rien à dire, c'est de la spiritualité non connotée d'assez bonne tenue.
C'est plus sur la façon de transmettre que je le soupçonne de cranter dans le vaurage.
Trop démonstratif, trop volubile.
Ce n'est pas clair qu'il installe une telle intimité dans une relation de soins qui n'en demande pas tant. Mais de l'aveu même des astrophysiciens, la Vie est un phénomène extrêmement peu répandu dans l'univers, c'est une raison nécessaire et suffisante pour lui faire honneur le plus souvent possible et tenter en toutes occasions de la porter à son point d'incandescence, comme mon nouvel ami issu de la diversité, ouh que c'est laid et insultant comme expression, j'en reviens pas. Après tout, ce chirurgien-poète ne le cède en rien aux ingénieurs-poètes de la citation de Silverberg qui ouvrait le post précédent. Plus tard dans l'après midi, j'apprends auprès de vieux paysans tarnais amis de mamie, que la femme du dentiste, hébé elle travaille au crédit agricole, elle fait 180 kilogs et s'obstine à mettre des mini-jupes, congue, alors qu'elle a un peu passé l'âge.
Ca me rend son témoignage encore plus beau et émouvant.
(1)Mamie est tellement vieille que chez elle y'a pas internet, juste un filet de wifi qui coule au fond du jardin et qu'il faut attraper avec un iPad, et on se retrouve à consulter la version papier des Pages Jaunes, et on n'en meurt pas, mais il faut se souvenir du geste interactif du pouce pour changer de page. (2) qu'as-tu cru lire ? ce mot n'existe pas dans la langue française, c'est normal mais il devrait. Le blues du dentiste est aussi une chanson d'Henri Salvador.