Qu’on l’admire ou qu’on le déteste, ou qu’on s’en tamponne le coquillard avec nonchalance, Christopher Nolan fait aujourd’hui ce qu’il lui plait plait plait.
Il a gagné sa liberté d’auteur dans l’univers impitoyable d’Hollywood soumis chaque jour davantage aux diktats de producteurs sans vergogne dont les rêves de rentablilité à trois chiffres
nivellent par le bas l’inconscient collectif.
Ainsi de Interstellar, film gigogne aux mille sentiers de lecture, dans lequel se dissimule entre autres un pamphlet néo-marxiste, outrageusement fardé en blockbuster de SF humaniste.
Dans un futur proche, le capitalisme a eu la peau de notre bonne vieille Terre.
La productivité de l'industrie moderne, pratiquement sans limites, a saturé le marché de télés, de grille-pains et de lecteurs Blu-Ray.
Les prix ont baissé au point où les producteurs perdaient de l'argent au lieu d'en gagner : le profit symbolique (l’argent) a perdu toute valeur, après une énième crise des subprimes. Après quoi, faute d'argent, les moyens de produire ont été détruits et les profits matériels ont disparu eux aussi. Bernard Maris a eu beau s’en retourner dans sa tombe, c’est la mémerde.
Mattiou Mac Cochonnou, rude fermier du Midwest, en est réduit à pirater des drones indiens pour pérenniser sa parcelle de manioc rongée par le Mildiou et les mensualités du Crédit Agricole.
Tel un disciple de Francis Cabrel, la grand-mère à moustaches, il se dit que le futur, c’était mieux avant, quand il était ingénieur. Que le déclin de l’Amérique est dû en partie à ces conseillers d’orientation bornés et conspirationnistes qui croient que les missions Apollo n’ont jamais eu lieu, ou ne furent que des
fakes de propagande visant à inciter les Russes à dépenser jusqu’au dernier kopeck dans des programmes spatiaux et des technologies inutiles vouées à l’échec; conseillers d’orientation qui lui suggèrent vivement que son fils reprenne son exploitation agricole en difficulté au lieu d’embrasser une carrière scientifique qui lui permettrait, une fois frais émoulu de l’académie de Westpoint, de partir explorer l’Ouest Sauvage de l’Espace Profond et coloniser de nouveaux territoires, quitte à génocider quelques Apaches galactiques au passage.
Les lobbyistes de la NASA
nous ont pris pour des quiches, insinue Nolan : au lieu de se branler sur la conquête de Mars, hors budget, ils auraient été mieux inspirés d’apprendre à nos enfants à vivre en bonne entente avec cette planète, la seule que nous ayons sous la main, en quelque short.
Le bilan est amer, même si c’est pas après que la poule a pondu qu’il faut serrer les fesses, comme on dit dans le Midwest.
Il y a plein d’autres films dans Interstellar.
Autant que vous pourrez en voir dans votre misérable existence de spectateur tant que vous n’aurez pas décidé d’en devenir acteur :
- une histoire de poltergeist au-delà de l’abîme du temps.
- une fable sur la responsabilité parentale, une fois que vous êtes passé dans un trou de ver pour sauver l’humanité, et que vous retrouvez vos enfants âgés de 120 ans de plus que vous, qui vous reprochent de ne pas avoir été très présents aux stades cruciaux de leur développement psychomoteur.
« Devenir parent, c’est accepter d’être le fantôme du futur de tes enfants », déclame Mac Cochonnou tout en infra-graves (un caisson de basses lui avait été greffé à cet effet spécial pour toute la durée du tournage) à sa fifille adorée avant de filer à l’anglaise avec une astronaute dont on pourrait dire qu’elle était tellement belle qu’on la croyait stupide.
- un réquisitoire contre Hans Zimmer quand il se prend pour Philip Glass.
- une réflexion métaphysique sur les limites à ne pas outrepasser en matière de développement de l’intelligence artificielle, quand vous pouvez programmer le coefficient d’ironie d’un robot au point où il fait passer vos meilleures jokes hyper-secrètes pour des blagouzes pourries de CM2.
- un pensum intimiste où la surenchère affective (aaah, l’amuuuure !!! ) le dispute à l’incohérence scientifique, qui comblera tous les porteurs d’un joint d’étanchéité émotionnel défectueux, sans porter préjudice à une capacité d'émerveillement restée intacte devant le pouvoir cathartique du cinéma.
- un songe éveillé sur la Bibliothèque Infinie, contaminé de réminiscences de 2001, qui renvoie aussi bien à Escher qu’à Borges, ou qu’à feu Bookys. (Et comment diable Nolan a-t-il été mis au courant pour Chtipowa ?)
- une armada hirsute et débraillée de réflexions post-pubertaires sur La Mort Imminente, La Résurrection, la conquête spatiale, l'évolution, l'amour (dans ses dimensions symbolique / métaphysique / biologique), la recherche de vérité dans la Science, la condition humaine, le temps, la responsabilité de l'humanité dans ce qui arrive à la planète, etc...
- un sombre mélo centré autour de la relation père/fille
- un dépliant touristique rédhibitoire pour la planète Tsunami
- un hommage caché (révélé ci-dessous, on se fout pas de votre gueule) à "La vie d'Einstein", célèbre précurseur relativiste (non crédité au scénario du film), de Daniel Goossens
Bref, pour un blockbuster, c’est aussi un film en kit où on capte surtout ce que l'on y a apporté.
Et c’est déjà beaucoup.
J'ai bien fait de pas lire
l'article de l'odieux connard avant d'écrire le mien, j'aurais fait moins sobre.
Ecrit sur un forum hyper-secret en pensant à autre chose.