Lu dans Courrier International n° 1301 (octobre 2015) : un article qui me donne des envies de voyage.
Abkhazie : un pays qui fait rêver.
Abkhazie : un pays qui fait rêver.
Une journaliste russe découvre l’Abkhazie. Quoique reconnue par Moscou en 2008, la petite république sécessionniste du Caucase continue de vivre en autarcie, farouchement résolue à protéger sa liberté.
Une tradition venue du fond des âges.
— Rousski Reporter (extraits) Moscou
L’Alamys est le code éthique traditionnel abkhaze. Il définit l’étiquette à observer vis-à-vis des anciens, des visiteurs, des ennemis, des animaux et des plantes. Tous, en Abkhazie, ont peur de deux choses : se trouver de nouveau sous protectorat géorgien et perdre l’Alamys. Dans les deux cas, ce serait la fin du pays. “Vous savez, je n’ai jamais fait de politique, me dit Nodar Tsvijba. A quoi bon ? Nous devons préserver notre langue et nos traditions. Nous sommes tout de même un minuscule îlot d’une culture très ancienne. Nous avons su préserver notre langue abkhaze telle qu’elle était parlée au XIe et au XIIe siècle. Par exemple, nous n’avons pas de mot pour dire ‘mort’. Nous disons ‘mon âme est née’. Pour dire ‘je t’aime’, nous disons ‘je te vois en vrai’. En abkhaze, on dirait de moi, qui suis en train de faire l’intéressant, que je vous montre mon cheval. Le ‘moi’ est tabou.”
L’Alamys rend la société abkhaze difficile à appréhender pour les Européens. Ici, par exemple, on entretient avec passion la tradition du crime d’honneur. “Un jeune homme y réfléchit à deux fois avant de déshonorer une jeune fille, explique Liocha Agrba, car il sait qu’elle sera vengée. Dans la demi-heure qui suit ou dans deux cents ans, mais il sera puni. Nous ne portons jamais plainte. Il y a la famille. Et elle ne pardonne pas.” Dans un pays où l’on trouve des armes dans chaque foyer, cette tradition de la vengeance par le sang est véritablement salvatrice. En dehors de petits délits contre les touristes, il n’y a aucune criminalité.
Autre force de dissuasion : la fameuse hospitalité abkhaze. Même un ennemi, s’il demande refuge chez un proche de son adversaire, devient un hôte et doit être protégé. Cette satanée hospitalité met les Abkhazes dans une situation délicate vis-à-vis des touristes. Objectivement, Fiodor et moi devrions être la principale source de revenus de notre hôte. Mais tous les soirs Liocha nous régale gratuitement de poisson grillé, de vin maison et de somptueux discours. Les traditions semblent plus fortes que l’appât du gain.
La notion clé de l’Alamys, c’est la dignité. En commettant un acte indigne, un Abkhaze “meurt vivant”. Cet impératif met souvent les Abkhazes dans l’embarras. Lorsque je pointe du doigt un bâtiment détruit, comme on en voit beaucoup ici, en demandant à mon interlocuteur la raison de cette destruction, il me répond en baissant les yeux que c’est à cause de la guerre. Alors qu’en réalité la guerre n’a pas touché cette localité – les portes et les fenêtres de ce bâtiment ont été volées pendant le blocus. Cet Abkhaze ne veut pas mentir, mais il a honte. Pkhacharop, c’est ainsi que l’on appelle cette honte que l’on éprouve non pour soi, mais pour son peuple et son pays. Cela fait des Abkhazes un peuple qu’il est difficile de combattre.