mercredi 26 octobre 2005

l’art d’aimer

Dans le système actuel, ceux qui sont capables d’amour sont forcément des exceptions. Non tellement parce que des occupations nombreuses ne permettent pas une attitude aimante, mais parce que l’esprit d’une société centrée sur la production, avide de richesses, est tel que le non-conformiste est le seul à pouvoir se défendre contre lui avec succès (…) notre société est dirigée par une bureaucratie administrative, par des politiciens professionnels. Les individus sont mûs par la propagande, leur but est de produire et de consommer plus, comme fins en soi. Les moyens sont devenus des fins. L’homme est un automate, bien nourri, bien vêtu, mais sans préoccupation majeure pour sa qualité et sa fonction spécifiquement humaines. Pour que l’homme soit en mesure d’aimer, il faut qu’il réintègre la place suprème qui lui revient. Plutôt que de servir la machine, il doit être servi par elle. (…) S’il est vrai, comme j’ai tenté de le montrer, que l’amour est la seule réponse saine et satisfaisante au problème de l’existence humaine, alors toute société qui contrecarre le développement de l’amour doit à la longue périr de sa propre contradiction avec les exigences fondamentales de la nature humaine.
Parler de l’amour, ce n’est pas prêcher, car c’et parler d’un besoin ultime et réel en chaque être humain. Que ce besoin ait été obscurci n’implique nullement qu’il n’existe pas. Analyser la nature de l’amour, c’est découvrir son absence générale aujourd’hui et critiquer les conditions sociales qui en sont responsables. La foi dans la possibilité de l’amouir comme phénomène social et non comme phénomène individuel d’exception, est une foi rationnelle qui se fonde sur l’intuition de la véritable nature de l’homme.

Erich Fromm, "l’art d’aimer", dans les années 70



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire