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le peyotl en pot : cet obscur objet du désir qui ne grandit que de quelques millimètres par an. Vous en connaissez beaucoup, vous, des désirs qui croissent aussi lentement ? |
Au printemps 2022, je passe plusieurs semaines à reluquer du coin de l'oeil les différents modèles de cactus et de champignons disponibles sur le marché, et à tourner autour du pot sur des sites spécialisés, aussi confus que si j'étais en rechute sur un site porno. Les rédactionnels sont imparables, et très bien traduits : " Il est impossible d'être accro à la mescaline. L'évolution a développé une caractéristique d'anti-addiction à cette drogue."
Voici un slogan qui tient bien compte des désirs contradictoires d’un toxicomane abstinent jusqu’à aujourd’hui (mais il n’est que 10h40) : c’est ce qu’on appelle un argument publicitaire bien pensé.
Mais quand même, je suis troublé, et je n’achète rien, il faut d’abord que je me mette au net avec ce désir de cactus sans épines. D'autant plus qu'une amie des Narcotiques Anonymes qui a goûté un bon nombre de produits exotiques dans sa jeunesse, mais qui a aussi fait pas mal de méditation depuis, en tout cas par rapport à moi, moi qui moi-même me trahis en parle depuis quarante ans mais ne suis pas foutu de passer 15 minutes par jour sur un petit banc zen, émet un avis défavorable sur les velléités psychédéliques qui me reprennent à un âge avancé, et me suggère d'aller plutôt faire une retraite vipassana d'une dizaine de jours, que ça me remettra le disque dur à neuf bien plus efficacement qu'une omelette aux champignons rigolos. Comme c'est quelqu'un à qui j'ai transmis le message des groupes en 12 étapes il y a quelques années, ça me vexe un peu de me faire ainsi rabrouer.
Je veux bien croire que les cactus et les champis n'induisent aucune dépendance, ce que j'en ai lu chez les auteurs "sérieux" (Huxley, Michaux, Rustica, Pollan) accrédite cette idée, même si toute l'oeuvre chantée de Castaneda est un canular gigantesque dont seule la portée philosophique surnage par moments dans le potage New Age,
https://www.donjuanito.fr/2019/02/la-vie-secrete-de-carlos-castaneda.html
https://www.donjuanito.fr/2009/11/lethnologie-fiction-de-castaneda.html
Je me souviens très bien vers quels caniveaux ma soif du Divin Perçu à Travers les Modifications de la Conscience Apportées par les Substances m’a fait dériver. J'ai une structure de personnalité addictive, et si je veux tâter de l'ordalie fongique (ni un légume, ni un fruit, le champignon n'est pas une plante non plus, car il ne fait pas de photosynthèse) ou me piquer de cactus, il va me falloir une ascèse, et ne pas m'asseoir dessus. Parce que je sais bien que l'ascèse, comme le bécarre, "c'est une chaise / Qui a un air penché et pas de pieds derrière; /Alors, très peu pour moi, / Autant m'asseoir par terre" me rappelle mon bon maitre Boby Lapointe, qui touchait sa bille question addiction et sevrage.
Sinon, c'est la Highway garantie pour le mauvais trip, ça c'est sûr madame chaussure ! Ma fascination pour les plantes enthéogènes ne date pas d'hier. Comme elle a très peu été déniaisée par une pratique, peut-être que je me prépare simplement une grosse déception, à l'instar de Roland Jaccard quand il disait : " J’ai beaucoup aimé les Japonaises, jusqu’à ce que j’en rencontre une."
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avec ou sans substances, un peu de déconstruction ne nuit pas, de temps en temps. Le poison est dans la dose. |
Dès lors, à quoi bon s'épuiser à rechercher des produits dangereux pour le psychisme et/ou l'organisme qui l'abrite, et aux effets bien hasardeux, alors qu’on peut se torcher à pas cher à la Valstar, la bière des stars ?
- en dehors des périodes où il est amoureux, et donc mû par des forces qui excèdent son égo, le toxicomane, comme l’individu lambda, est gouverné par la loi du moindre effort, et animé par le besoin d'obtenir un gain énergétique maximum pour une action minimale. Même en adhérant aux thèses de Sébastien Bohler, pour qui le premier coupable à incriminer n’est pas l'insatiabilité humaine mais un petit organe appelé striatum qui régit depuis l’apparition de l’espèce nos comportements, et qui réclame toujours plus de récompenses pour son action, c'est une bien maigre consolation.
Alors, que faire de nos envies de se droguer quand elles reviennent nous hanter ?
Y a-t'il moyen de négocier une petite excursion de temps en temps vers les sphères supérieures de l'esprit, s'approcher au bord du trou pour aller voir ce qu'il y a à voir, et puis en revenir plein d'usage et raison / vivre entre ses parents le reste de son âge, sans craindre des effets pervers ou le retour à des stratégies perdant / perdant ?
Chez moi, si je creuse un peu le terrain, il y a d’une part la vieille frustration de ne pouvoir plus tenter grand chose en termes de transgression - à part recommencer à lécher la vitre de mon iMac 27 pouces après avoir téléchargé des photos de muqueuses, mais maintenant je me lasse assez vite - mais surtout, je me rappelle que j’ai commencé à goûter l'épicerie exotique pour étudier les modifications de la conscience, me semblant éprouver pour celle-ci une curiosité légitime, même si je me suis perdu en route.
...les masques sociaux qui se délitent, et les conditionnements qui révèlent leur vraie nature trompeuse après le premier tarpé, c’est quand même magique, se dit-il quarante ans après avoir foutu ses études en l’air grâce au chichon.
Mais comme dans toutes les aventures trop frénétiques avec les produits, la magie lève vite le camp, et ça ne dure pas; néanmoins, le désir d'accéder à une conscience élargie perdure, mais c'est aussi parce qu’elle est la façade respectable, du moins présentable, de l’envie de se défoncer. Quels produits, pour ouvrir quelles portes ? au risque de ne plus pouvoir les refermer, ou de ne jamais revenir ?
Se défoncer, c’est devenir autre que ce qu’on est, ou qu’on se croit qu’on est, ce qui revient au même, surtout quand on est défoncé.
En Inde, il y a des sadhus qui carburent à l’herbe.
So what the phoque ?
“Your head's like mine, like all our heads; big enough to contain every god and devil there ever was. Big enough to hold the weight of oceans and the turning stars. Whole universes fit in there! But what do we choose to keep in this miraculous cabinet? Little broken things, sad trinkets that we play with over and over. The world turns our key and we play the same little tune again and again and we think that tune's all we are.”
- Grant Morrison, The Invisibles, Volume 1: Say You Want a Revolution
Je ne me souviens pas d'avoir lu ça dans les Invisibles, mais c'est une bédé dont la confusion est un peu trop savamment orchestrée pour qu'on en garde un souvenir précis.
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une vérité qui fout autant la gerbe qu'un trip à l'ayahuesca sans suivi médical |
Dans la durée, le plus dur, pour les dépendants, qui se sont agrippés à des produits qui n'étaient pas faits pour ça, c’est de voir à travers le « monde de merde » de la normalité et des 35 heures, qu’est-ce qui peut valoir d’avoir renoncé à la défonce, et qui vaille surtout d’être vécu sobre. Et dans l’humilité. Parce que si c'est pour se la péter parce qu'on a la plus grosse abstinence continue du tiéquar, pitié, os court.
En acceptant que c'est ce foutu désir d'évasion qui a mené tout droit à la prison de l'addiction, étant entendu que le problème n'est pas le produit ou l'objet, mais le comportement. En soi, l'alcool, le sexe, la bouffe, le cannabis (abstraction faite des aspects légaux), le tabac ne sont ni mauvais ni bons. C'est la relation ou l'utilisation que nous développons avec l'objet qui peut devenir une addiction. De ce point de vue, même la bouffe peut alors devenir toxique.
Être addicté ce n'est pas faire quelque chose de particulier mais faire quelque chose de façon particulière, i.e. la quantité et le niveau d'investissement dans l'activité, lorsque cela entraîne des conséquences dommageables pour la personne ou pour ceux qui l'entourent. C'est lorsqu'on devient esclave de l'objet. A ce tarif-là, c'est bien mon désir de cactus qui est l'épine, et peut-être bien que sans elle, c'est-à-dire sans lui, tout irait bien. En Chine, on dit, la nénergie, en principe, c'est bon. Mais comment lâcher prise ? Taraudé, hésitant, bientôt obnubilé par ces sushis, j'en viens à oublier mon mot de passe sur Zamnésia, le site multi-chnouffe en ligne. Elle est pas rigolote, celle-là ? Comme ils disent aux experiencers, Assurez-vous qu’il y ait une personne sobre dans votre entourage qui puisse s’occuper de vous.
En 2012 j'étais shooté au Seroplex®, qui a failli
me faire rater le virage maniaque, en 2021 je me suis pris 6 mois de corticoïdes, pour pallier les effets secondaires de mon traitement anti-cancer; effets secondaires du prednisone® : gonflement du visage ; agitation, insomnies ; début d'hypertension. Je me suis laissé faire par la médecine, même si j'avais l'impression d'être rendu plus malade par le traitement que par le crabe. Alors ça va bien, hein, maintenant, c'est à moi de jouer, je reprends la main. Je ne nie pas le côté farce de la pharmacologie post-moderne, mais bon...
dans Voyage aux confins de l’esprit, je tombe en arrêt sur ce passage :
Psychiatre spécialiste de l’addiction à l’hôpital Bellevue, à New York, Stephen Ross a dirigé une série d’études pour la Faculté de médecine de NYU et observé les effets de la psilocybine sur le traitement des angoisses de mort chez les patients atteints de cancer – sujet sur lequel je reviendrai plus loin. Il s’est ensuite intéressé au traitement de l’alcoolisme par les psychédéliques, lequel a sans doute constitué l’un des domaines de recherche clinique les plus prometteurs des années 1950. Il y a quelques années, un collègue de NYU lui a appris que le LSD avait été utilisé pour traiter des milliers d’alcooliques au Canada et aux États-Unis (et que Bill Wilson, le cofondateur des Alcoholics Anonymous [Alcooliques anonymes, AA], avait essayé d’introduire la thérapie par le LSD dans son programme dès les années 1950).
Ross, qui avait alors la trentaine, a mené quelques recherches et a été «sidéré», en tant que spécialiste de l’alcoolisme, par la somme de connaissances dont il ignorait l’existence et dont personne ne lui avait jamais parlé. Il a découvert que son champ d’expertise possédait une histoire secrète.
«Je me sentais un peu comme un archéologue découvrant des trésors de connaissances oubliées, m’a-t-il dit. Au début des années 1950, les psychédéliques ont été utilisés dans le traitement de toute une série de pathologies», parmi lesquelles l’addiction, la dépression, les troubles obsessionnels-compulsifs, la schizophrénie, l’autisme et la détresse existentielle de fin de vie. «Quarante mille personnes ont pris part à ces essais, et il existe plus d’un millier de rapports cliniques! L’Association américaine de psychiatrie a organisé des séminaires entièrement consacrés au LSD, qui passait alors pour un traitement miracle.» Les psychédéliques ont en effet fait l’objet de six congrès scientifiques internationaux entre 1950 et 1965. «Certains des meilleurs spécialistes en psychiatrie ont très sérieusement étudié ces substances afin de mettre au point des modèles thérapeutiques, le tout financé par l’État.» Et c’est au milieu des années 1960, à la suite du rejet des psychédéliques par l’establishment psychiatrique et la culture dominante, que ces recherches ont été abandonnées, purement et simplement, comme si elles n’avaient jamais existé.
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Si les Doors de la perception avaient été montées de traviole, on aurait plus de mal à les ouvrir. Et on n'arriverait guère à les refermer. |
By jove ! si je comprends bien, et si Timothy Leary n'était pas venu foutre sa zone, à un poil près, on bouffait un acide à chaque réunion AA ! trop ballot ! heureusement que je n'appartiens pas à la fraternité Narcotiques Anonymes, que je suis juste aux AA, que je n’ai pas juré de m’abstenir de produits modifiant le comportement. Je n'ai à priori aucune promesse à parjurer. Le problème de prendre du peyotl, c’est d’abord :
- comment savoir si ce que j’achète ça en est,
- comment le faire pousser ?
- avec qui en prendre, et pour quoi en faire ?
puisque ce sont des drogues sacramentelles, à l'usage ritualisé.
Ce qui me stupéfie par avance, et m'émerveille en direct, bien que je n'en sois encore nulle part entre mon désir et ses épines, c'est que grâce au réchauffement climatique et à la mondialisation, je peux potentiellement acheter et faire pousser sur mon balcon des cactées jadis réservées aux indiens Huichols du Nord du Mexique dans leurs pratiques spirituelles incluant la consommation de plantes enthéogènes.
Est-ce un progrès, ou une déchéance ? Pour eux ? et pour moi ?
Finalement, pour ne pas mettre tous mes yeux dans le même pavé, entre deux ruptures de stock chez Zamnesia, je commande peyotl + torche péruvienne + San Pedro, réputées riches en mescaline, à faire pousser chez soi, sur ce site hollandais hybride irrésistible de capitalisme tardif et de prosélytisme hallucinogène.
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menus travaux de jardinage, mai 2022. |
Je me dis que les cactus mexicains, ça ne pousse pas comme ça, surtout sous nos climats, j'ai le temps d'affiner mon approche, de tester l'ablation du lithium, d'éteindre l'ordi et de refaire de la méditation pour me préparer en amont, comme Marcel.
Tout cela dans une semi-clandestinité de façade, puisque je m'ouvre quand même de mes projets à long terme au psychiatre qui me suit depuis plus d'une décennie, ainsi qu'à ma femme à qui j'impose mes cactées sur la fenêtre du salon orientée sud.
Ils râlent de concert, mais me laissent faire.
A quoi bon s'opposer à ce rêve imbécile et tardif, qui s'effondrera sur lui-même, de lui-même, en lui-même, comme un bon vieux trou noir des familles dysfonctionnelles ?
Malgré l'été exceptionnellement chaud de 2022, les monstruosités gavées d'alcaloïdes ne prennent que quelques centimètres au garrot. Par contre, pendant ce temps les chambres des enfants se lézardent grave, du fait que la maison est bâtie sur une couche argileuse, que la sécheresse fait un peu bouger et s'émouvoir, au mépris du confort de ses résidents. Anxiété indicible. Elle aurait été bâtie sur un ancien cimetière indien, ça serait pas pire.
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mes plafonds ravagés préfigurent-ils le délabrement prochain de mon psychisme, si je le livre aux hallucinogènes, même microdosés ? |
Après un moment d'épouvante, je sors de l'apathie, prends conseil, contacte un bureau d'étude gros oeuvre, fais réaliser un diagnostic, me vois préconiser des solutions, commence à les mettre en oeuvre. Agir, c'est assez radical contre les angoisses, en fait. A condition d'avoir un peu réfléchi avant, et si possible dans le bon sens.
En parallèle, j'ai convaincu un ami de longue date de lire le très Saint Livre de Michael Pollan répandant la Bonne Nouvelle du Retour en Grâce des Psychédéliques. Contre toute attente, celui que je nomme parfois le Sage du Sud-Est, sans me moquer, et qui me traite parfois de Pas Sage du Nord Ouest, en se moquant mais gentiment, s'enthousiasme à son tour pour le récit du journaliste, et décide d’expérimenter, tout d'abord le micro-dosage de psilocybine, car nous sommes déjà bien avancés en âge, et on n'a pas que ça à fiche de s'exciter sur des mots qui parlent de choses, mais qui ne sont pas la chose, car nous jouons désormais au mieux le dernier tiers du temps imparti, et pas franchement le meilleur, au dire des Anciens qui nous ont précédés dans la soixantaine et au-delà.
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==> pour ceux que ça intéresse, le microdosage est une pratique qui consiste à prendre des doses extrêmement légères d’un médicament ou d’une substance. Elle est couramment utilisée pour profiter des bienfaits potentiels de substances psychédéliques telles que les champignons/truffes magiques et le LSD tout en minimisant les effets plus intenses et potentiellement indésirables de ces substances.
La quantité exacte d’une substance qui constitue une microdose varie selon votre poids et la substance consommée en particulier. Cependant, pour le microdosage, la règle générale est de prendre à une fréquence régulière (par exemple tous les trois jours) une dose entre 1/10 et 1/20 de la force d’une dose récréative.
Quand mon peyotl aura poussé de 10 cm, vers 2035 d'après leur vitesse de croissance actuelle, je te reparlerai de ce besoin de clean intégral, que je ressens comme préliminaire à un trip à la mescaline ou à la psilo; d’ici là, j'éteins mon ordinateur, sauf pour l'administratif, j'instaure enfin un vrai moratoire sur le cyber, et je passe tout l'automne 2022 à observer mes pensées, une heure par jour sur mon petit banc de méditation. J'ai une vue imprenable sur mes égouts, et fin décembre je me casse le pied sur le port, ce qui met brusquement fin au séminaire.
(à suivre...)