samedi 29 août 2020

Coronavirus : pourquoi tant de contaminations et si peu de morts ?

Hier j'ai lu beaucoup trop d'articles d'essence conspi (rats sionistes) sur le coronavirus.
- j'ai retrouvé une revue qui m'avait irrésistiblement attiré dans le rayon du Super U de Lit-et-Mixe cet été, un peu comme la lumière bleue attire les insectes en fin de vie. Je l'avais feuilletée en tremblant, de peur de me souiller ou de me brûler, jusqu'au moment où j'étais tombé sur un slogan respirant l'intelligence : "mettre les masques ? plutôt crever" après quelques pages de fumeux baratin. C'en était assez pour la reposer sur le présentoir. Je n'étais pas client de ça. Quelques minutes plus tard, j'allais faire tomber le cache plastique du rétroviseur d'une voiture immatriculée en Allemagne dans le parking en passant un peu près avec mon caddie, le remettre, le revoir tomber à terre, et quitter la scène discrètement par peur de voir le conducteur arriver. Cet incident avait engendré une inquiétude et une honte à mon avis bien plus intéressantes que la revue interlope feuilletée : avais-je renoncé à tenter de réparer par peur d'une anicroche ou parce que le gars était allemand ? qu'est-ce qui avait déclenché ma peur ? j'avais ronronné quelques jours là-dessus sans arriver à grand chose à part amplifier ma honte. Et je ne suis pas Emmanuel Carrère, difficile de faire de la littérature là-dessus.

- j'ai observé la dérive générale d'un blogueur de fond soi-disant bouddhiste qui me semblait jadis intéressant sur certains sujets et qui semble devenu complètement zinzin. Mais comment un homme qui anime 8 blogs pourrait-il avoir conservé sa raison ?

Je me suis posé des questions, auxquelles cet article publié dans le Monde le 26 Aout a apporté un début de soulagement.
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DÉCRYPTAGES Le nombre de cas confirmés de Covid-19 augmente régulièrement depuis le milieu de l’été, mais le bilan humain reste relativement stable. Rien ne permet, pour autant, de prévoir la fin de l’épidémie.




Un peu plus de trois mois après la sortie du confinement en France, les chiffres de l’épidémie de Covid-19 continuent de rythmer le quotidien du pays. Une tendance s’est installée depuis le milieu du mois de juillet : le nombre de personnes positives au coronavirus SARS-CoV-2 est en hausse. Il retrouverait même, en apparence, un niveau comparable à celui atteint au plus fort de la crise.

Ce glissement n’est pourtant pas encore visible à l’hôpital : le nombre d’admissions en réanimation et le nombre de morts restent, à ce stade, à des niveaux bien plus faibles qu’au printemps.




Pour certains spécialistes, la dynamique actuelle de l’épidémie a de quoi tempérer les inquiétudes face au spectre d’une « deuxième vague ». « Le virus circule mais une épidémie sans malade, moi je ne comprends pas ce que c’est (…). Pour l’instant, il n’y a pas de signe majeur de crise, pour l’instant il n’y a pas de rebond », assurait ainsi l’épidémiologiste Laurent Toubiana, chercheur à l’Inserm, sur BFM-TV le 22 août.

Ce paradoxe interroge : la hausse des cas confirmés est-elle le précurseur de la « deuxième vague » tant redoutée de l’épidémie ou une simple donnée parmi d’autres qui ne devrait pas nous alarmer ? Passage en revue des possibles explications de ce phénomène.

Rien n’indique que la virulence du virus soit moindre


La découverte, à la mi-août, d’une mutation du coronavirus SARS-CoV-2 en Malaisie a relancé cette hypothèse, mais elle s’est révélée être une fausse piste : ce nouveau variant était déjà très majoritaire en France dès le mois de mars. A ce jour, rien ne permet donc d’affirmer que le virus est moins virulent que lors du premier pic de l’épidémie.

La chute de la courbe des morts observée dans plusieurs pays a pu laisser penser que le virus s’était affaibli de lui-même avec le temps. Le 24 août, sur l’antenne de France Inter, la chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, Karine Lacombe, a pourtant mis en garde :

« L’histoire d’un virus qui serait moins transmissible ou moins grave est une histoire totalement construite, on n’en sait rien pour l’instant. »

On teste nettement plus qu’au printemps

Au début de l’épidémie, la France réservait ses tests aux malades les plus graves. Impossible, dès lors, de recenser les nombreux malades légers ou asymptomatiques. Moins d’un cas de Covid-19 sur dix était donc détecté et comptabilisé pendant cette période, selon des études rétrospectives de l’Institut Pasteur et de l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF). L’augmentation du nombre de tests de dépistage est une autre explication possible de la hausse du nombre de nouveaux cas détectés. En effet, plus on teste, plus on a des chances de trouver des porteurs du virus.




« Ce que l’on voit dans les chiffres des cas confirmés n’est que la partie émergée de l’iceberg », confirme l’épidémiologiste Catherine Hill, chercheuse à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne). Avec 90 000 tests par jour en cette fin août, contre seulement 5 000 à la mi-mars, les chances d’identifier des personnes contaminées sont aujourd’hui plus grandes. Mais cette évolution empêche de comparer l’intensité de la circulation actuelle du virus avec celle du printemps.

La hausse récente du nombre de cas n’est cependant pas insignifiante. La proportion de personnes positives a sensiblement augmenté sur la période, passant d’environ 1 % par semaine en moyenne à la fin juin à plus de 3 % à la fin août. La multiplication des tests ne suffit donc pas à expliquer l’augmentation des cas.

Le virus circule davantage chez les plus jeunes, moins vulnérables

Pour Ségolène Aymé, directrice de recherche émérite à l’Inserm, la clé de compréhension de la situation actuelle est là : « Il n’y a pas à chercher des explications compliquées à ce décalage entre les courbes. Le virus circule sans doute à un niveau élevé, mais la dynamique est aujourd’hui chez les plus jeunes : c’est pour ça qu’il y a relativement peu de cas graves. Les personnes les plus à risques, notamment les plus âgées, se protègent mieux. »

Durant l’été, le virus a bien plus largement circulé à bas bruit chez les moins de 40 ans, dans des tranches d’âge où la part d’asymptomatiques est plus élevée et où les complications sont plus rares. Une évolution qui s’explique probablement par le fait que les plus âgés ont pris plus de précautions que les plus jeunes. On dit alors que le « patron de transmission » a changé.

Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie des maladies infectieuses à l’université de Montpellier, travaille actuellement sur la décorrélation entre le nombre de cas et le nombre de morts. D’après le chercheur, fin juillet, la létalité du Covid-19 a décliné de 46 % par rapport à ce qu’elle aurait été si le virus s’était transmis de la même manière qu’à la fin mai. « Quand vous changez un paramètre en cours de route, vous obtenez cet effet transitoire, indique le chercheur. C’est un artefact dans les données, qui a été soit complètement ignoré, soit balayé ; c’est pourtant une explication qui mérite d’être connue. »

La particularité de cette situation complique la prise de décision pour les pouvoirs publics. Le fait que le virus ait occasionné peu de morts ces dernières semaines peut inviter à l’optimisme, mais le risque de le voir se diffuser parmi des catégories de personnes fragiles, notamment âgées, est toujours présent. Or, la proportion de cas graves et la mortalité ont toujours été fortement corrélées à l’âge des personnes atteintes du virus (plus de 92 % des patients morts du Covid-19 avaient plus de 65 ans, selon SpF).

D’autant que l’on reste encore très loin du seuil de l’immunité collective, censé pouvoir restreindre efficacement la circulation naturelle du virus. A la date du 11 mai, entre 3,3 % et 9,3 % de la population française avait été infectée, selon une estimation de l’Institut Pasteur, avec de grandes disparités régionales. Ce chiffre doit aujourd’hui être révisé à la hausse, et reste disparate entre les départements où le virus circule activement et ceux qui sont moins touchés, mais il est encore loin de l’estimation des 50 % à 70 % requis pour freiner durablement l’épidémie sans mesures de contrôle.

Il faut plusieurs semaines pour constater les effets du virus

Il existe un décalage logique entre la hausse du nombre de cas détectés et celle du nombre de personnes hospitalisées, ou mortes, en raison des délais d’incubation (cinq à sept jours) puis d’aggravation de la maladie (sept à dix jours). « Il y a en moyenne environ trois à quatre semaines entre la contamination et le décès », explique Mircea Sofonea : quatorze jours entre la contamination et l’hospitalisation, puis huit à seize jours avant l’éventuelle mort, « selon la prise en charge ou le profil des patients ».

Si le virus parvient à davantage circuler chez les personnes à risques et dans les tranches d’âge les plus élevées à la faveur de la rentrée, il est très probable que le nombre d’hospitalisations et de décès augmente avec un tel décalage. Une inertie qui, pour de nombreux observateurs, altère la perception du danger par le grand public et complique le pilotage de la crise sanitaire.


Covid-19 en France : un décalage temporel entre cas, hospitalisations et morts

Moyenne glissante (sur sept jours) des données quotidiennes de l'épidémie, visualisées selon un indice allant de 0 à 100 (correspondant au pic).




Plusieurs autres signaux attestent tout de même d’une circulation large du virus. D’une part, bien que modeste, la courbe des hospitalisations a recommencé à progresser ces dernières semaines.





D’autre part, les cas reliés à des « clusters » (des foyers de contamination identifiés) sont très largement minoritaires, selon les données de SpF : la plupart des contaminations ne sont donc pas suivies par les autorités sanitaires. « Cela veut dire que le virus n’est pas maîtrisé et cela ressemble à une épidémie partie pour s’installer dans la durée. C’est quand même très dangereux », observe Ségolène Aymé.

On prend mieux en charge les malades hospitalisés

« Cela joue vraisemblablement en partie, confirme sur ce point l’épidémiologiste Ségolène Aymé. On a fait des progrès dans la prise en charge des patients au début de la maladie, mais nous sommes incapables pour l’heure d’en mesurer les bénéfices précisément. »

Au-delà des différences observées dans la dynamique de l’épidémie, notamment parmi les populations touchées, les connaissances accumulées sur le Covid-19 au fil des mois ont vraisemblablement permis d’améliorer la prise en charge de la maladie – à commencer par la gestion des « tempêtes immunitaires ». La décrue qu’ont connue les hôpitaux français a aussi vraisemblablement contribué à améliorer les soins par la suite.

Ces progrès concernent surtout l’aspect pratique de la prise en charge des patients, et la façon d’anticiper leur « trajectoire » clinique en cernant les profils les plus à risque. Pour l’heure, aucun traitement thérapeutique contre le SARS-CoV-2 n’a encore montré des preuves solides d’efficacité, et les vaccins devraient se faire encore attendre pendant des mois.

La dynamique estivale de l’épidémie s’explique par une accumulation de plusieurs facteurs, qu’il convient de comprendre pour ne pas sous-estimer ou écarter à tort le risque d’une « deuxième vague » possible à l’automne. Il est aujourd’hui trop tôt pour savoir comment la rentrée de septembre affectera la circulation du virus, et si la recrudescence des cas précédera un retour au niveau de mortalité observé au printemps.

vendredi 21 août 2020

Jean Malaurie : “Je ne considère pas la fin du monde comme une certitude absolue”

Ca fait du bien de rentrer de vacances et de lire des chouettes gars qui n'en veulent dans un Télérama de juillet à peine défraîchi, et dont l'actualité ne se dément pas.
À 30 ans, il partait seul au Groenland, était adopté par un chaman, et prenait la défense des Inuits. Devenu l’éditeur de “ceux qui vivent le monde” avec la collection Terre humaine, le chercheur et franc-tireur de 97 ans raconte désormais ses aventures en BD et fera paraître bientôt ses Mémoires.
S’entretenir avec Jean Malaurie, c’est un peu comme monter dans un train dont on ignore la destination et l’heure d’arrivée. Les paysages défilent, grandioses, la vitesse est soutenue, le parcours sinueux. Comme cet homme de 98 printemps aime à le rappeler, sa pensée est « flâneuse ». Dans son appartement de Dieppe, où il s’est retiré : des cartes, des livres empilés, quelques objets inuits et une bibliothèque où trônent certains des fleurons de Terre humaine, la collection de référence en matière d’anthropologie qu’il a fondée il y a soixante-cinq ans. Pionnier de l’exploration arctique française, chercheur, scientifique, écrivain, éditeur, cinéaste, plus bardé de titres et de distinctions qu’un dignitaire soviétique, Jean Malaurie est à lui seul un pan d’histoire, un iceberg imposant qui surnage dans les eaux tièdes du XXIe siècle. Profondément marqué par sa rencontre avec les Inuits — il est sans doute le premier scientifique à avoir partagé leur vie d’aussi près — et le chaman Uutaaq, qui l’initia à d’autres voies spirituelles, Malaurie est devenu l’infatigable défenseur des peuples autochtones de l’Arctique. Franc-tireur dans l’âme, espiègle, passionné et libre, ce « sauvage », dont les Mémoires devraient paraître bientôt n’a rien perdu de son tranchant, ni de sa superbe.
L'interview est bien menée, mais c'est quoi
cette manie de faire des photos floues ?


En juin, la température a atteint les 38 degrés à Verkhoiansk, au nord de la Sibérie, le réchauffement climatique touche de plein fouet les zones polaires…
Ce qui se passe là-bas est préoccupant. En dégelant, les sols deviennent instables, tous les calculs sur lesquels repose l’installation des villes, des infrastructures et des établissements pétroliers ou miniers sont caducs. Des glissements de terrain et des catastrophes sont à prévoir, toute la Sibérie du Nord est en danger. La crise est grave, mais pour le géologue de formation que je suis, ce n’est pas une première. Les aléas climatiques sont assez fréquents dans l’histoire de l’Arctique.
Vous n’avez pas l’air plus inquiet que cela…
Je ne considère pas la fin du monde comme une certitude absolue, il faut être très prudent quand on lance ce genre de prédictions. Un changement d’ère, oui, sans doute, pour le reste… Il y a tellement de choses qui nous échappent. Comme l’écrivait Lucrèce il y a plus de deux mille ans, « Natura naturans » : la nature a une pensée propre, une organisation, une philosophie même dont nous n’avons pas conscience. J’ai commencé ma carrière de chercheur en étudiant les éboulis dans les montagnes du Hoggar, en Algérie, puis au Groenland. Contrairement aux apparences, il n’y a rien de chaotique dans ces amas de pierres, c’est une reptation organisée obéissant à des règles, des plans, un système qui nous sont étrangers. Il y a une énergie cachée dans la matière, une intelligence ; les pierres ont une vie, les plantes et les animaux ont un langage, une pensée. Comme mon confrère et ami l’écologiste anglais James Lovelock, je crois dans Gaïa, une terre vivante et profondément pensante, dont l’homme contemporain a le plus grand mal à comprendre l’ordonnancement et les desseins.
Mais que vont devenir les peuples autochtones de l’Arctique dont vous avez si souvent pris la défense ?
Ne sous-estimez pas la faculté d’adaptation des humains. Tout au long de l’histoire, il leur a fallu changer de comportements, trouver de nouvelles ressources, se réinventer. La plus grande menace qui pèse sur les peuples autochtones est la perte de leur identité. La double introduction du christianisme et du capitalisme a laminé en un peu plus d’un siècle des cultures vieilles de milliers d’années ! Alcoolisme, obésité, violence, dépression sont les fléaux que les Occidentaux ont apportés dans leurs bagages. Il y a chez les Inuits et les autres peuples du Grand Nord une totale absence de repères, de sens, de résistance ; la plupart d’entre eux ne savent pas qui ils sont. Les suicides sont nombreux parmi les adolescents et, comme au Canada, dépassent souvent les moyennes nationales. Les Russes sont les seuls à avoir entrepris une politique d’envergure, en créant, en 1994, l’Académie polaire de Saint-Pétersbourg, chargée de former des élites chez les peuples transsibériens.
Une université d’État dont vous êtes président d’honneur à vie !
J’ai cette chance. Pourtant, je ne suis pas et n’ai jamais été communiste. Pour être complet, j’ajoute que j’exècre le capitalisme et n’ai aucun goût pour les ronds de jambe ! Un scientifique n’a pas à faire de politique, mais doit avoir une morale et poursuivre un but. Cette Académie polaire permet aux étudiants de se réapproprier leur culture ancestrale, d’étudier, en s’appuyant sur des œuvres et des objets empruntés aux plus grands musées russes, leurs rites, leurs croyances, leur cosmogonie. Nous voulons raviver leur pensée dans toute sa puissance et son originalité, et les poussons aussi à l’exprimer dans différentes disciplines artistiques. Il faut qu’ils en soient fiers, la transmettent et la fassent connaître au monde, ce sont leurs meilleures armes pour lutter contre les compagnies pétrolières qui s’implantent sans scrupule sur leur territoire, la pollution, la société de consommation.
Pourquoi est-ce aussi important à vos yeux ?
Il en va de notre survie ! Je suis persuadé que ces minorités, qui ont toujours été tenues pour quantité négligeable par la pensée occidentale, sont appelées un jour à jouer un rôle capital. Leur conception et leur usage du monde constituent peut-être le deuxième souffle de l’humanité. Ces peuples ont su préserver un lien vital et hyper sensoriel avec la nature, que nous avons perdu depuis le néolithique et qui nous fait tant défaut depuis.
Comment, en 1950, le fils de bonne famille que vous étiez s’est-il retrouvé à partager pendant un an la vie des Inuits ?
C’est une longue histoire. Je faisais mes études dans un grand lycée parisien, j’étudiais le grec ancien, je préparais le concours de Normale sup lorsque la guerre a éclaté. Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai été stupéfié par la défaite. Mais le pire pour moi a été la trahison des élites intellectuelles, des écrivains et philosophes que je révérais. Le silence des Paul Claudel, Paul Valéry, des académiciens, et la vassalité de nos professeurs me sont rapidement devenus insupportables. Que valent les principes sans le courage, l’intelligence sans la morale ? J’ai donc refusé de partir en Allemagne faire le STO (Service du travail obligatoire, imposé aux Français sous l’Occupation), pas question de servir les nazis ! Par crainte du scandale, ma mère m’a interdit la maison familiale ; je me suis retrouvé seul, sans le sou et je suis entré dans la Résistance. À la Libération, j’ai repris des études de géographie et mon maître Emmanuel de Martonne a fait en sorte que je participe en 1947 à une expédition polaire menée par Paul-Émile Victor. Les choses se sont enchaînées. J’avais viscéralement besoin de changer de monde, d’éducation, je ressentais obscurément que quelque chose m’attendait là-haut, que j’avais un destin à accomplir.
Vous arrivez donc seul et avec presque rien à Thulé, au Groenland, en 1950…
Peu de temps après, Uutaaq, un chaman très respecté, me fait savoir qu’il veut me voir. Il me demande pourquoi je suis venu, je lui réponds que je veux écouter les pierres. Ça n’a pas l’air de le surprendre. Il me regarde un long moment, silencieux, les yeux mi-clos, comme retiré en lui-même, puis m’annonce qu’un grand péril va bientôt menacer son peuple et que je suis là pour les aider. Il me dit qu’il m’attendait, que je serai désormais son fils adoptif, qu’une porte va s’ouvrir pour moi, mais que ce sera dur, très dur…
C'est toujours aussi flou...
ça doit être une tache sur l'objectif.
Que se passe-t-il alors ?
Je m’installe à Siorapaluk, un hameau de six igloos à l’extrême nord du pays. Je commence à faire des relevés, à étudier les sols, et puis au bout d’un mois tout cela perd son sens. Je me rends compte que je ne suis pas à la hauteur. Je ne sors presque plus de mon cabanon, ne me lave plus, m’enfonce dans une profonde dépression pendant plusieurs semaines. Les Inuits commencent à se demander qui est ce Blanc bizarre et me regardent de travers. Puis un matin, je me réveille, le moment est venu. Je demande aux femmes de me confectionner des habits traditionnels en peau de phoque et d’ours et j’apprends comme je peux à manœuvrer attelage et traîneau. On m’a dit qu’un sage habitait à quelques dizaines de kilomètres plus au nord et j’ai décidé d’aller à sa rencontre. À l’époque je n’ai ni carte (il n’y en a pas !), ni fusil, c’est l’hiver, la nuit polaire, il fait – 30 degrés, il y a des crevasses et des ours partout. Certains que je vais mourir, tous les gens sur place essaient de me dissuader, et pourtant je pars seul. Je suis un homme de pulsions, je sens que je n’ai pas le choix. Contre toute attente, grâce aux chiens surtout, qui ont vite compris à qui ils avaient affaire, j’ai trouvé mon chemin dans ce désert de glace… et dans ma vie. Je suis vraiment né pendant ce voyage ; le fœtus que je portais en moi a enfin vu le jour. Je suis et j’ai toujours été un primitif, empêtré dans une éducation bourgeoise et chrétienne. Il a fallu des circonstances exceptionnelles pour me révéler. Claude Lévi-Strauss m’a souvent dit que j’étais l’être le plus primitif qu’il ait jamais rencontré.
Ce n’est pas un profil très courant chez les universitaires français…
Peut-être est-ce pour cela que je n’y ai pas eu que des amis. J’ai toujours préféré le terrain. La course effrénée à l’agrégation, les coteries, les cercles, la réputation, la surévaluation de l’« intellectuel » au détriment du chercheur pèsent toujours lourdement sur la recherche hexagonale. Je m’en suis tenu à l’écart, consterné par la guerre des chapelles, l’animosité, le manque d’estime ou le peu d’intérêt que se portent les érudits français. Je me souviens de Pierre Bourdieu, nous étions souvent côte à côte en assemblée générale à l’École des hautes études en sciences sociales, et à chaque fois que quelqu’un prononçait un nom il grommelait « Tous des cons ! ». Que n’essaient-ils de se comprendre, de s’entendre au sens premier du terme ? Pourquoi ne forment-ils pas, comme à Oxford, de vrais collèges où, quels que soient leurs domaines, les professeurs se côtoient et échangent au quotidien ? On ne méprise pas quelqu’un avec lequel on prend un sherry tous les jours !
Est-ce pour sortir de cet entre-soi franco-français que vous créez Terre humaine, en 1955 ?
Terre humaine a toujours eu pour vocation de donner la parole à ceux qui vivent le monde, pas à ceux qui l’observent, le théorisent ou le commentent. Rien à voir avec des journaux de voyage, mais les témoignages et les interrogations d’hommes et de femmes qui se penchent sur leur vie ou sur une expérience marquante. Certains savent écrire, d’autres non, mais tous ont un regard, une pensée forte et unique. Le premier ouvrage que j’ai publié a été Tristes Tropiques, où Claude Lévi-Strauss s’interroge sur l’objet même de ses missions auprès des Indiens du Brésil. Comme la philosophe Simone Weil, qui a choisi de travailler à la chaîne pendant un an avec les ouvrières de chez Renault, je ne crois à l’anthropologie que lorsqu’elle est vécue, partagée. Une collection, surtout lorsqu’elle dure aussi longtemps, traverse des tensions, des conflits avec l’éditeur, qui ne la juge pas assez « rentable », mais à chaque fois il y eut des titres pour la sauver, comme Le Cheval d’orgueil, de Pierre-Jakez Hélias, en 1975, qui s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Depuis quelques années cependant, Terre humaine part à vau-l’eau : mon successeur, Jean-Christophe Rufin, se désintéresse de la collection, et au credo fondateur s’est substituée l’envie de faire des carnets de voyage, une totale aberration ! Je suis en négociation avec Plon pour la remettre sur de bons rails, j’ai déjà plusieurs projets en cours.
Pourquoi avoir participé à l’adaptation en BD de votre ouvrage le plus connu, Les Derniers Rois de Thulé ?
Je connaissais très peu l’univers de la bande dessinée, mais cet album m’a ouvert les yeux. Il ne s’agit pas d’une vulgarisation, mais d’une nouvelle forme de narration, qui emprunte beaucoup au rotulum (rouleau) du Moyen Âge, tels ceux où certains épisodes des Évangiles étaient dessinés, et dont les prédicateurs se servaient pour leurs sermons. Nous renouons avec ce temps où le verbe et l’image s’interpénétraient et il est à parier que la transmission de beaucoup de classiques passera par ce médium. Le travail des auteurs, Pierre Makyo et Frédéric Bihel, m’a tellement convaincu que je souhaite que plusieurs grands titres de Terre humaine soient à leur tour adaptés en romans graphiques, sous la houlette de mon fils Guillaume et de l’éditeur Guy Delcourt.
Début octobre paraîtra Crépuscules arctiques, un beau livre consacré à vos pastels. Pourquoi emporter du papier et des bâtonnets de couleur dans une expédition polaire ?
Dessiner ne relève pas chez moi d’une volonté artistique. Certaines lumières, certains paysages de l’Arctique me saisissent, m’aspirent. C’est comme un rêve éveillé, une communion, une transcendance, mes doigts alors s’activent seuls sur le papier. Le noir des nuits polaires est saisissant, très différent de celui de Soulages, on y discerne un espace sombre et en désordre, où se confondent diverses couleurs, une bande blanche aussi, qui s’y superpose, comme une ouverture, un au-delà… Avec le pastel, j’ai le sentiment de toucher parfois aux origines de notre univers, ce grand sujet qui n’a jamais cessé de m’obséder. Avec ces couleurs tracées à la main sur du papier épais, je retrouve le langage premier, d’avant la parole, celui des peintures de la grotte Chauvet, qui recèlent une vérité qui ne doit rien à la raison cartésienne. Ces pastels témoignent surtout que je suis devenu profondément animiste, convaincu que chaque élément de la nature est habité d’une force vitale et d’un esprit.
Vous avez 97 ans, j’imagine qu’il vous arrive parfois de penser à la mort…
La mort, ce « peu profond ruisseau », comme le dit Mallarmé… Cela m’amuserait de devenir centenaire, mais la disparition de mes proches, comme récemment celle de mon frère, emporté par le Covid-19, m’y renvoie. Aujourd’hui, j’y pense de manière pacifique, lucide, je sais qu’il y a un après, un au-delà, j’en ai fait l’expérience à deux reprises : une fois sur la banquise avec mes chiens ; l’autre, il y a une trentaine d’années, lorsque j’ai eu un infarctus. J’aspire à être accepté par le divin, mais je n’y suis pas encore. J’aimerais juste que mes cendres soient dispersées au-dessus de Thulé, au Groenland. D’une façon ou d’une autre je continuerai à vivre, peut-être reviendrai-je sous la forme d’un papillon ? 
JEAN MALAURIE EN 4 DATES

1922 Naissance à Mayence, en Allemagne.

1951 Premier homme au pôle géomagnétique Nord.
1955 Création de la collection Terre humaine et publication des Derniers Rois de Thulé.
1990 Découverte, à l’extrême est de la Sibérie, de l’Allée des baleines, premier site monumental référencé des peuples autochtones de l’Arctique.

mercredi 19 août 2020

Loukoum et Tagada contre les méchants pédophiles

un selfie de Joan Cornellà
En cherchant une image pour illustrer un article sur mon autre blog, je tombe sur celui d'un psychiatre, qui rétablit un certain nombre de vérités sur Gabriel Matzneff en replaçant sa trajectoire dans le contexte de l'époque, et c'est plutôt réconfortant, bien que je n'aie pas de billes dans la partie, de voir qu'il y a des gens qui se rappellent le passé tel qu'il a été au lieu d'hystériser le débat.
et le second épisode :
Et c'est plus instructif de lire ça que de s'indigner avec les conspirationnistes modérés des ventes de poupées d'enfants aux pédoplastiquophiles.

lundi 29 juin 2020

Loukoum et Tagada

Nous venons de créer un duo comique, avec ma femme. J'ai trouvé notre nom de scène spontanément, hier midi, à partir de la contemplation d'un sachet de loukoums et d'une boite de fraises tagada qu'on venait de lui offrir pour son départ en retraite. Nous nous produisons désormais sur les plus grands blogs de France et d'ailleurs, comme ici, ce soir, chez John Warsen. Merci d'être venus, ça nous fait chaud au coeur. John Warsen qui avait lui-même été inventé par Fredo, accidentellement, un jour qu’il lui fallait emprunter la tronçonneuse de John, ou Arsène, ses voisins immédiats.

Loukoum et Tagada
(formerly known as Garbit et Margot)
par Joan Cornellà


Loukoum : "J'ai revu avec plaisir "The Accidental Tourist", avec ce pauvre William Hurt, qui tire sa gueule de connard casanier et dépressif pendant tout le film, j'adore la scène où Geena Davis le console silencieusement entre ses bras après qu'il ait avoué le deuil impossible de son fils, j'avais vraiment envie d'être lui.
Tagada : - t'as qu'à faire du tir à l'arc, toi qui t'es tapé tout son wiki, tu m'as dit qu'elle avait faillie être sélectionnée aux Jeux Olympiques dans cette discipline.
Loukoum : - je vais pas courir après Geena Davis, elle a 64 ans.
Tagada : - Hé ben ? t'en as 57. T'as toutes tes chances de la rattraper."

samedi 13 juin 2020

La recette du poulet aux larmes

>>>>>extraits de mails de blog de cuisine>>>>>
Un vieil ami lointain encore jeune
retrouvé sans facebook ni Copains Navrants
Iaorana !
J’ai fait un détour par le blog de Warsen,
...aah, c’était toi ! Savais-tu qu’il existe un second blog à Warsen ? et encore un autre, tellement hyper-secret, chut, qu’il m’arrive de douter de son existence ? Je t’invite à y télécharger la compile de ouf qui y est récemment parue, remarquable d’éclectisme musical. Nan, pas celle-là, l’autre.
http://jesuisunetombe.blogspot.com/2020/06/la-ballade-du-deconfit-ne-2020.html Je ne sais pas comment on dit télécharger en maori. « Y’aoranapas ! »  (pour toul'monde) Mes blogs j'y vais le moins possible, pour moi c'est des sacrées perches à selfies, et des miroirs à distorsion d'égo qui se font face et se larsènent dans le vide infini de ma vacuité ailleurs. J'aime bien clavarder avec toi, c’est vrai, mais le virtuel, c’est vraiment pas pour moi, dit l'homme aux 3 blogs. 



puis je suis allé voir dans la foulée sur gogol pour m’enquérir de la température de l’eau aux Sables doloneux faut pas être un peu neuneu pour se baigner dans de la flotte à 18° ? 
Une photo de poulet avec une photo de marilouise dessus
Je pense que tu connais la théorie des grenouilles progressivement ébouillantées sans s’en rendre compte, dit-il sans lui expliquer plus avant la théorie des grenouilles progressivement ébouillantées sans s’en rendre compte. Hé bien vois-tu, Pascal, le jour où le gouvernement aura rôti le cerveau de tous les électeurs LFI avec les nouvelles antennes 5G grâce aux puces RFID implantées sous leur peau permettant leur traçage encore plus optimisé que celui des poulets dans mon Super U, même qu’à chaque fois que j’en achète un je vois la photo de marilouise dessus et que ça me rappelle le temps où je faisais des vidéos institutionnelles pour la coopérative agricole qui achetait 6000 poulets par jour à marilouise et qu’on m’avait envoyé tourner un film promotionnel à la gloire des poulets chez marielouise alors que maintenant j’en suis réduit à chômer en attendant que le Covid lâche gentiment l'entrejambe de mon dernier employeur encore vivant pour gagner à nouveau ma maigre pitance au lieu de vivoter des Assedic Spectacle, putain marielouise regarde ce qu'on est devenus, notre relation était si bien partie et maintenant on n'a quasiment plus que des inconvénients sauf quand tu finis dans le rayon zéro gâchis à moins 30 % mais faut te manger vite pour cause de date limite, et là je commence à chialer dans le Super U et mes larmes s’écrasent à grosses gouttes sur le cellophane du poulet protégeant l’animal heureusement aussi mort que sous vide, et la photo de marilouise fraicheur garantie, et la Sécurité est contrainte par mes sanglots longs au rayon des violons de la volaille de me faire quitter le magasin par une porte dérobée, et donc le jour où le gouvernement aura rôti le cerveau de tous les électeurs LFI et obligé les autres à acheter du poulet Nouvelle Agriculture® d'un simple clic, et qu’ils se tourneront les pouces en se demandant qu’est-ce qu’ils pourraient bien encore inventer pour nous nuire, ils se diront peut-être « tiens, et si on ébouillantait progressivement les grenouilles sans s’en rendre compte » et ce jour-là, vu que t’es déjà trop habitué à l’eau tiède, ton destin sera scellé, alors que moi, comme à 18° je la trouve tiédasse, rapport à mon enfance dans les lagons bleus comme du obao gel douche de Perros-Guirec, je sentirai le coup fourré et ne me laisserai pas avoir comme un complotiste débutant, voilà. Et on verra bien qui est le neuneu, dans l’histoire.

La flotte, elle est tombée assez brusquement à 23° ici avec la bise de Tasmanie,
il y a trois jours, la Tasmanie ne m’a pas fait la bise mais je me suis retrouvé chez une fille de 35 ans ma cadette, non ça serait trop jeune, chez une fille de 35 ans tout court mais depuis le temps que je la connais elle doit bien en avoir 37, qui avait invité deux copines à déjeuner, dont une qui avait vécu quelques mois en Tasmanie mais ça je l’ignorais encore, ne mélangeons pas tout, je passais dans le coin à vélo parce que depuis les beaux jours dès que j’ai une course à faire à la ville j’y vais à vélo, 90 min A/R minimum par les bords de Sèvre, ça calme, mais j’étais pas énervé et ça me dézingue moins que le jogging et les marilouises Nouvelle Agriculture®, et je me suis fait inviter à boire un café, on a commencé à échanger assez facilement (je n’ai pas rebondi quand une des 2 filles que je ne connaissais pas a dit que la série Fleabag parlait de sa vie à elle, car c’était un vortex conversationnel en puissance), et comme M. exprimait ouvertement sa gène à avoir une expression orale ou écrite limitée par rapport à moi, j’ai fait hyper-gaffe pendant l’heure que j’ai passée avec elles à ne pas warseniser. C’eut été malvenu. C’est beaucoup plus facile In Real Life, en fait : il suffit d’écouter les autres, de les laisser dire ce qu’ils/elles ont à dire, et d’attendre son tour, si la conversation s’y prête. Au lieu d’essayer de bourrer tous les mots qui me tombent sous la main dans la phrase, des fois que ça rentre pas. Je me demande si le lithium ne marche pas trop bien, des fois.

Pas la moindre recette de poulet
dans ce fichu bouquin
J’ai adoré le moment où elles ont expliqué avec des anecdotes vécues qu’en Asie, se mettre en colère faisait rire les locaux parce qu’ils voyaient bien qu'alors, on perdait le contrôle. Et que Coréens et Taïwanais sourient tout le temps, y compris pour dire non, ce qui a le don de nous rendre fous.
De manière plus globale cette discussion fut très sympa parce que chacun(e) attendait vraiment que l’autre ait fini de s’exprimer pour énoncer son point de vue, un peu comme dans une réunion AA mais sans la contrainte implicite du modérateur, il régnait une grande qualité d’écoute. Un silence attentif impossible à simuler par écrit. J’y repense là parce que mon père insiste lourdement pour qu’on se fâche avec lui avec mon frère et ma soeur, et par écrit, encore, pour des bêtises rancies dans son coin, parce que son karma familial l’exige, depuis plusieurs générations il faut se fâcher dans les fratries au moment de la succession-partage et parce qu’il est si cultivé qu’il n'est même pas capable de savoir ce qu’il ressent, qu'il n’arriverait même pas à trouver son zizi dans sa culotte s’il apprenait en avoir un, alors c’est pour ça que j’ai dit à M. de pas se tracasser avec ce qu'elle prenait pour son inculture, que si ça se trouve j’arrivais à me la péter en donnant l’impression que non, que quand tu es face à quelqu’un qui te balance des références, demande-lui si possible de t’expliquer le fond de l’affaire, avec des mots simples, s’il n’y parvient pas, c’est pas bon signe, et que le vocabulaire, l’enrobage, ça s’acquiert, mais ce qui est important c’est de développer la sensibilité, surtout si le gouvernement décide d'ébouillanter progressivement les grenouilles sans s’en rendre compte. Le cas échéant, ça fournira un petit plus perceptif, et en tout cas pour papa c’est bien triste, je crois qu’on l’a perdu, comme y disent à la fin de Brazil quand Sam Lowry prend un air un peu distant suite à sa lobotomie préfrontale.
Papa, je lui ai mis un petit taquet ce matin, après 3 semaines de silence, du fait de ses relances constantes de pervers narcissique de ouf, et mon frère et ma soeur m’ont envoyé un discret « merci » comme si j’étais le syndic de la fratrie. Misère.
ben dis donc, heureusement que je suis pas inspiré parce que j’ai soi-disant trop tiré sur la corde ces derniers mois. Qu’est-ce que ça serait sinon. Par contre au niveau du style, pardon c’est sorti comme ça, mais peut mieux faire. Ou alors, je le mets sur mon blog.

Côté méduses on en a pas mal ici surtout à température maxi, je me suis retrouvé plusieurs fois à nager dans une soupe visqueuse de petites méduses de 10 cm de diamètre maxi, 
je ne bois jamais d’eau, les méduses baisent dedans, aurait dit W.C. Fields. Mais il faudrait vérifier sur internet, quand même, parce que je crois que les méduses n’ont pas de reproduction sexuée, tiens, regarde, on aura quand même appris un truc ce matin
« Les méduses se reproduisent alternativement de façon sexuée, entre mâles et femelles, et de façon asexuée, par bourgeonnement »

elles ne sont pas trop dangereuses, surtout avec la combi, il suffit de garder la tête hors de l’eau ou de brasser /couler avec une très bonne visibilité. Mais du coup, j’y vais seul, mon compagnon refusant absolument le port du néoprène, très nature le garçon. 
Je suis tout à fait comme lui. Enfin, pas physiquement, hélas, mais dans l’esprit. C’est comme ça que je me suis lancé à l’assaut de Landscape Arch, curiosité géologique située dans le parc natural de Arches (Utah) en me vantant d’être avec pas d’casque auprès des touristes asiatiques qui ne comprenaient que dalle à mon verbiage, en refusant d’emprunter les ânes excursionnels sur la photo de la pochette, surtout qu’elle est prise à Grand Canyon (Arizona) mais surtout de partir avec « no hat, no shirt, no shoes » car j’étais déjà plus qu’un peu ivre de ma propre débonnarité et trouvais que le contact du grès sous ma plante de pieds était profondément tellurique et émouvant, comme dirait ma voisine de 81 ans, et me procurait d’étranges zigouigouis tout le long du rachis lombaire.

une autre sorte de marilouise, observée
en allant en ville à vélo
Bien entendu, au bout de 2 heures en plein cagnard et sans la moindre bouteille d'eau, ma plante de pieds sentait le caoutchouc brûlé et j’étais plus proche de l’insolation et d’être rapatrié par Le Choix Funéraire, que de toucher une pension d’imbécillité, et je me suis fait gronder pour mon imprudence car je n’étais plus du tout aussi frais que la photo de marilouise dans son rayon réfrigéré en rejoignant ma famille qui s’inquiétait beaucoup de mon absence prolongée. 
N’empêche que le mec qui va inventer le drone aquatique à broyer les méduses, il va se faire un max de blé, en plus qu’on lui érige une statue de bienfaiteur de l’humanité médusée.

j’ai vu que les intermittents du pestacle toucheraient leurs indemnités 
oui enfin je préfèrerais toucher du salaire mais finalement je m’accomode assez bien au quotidien de ne pas avoir d’emploi salarié. J’aurais pas cru, mais finalement on s’habitue vite. Mais n’oublions pas que nous voilà déjà à J-8 de Jeannette Warsen chef de service en retraite, date à laquelle il me faudra trouver un hébergement d’urgence, avec ou sans combi néoprène, elle n'est pas fan de ma recette du poulet aux larmes, je vais plutôt obliquer vers un gratin de patates douces au gingembre.

mercredi 3 juin 2020

La méduse d'hier dans l'océan d'aujourd'hui

Ooh la belle rouge. Dans ces cas-là,
la baignade aussi est label rouge.
Je me baigne dans l'océan Atlantique.
Encore ? ça devient une manie !
- Oui, mais y'a du progrès : je ne pense plus à Marie-Louise. Je pense aux vertus du bain de mer. Et encore, pas longtemps : je me contente d'en jouir. C'est trop bon.
J'en jouis pas longtemps, parce que je n'ai pas d'organe prévu pour ça dans la durée.
Au contraire de certaines marielouises.
Hé merde.
Mais surtout, parce qu'au bout de 10 minutes d'un dos crawlé vigoureux, car elle est quand même fraiche, je croise la route d'une méduse, à peu près grande comme ça. Nous ne sommes pas sur une trajectoire de collision, elle passe en bord de plage, Nord-Sud, je nage un peu plus profond, Sud-Nord. Au moment du croisement, nous sommes à deux mètres l'une de l'autre, et respectons à la fois la distanciation sociale et le concept de plage dynamique, Macron et Philippe seraient fiers de nous.
Ca jette quand même un froid sur ma baignade : les méduses voguent rarement isolées, sauf quand elles se cachent pour mourir, en piquant au passage ma fille quand elle avait 9 ans, si c'est possible. Je sors de l'onde, pour dîner avec le diable il faut une longue cuiller et une combinaison néoprène intégrale, mon plaisir est gâché, la fête est finie, Orelsan est moisi.

Que faire de toutes ces méduses ? des lampes molles Art Déco ?
à peine allumées, une odeur étrange envahit la pièce.
Le lendemain, je retourne à l'océan. Un peu plus loin. A un autre endroit. Les Sableux d'Olonneux sont plein de ressources, d'anses et de criques. Mais surtout de grandes plages sableuses, d'où leur nom. J'hésite à me baigner. L'image mentale de la méduse d'hier est encore bien présente. Je n'ai jamais été piqué, peut-être que ma crainte est plus à craindre que le bisou de Médusa.
Mais je me rappelle de ma fille quand elle avait 9 ans, d'habitude c'est pas une ennemie de la joie,  et elle est dure au mal, mais là, ça couinait grave.
Bon, il y a des baigneurs en nombre, certains sont même dans l'eau, c'est quand même bon signe. Pas de cadavre en train d'être réanimé par un boy de la SNSM ou un maitre nageur gérontophile à la lisière du rivage, avec l'eau de mer qui lui rentre par le coin de la bouche ouverte en faisant un petit bruit de ressac quand elle se heurte aux dents du fond. Restons positif. Ooh dis donc, elle est meilleure qu'hier. Mais pas moyen de me débarrasser de la peur d'être piqué. Ben accepte-là, alors, et nage. Allons, gros vieux petit scarabée, réfléchis, tu es en train de pétocher pour la méduse d'hier dans l'océan d'aujourd'hui, ça n'a pas de sens. Mmmh qu'elle est bonne, que c'est bon de nager, et que c'est rassurant de sentir ces gens autour de moi qui ne s'enfuient pas vers la plage en hurlant de douleur après la brûlure.
Je pense à la méduse d'avant-hier, pour la dédramatiser, celle qui faisait du vélo sur la plage de Saint-Malo dans la chanson d'Yvan Dautin, et qui était absolument inoffensive, sauf pour un vieux dromadaire qui passait par là en lisant son bréviaire.
Tiens, je vais aller me reposer un peu sur ma serviette, car même si je ne suis pas d'accord pour en parler avec lui, ni avec vous, mon corps se rappelle qu'il n'a plus 20 ans depuis un certain temps. Dans ces cas-là, il ne va pas perdre son temps à vous bassiner avec ça, il va se reposer. C'est un pragmatique, mon corps, et je l'en félicite à chaque fois que j'en ai l'occasion. Comme pas plus tard que ce matin même, quand je me suis paumé en jogging dans le marais vendéen, mais lui a su retrouver notre chemin et nous ramener au bercail avant l'heure de l'apéro, où nous avons pu reprendre trois fois les calories que nous venions de perdre, surtout lui.
Après quinze minutes d'une glauquitude somnolente qu'on dit réparatrice, mais j'étais pas abîmé, une voix bien jeunette m'interpelle, pour me rappeler les consignes sanitaires en vigueur dans le monde d'après, auxquelles je contreviens grossièrement, car sont interdites les activités statiques comme prendre un bain de soleil. J'ouvre un oeil, et j'en reste médusé : une gamine d'au moins 35 ans ma cadette, affublée d'un t-shirt de "médiateur" me demande de bouger de ma serviette, au nom du Saint-Covid (on est en Vendée, faudrait pas l'oublier)
Toujours allongé, je lui dis que quand même, je ne contamine personne, et lui demande ce que je risque si je n'obtempère pas. Elle me répond "rien, mais ça serait dommage pour les consignes" et sa réponse est désarmante. De toute façon elle m'a tiré de la glauquitude, et je n'ai pas la présence d'esprit de lui dire que quand la loi est bête, c'est un devoir citoyen de désobéir, que de là où je suis j'envoie un message fort au gouvernement, tiens c'est pas mal, ça, mais je crois que tu l'as déjà écrit sur ton blog, oui mais sans doute qu'elle ne le lit pas, de toute façon elle est partie, du coup piqué par cette méduse des sables d'aujourd'hui, je retourne à l'eau, c'est encore meilleur que tout à l'heure, merci au principe de "plages-dynamiques" grâce auquel je suis en guerre contre ma graisse, et puis maintenant j'ai ma répartie cinglante prête à dégainer la prochaine fois que je croiserai une pauvre fille de 19 ans avec un bel emploi jeune de rabat-joie de merde sur la plage, que demander de plus ?
ce n'est qu'en sortant du bain que j'apprends que ces mesures absurdes sont abrogées dès le 2 juin, franchement, c'est abusé.

Il était tout seul, et en plus il était tout petit.
Et quand je l'ai mis dans le seau, il avait même pas peur.
Le lendemain, je ne vais pas me baigner, je suis fâché, mais à la pêche aux maquereaux, comme sur la photo.
Au large des Sableux d’Olonneux, j’entends le Cross-Etel proférer la Sécurité en crachotant sur la VHF, ça me rappelle le bon temps de la plaisance avec le capitaine Poignard.
Mais là on est omoteur, et je n’ai péché qu’un maquereau, que j’ai relâché ensuite par pure compassion, il était encore en forme, ce con, et il a filé dans l’onde. Comme ça il aura quelque chose à raconter à ses petits enfants. Il aura vu Warsen faillir.
Ca craint un max.

jeudi 28 mai 2020

Sauf ma mère et ma soeur

« On m’a trop fait chier dans ma jeunesse 
pour que je me laisse emmerder dans ma vieillesse. »
Guy « je suis une tombe » Bedos

A 7 heures ce matin, en faisant mon jogging à la fraiche, je passe devant un domaine viticole, comme il en existe beaucoup dans la région. Je remarque deux vélos posés contre un mur.


Pandémiaou, redoutable félin auto-infectant.
Pour lui, encore quinze jours de confinement
à l'hôtel Ibis près du terminal 2 de Roissy,
aux frais du contribuable.
Je me dis que si ce vigneron en est là, c'est que le vin qu'il produit ne doit pas être très bon. Il est vrai que le muscadet du coin est réputé aussi acide que la saison 1 de Fleabag. Ou alors, peut-être que ses enfants ont été mordus par Pandémiaou, le chat d'infidèle auto-infectant, avant de succomber au Corona, et il veut se débarrasser de leurs affaires, pour faire son deuil et voyager plus vite et plus loin avec la "bonne bouteille" espérée que ne le permettent des vélos enfants quand est adulte, surtout s'il faut monter sur les deux en même temps. Mais même. Plus tard, dans la campagne, je tombe sur un cheval dalmatien, dont je ne comprends pas les taches, car j'ignore encore ce qu'est un Appaloosa. Au retour, deux écureuils se coursent sur le tronc du chêne qui jouxte la porte du jardin. Ils ont bien raison. Devant la maison, les poules prennent un bain de soleil, en faisant croire qu'elles sont mortes. Surtout ne pas s'affole, c'est leur nouveau jeu depuis quelques jours. La Nature fait une décompensation au déconfinement des humains, et n'est pas d'accord pour retourner dans le monde d'avant.
C'est décidé, j'arrête de boire des vélos enfants.

Plus tard dans la journée, j'envoie la saison 1 de Fleabag à un ami, car je suis devenu disciple de Phoebe Waller-Bridge, aussi fort que mon oncle qui était gaulliste depuis qu'il avait assisté à un meeting du général à Rodez en 1959, et j'essaye de propager Sa Parole.
Il me répond dubitatif : "comment puis-je regarder Fleabag sur mon téléviseur à partir des liens que tu m'envoies pour mon ordi ?
- c’est très simple : tu ne peux pas. A moins d’investir dans un lecteur multimédia de salon, puis d’intégrer un cercle infernal de téléchargeurs anonymes. Ou d’être moi, ce que je ne te souhaite pas non plus; quand y’a pas de solution, c’est que y’avait pas de problème; regarde-le sur ton ordi, ou renseigne-toi auprès de Télérama ou de ton bouquet satellite si t’en as un, pour savoir si ça passe.
- J'ai déjà du mal à être moi-même, ce n'est pas pour être toi-même.
- Soi-même est un des mythes les plus tenaces de l’Occident Crétin.
Je ne devrais pas avoir à te le rappeler, eu égard à ton parcours, mais on se bricole des histoires et des identités, dépendantes du regard de l’autre pour validation, au moins de loin en loin, alors qu’il n’y en a aucune qui tienne la route dans la durée, et qu’elles ont tendance à s’évaporer comme qui rigole devant la neige au soleil dans la Réalité Réelle Ratée de Louis Julien dans laquelle j'habite aussi.
Ce qui me semble exister avec plus de consistance, ce sont des identifications successives, terme dont je me croyais l'inventeur avant de le lire sous la plume du président du gRRR, qui me signale l’avoir emprunté à Lacan, m’épargnant le souci d'expliquer comment elles coulissent l’une dans l’autre à condition de ne pas s’y attacher, et combien elles sont un heureux substitut à ce malheureux concept d’identité, qui continue à faire des millions de victimes hagardes (et la fortune des psys) de par le monde. Franchement, je vois pas pourquoi tu en fais un tel fromage; y’a quand même pas de quoi se passer les paupières à la crème de Chester avec une tringle à rideau de fer !"
Bon, ça va, c'est honorable comme blague par internet, le mec me connait, y va pas s'inquiéter pour six pneus, je suis en forme, et ce n'est pas dû qu'au jogging et  aux vélos buvables. Je ne fais là que recycler des fragments de conversation récentes entre plusieurs amis imaginaires que je fréquente sur internet en les réarrangeant dans de nouvelles configurations pour l'édification sélective de mes locuteurs A, B, C, jusqu'à D prim'.
C'est mal, je sais, mais si le mal avait besoin de se justifier, il serait témoin de Jéhovah.

Mes poules prenant un bain de soleil. Elles ont vaincu la peur du candide raton, et plus rien ne les arrête. 
Encore plus tard dans la journée, je me retrouve à faire l'apologie de Guy Bedos et son tube de l’hiver, une atroce romance en Réalité Réelle Ratée. Sous le clip, un commentateur warsenien a cru bon de souligner le kakemphaton « Lorsque l'amour, ce rat mort. » présent dans la chanson. Il a bien fait. En 1975, j’avais pris cette parodie pré-houellebecquienne de l’été indien de Joe Dassin tellement sous la ligne de flottaison que j’ai couru à vélo acheter le 45 tours chez le disquaire le plus proche, alors distant de 12 km, mais les jeunes, ça ne les effraie pas de pédaler sur des vélos enfants plutôt que de boire des bonnes bouteilles. L’histoire retiendra surtout de Guy le sketch « Toutes des salopes », autoportrait de l’artiste en pornographe éclairé.
https://www.youtube.com/watch?v=ffanbB_22Yo
Beaucoup moins ambigü que le mien
https://vimeo.com/37723063
que tu as sans doute déjà vu,
disais-je à mon interlocuteur, sans doute déjà trocuté à ce stade d'assènement péremptoire.

Un cheval dalmatien, hyper-collector dans la région. Mise à prix : deux vélos buvables.
Beaucoup trop tard dans la journée, j'apprends la mort de Guy Bedos, à 85 ans. 
Il n'a sans doute pas supporté mon éloge, que je croyais anthume.
J'appartiens pour toujours au monde dans lequel il a vécu, un monde qui a cru au programme commun d'union de la gauche en 74, pas longtemps mais quand mêêême, un monde qui regardait "Toutes des salopes" sans arrière-pensée au Grand Echiquier de Jacques Chancel quand ce vieux pédé de l'ORTF avait les couilles de le programmer (1), et j'ignore encore si je trouverai ma place dans le monde d'après.
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(1) enfin, je dis ça pour la version Deluxe de ce déjà légendaire billet d'humeur à la Jacques Boudinot. Dans la Réalité Réelle Ratée, malgré son air mou du genou, Chancel programmait ce qui se faisait de mieux dans le champ culturel. C'est plutôt aujourd'hui qu'on pourrait reprocher à l'ORTF une certaine tiédeur éditoriale. Je le sais, j'y travaille. Enfin, j'y travaillais dans le monde d'avant.