La blogosphère vibre encore d'immenses clameurs de dépit à la vision de Prometheus, le film de Ridley Scott qui est censé être le "début" d'Alien.
Ce que tous ces Tintins sans Milou, reporters-pamphlétaires de leur propre indignation, semblent reprocher au film, c'est d'avoir laissé en chemin l'enthousiasme de leur jeunesse, comme dans ce célèbre dessin de Xavier Gorce, dans lequel on peut remplacer le mot "Ecole" par quasiment n'importe quoi.
En l'occurence "Alien", ça marche.
J'ai voulu constater les dégâts par moi-même, au péril de ma soirée du Samedi, habituellement consacrée à somnoler en famille devant des blockbusters tout public soigneusement chapardés sur des trackers privés.
Pas très loin de chez moi, il y avait une séance en 3D à 22 heures, dans une de ces zônes suburbaines douloureusement désertées de toute humanité architecturale et environnementale, faites d'un empilement anarchique d'enseignes de la grande distribution, de faux restaurants ethniques et de commerces entièrement dédiés à l'équipement de jardin ou aux loisirs sportifs, qui n'est pas sans rappeler l'exubérance de Durbar Square, cette foire-expo de la religion constituée d'une stratification étalée sur 4000 ans de temples bouddhistes, jaïns, shintoïstes et d'autres religions niaquouées improbables qu'on trouve dans la banlieue de Katmandou si on n'est pas feignant et qu'on visionne d'un index las au début de Baraka si on a peur d'attraper des maladies.
Mais retournons au cinéma.
L'avant-programme était entièrement constitué de courts métrages publicitaires consacrés aux smartphones, qui m'ont rempli d'une épouvante philosophique supérieure en qualité et en intensité à celle que j'ai pu ressentir pendant le film proprement dit.
Glorification du Vide, palimpsestes de désirs d'ubiquité omnipotente.
Second moment de terreur pure : pendant le générique de début de Prometheus, je comprends rapidement que mes lunettes 3D présentent un dysfonctionnement important, puisque j'y vois tout gogol et que ça clignote à mort. alors que mes voisins de rangée arborent des visages impassibles, ce qui prouve que leurs lunettes marchent, à ces bâtards.
Je dois m'arracher à mon fauteuil et courir à la caisse, où l'on m'explique que c'est normal, les lunettes marchent avec des piles et elles doivent être déchargées, tenez en voici une autre paire, et je regagne mon siège à petites foulées, maudissant cette technologie qui a pourtant suscité mon déplacement rarissime dans une salle obscure.
Quand même, ils pourraient mettre un panneau d'information décrivant les symptômes et le remède, au lieu de nous faire sombrer dans la paranoïa sur la déficience de notre vision.
Réflexe de client, pour lequel je me maudis derechef.
Du coup, j'ai raté le générique, qui explique tout et qui n'explique rien, mais heureusement, j'en ai trouvé une version exotérique sur ce blog.
Sinon, le relief au cinéma c'est rigolo, mais déréalisant : j'ai l'impression de regarder un film sous l'eau à travers un masque de plongée, qui truanderait les perspectives.
Pour peu qu'il y ait une bonne histoire et des acteurs convaincants, on râlerait d'être ainsi tenu à distance, par rapport à un film normal où l'on s'absorbe dans l'écran.
C'est heureusement rarement le cas.
La technologie tue dans l'oeuf le surcroit de réalisme qu'elle est censée procurer.
Fouchtra la cagasse !
Est-ce pour cela que Ridley Scott assassine son film, qui n'est jamais aussi malade qu'on rêverait de le voir, et surtout de le croire ?
Personnages réduits à l'état d'ersatz d'épures, métaphysique infantile et grotesque, pyrotechnie pompière.
Fallait peut-être confier le bébé à Cronenberg.
J'ai pas spoilé, et y'a pas de quoi être fier.