A un camarade qui évoquait hier notre liberté de choix entre la Vie ou la Mort, la Création ou le Malin, j’ai demandé s’il parlait du petit ou du gros. Uh uh, comme disait Henri Michaux, ça ne plaisante pas trop de ce côté-là, et du coup, cette nuit j’ai rêvé de démons. Plus j’essayais de les compter, plus ils se multipliaient, et encore, je ne les ai vus que de dos et malades (grosses pustules de fièvre acnéique) comme s’ils voulaient répondre à cette charitable définition de flopinette : “n’oublions pas que la plupart des petits démons que nous croisons sont de pauvres bougres qui souffrent parce qu’il ont manqué.” De face et en bonne santé, je ne sais pas ce que la confrontation aurait donné.
Hier toujours, j’ai reçu un mail de France Télécom qui m’annonce que ma ligne téléphonique, malgré sa vétusté campagnarde, est désormais éligible à un flux de 8 Mo, dans un terrifiant fichier gif animé de 10 images, digne de John Carpenter : la porte de ma maison (comment ont-ils su qu’elle était en bois ?) est fermée, puis s’ouvre toute seule, la Chose arrive du fond du jardin, entre, et la porte se referme, me laissant seul face à la Chose.
Franchement, rien que le visuel de la Chose, ça fait plus Armées du Démon que n’importe quel film de trouille, sans même parler du slogan : “s’invite chez vous” ça fait intrusif et malpoli, tout à fait à l’image de la politique commerciale de France Télécom et de ses concurrents/partenaires. On touche à l’ultime mystification sans fausse pudeur, et les masques tombent messieurs les Censeurs : désormais, le progrès, c’est le tuyau, et si nous ne pouvons parvenir à vous l’imposer malgré que vous n’en vouliez peut-être pas, vous serez vraiment le dernier des trous de balle de l’univers connu. Et vous passerez pour le vieux râleur passéiste que vous avez certainement mérité d’être au cours d’une existence antérieure karmiquement chargée.
Pourtant, tout ce que j’ai lu récemment dans la presse spécialisée média donne les créateurs et éditeurs traditionnels de contenu comme les grands perdants de la nouvelle net-économie, et l’on connait déjà en presse écrite les choix éditoriaux courageux que l’exigence de gratuité induit sur le contenu. C’est un euphémisme de parler d’intérèts antagonistes.
Pourtant, des tas de journaux papier se mettent à offrir leurs archives à disposition on-line, gratoche, simplement pour ne pas être en reste sur la concurrence. Scions la branche, mes frères, ou nous risquons de ne point choir de concert avec nos collègues.
Jean-Louis Murat, qu’on n’attendait pourtant pas plus là qu’ailleurs, s’insurge dans l’entretien Internet ou la liberté de se goinfrer publié dans le Monde : “A chaque rachat ou fermeture d’une maison de disques, des gens brillants sont broyés. Et les internautes crient hourra ! J’affirme que la crise du disque est un leurre, elle n’existe pas : l’offre est intacte, la demande croissante. Mais, chaque nuit, dans les hangars de la musique, la moitié du stock est volé. Imaginez la réaction de Renault face à des délinquants qui forceraient la porte quotidiennement pour dérober les voitures ! Des gamins stockent 10 000 chansons sur l’ordinateur familial, après les avoir piquées sur le Net. La société, des députés, des sénateurs trouvent cela vertueux ! Or, c’est un problème moral : tu ne voleras point, apprend-on à nos enfants. En outre, ces rapines via le Net s’effectuent dans l’anonymat. L’écrivain américain Brett Easton Ellis a dit : «Depuis la nuit des temps, l’Antéchrist cherche un moyen de prendre le pouvoir sur les consciences de l’homme, enfin il y est arrivé avec Internet.» (…) Les Arctic Monkeys, en Grande-Bretagne, ont eu recours à des shérifs du Net après s’être fait connaître sur le Web, et les internautes britanniques sont en train de leur faire la peau, au nom de la liberté. Mais quelle liberté veut-on ? Celle de se goinfrer ? Avec des gens qui ont 20 000 titres sur leur disque dur et ne les écoutent jamais ?” Cette conception ultralibéraliste, qui est au-delà de tout système politique, se résume à peu : la goinfrerie. Internet favorise cela : toujours plus de sensations, toujours plus de voyages, de pénis rallongés, toujours plus de ceci, de cela…
-Vous avez été pourtant l’un des premiers artistes français à ouvrir un site Internet en 1998 et à y proposer des chansons, des échanges, des liens, des images. N’est-ce pas contradictoire ?
Baudelaire appelait le progrès le paganisme des imbéciles. Tous les acteurs de la musique sont tombés dans le fantasme de la modernité à ce moment-là. Les patrons de maison de disques ne juraient que par le Net sans pour autant comprendre de quoi il s’agissait. Au début, je mettais environ une chanson inédite par semaine à disposition sur mon site, gratuitement. Puis j’ai arrêté. Ces titres étaient téléchargés sans un merci, sans un bonjour, et éventuellement revendus sous forme de compilations payantes dans des conventions de disques. J’ai fait partie des imbéciles qui ont cru aux mirages de l’Internet, et de ce fait à la bonté naturelle de l’homme, à l’échange communautaire. L’homme a travaillé le fer pas seulement pour les charrues, mais aussi pour les épées, idem avec les atomes et le Net.
-La gratuité sur Internet est-elle la seule cause de l’effondrement des ventes de disques ? Le déficit d’image d’une industrie habituée au court terme y est-elle pour quelque chose ?
Evidemment, 90 % de notre métier est fait par des gens formidables, des musiciens, des tourneurs, des ingénieurs du son, des attachés de presse, des artistes, des passionnés ! Mais l’image qui est passée dans le public est celle de ses patrons, arrivés là à cause de l’argent facile, de l’épate, du look. Le triomphe du petit bourgeois snobinard et de la fanfaronnade ! Nicolas Sarkozy ressemble tout à fait à un patron de maison de disques. J’ai toujours été sidéré de voir comment l’industrie musicale attirait les médiocres à sa tête. Des médiocres qui dirigent des sociétés de taille modeste, sur le plan de l’économie mondiale, mais dont les émoluments s’alignent sur ceux des groupes multinationaux et consomment 80 % de la masse salariale dans les petites structures. Et les parachutes dorés ! Quand on licencie une centaine de salariés dans une maison de disques, comme chez EMI France par exemple, c’est en grande partie pour payer les indemnités du patron, c’est scandaleux.
La gratuité n’est-elle pas le meilleur moyen de démocratiser la culture ?
C’est une blague ! Cela nous tue. La démocratisation, c’est à l’école maternelle qu’elle doit être ancrée. Une fois les bases et l’envie acquises, chacun peut faire son choix. Par ailleurs, je ne suis pas démocrate, je suis happy few. La culture est le fait d’une minorité, d’une élite qui fait des efforts. Attention, pas une élite sociale ! La femme de ménage ou le facteur sont absolument capables de sentiment artistique. Mais la démocratisation, pour moi c’est le concours de l’Eurovision : chaque pays envoie son artiste fétiche. Et là, comme disait Baudelaire, la démocratie, c’est la tyrannie des imbéciles. Sur MySpace, vous allez voir 45 000 nigauds, les 45 000 artistes ratés qui ont ouvert leur page - j’y suis aussi, parce que sinon on me vole mon nom.”
Je ne peux pas donner tort à Jean-Louis, parce que la goinfrerie est passée par moi, et seule l’indigestion m’en a éloigné. Les grands gagnants, tout le monde le voit, c’est donc les vendeurs de tuyaux numériques. Comme ce sont des hommes comme nous qu’il serait inutile de diaboliser parce qu’ils ont simplement oublié que leur estomac est plus petit que leurs appétits et/ou qu’ils ne veulent pas le savoir, va-t-on finir par accuser une conspiration des tuyaux eux-mêmes ?
Peut-être aussi devrais-je rendre mon blog payant pour voir si en plus de m’éditer, je m’abonne et si j’m'entends quand j’braille.
Comme le dit Amma, on est en train de basculer dans l’abîme. Quoique… 1) je crois qu’on a déjà basculé 2) les chaînes nous reliant les uns aux autres sont moins solides qu’elles en ont l’air, ou du moins si on met un polochon à sa propre place et qu’on se tire personne ne verra la différence.
Rédigé par: flopinette | le 05 décembre 2007 à 14:45|d’abord j’ai ri, ensuite je me suis demandé pourquoi… si c’est une métaphore, tu peux développer ? parce que si c’est au sens littéral, j’ai essayé, ça marche pas
Rédigé par: john | le 06 décembre 2007 à 11:28|En fait c’est un peu ce que dit Castaneda, si tu files à l’Aigle ce qu’il demande, tu n’es pas obligé d’y aller toi-même. Ici c’est la même image. Les gens, la société etc (l’égrégore) semble s’accrocher à nous, mais en fait si on leur laisse un fake, une copie, un double, ça marche, et ils nous foutent la paix. Cela suppose qu’on a identifié ce qu’ils veulent. Par exemple, JP que tu as rencontré, n’a pas identifié la chose, il a essayé de se barrer sans laisser de fake, autrement dit il est poursuivi par la vindicte populaire, qui sent qu’il essaie de se tirer dans une terre pure en les laissant dans la merde.
Rédigé par: flopinette | le 07 décembre 2007 à 13:36|En fait, la vraie analogie de Castaneda, c’est l’histoire du masque. Chepa en parle aussi. Avoir l’air totalement normal, donc ne pas se sentir supérieur, et ne pas vouloir laisser les autres dans la merde en se sauvant soi-même. Etrangement, c’est le résultat inverse qui est obtenu. On peut se barrer et personne ne voit rien.
ça semble paradoxal, mais nombre de tes suggestions le sont aussi à première vue puis se révèlent “marcher” à l’usage. Je note néanmoins que pour tester celle-ci, il faut s’être désidentifié de pas mal de choses, (à commencer par le polochon) ce qui est loin d’être mon cas.
Rédigé par: johnwarsen | le 08 décembre 2007 à 11:33|et traduit dans un langage que je puisse pratiquer, ça voudrait dire quelque chose comme faire semblant d’être vivant au lieu de faire semblant d’être mort. Je me demande, si de tels moyens m’échoyaient, si ça ne serait pas plus simple de ne plus faire semblant.
Rédigé par: john | le 08 décembre 2007 à 19:46| AlerterNon, le plus simple est de faire semblant. Tu n’as qu’à regarder tous ces apprentis gourous qui se la pètent en prenant l’air inspiré, ou méditatif, ou que sais-je encore quand ils sont à table. Tout ce qu’ils arrivent à faire, c’est à se faire remarquer, et pas dans le bon sens, ce qui j’en suis maintenant certaine pourrit leurs pratiques à un certain niveau. C’est normal, ils affirment qu’ils sont supérieurs à tout le monde, le monde leur fait payer, et c’est normal. Il est bien plus simple de respecter la bienséance en répondant normalement aux gens qui nous parlent et en ayant l’air normal plutôt qu’en prenant une mine de yogi sévère et auto-conscient. La vacuité n’est pas différente de la forme, se la jouer en société prouve simplement qu’on est tombé dans cette hérésie. Ne pas se la jouer revient de facto à assumer l’image d’un polochon, bien que paradoxalement, il n’y ait pas quelqu’un d’autre derrière qui puisse se dire libre. Comme qui dirait, notre nature est la toile de fond dans laquelle évolue le polochon. Le polochon est enchaîné, mais l’espace dans lequel il apparaît est forcément libre, avec quoi donc pourrait-on l’enchaîner ? En tous cas, il n’est pas correct d’affirmer qu’on est l’espace en supprimant le polochon pour que tout le monde voie bien l’espace qu’on prétend être… car ça veut dire qu’il y a un fantôme là au milieu, et les gens vont trouver le moyen de le coincer c’est sûr…
Rédigé par: flopinette | le 08 décembre 2007 à 23:15|Je n’ai jamais dîné aux côtés de Eckart Tolle, ou D’Orval, Harding, Jourdain ou tous les auto-libérés® (par contre je me rappelle que le bassiste de Tuxedomoon qui m’avait pris en affection après que je lui aie posé une question de geek sur la sonorité de son instrument qui ne pouvait d’après moi être dû qu’à l’utilisation d’un médiator en métal, se mettait des langoustines dans le nez, en contradiction totale avec la lancinante tristesse de sa musique) mais je suppose qu’ils rotent et pêtent comme tout le monde, encore qu’il faudrait faire des sous-classes avec les Renz, les Parsons… un peu comme tu en as établi une récemment sur ton blog dans “le Gange passe aussi à Paris” après, je pense qu’on est tous pris dans des couches de pétage, y compris avec le fait de ne pas se la péter… moi c’est avec l’auto-addiction, toi avec la dénonciation des faux gourous…parce que tant qu’on n’est pas à la nième terre, nous avons besoin de compensations, de consolations. Je voulais faire un couplet sur Baker Street sur le fait que ces gens-là promettent le royaume des cieux pour pas cher, c’est certain, mais qu’ils parlent un langage qui peut être profitable (générer un mieux-être, moins de souffrance) à certaines personnes qui feraient tout de suite des blocages ou des vues erronées sur d’autres discours, en particulier les traditions spirituelles. Comme une maternelle où on pourrait choper quelques outils de base pour s’élever de quelques centimètres par rapport à sa propre merde (par rapport à quoi d’autre s’élever ?) Eckart Tolle en particulier cultive cette voie “pratique” en proposant des choses très simples, accessibles sans background et qu’il est difficile de rejeter, même au titre de leur inocuité, tout ce qui tourne autour de la PP.
Rédigé par: johnwarsen | le 10 décembre 2007 à 00:11|Je n’ai pas pondu ce couplet sur le forum parce que ça aurait mis un peu trop d’animation dans l’escalier de l’immeuble, mais là, bien au tiède dans mon cocon, je tente mais je crois que ce que tu veux me pointer, c’est la monnaie de la pièce qu’ils se chopent en retour, sous forme de tous les tarés de la terre qui viennent leur pourrir leurs réunions avec leurs mines de polochons dépressifs…