Le 31 décembre 2007, l’oeil aguiché par son sticker fluo, j’ai acquis à vil prix un gigot d’agneau dans les bacs “bidoche en promotion” du Super U; il était clairement référencé comme provenant de Nouvelle-Zélande et devant être consommé dans les meilleurs délais. En l’attrapant par le manche, j’ai brièvement été en contact avec les tonnes de fuel qu’il avait fallu pour l’apporter jusqu’à si près de chez moi, aux milliers d’intermédiaires qui l’avaient élevé, transporté, vendu, mis en rayon, et dont la survie dépendait de la pérennité de cette hérésie écologique : un animal qui a vécu de l’autre côté du monde pour finir mangé en promo - je ne rappelle plus du prix exact, mais c’était autour de 20 euros le kilo et demi - et déréguler l’agriculture locale pourvu que quelques sesterces changent de poche. Mais ma conscience écolo a un prix au kilo, et puis que voulez-vous, quand on ne boit ni ne fume, que les sirènes du sexe, du rock’n'roll et de la drogue se sont tues, ou qu’on s’est enfoncé le coton tellement profond dans les oreilles pour ne plus les entendre qu’on ne peut plus les retirer, il arrive de se laisser tenter par un gigot, selon le principe entendu lors d’une retraite bouddhiste l’an passé : que nous obtenions (ou pas) ce que nous désirions, nous nous mettons alors à désirer autre chose. Il faut nous mettre en route vers autre chose que ce fluctuant et perpétuellement changeant objet de nos désirs, et tâcher de découvrir notre condition… Quant au gigot, je pensais le faire cuire dans la foulée, mais comme on rentrait de chez Mamie qui nous bourre toujours la voiture de glacières pleines de volailles, je l’ai congelé et ne l’ai ressorti que ce matin de dimanche. Mais après décongélation, et une fois sorti de son sac sous vide, il a répandu une odeur franchement excrémentielle du côté qui avait le plus chauffé (il était trop gros pour tourner dans le micro-ondes alors j’avais enlevé le plateau rotatif pour ne pas forcer le mécanisme et casser quelque chose), et même rincé, il dégageait ce fumet peu engageant d’étron humain en putréfaction, rappel judicieux de l’impermanence de toute chair qui peut éventuellement disparaitre à la cuisson, mais qui peut aussi foutre en l’air le repas dominical et plus si affinités, à l’innocent cuistot qui en a été le témoin et qui n’a pas du tout envie de prendre le risque d’en faire manger à ses gosses. Un kilo sept de gigot d’agneau zélandais est donc parti à la poubelle, sépulture peu chrétienne pour un animal qui finit si loin de chez lui, mais si je le mets sur le compost c’est ce con de chien du voisin qui va s’empoisonner. Et puis j’ai failli nourrir plein d’émotions négatives envers -le Super U, -le capitalisme, -mon manque de discernement, -ma femme, qui avait remarqué l’odeur pendant que je prenais ma douche post-jogging et qui me gâchait le plaisir de mon achat Malin à plus d’un titre, et qui me dit qu’elle échappe à ce genre d’entourloupes en n’achetant jamais ce genre d’article, -le fric honnètement gagné que je fous ainsi à la poubelle, etc…
Bref, en 2008, je mange des légumes.
Dans ma quête de sobriété, il y a aussi une réduction importante de ma conso de viande, qui est aussi l’expression d’une résistance à l’industrialisation de l’agriculture. J’ai lu dernièrement l’Etoile de l’Aube, un roman magnifique sur les peuples Khantis, du Nord de la Sibérie. Quand je vois le cérémonial et le respect qu’ont ces hommes et ces femmes, dont la culture a été torpillée par le modernisme à tout crin et par l’alcool, pour demander l’autorisation à la nature de prélever un des siens pour se nourrir, et que je compare le spectacle de la barbaque étalée dans nos rayons de supermarché (animaux dont la mort, pour certains aura servi à remplir les poubelles), cela fait réfléchir.
Rédigé par: Bruno | le 07 janvier 2008 à 15:48|Vraiment chouettes tes chroniques, John.
Et bien dis donc ! Vivement qu’ils inventent la vache carnivore qui atteint la taille adulte en une semaine et le steak nanotechnologique qui s’auto-développe à partir d’huile de vidange !
Rédigé par: Dado | le 16 janvier 2008 à 00:38| AlerterLes Américains viennent d’autoriser la consommation de viande clonée. Ils n’ont pas dit s’ils vont réussir à clôner les pâturages. La vache omnivore qui recycle le CO2 sans produire de méthane et qui boit de l’eau de mer en la repissant désalinisée serait aussi une trouvaille utile. Si les scientifiques sont aussi forts que les auteurs de SF, on va s’amuser. Mais ça m’étonnerait.
Rédigé par: john warsen | le 16 janvier 2008 à 17:54|Ca t’étonnerait qu’on s’amuse ou ça t’étonnerait qu’ils soient plus forts que les auteurs de SF ? Parce que les auteurs de SF pompent tout bêtement dans ce que font les scientifiques… Et si tu jetais un coup d’oeil sur EurekAlert, Techno-Science.net ou des blogs qui suivent les dernières trouvailles, tu aurais des tas de nouvelles de SF ahurissantes toutes pondues.
Rédigé par: Dado | le 17 janvier 2008 à 01:34|