jeudi 15 juin 2006

La Bible et le Pancréas



Je finis le montage d’un documentaire sur une prison de Louisiane phagocytée par l’évangélisme. 5000 condamnés à perpétuité s’y convertissent les uns les autres à un christianisme grégaire, avec la complicité bienveillante du directeur de la prison qui voit chuter le taux de criminalité à l’intérieur de son établissement. Il y a création parmi les prisonniers d’une "méritocratie" (les plus acharnés font des études de théologie au Bible College de la prison et deviennent pasteurs, et peuvent ensuite aller répandre la bonne parole dans les prisons alentour) sans illusions et sans pouvoir : aucun d’entre eux ne ressortira vivant d’Angola. Certains y sont depuis 50 ans. Néanmoins déterminés à confier leur vie au Christ, ils participent à la mutation profonde du tissu carcéral. Dehors, la machine à exclure continue de tourner à plein régime : misère, chomage et armes en vente libre y conjuguent gaiement leurs effets cumulatifs. Dedans, on ne fomente que rédemptions, on y vit des théophanies à la pelle, on y devient bénévole à l’hospice, qui accueille ceux qui ont moins de 6 mois à vivre.
Quand on est blanc, bien nourri, démocrate et qu’on croit jouir de la liberté, l’évangélisme prète à rire ou à s’indigner. On songe aux outrances des télévangélistes, qui sont recensés parmi les 329 arguments en faveur de l’existence de dieu chez cabanel
:
26. Argument par l’évangélisme américain

(1) En disant aux autres que Dieu existe, je suis devenu riche à crever.

(2) Donc Dieu existe.

Mais quand on est noir, pauvre, qu’on a commis un meurtre qui nous fait prendre perpète et qu’on chope un cancer du pancréas, le message des évangélistes est déjà plus audible.

Il est inquiétant d’entendre des enculés cosmiques comme Franklin Graham (fils de Billy, le plus célèbre des télévangélistes et conseiller de Bush) venir prècher la bonne parole en taule et prétendre sans sourciller que Dieu soutient la peine de mort. Mais n’importe quelle lecture délirante de l’Ancien Testament peut vous faire raconter n’importe quoi.
On peut aussi ironiser sur ces pauvres noirs qui se sont trouvés un Dieu blanc qui les lave des délits auxquels un implacable déterminisme racial et social les a acculés. Et alors ? les blancs vont bien voir les tibétains.
N’empèche qu’ils font preuve entre eux d’une compassion et d’une charité qui manquent cruellement à l’extérieur des murs de la prison. D’ailleurs si elle existait il n’y aurait pas besoin de les mettre en taule.
Comme disait Flo, "Peut-être que c’est une bande de nases mais peut-être aussi qu’ils ont sauvé des millions de gens. C’est ça qu’on finit par comprendre. L’élitisme est réservé à l’élite. Si le maître dzogchen enseigne le dzogchen, il n’aidera pas grand-monde. S’il enseigne des naseries à longueur de journée, ça aidera un tas de gens, parce que les gens sont des nuls. C’est le standard. L’auto-détermination, la réflexion, tout ça, ce sont des valeurs d’élite, ça marche 1 fois sur 1 million."

Commentaires

  1. D’une certaine façon, nous ne sommes pas forcement plus libres que ces prisonniers, mais eux le savent.

  2. ça me fait penser à une autre prison, mexicaine je crois, où un mec avait eu une idée géniale : donner à tous les prisonniers un rôle de chef dans un domaine. Il y avait le chef de la cuisine, le chef de la peinture des murs, le chef du nettoyage, le chef des loisirs etc… Du coup, chacun se sentait super responsable.

  3. lds, je crois qu’ils font surtout une bonne affaire psychologique en se dépouillant de leur passé pathogène et de leur présent d’enterrés vivants, au profit d’une idéologie de la libération. Disant cela, je ne les juge pas, je serais même limite jaloux de regarder comment roule le train plutôt que de monter dedans. Je suis fâché avec les religions de par mon papa marxiste, et j’ai tenté de m’intéresser au bouddhisme, parce que leur message est clair là-dessus : “votre prison n’a qu’un seul barreau et vous tournez autour”, mais je suis pour l’instant trop velléitaire et circonspect pour m’engager dans quoi que ce soit. Par contre, tous les culs-de-sacs dont je m’extirpe pointent vers l’orgueil, et si je ne trouve pas son utilité, il faudra que j’y renonce, et pour ça il n’y à qu’à dieu que je puisse demander d’en être délivré. Que j’y croie ou non : après tout, je suis mal barré pour le rencontrer, et il y a peu de risques que je tourne plus neuneu que je ne le suis déjà, et je peux mesurer les effets positifs de l’idée de dieu sur certains de mes amis qui étaient aussi mal barrés que moi.
    flo tu as mis le doigt dessus : ils troquent la culpabilité contre la responsabilité. Ils donnent du sens à leur vie.

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