Je disais ici qu’un héros pouvait combattre les forces du Mal, c’est même le minimum syndical qu’on puisse en attendre, et c’est peut-être ce qui explique pourquoi les comics américains rencontrent un si grand succès auprès des quadras brouillés avec eux-mêmes en ces temps incertains. Mais les vaincre ? Soyons réalistes, on ne terrasse pas les forces du mal. Dans le meilleur des cas, on se soustrait à leur influence. Dans Morbus Gravis, saga BD qui démarre en 1986 avec d’alléchants arguments SF, on suit les aventures de la sensuelle Druuna dans un monde futuriste post-apocalyptique où existe un dangereux virus qui transforme les êtres humains en monstrueux mutants assoiffés de sang ayant perdu tout sens moral. Au fil des épisodes, dont la parution s’étale sur une quinzaine d’années et représente un beau succès de librairie puisqu’il s’en serait écoulé plus d’un million d’albums, l’intrigue de plus en plus complexe perd tout intérèt pour son auteur, et le lecteur dont l’esprit s’épaissit sous l’effet d’une torpeur obscure est de plus en plus sollicité dans la Voie de la Main Gauche; la série se réduit progressivement à une enfilade de scènes plus ou moins explicitement pornos mettant en scène Druuna. La pauvrette, séduisant mélange d’ingénuité et de rouerie, tente de survivre dans un univers impitoyable et délabré qui la contraint à user de ses charmes pour s’acquitter des plus menues tâches de la vie quotidienne : obtenir du sérum anti-entropie auprès du docteur pour soigner son chéri qui a été mordu par une bestiole atteinte du virus, discuter le bout de gras avec l’IA confinée dans les soutes du vaisseau spatial qui dérive dangeureusement vers un Trou Noir Sans Poils Autour, etc…
L’Innocence Incarnée par Druuna s’y fait ramoner la turbine à chocolat sans trève ni répit par le Mal, représenté par une sarabande d’aliens lubriques pourris de métastases, auparavant humains très peu portés sur la chose. C’est l’occasion d’une truculente galerie de portraits de personnages hauts en couleurs On se demande si l’auteur n’a pas succombé en cours de route au “mal” qu’il décrit confusément comme la victoire inéluctable du Temps Corrupteur de Toute Chose, celle du Bruit sur le Signal (dans l’éternel rapport dialectique Signal/Bruit.) Et nous, empètrés dans nos bondieuseries revanchardes, on aimerait bien - mais on imagine mal - voir le Bien faire subir le même sort au Mal; le Bien serait-il encore ontologiquement le Bien s’il se vengeait ? et comment s’y prendrait-il pour ramoner la turbine à chocolat du Mal, pour autant que celui-ci en ait une ? Et cet article n’aurait-il pas plutôt sa place dans la Désencyclopédie ? Bref, en septembre, en déplacement professionnel, je suis tombé sur toute la collèque des aventures de Druuna, qui à l’époque m’était tombée des mains au second volume. D’ailleurs, Dargaud, éditeur catho, avait renoncé à publier la suite, et face à la vindicte populaire, il avait fallu créer un éditeur rien que pour l’occasion. Je me suis dit “bah c’est que des bédés, ça va pas me tuer”, et j’ai quand même pris un bon coup de chaud, heureusement que j’étais bien réveillé et j’ai mis rapidement le truc à distance. Pour ceux qui ont vu ce qui n’est pas destiné à être vu par de simples mortels, et que même parfois les dieux ils ont besoin de desserrer leur noeud de cravate quand ils en voient des comme ça, un regard de trop suffit pour être à nouveau changé en statue de sel ! Je pense que le plus dur c’est de conserver à l’esprit l’idée de notre fragilité sans la cultiver. Et que, comme dit un pote, nous soyons tirés vers la pratique et pas déviés vers l’apitoiement. C’est pourquoi mon expérience d’abstinent m’empèche de désespérer : j’ai trop vu le désespoir-alibi du “remettez-nous ça”. Je me suis rasséréné en farfouillant dans mes archives de théologie appliquée : ” Les hommes animés du besoin de servir sont cent fois moins nombreux que ceux qui préfèrent se servir. Cent fois, mille fois, supérieurs en nombre, les singes l’ont emporté toujours et partout – sauf sur le terrain spirituel, où c’est le contraire : les hommes plus humains que leurs contemporains sont invincibles. L’histoire est toute faite de la lutte – désespérément inégale – de sinistres hordes de singes liguées contre l’Homme, contre l’Homme invincible, quoique toujours vaincu, contre l’Homme toujours voué à la défaite : il ne peut l’emporter sur les singes que dans la défaite parce que la victoire est simiesque !”
Vaste programme, qui promet de nombreuses réjouissances futures, comme dirait PlineJunior.
Cyberdépendance virtuelle, auto-addiction, rédemption de l’objet fascinatoire, progrès dans l’intention de pratiquer le bouddhisme.
mardi 27 novembre 2007
Attention ! (2) Black et Mortifère, le retour ?
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J’avais parcouru cette BD il y a quelques temps. Sacré mélange d’Eros et Thanatos en effet.
Rédigé par: Plouf | le 02 décembre 2007 à 00:11|oui, avec Thanatos qui finit par prendre tout le lit : il y a une montée en puissance des pulsions sadiques dans la série, comme un croisement de Jodorowsky, de freudisme à trois balles, de Star Wars filmé par les nazis, et de films de boules. Mon Dieu, il ne faut pas que j’écrive ça, y’en a à qui ça pourrait donner envie.
Rédigé par: johnwarsen | le 02 décembre 2007 à 22:44|