lundi 26 novembre 2007

Eloge de la tyrannie technologique

Je lis un livre très vrai et finalement assez inquiétant sur notre monde tel qu’il évolue au gré des mutations technologiques : “La tyrannie technologique” (critique de la société numérique, dans la collection “Pour en finir avec”, mwa ha ha. On ricanerait de le voir sur ma table de nuit, comme un pensum que je m’infligerais en pénitence de mon activisme cyber (activiste, c’est un mot classieux pour addict.) On aurait tort : ricaner n’est pas bon pour la santé. Et en plus, je n’ai pas de table de nuit. Bien sûr, il est rédigé par d’affreux gauchistes, qui n’en vendront qu’une poignée à d’autres gauchistes, et dont on pourrait croire de loin qu’ils se classeraient eux-mêmes dans la case “irréductibles gaulois” propres à faire rigoler les Romains, dans un passé parallèle où la potion magique n’a jamais été inventée. Soyons clairs : si les pulsions phagocytantes du capitalisme ne concernaient que lui, on le laisserait s’auto-dévorer dans son coin. Le problème c’est que nous sommes son aliment de base, et plutôt vers le bas de la chaîne alimentaire. Moins bas que d’autres, certes, mais bien moins à l’abri que ça. Le livre est inconfortable, divise, intrigue, exaspère parfois, et le débat ferait cliqueter beaucoup de claviers si ça servait à quelque chose. Mais au final, c’est un peu comme dans Invasion of the Body Snatchers : il est bien tard. On peut tout aussi bien acheter ” Comment les riches détruisent la planète” ou “Construire son abri anti-grippe aviaire dans la cave du monastère” (chez Marabout pocket dans la collection “guides pratiques”, plus tourné vers le bricolage que la récrimination fumigène) 
Extrait : “La maîtrise du temps Alors que les progrès techniques sont censés nous libérer du temps, les ordinateurs mettent aujourd’hui autant de temps à démarrer qu’il y a 10 ou 20 ans. La fuite en avant est perpétuelle, des logiciels de plus en plus performants demandent de plus en plus de puissance de processeurs pour être exécutés. Le mail permet de communiquer plus rapidement et plus efficacement, alors que l’on passe pourtant bien plus de temps à gérer son courrier qu’autrefois. L’immédiateté vantée par la technologie nous coûte plus de temps qu’elle ne nous en fait gagner. Dans notre société de surinformation et de communication permanente, regarder ses mails, lire les messages de son téléphone portable, consulter les flashs infos sur son écran, écouter les émissions de radio podcastées, etc… nous grignotent plus de temps qu’elles ne nous en économisent. Sous prétexte de se rendre maître du temps, l’individu contemporain lui est plus que jamais asservi. A l’heure où l’instantanéité des communications est censée nous permettre de gagner du temps, la quasi-totalité des pays occidentaux se trouvent asservis à un rythme de vie délirant, prisonniers d’un temps qu’ils ont essayé de dominer. Le règne de l’urgence est concomitant de l’avènement de la dictature du temps, instaurée par les objets mêmes censés nous en libérer. L’utopie de la transparence Notre société est obsédée par le voir (…) tout doit être révélé, déballé, exposé. L’opaque et le caché deviennent suspects et alimentent sur le plan politique, l’obsession du complot. Dans les relations humaines, dévoiler son intimité est perçu comme un gage de sincérité. Les nouvelles technologies - au travers de la numérisation et de la mise en réseau - jouent un rôle central dans cette mise à nu générale. Elles contribuent à rendre la société transparente. Cette possibilité de tout voir donne l’illusion de maîtriser le monde alors qu’elle nourrit et alimente la demande sécuritaire et la méfiance envers les autres. Elle favorise aussi la dépolitisation et contribue à créer une civilisation d’individus connectés en permanence, surinformés et omniscients, mais incapables d’agir sur le monde “

d’autres extraits ici

Lecture ô combien pernicieuse : quelqu’un venait me reprocher dans mon rêve de cette nuit de ne rien branler malgré le fait d’être abonné au Monde version papier. Or, la culpabilité n’est-elle pas la plus subtile des fuites ? L’ironie veut qu’après en avoir entendu parler sur France Inter au mois d’aout dans une bagnole remplie du babil familial lors d’un trajet houleux entre Montpellier et Port Camargue, j’en ai oublié le titre du bouquin, que j’ai retrouvé sur le site web de la station, reperdu, écrit à France Inter pour le ravoir,… que quelqu’un de la station me l’a trouvé malgré ma demande très vague (merci à toi, hotliner inconnu) et finalement je l’ai commandé sur Internet. Lénine avait prévu que, le jour où il faudrait à l’URSS une corde assez longue pour pendre le capitalisme, les capitalistes occidentaux se feraient une guerre au couteau pour la lui vendre à crédit.

Commentaires

  1. “Soyons clairs : si les pulsions phagocytantes du capitalisme ne concernaient que lui, on le laisserait s’auto-dévorer dans son coin. Le problème c’est que nous sommes son aliment de base, et plutôt vers le bas de la chaîne alimentaire.” Oui mais là où les altermondialistes se trompent c’est en croyant si eux (nous) étaient (étions) en haut, ils seraient plus raisonnables. La possibilité d’un capitalisme raisonné est hautement improbable quand on a identifié en soi les tendances naturelles et puissantes à en vouloir plus, tendances qui ont engendré ce système dégénéré. On en est en bas mais bien en tant que fondations.

  2. Ce bouquin ne brille pas par son intelligence, je trouve (ou alors tu as choisi les mauvais extraits). Le fractionnement de la concentration induit par le surplus d’informations me semble la chose la plus inquiétante. D’ailleurs c’est marrant, il y a des gars qui ont essayé d’évaluer les dégâts (en première page de yahoo), ils ont calculé que consulter sans arrêt ses sms, y répondre n’importe quand etc… coûtait 10 points de QI en fin de journée et fatiguait autant le cerveau qu’une nuit blanche. Je pense qu’on peut aller plus loin, calculer le Qi d’une personne après 1 journée à la campagne, et après 1 journée à Paris, on serait étonné. Je pense que le vrai risque est là, c’est le fractionnement de l’esprit en parties toujours plus petites.

  3. Oui, et la défragmentation c’est pas de la gnognotte… d’ailleurs qui êtes-vous ? ;-)

  4. Et aussi accumulation et persistance, Jean Michel Jarre notait dans une interview “Je viens d’une famille de saltimbanques où une fois la représentation terminée, il n’en reste plus grande trace alors que maintenant on vit dans une société d’archivistes”.

  5. héééé oui on peut archiver des milliers de pages d’Enseignements sur l’impermanence sans en tirer le moindre profit ;-) Pour lutter contre “le fractionnement de l’esprit en parties toujours plus petites” je n’ai trouvé que la diète informationnelle : réduire le nombre d’objets d’étude conscientielle (mais alors le ressassement guette)

  6. là les altermondialistes se trompent

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire