mardi 2 octobre 2007

l’irremplaçable expérience de l’explosion du disque dur




Après avoir tanné Jérôme pour en acquérir les rudiments, je forme Fredo sur DVD Studio Pro.
Fredo est un vieux pote qui m’a appelé la semaine dernière pour le sortir de la merde dans laquelle il s’était mis tout seul comme un grand parce que lui et l’informatique, c’est ni un mariage d’amour ni de raison, c’est un mariage contre-nature.
Je calcule sur le moment l’opportunité du truc : DVD Studio Pro, ça peut aussi bien me servir plus tard, et puis Fredo m’a donné de bons coups de main au début de ma carrière, et plus tard pour retaper ma maison, et je lui dois bien ça. Je l’ai toujours considéré comme un frère vaguement malchanceux, du fait d’un karma clairement orienté loser, contrebalancé par un optimisme qui confine à l’insouciance joyeuse du mystique laïc & un peu béta (alors que face à une telle base de données son frère jumeau a eu la présence d’esprit de fuir et de se faire moine en Afrique), sa fausse naïveté de candide sur ordonnance, l’ordonnance c’était une prescription d’auto-médication qui a certainement eu sa raison d’être à une époque de sa vie, mais comme Fredo l’a bouffée, l’ordonnance, il ne se rappelle plus à quoi servait la prescription, ni quand cesser la médication, et il est resté coincé dans la peau de ce comédien immature toujours en représentation dans le rôle d’un personnage attachant-agaçant qui à 45 ans n’a toujours pas trouvé de film à sa mesure alors que sa vie commence à se débobiner.
C’est Fredo qui nous a donné l’impulsion pour quitter Paris malgré nos métiers très peu décentralisés, en s’expatriant il y a 15 ans dans une masure tourangelle qu’il a transformé en mas tourangeau à force de prier Sainte Assédique du Spectacle, dont les grâces se mesurent en sacs de plâtre.
Tiens, c’est marrant, j’oublie de signaler que c’est aussi par lui que j’ai rencontré ma compagne. De toute façon j’adore Fredo, même si nous ne voyons plus guère ces dernières années, je n’ai pas besoin de chercher de mauvaises raisons pour lui dire non alors que depuis le début je sais que je vais lui dire “oui” en dépit du fait que je me sens son éternel débiteur. Bref, il s’est mis à réaliser annuellement le film du spectacle de l’association où sa fille prend des cours de danse, et il s’est surtout mis dans l’idée de cracher le résultat sur un DVD avec menus interactifs, chapitrage des séquences et tout. Un copain à lui s’en chargeait les années précédentes mais lui a fait comprendre que sa patience avait des limites et que celles-ci avaient été atteintes. On va dire qu’au départ Fredo c’est un chef opérateur cinéma qui n’a pas eu de chance, mais alors si la dimension viscéralement poétique de sa personnalité s’accorde bien avec le côté bricolo inspiré et foutraque (il évalue son pouvoir d’achat, à la baisse ces dernières années vu qu’il est de plus en plus à la ramasse professionnelle, en tonnes-équivalent-parpaings chez brico dépot), quand tu le mets devant un ordinateur c’est vraiment une poule qui a trouvé un couteau.
Après deux jours à batailler avec le logiciel, il arrive à faire à peu près ce qu’il veut avec; hospitalité oblige, je lui propose de lui graver quelques DivX, j’ai chopé le dernier Bruce Willis et je sais qu’il est fan de gros cinéma US qui tâche. Comme je flingue deux DVD avec mon Mac de bureau, je transfère mon 250 Go externe vers son ordinateur portable. Tiens, c’est curieux, par le câble Firewire, le disque externe ne monte pas. Aah, c’est vrai que dans la précipitation, j’ai peut-être oublié d’éjecter le disque du bureau du Mac avant de débrancher la prise. C’est vrai aussi qu’on préconise de laisser toujours entre 10 et 20% d’espace libre sur un support, et que le mien est ras la gueule. Dis donc, c’est vrai qu’il ne remonte pas du tout, ce disque, mais comme on est en plein repas, que ma fille est déjà venue me faire remarquer ma conception bizarre de la convivialité, je ne vais pas continuer à quitter la table sans cesse et me pourrir ce moment important avec cette saloperie de merde d’informatique, j’ai peut-être effectivement perdu mes 150 Go de DivX, mes 20 heures de rushes personnels, l’intégrale des blogs de Flo depuis 1812, 15 tonnes de bédé en VO… et alors ? tout ça éventuellement disparu au paradis des supports externes, so what ? ma première réaction c’est de ne pas en avoir, mais je ne crois pas à ma sérénité, je me dis que c’est comme les essais nucléaires en sous-sol, faut attendre un peu pour que les effets se manifestent.
D’abord les tâches qui conduiront à la signature du certificat de décès du disque sont longues et fastidieuses, il faudra tester les câbles, puis éventuellement les ports USB et FireWire 800 avant de pouvoir faire le deuil, ensuite si tu laisses l’émotionnel te submerger pendant l’auto-diagnostic informatique, t’es mal barré…
Enfin, pour un gars qui prétend avoir paumé 240 Go de données, et qui s’en vante pour voir l’effet que ça lui fait, Fredo me trouve zen, je lui dis que l’informatique rend philosophe, ma compagne me reprend illico “ça rend surtout con”, en me jetant un regard en coin, je ne relève pas, ça irait dans son sens, et puis je sais qu’elle a raison, c’est pas possible que la crise de la quarantaine et l’inflammation des ganglions subséquente explique à elle toute seule ma baisse d’acuité intellectuelle de ces 15 dernières années. En fait je me rappelle un dialogue récent avec un ami qui va souvent chez Arnaud Desjardins et qui m’avait fait entrevoir que si je perdais toutes ces données, je ne pourrais que m’en trouver libéré, soulagé, ambiance nous sommes possédés par nos possessions, etc…
Bon, d’accord pour être accidentellement délesté de Heroes, des Sopranos, de Die Hard 4, mais Carnivale, Six Feet Under, le film de Jan Kounen sur Amma, Monty Python Flying Circus, Tiberan Book of the Dead avec Leonard Cohen ? l’énumération montre le peu de cas que fait un disque dur de la hiérarchie intellectuelle des éléments que vous entreposez dessus, qui est d’ailleurs annihilée par l’empilement, et surtout que si vous décidez de lâcher vos trésors, faut lâcher tout, car trier avant désastre implique nécessairement de reconstruire l’étagère dont on vient de prétendre se passer d’ores et navrant.
Me voici donc virtuellement libéré, prêt à repartir sur des bases saines. Merde, je l’avais pas regardé, le film sur Amma. Tant pis, c’est fait c’est fait. J’ai mis 20 ans à accepter que je n’avais plus 20 ans, je ne vais pas fondre en larmes pour un crash disk, ça serait ballot. Excellent exercice de lâcher prise pour éviter la saisie que je ferai au moment de la mort, et qui est fortement déconseillée par les plus grandes marques de tibétains, quand mon disque interne sera réinitialisé après effacement des données et que je serai là tout flipouillé en voyant se vider la boite à souvenirs. Wouah, c’est vrai que rien que l’idée, c’est flippant.
Plus tard dans l’après midi, j’arrive à ranimer le disque défectueux par un port USB.
Finalement je n’ai perdu que le port FireWire (et une occasion de lâcher prise qui n’en reste pas au stade de l’idée) dans la bataille.

Commentaires

(…) Sœur Geneviève, si jeune, s’est levée d’un bond puis s’est enfuie, en larmes. Ses gros seins tressautaient et faisaient penser à deux chiots se bagarrant dans un sac.

extrait du Plombier des âmes…

(depuis ce matin je perce l’hyper secret de votre blog avec délectation mon cher, en vous remerciant !)

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