Du jour au lendemain, le forum "bonsaï" consacré à la dépendance sexuelle a disparu du Réseau. Il avait été créé par Spirit, jeune padawan des pornodeps et sa compagne, Espoir, qui l’animaient depuis quelques mois dans une relative solitude au milieu d’une poignée de cas désespérés, mais je le fus aussi. Voici leur dernier message : "Espoir et Spirit, fondateurs et administrateurs du forum Bonsaï, ont réfléchi beaucoup ces derniers temps et ont réalisé que leur vie était beaucoup trop virtuelle: forum, blog, etc. Si bien que nous en sommes venus à ne plus voir nos enfants grandir, à vivre la majeure partie de nos journées devant un écran d’ordinateur, chacun dans son monde. Nous avons donc décidé de revenir à une vie plus authentique, plus proche de nos valeurs, plus proche de l’humain. Dans cette optique nous avons donc décidé de fermer le forum Bonsaï de façon définitive."
Je leur ai répondu ça : "c’est pas trop tôt
combien de fois me suis-je retenu de vous suggérer de plier la boutique !
c’était terrible de voir votre acharnement. Mais ce n’était pas mes oignons.
pour l’instant, pour vous deux internet semble un remède pire que le mal (si c’est possible) puisque vous avez réussi à rester "stationnaires" et à vous y enfermer "par amour" l’un pour l’autre et pour en sauver d’autres.
Que vous soyiez arrivés vous-même à la conclusion de l’inefficacité de la démarche me soulage."
Spirit avait recommencé un blog après une ixième rechute, et me demandait un coup de main en mp : "Ce matin, je lisais la littérature des Sexoliques Anonymes et je suis tombé sur cette notion de Parrain. Puisque tu me vois probablement déjà venir, je vais donc aller droit au but: J’apprécie ce que tu écris, j’apprécie ta franchise et ta capacité à évaluer objectivement les choses, j’apprécie ta propension à ne pas ménager outrageusement les illusions d’autrui…. donc j’apprécierais beaucoup que tu acceptes d’être mon parrain.
Vois-tu, je me sens seul, malgré la multitude, je me sens seul malgré les forums, malgré mon épouse, malgré tout. Je ne connais pas beaucoup de sexoliques qui ont fait un bon bout de chemin. Or j’ai besoin d’une personne qui pourra me donner son avis, qui pourra m’accompagner pour que je cesse de me raconter des salades. Sens-toi libre à 200% de décliner cette offre. Peut-être as-tu besoin de te centrer sur ton propre cheminement et je comprendrais cela. Mais si tu considères ma demande, sache qu’elle n’a rien d’un contrat ou d’une obligation. J’ai simplement besoin d’un frère à qui je pourrai écrire dans des moments difficiles (ou heureux) pour partager, demander un avis.
Ne t’inquiète pas, je ne te considère pas comme un sage, un thérapeutre ou un guru… je sais que tu n’as pas toutes les réponses et je présume que tu demeures vulnérable et sujet aux tentations. Mais il reste que tu as fais plus de chemin que moi et en ce sens, ton expérience me serait profitable."
Je lui ai répondu ça : " putain j’allais juste mettre un commentaire sur ton blog, fait chier !
je l’ai lu vite, j’avais envie de te dire que tu y faisais trop d’honneur à ta part sombre, en la jouant dolby stéréo sensurround au lieu de lui couper les vivres.
Que tu n’aies pas de problèmes pour exprimer brillamment tes idées est peut-être ce qui te baise le plus.
ce fut le mien jusqu’à ma premiere rechute sur orroz.
Ca deviendra un avantage plus tard, ou ça tombera tout seul. Depuis, stylistiquement je ne suis plus que l’ombre de moi-même mais mon rétablissement est moins branlant
pour l’instant, je crois que l’expérience te dit de lâcher la souris, non ? quitte à la reprendre plus tard.
si l’hopital est trop près du bar à putes, faut en chercher un autre.
Je continue à m’éloigner de mon ordinateur, qui me fait toujours remonter dans les tuyauteries les mêmes symptômes de fuite du réel, avec ou sans porno.
Alors bien sûr, évacuer le symptôme ce n’est pas résoudre le problème, mais ça va déjà mieux.
Je ne peux être ton parrain : un parrain SA est ce qu’il te faut, mais il faut que tu le déniches dans un groupe SA dans lequel tu iras confronter physiquement ta problèmatique à celle de tes condisciples.
Faut que la souffrance soit plus forte que l’égo pour lâcher prise, et c’est tout le mal que je te souhaite. Sinon, tu peux m’envoyer un mail de temps en temps, ça c’est jouable.
Si ça m’inspire une réponse, elle viendra.
si elle t’aide, tant mieux.
mais j’aurai beaucoup de mal à cesser de me branler à ta place.
Tu comprends ce que je veux te dire ? tu as déjà toutes les infos, et tu les as ressassées plus qu’assez. Si les forums, les mails et le virtuel n’arrangent pas ta situation, je vois pas en quoi mes mots te protègeraient de tes dysfonctionnements.
Tu connais mes gourous : Orroz et Flo. Au moins, avec eux c’est difficile de faire des projections émotionnelles. Lui a démonté les mécanismes intérieurs qui sous-tendent la soumission du cyberprolo envers l’usine à fantasmes, elle ne cesse de pointer ceux qui sous-tendent l’Ego Moderne (qui ressemble fort à l’Ancien).
Je n’ai guère cessé de raconter mes salades : grâce à eux j’y crois un peu moins, c’est tout."
Je leur ai posté ces réponses, mais leurs adresses e-mail ont été prises dans la Grande Dissolution.
Alors je les mets là, au cas où ils se ravisent.
Il est évident que les attentes perdurent bien après la cessation de la consommation du produit. Et alors ? Comme dit Flo, "Internet n’est qu’un symptôme. Si on ne traite pas les causes, avec ou sans internet, ça ne changera pas grand-chose."
Quand je suis devant mon ordinateur, je suis évidemment affairé à me nourrir avec des choses qui n’ont aucune énergie intrinsèque, que ce soit des forums, du mail ou du téléchargement compulsif de produits culturels. Si la soif se pointe, elle sait que ce verre ne sera jamais assez plein, et qu’elle n’arrivera pas à le vider. Essayer de me faire croire que j’ai une responsabilité envers les lecteurs de ce blog, envers moi-même, comme me le soufflait John B Root en parlant du sien ? Sur son blog, on a toujours raison, et c’est pas bon signe. C’est du cinéma mental, qui n’est pas de nature différente de celui de la vie diurne et nocturne, même si son intensité particulière permet de mieux le percevoir.
Si je reste conscient de l’aspect illusoire de toutes ces productions de l’imaginaire, j’en suis un peu plus libre. Elles finissent par se fatiguer, et l’imaginaire va chercher des filons plus rentables, bien qu’il aime rester à couvert.
Et tout ça, c’est des problèmes de riches. La seule chose que nous puissions raisonnablement attendre sans peur d’être déçus, c’est la mort, précédée d’une terreur indicible.
Publié dans porno macht frei |
D’une certaine façon, nous ne sommes pas forcement plus libres que ces prisonniers, mais eux le savent.
Rédigé par: lds | le 16 juin 2006 à 23:22|ça me fait penser à une autre prison, mexicaine je crois, où un mec avait eu une idée géniale : donner à tous les prisonniers un rôle de chef dans un domaine. Il y avait le chef de la cuisine, le chef de la peinture des murs, le chef du nettoyage, le chef des loisirs etc… Du coup, chacun se sentait super responsable.
Rédigé par: flopinette | le 18 juin 2006 à 02:54|lds, je crois qu’ils font surtout une bonne affaire psychologique en se dépouillant de leur passé pathogène et de leur présent d’enterrés vivants, au profit d’une idéologie de la libération. Disant cela, je ne les juge pas, je serais même limite jaloux de regarder comment roule le train plutôt que de monter dedans. Je suis fâché avec les religions de par mon papa marxiste, et j’ai tenté de m’intéresser au bouddhisme, parce que leur message est clair là-dessus : “votre prison n’a qu’un seul barreau et vous tournez autour”, mais je suis pour l’instant trop velléitaire et circonspect pour m’engager dans quoi que ce soit. Par contre, tous les culs-de-sacs dont je m’extirpe pointent vers l’orgueil, et si je ne trouve pas son utilité, il faudra que j’y renonce, et pour ça il n’y à qu’à dieu que je puisse demander d’en être délivré. Que j’y croie ou non : après tout, je suis mal barré pour le rencontrer, et il y a peu de risques que je tourne plus neuneu que je ne le suis déjà, et je peux mesurer les effets positifs de l’idée de dieu sur certains de mes amis qui étaient aussi mal barrés que moi.
flo tu as mis le doigt dessus : ils troquent la culpabilité contre la responsabilité. Ils donnent du sens à leur vie.