Printemps 1981. De dos, on devine sa soeur cadette. Sauf qu'on peut pas deviner. |
J’irais bien à ton enterrement, mais je me vois mal débarquer, la gueule enfarinée, après presque 40 ans d'un silence partagé, ni explosif ni vraiment complice, plutôt indifférent. Je me sentirais comme un vieux crocodile, ou un requinou riquiqui tardivement attiré par l’odeur du sang qui s'attarde un moment au-dessus du lagon, et cet irrépressible besoin qu’ont les survivants des événements tragiques de manifester leur grégarité (et réaffirmer leur solidarité une et indivisible !) quand l’un d’entre eux tombe à la baille. C'est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases.
Bref, je me sens suspect.
Indépendamment de ma peine.
Et j’ignore tout de l’accueil qui me serait fait dans ta famille.
Quand à savoir si ça te ferait plaisir de me voir là, je n'en sais rien.
Quand tu étais vivante, je progressais parfois dans l'intention de reprendre contact avec toi. Je n’avais pas encore trouvé de prétexte satisfaisant. Même avec le cancer devenu un de nos dénominateurs communs, je ne me voyais pas revenir vers toi, affichant la chaude camaraderie qui rêgne au sein des amicales laïques de métastasés. C’est pourtant très enrichissant pour les malades de parler avec d’autres malades, comme aux AA.
Désormais, la messe est dite. Et bien que le terme "être morte" me semble inexact pour désigner un passage plutôt qu'un état, je n’ai plus besoin d’aucun intermédiaire pour te reparler. Allons-y gaiement, alors, autant que faire se peut dans le respect de la dignité de la personne humaine fraichement décédée et pas vue depuis 40 ans. Enfin, ça, c'est ce que je croyais, avant d'en discuter avec ma femme, qui évoque nos rencontres, apparemment fréquentes, avec toi, tes enfants et ceux de la tribu Bar**x dans les années 90, réunions dont je n'ai pas remembrance, mon inconscient fait fait fait c'qu’il lui plait plait plait pour te mythifier maintenant que tu es partie, la voie est libre pour occulter tous ces souvenirs dérangeants pour ta légende en cours de réécriture frénétique, car j'aimerais parvenir à une conclusion bien-pensante et bien pensée du genre « pleurer les morts, ok, mais prendre soin des vivants, c’est au moins aussi utile » avant l'inhumation prévue mardi prochain, mais je n’ai aucune garantie d’atteindre ce but dans les délais. Et hors délais, ça serait encore pire.
on n'a pas fumé que des Camel, mais elles étaient à 3,10 alors que la baguette de shit (soit-disant à prix coûtant !) frôlait déjà les 100 FF. |
De plus, tu fus tout de suite très amoureuse. Au point d'abandonner la fac de Rennes, et de me rejoindre à Montpellier, où je démarrais d'incertaines études de psychologie.
Je t’avais séduite en t’écrivant des lettres. Une par jour, pendant plusieurs semaines. Auxquelles tu répondais avec le même empressement, et des collages de photos découpées dans des magazines.
C’est dire si on était loin du Réel. Mais en artisan du bla-bla orienté badinage artistique, j'en avais sous la godasse, même si j’en suis toujours pas revenu que ça ait marché.
Dès que nous fumes en couple, je compris rapidement que les femmes n’étaient pas ces créatures éthérées se nourrissant de Claire Lumière et de bisoux dans le cou avec lesquelles je les confusais, du haut de mes 17 ans de branleur qui avait beaucoup lu, mais encore rien vu, ni bu, mais bien des êtres de chair et d'os, de sueur et de larmes, incarnées dans l'ici et le maintenant avec intensité et ténacité, et dont la santé exigeait des soins et une attention délicate et bienveillante, ce à quoi mon éducation de geek petit-bourgeois / Narcisse en pot m'avait peu préparé.
C'est à tes côtés que j'en pris conscience, et c'est à toi que je le dois.
Grâces t’en soient rendues.
Les travaux sont toujours en cours.
Découvrant et cédant ensemble aux joies simples d’une sexualité épanouie, d’une consommation effrénée de stupéfiants et de la miséricordieuse hébétude qui s’ensuit si tu l’accompagnes du disque de King Crimson qui va bien, il serait tentant de céder aux sirènes de la nostalgie, et d’étiqueter tout le pack comme nos meilleures années étudiantes, même si nos notes n’étaient pas très bonnes quand nous nous rappelions d'aller passer les partiels à la fac.
Nous fumes insouciants, inconséquents, et finalement inconstants l'un avec l'autre, et ce fut un beau gâchis. Nous rîmes, nous bûmes, mais surtout nous fumâmes, bien plus que de raison. Nous ne tombâmes point dans l’abîme, mais on ne pouvait pas impunément s'injecter autant de Thiéfaine par les oreilles et inhaler autant de chanvre indien, et en même temps demander à sortir de notre brouillard par le haut. On a partagé entre 1981 et 83 un goût immodéré pour l’amour physique, les cigarettes mal roulées, le rock progressif. On bricolait un peu pour pouvoir payer le loyer. On aurait pu devenir les Leslie et Kevin de notre génération, mais c’était surtout pour financer notre consommation personnelle, et on n’avait clairement ni l'ambition, ni les moyens. Et l’époque était moins violente.
Leslie et Kevin : non seulement ils sont morts, mais en plus ils sont pas du tout ressemblants. |
A l'époque, je me suis retrouvé une fois à l’arrière d’une voiture avec un flingue sur le ventre et un rasoir sous la gorge pour conclure une transaction commerciale qui a tourné court, mais j’étais déjà retourné chez mes parents la queue basse, et ce n’était plus lié à ma relation avec toi, mais une aventure avec mon Pygmalion, pour qui je faisais une Galatée pas tout à fait présentable, mais en fait ça l'arrangeait bien. Et ça a été riche d’enseignements, de me faire dépouiller de mes économies, et bien plus efficace qu’un clip de prévention du ministère de promotion du CBD.
je n'ai rien compris à ce schéma, mais je le trouve très réussi. |
Je n'ai pas été son Arthur H aspiré. |
Pauvre Marie, pauvre de moi avec mon cyber-hubris à la con, et pauvres de nous et de nos amours disparues au vent mauvais.
J’ignore totalement quelle personne tu es devenue ensuite, et n'ai pas cherché à l'apprendre.
Comment tu as aimé tes enfants.
Comment tu as géré la vie qui t'était proposée.
Ce qui fait chier, surtout, c'est que tu n'auras pas longtemps profité de ta retraite, bien que j'ignore si tu l'avais atteinte.
Tu serais une raison nécessaire et suffisante pour que Macron enterre sa réforme, mais au lieu de ça, c'est toi qu'on va enterrer. C'est injuste.
"Le monde est l’endroit dont nous prouvons la réalité en y mourant.” disait Salman Rushdie, et ça se vérifie à chaque fin de vie, plutôt rapprochées ces temps-ci. Et c'est de mon âge.
Il corroborait ainsi Louis-Julien Poignard, le président à vie autoproclamé du Groupe de Réalité Réelle Ratée, qui se console actuellement de son récent veuvage en Thaïlande, et que j'avais sollicité à l'époque pour m'aider à me tirer du guêpier toxique qu'était devenu pour moi la rue Louis Figuier.
Ce jour-là, Louis-Julien m'avait rendu un fier service en validant mon malaise et me suggérant que oui, je ferais mieux de me tirer de là. Brusquement, trente ans plus tard, un autre jour où je l'interrogeais sur la différence entre la réalité et le Réel, parce que les lacaniens dans son genre semblaient faire le distinguo et pas mal de chichis autour, il me répondit : « Quant au Réel, il fait parfois irruption dans la réalité. Généralement sur le mode platane vu de face et de trop près aux alentours de cent soixante km/h. Donc, il est prudent de ne pas trop le convoquer. »
Et le disque des Sax Pustuls que Marie avait ramené de Rennes, et qu’on écoutait en boucle, commençait par : « absurdité du réel... brutalité des sentiments », et c’était tout elle.
Il est en vente gratuitement dans cette salle, ou plutôt à l’annexe.
Pour le reste, ici s'arrête cette évocation de "ma" Marie, celle que j'ai connue et aimée.
Que la terre lui soit légère.
Vrai qu'elle était sacrément jolie en aout 82. Ma femme m'a fait jeter toutes les photos de mes ex... dont certaines auraient peut-être pu rivaliser...
RépondreSupprimerSuis allé voir un concert ce soir d'une fille dont je suis fan depuis longtemps mais qui s'est malheureusement enlaidie à vitesse grand V mais qui est toujours aussi drôle. Elle a raconté pendant le concert qu'elle a quitté un beau mec qui était aussi beau qu'il était con et qui lui criait dessus qu'elle était de plus en plus en surpoids. Elle lui a dédié la chanson d'anti-amour qui s'appelle "j'ai oublié" https://youtu.be/fl5FKzl9QII
Chanson géniale et sublime. Je ne sais pas trop quoi penser de cet enlaidissement alors qu'elle a peut-être 20 ans de moins que moi. Pourquoi donne-ton tant d'importance à la beauté?
Les bouddhistes se rasent le crane parce qu'à l'époque du Bouddha les cheveux était un attribut de beauté... et se raser le crane était le signe qu'on ne s'attachait plus à sa beauté physique. Je me suis rasé le crane pour la raison inverse parce que aujourd'hui il vaut mieux avoir le crane rasé que les cheveux blancs. Ma femme et ma caissière de super U me préfèrent le crane rasé. Et je n'ai toujours pas abandonné le désir de plaire. Tristesse.
la photo de l'ex peut sembler un instrument du Démon, (diabolus => du grec byzantin διάβολος, diabolos (« qui désunit ») envoyé par le Malin pour faciliter la fragmentation intime de celui qui la regarde en se disant « vivement hier, qu’on remette ça »
RépondreSupprimermais en fait, toute l’intention est dans l’oeil du spectateur qui contemple ce fragment du passé.
Merci pour le clip de Pi Ja Ma, je me demande si l’enlaidissement n’est pas dans ton oeil, ou un jugement que tu portes sur elle pour que ta femme te laisse tranquille.
Le désir de plaire, c’est le verso de la crainte d’être rejeté.
C’est pas mon blog que tu vas croiser des filles en état de compatir.
Au risque de passer une fois de plus pour un horrible pédophile... Pauline apparait dans ma vie en 2014 et je suis un fan de son vlog depuis le début https://www.youtube.com/watch?v=diugtKThSDQ
RépondreSupprimerEt samedi soir elle m'a fait horriblement pensé à Coluche qui n'était pas le plus sexy des humoristes.... Les femmes doivent-elles à tout prix être sexy?
je tends vers le finalisme : les femmes ont été faites sexy pour une raison majeure : éviter l'extinction de l'espèce (parce que certains mecs ont été faits sexy aussi, mais ça a l'air de t'en toucher une sans faire bouger l'autre)
RépondreSupprimeret la beauté fait partie des caractères sexuels secondaires qui favorisent la compétition entre mâles, comme ça c'est les plus "performants" (aptes à la survie et au pissing contest) qui finissent par se reproduire.
La vraie question pour moi c'est plutôt "pourquoi la beauté féminine est-elle une super- cacahouète pour l'égo masculin ?"
puisqu'au bout du compte, elle ne se mange pas en salade...
ça s'appelle un ATAVISME :
RépondreSupprimerTous, tant que nous sommes, avons en nous "quelque chose" qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c'est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s'éternisent chez les humains. Mais ce n'est grave et dangereux qu'autant que nous en sommes inconscients. C'est alors seulement que nous agissons en gorilles. C'est alors seulement qu'avec l'habileté infaillible qui marque du sceau de l'inconscient nos comportements ataviques, nous découvrons les moyens de parvenir à nos fins souterraines. Nous trouvons les astuces qui nous permettent de conserver et même d'appesantir notre autorité de singes sur ceux qui, en raison de notre mortelle ignorance des rudiments d'une biosociologie à peu près scientifiques, sont restés sans défense contre des classes dirigeantes restées elles-mêmes à la merci de leurs instincts de primates.
... Ne jetons la pierre à personne : il s'agit d'une motivation atavique qui asservit nécessairement tous les hommes tant qu'ils n'en sont pas conscients. (cours d'initiation à l'orthologique, leç 4 p.3)
Coucou où en est tu avec la psilocybine ? Et as tu arrêté le lithium définitivement ou as tu repris ? Ta bipolarité est elle stabilisée aujourd'hui ?
RépondreSupprimerJe suis curieuse car moi aussi je me sevre du lithium afin de faire du micro dosage avec la psilocybine. J espère avoir ton retour d expérience. Bonne journée à toi
Je n'ai pas repris le lithium. J'alterne des périodes de plusieurs semaines de micro dosage et d'autres périodes où je ne prends rien du tout. J'ai aussi essayé ponctuellement de prendre des doses un peu plus fortes de truffes magiques mais pour l'instant il n'y a pas encore eu de rencontre déterminante entre le consommateur et le produit. C'est peut-être mieux comme ça vu mon parcours dans l'addiction. Finalement j'ai obtenu plus de résultats avec le micro dosage qu'avec des tentatives psychédéliques un peu plus corsées. Il faut dire que les truffes que l'on trouve dans le commerce ne conservent pas leurs propriétés très longtemps, même en les gardant au frigidaire. Si j'arrive à quelque chose de concluant j'écrirai sans doute un article.
RépondreSupprimerSi il te reste un peu de champis tu peux aussi tenter de passer par la porte 48
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=3lCoOLowPjg
RépondreSupprimerAh oui, Byron Metcalf.... j'en connais une bonne avec Byron Metcalf.
Supprimerhttps://johnwarsen.blogspot.com/2019/10/lavocat-du-diable.html