jeudi 27 octobre 2005

témoignage d’un mineur


lu aujourd’hui sur le forum

http://orroz.forumactif.com/index.forum :

"Bonsoir.
En ce moment, c’est la période des vacances scolaires pour moi. J’ai 17 ans, je suis lycéen en terminale littéraire. Mon rêve, c’est être écrivain ; je m’y exerce autant que je peux. Et j’ai vu mon premier porno à environ six ans.
Petit historique:
Je me rappelle. Lorsque j’étais petit, ma mère m’enregistrait tout les épisodes de Tintin et Milou sur cassette. Après l’école, j’avais droit à un ou plusieurs épisodes. Lorsque j’ai été assez grand pour mettre une cassette dans le magnétoscope, et pour que ma mère me laisse seul plus de deux heures, en fouillant dans toutes les VHS pour retrouver mes épisodes, en passant les cassettes une part une, je suis tombé la-dessus. Un gros plan, crade à vomir. J’appelle ma soeur. Elle a douze ans, six de plus que moi. Elle est curieuse. Elle regarde. Un autre jour elle fait venir des potes à la maison, eux ils sont habitués. Moi je regarde encore ça, dégoûté mais fasciné. Fasciné par quelque chose qui m’a aggripé et ne m’a plus lâché. Je revoyais ces images même quand elles n’étaient pas là, et lorsque je ne m’en rappellais pas, j’essayais de les retrouver dans tout et n’importe quoi.
Je suis déçu. De ce que j’ai raté. Je sais que j’aurai pu être un vrai romantique s’il n’y avait pas eu cette conspiration.
Les sujets du collège entre mecs donnaient dans le "putain elle est bonne !". En Art plastique, on se démerdait pour trouver des images X ou érotiques, même on découpait des mannequins de la section lingerie féminine des catalogues par correspondance, et on faisait nos projets avec. Ca nous faisait marrer. Le prof nous disait "bande de ptits pervers" et ça s’arretait là.
Fin collège, lycée : Je sombre dans le "plus en plus sale et avilissant". C’est une escalade. Une chute libre. Où on a presque pas de prise. Il faut faire l’effort de sortir le parachute. Et d’abord prendre conscience que si on ne le fait pas on va s’écraser, et peut-être en écraser d’autre. Mais le mal est déjà fait.
Lorsque j’ai découvert la maladie, que j’ai pris conscience qu’il est anormal que je puisse passer des après-midi entière seul à me masturber devant un porno, que je puisse veiller des heures à attendre la diffusion du film du soir… j’ai pris peur. Je me suis dis que j’allais devenir violeur, psychopate, dingue. Qu’il fallait que je me fasse soigner avant de déraper sur une fille au hasard d’une rue, une pulsion qui me serrait sortie d’on ne sait où. J’ai eu peur, parce que je me disais que si ça continuait à empirer, à s’accélerer, bientôt les images ne me suffiraient plus. J’en étais au stade porno-branlette-sopalin, mais j’avais vraiment peur pour la suite. Alors j’ai choisi fait un article sur mon blog, où j’annonçais ma dépendance. Je me suis dit, il y en aura bien un ou une qui devinera, parmis mes amis. Y’en a une qui a deviné, une autre à qui j’ai fais confiance.
Finalement, je n’étais pas le monstre que je me voyais devenir.
Pourtant, quand on a eu des périodes à deux à trois heures de porno quotidien, on sent bien qu’on a pas le même regard sur les gens que s’il n’y avait pas eu. Et c’est d’être l’auteur de ce regard là qui fout la trouille. Ne l’avait vous jamais eu, ce regard ?
Ma première relation amoureuse s’est soldée d’un dépucelage commun au bout d’un mois. Les rapports ont vite tourné à la "pornographie", en tout cas, ce n’était pas les rapports digne de deux adolescents amoureux. C’était du sexe. De la course au plaisir et au fantasme, des positions qui s’enchainaient.
J’ai pris conscience de la véracité de ma dépendance, de mon addiction au moi de juillet de cette année. Je me suis inscrit sur un forum, et j’ai lâché stupidement au bout d’environ un mois.
Je viens de tenir trois mois. J’ai craqué il y a quelques jours. C’est bizarre, comme ça semble intemporel. Il faudrait que je pointe les dates, car je suis incapables de dire exactement il y a combien de jour j’ai craqué, pourtant c’est si récent…
Il y a trois heures, j’ai eu ma dose. Injectée directement au cerveau par le nerf optique. C’est étrange, comme le porno perd de la saveur une foi que "pfiout". Comme ça perd son intérêt.
Une fois le petit rituel accompli, je me sens… malpropre. Informe. Aliéné, hybride. Possédé, en fait. Oui, possédé. Anesthesie de la raison, et seul un "pourquoi pas, vas-y, puisque ça te tente. Tu arrêteras plus tard. Imagine-toi ce que le manque pourrait te faire faire."
Lorsque j’ai arreté pendant ces trois mois, mon "taux hebdomadaire" de masturbation c’est nettement accru. Comme un besoin d’évacuer toutes ces images. Pendant trois mois, j’ai évité tout contact avec quoi que ce soit de pornographique ou à caractères sexuelles. Je méprisais les affiches choquantes de lingerie, fermait les yeux comme les enfants devant les érotiques des films. Et toutes les images que j’avais pu garder, j’avais presque tout usé avant ma dernière rechute. Il ne restait presque plus rien, je me disais peut-être que je pourrais réapprendre le sexe come une chose naturel, réapprendre la sensualité sincère et sans ambitions dévorantes. Et paf. En plein dedans. Alors je coupe cours en venant ici. Je ne veux pas me repourrir le cerveau. Me refoutre ces calques porno devant les yeux. Ne plus me haïr après avoir éjaculé.
Je veux remépriser ces putains d’affiches de lingerie, de filles en string et le cul en buse, au lieu de les guetter. Ne plus être victime. Ne plus me victimiser.
Être responsable. Parce que c’est ça l’enjeu. Quand je cède à mon petit rituel "je rentre l’adresse dans la barre d’adresse et je décolle !", c’est un moment où je quitte tout. C’est un moment où il n’existe plus rien que moi et le désir, moi et les images. Moi qui subis comme une chose, un objet. Pourquoi se sent-on souillé, sale, après ? Parce que pendant un instant on s’est privé soi-même de ce qui fait que l’on est humain. Parce que pendant un instant on a perdu toute dignité. Honte, haine de soi. Besoin de cacher. Mais je montre. Je souffre, mais dans l’anonymat j’exhibe. J’expose cette vermine pour qu’elle flambe sous vos regards. J’ai 17 ans, je suis accroc au porno."

Voilà pour l’autoportrait d’une génération en train d’être salement bousillée. Peut-être que ce garçon va devenir un nouveau Bret Easton Ellis, et peut-être pas. Dans un mail suivant, il dit "Ecrire sur ma difficulté avec le porno, c’est comme… ça serait comme vomir. Alors si je devais vomir ce que je ressens tout les jours… "
Pour déconstruire sa relation au porno, ce jeune homme va avoir besoin que nous lui tenions la bassine. S’il a tenu trois mois rien qu’à lire nos partages sans éprouver le besoin de danser avec les loups, il y a de l’espoir.
J’identifie maintenant ce qui m’a fait récemment rechuter : l’exaltation liée au sentiment de triomphe d’avoir vaincu "la Bête", ainsi qu’une omniprésence plutôt vindicative sur le forum des dépendants, et la reconnaissance unanime de mes pairs. Voilà ce qui arrive quand on parle trop et qu’on n’agit pas assez. Autant pour moi…. et avis aux amateurs de rechutes carabinées.
Je balance tout ça un peu en vrac parce qu’aujourd’hui, une conjointe
de porno-dépendant nous a narré au comble de l’affliction qu’elle avait un mari qui se prenait en
photo en train de se masturber, et j’ai trouvé ça à hurler de rire dans le genre raccourci saisissant de l’Ourouboros, le serpent sacré qui se mord la queue, bien qu’à la réflexion
un lecteur peu amène puisse songer que la rédaction de ce carnet relève d’une pratique apparentée.

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