En avril, un peu à court de perspectives professionnelles, je refais un tour de table de nouveaux employeurs potentiels, tout en me disant que c'est surtout entre 1997 et 2008 qu'il aurait été judicieux de mettre un pied dans les sociétés de production de documentaires de la région, y'avait un virage à prendre, au lieu de ça je me suis laissé bercer près du mur par mon inertie, mon incurie et les rencontres (et surtout les non-rencontres) de l'époque. Et ma lubie chronophage de vouloir écrire une application multimédia dénonçant les dangers de l'addiction au multimédia.
Comment ai-je pu abdiquer mes prétentions aspirations artistiques professionnelles ? Au fond je le sais très bien : en restant comme un con devant mon ordi. Et ce n'est pas en balbutiant ici quinze ans plus tard des demi-vérités d'une voix sépulcrale que ça va y changer quelque chose. Assurément ça ne m'aide pas beaucoup non plus pour démarcher de me dire que tout est vain, et d'ailleurs pourquoi cette obsession douloureusement narcissique pour le documentaire ?
"J'aimerais bien refaire du documentaire", geignerais-je volontiers si j'avais un public, mais heureusement je n'en ai pas.
En télé, le docu c'est le genre noble, par rapport à la pube ou aux actus, y'aurait quelque chose à creuser sur ce besoin de valoriser mon ego par une activité gratifiante, est-ce que tu vivrais mieux si tu savais que ton travail est vu par des milliers de gens, est-ce que ton estime de soi dépend de ça... bien que la réponse soit sans doute dans la question; finalement je ne me suis peut-être jamais remis d'avoir (brièvement) travaillé pour Arte en 1996, vivant mes pérégrinations provinciales d'après comme un déclassement, comme si j'étais une sorte de nobliau contraint par la banqueroute à grossir les rangs du prolétariat audiovisuel; la première fois que j'ai travaillé pour une station de télévision régionale, j'étais tellement content d'avoir décroché une pige que quand la fiche de paye est arrivée, je suis monté au secrétariat dire aux filles de la compta : "non mais attendez, ça c'est le défraiement, le salaire il est où ?" et je n'étais ni arrogant ni insincère, je ne pensais pas qu'on pouvait être si peu payé dans ce milieu. Et c'était il y a 22 ans.
Bref. Pour en revenir au présent de mon récent passé de maintenant, les carottes sont à la fois râpées et cuites, et ça ne sert à rien de regretter une présence d'esprit dont j'ai manqué jadis, sinon pour me rappeler d'essayer d'être lucide et conscient au jour d'aujourd'hui, lol. Un peu comme quand je mesure la quantité de concentration que j’ai gaspillée dans des process attentionnels auto-perceptifs plutôt que de m’intéresser à mon environnement, et que ma femme me sort des infos d’il y a 20 ans sur mes cousins qu'elle a captées et intégrées alors que je les ai totalement zappées parce que je n'écoutais pas, je fais alors semblant d'être tout à fait au courant en prenant le train en marche.
Avec ces nouveaux employeurs potentiels, j'ai peu d'espoir de décrocher ne serait-ce qu'un entretien, je n'ai pas grand-chose à montrer, les derniers docs que j'ai montés datent de 2007, mais je pose quand même l'acte du mieux que je peux.
Je suis peut-être un regretteur, comme l'avait diagnostiqué mon fils il y a de nombreuses lunes, même si j'ai l'impression d'avoir changé, il m'arrive de repasser par la case "j'aurais mieux fait de..." et je suppose que c'est le lot commun.
En juin je travaille à Orléans, Bourges, Nantes. Ca n'a rien à voir avec ma recherche d'emploi, il semble que j'aie mis un orteil dans le planning "Centre Val de Loire" il y a quelques mois, je serais bien incapable de comprendre comment, toujours est-il que je suis à présent un jeune CDD de 55 ans qui tente de prouver sa mobilité pour pouvoir prétendre à l'intégration dans une grande chaîne régionale d'ici une quinzaine d'années , et je le vis plutôt bien. C'est toujours salubre pour moi de quitter la maison, et surtout l'ordinateur.
Début juillet, je passe une semaine à Tours, je monte un treize minutes sur la Loire à Vélo, ça fait des années que ça ne m'est pas arrivé de faire du magazine, serait-ce un cygne d'étang ?
Tours, ville plutôt sympa, même les punks à chien planqués par la municipalité sous le pont Napoléon ne sont pas agressifs.Le soir, je traîne. J'ai eu le malheur de rentrer dans un magasin de BD de collection, le tôlier a tout bien rangé ses 20 000 ouvrages de façon rationnelle dans sa tête et sur ses étagères, je suis impressionné, il a quasiment tout ce qui s'est publié depuis les années 60, j'ai trouvé un vieil album d'Alan Moore qui manquait à ma collèque inachevée des Watchmen en édition originale pour 100 euros.
100 euros ? C'est donné ! ça ne m'arrive jamais d'acheter des bédés de collection, mais comme c'est l'argent des clopes économisé depuis au moins 75 jours, c'est de bon coeur.
Le tenancier de cette immense caverne d'Ali-Baba m'avoue qu'il va plier boutique, du fait que ses meilleurs clients ont 75 ans et viennent chercher de vieux fascicules de Blek le Roc en déambulateur, qu'il va sans doute se rabattre sur la vente en ligne (sur laquelle il est déjà présent)
Chez un autre bouquiniste, moins branché vieux papiers, gisant au milieu d'un tas d'ordures d'une pile de romans de Maxime Chattam, un recueil Omnibus de 7 romans de Robert Silverberg des années 70 : 3 €. Chute dans le réel, ça me va bien, ça, tiens et ça ira très bien pour lire cet été sur la plage, j'ai décidé de prendre 6 semaines de congés, je n'ai qu'une vie, un ami m'a proposé d'aller visiter le Frioul en voilier au départ de Marseille, d'autres potes âgés veulent que j'aille les filmer en concert dans le Lot...
Un soir, une italienne qui dîne à côté de moi en terrasse me dit que le Frioul, en fait, c'est une région de son pays, à côté de la Slovénie, alors je me demande si on peut vraiment faire l'aller retour au départ de Marseille en 8 jours, puis j'ai regardé le wiki du Frioul et j'ai compris que l'homonymie n'était pas la copine à la toponymie. Le Frioul est une région italienne, c'est entendu, mais c'est aussi une île au large de la cité phocéenne, comme disent les journalistes. Tout va bien. Le plus inquiétant serait que j'ai un peu flashé sur une serveuse cambodgienne de 19 ans(1) qui sert au bar-restaurant qui jouxte mon hôtel et à qui j'accorde des entretiens d'orientation de plus en plus longs parce qu'elle vient de rater sa première année d'histoire de l'art et qu'elle est jolie et rigolote, étant donné que pour d'obscures raisons historiques le restaurant asiatique a dû conserver le bar qui lui préexistait, bar squatté nuit et jour par des alcoolos durs à cuire mais déjà cuits et recuits, qui consomment peu mais s'incrustent au comptoir et effraient l'innocent promeneur qui hésite à se proclamer amateur de cuisine asiatique devant les Pochtrons de la Garde Impériale, ravitaillés en vol par la Madone cambodgienne des Boit-sans-soif. Heureusement, la patronne nous surveille, à côté d'elle Pol Pot a l'air de gauche, et je rentre à Nantes demain. Faudrait pas que je commence à me laisser tourner le coeur par des lolitas, j'ai vraiment pas besoin de ça.
Un troisième libraire tourangeau spécialisé SF et BD me confie que lui aussi va cesser son activité, du fait que maintenant les jeunes lisent surtout Youtube. Le kilo de comics que je lui achète est emballé dans un sac en papier kraft qui proclame le contraire de ce qu'il vient de me dire.
Ecrit avec le symbolisme du punk rock, qui jurait se trahir s'il durait plus d'un quart d'heure, no fioutcheure.
Normalement j'ai maintenant de quoi écrire un article sur la fin prochaine des librairies d'occasion spécialisées, mais je ne vois pas l’intérêt, et surtout j'ai perdu la foi dans les vertus de l'écriture (en ce qui me concerne, l'expérience, poursuivie sur une durée conséquente, a produit des fruits plutôt amers) ainsi que mes aptitudes à emballer le poisson dans le journal.
J'ai mis trois mois à écrire ce lugubrounet billet. Si je ne trouve plus mes mots, c'est qu'ils m'ont été retirés, et il y a certainement une ou plusieurs bonnes raisons, comme aurait dit quelqu'un qui vient de mettre fin à son blog.
Ecrit avec le symbolisme du punk rock, qui jurait se trahir s'il durait plus d'un quart d'heure, no fioutcheure.
Normalement j'ai maintenant de quoi écrire un article sur la fin prochaine des librairies d'occasion spécialisées, mais je ne vois pas l’intérêt, et surtout j'ai perdu la foi dans les vertus de l'écriture (en ce qui me concerne, l'expérience, poursuivie sur une durée conséquente, a produit des fruits plutôt amers) ainsi que mes aptitudes à emballer le poisson dans le journal.
J'ai mis trois mois à écrire ce lugubrounet billet. Si je ne trouve plus mes mots, c'est qu'ils m'ont été retirés, et il y a certainement une ou plusieurs bonnes raisons, comme aurait dit quelqu'un qui vient de mettre fin à son blog.
(1)le plus inquiétant là-dedans serait bien sûr qu’elle n’est pas noire comme on pourrait s’y attendre, se répondit-il à lui même à peine de retour à Nantes.
Pour trouver des Blek le Roc en ligne :