lundi 28 juin 2021

Problèmes de succession

After one look at this planet, any visitor from outer space
would say "I want to see the manager"

William Burroughs

L'existence du Mal n'implique pas forcément celle du Malin, le deuxième principe de la thermodynamique (le principe d'entropie) y suffit amplement; tout comme l'existence du Bien n'implique pas celle de Dieu, qui, même s'Il existe, n'est pas souvent au bureau, et n'en a pas l'apanage. Le Bien, c'est ce qui est mieux que si c'était pire, et c'est la tâche de l'Homme. Dans la mesure où il l'accepte, en conscience, parce que s'il botte en touche et s'il préfère continuer à jouer les super-prédateurs qui se fout des autres espèces animales qui partagent son biotope, pas besoin d'être Cassandre-expert du GIEC pour deviner comment ça va finir :
« La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes, note le résumé technique de 137 pages. L’humanité ne le peut pas. »

si vous voulez sauver l'Humanité, lisez Pif le chien.
L'humanité ? le journal ? celui où je lisais Pif le chien quand j'étais petit ? Pif le chien qui pourrait sauver l'humanité, dans un bel élan de solidarité interespèces comme dans les livres de Baptiste Morizot ?
ça serait bath, mais d'après les experts du Giec, ça ne suffira pas. Adieu donc Pif le chien, adieu les maillots de bain grandes tailles en coton responsable de l'article précédent, adieu les disques de métal progressif expérimental, adieu les bédés à pot catalyptique de Caza et les films prophétiquement irrespirables pré-GIEC de Godfrey Reggio.
Et adieu la série Succession, qui décrit l'incurable arrogance des puissants, leur entre-soi carnassier et autophage, et suggère qu'ils ne renonceront jamais à nous envoyer dans le mur, en espérant que nous ferons ce qu'on nous dit de faire : rester à la place du mort pendant qu'ils sautent de la voiture en marche vers un ailleurs dont ils n'ont pas encore capté qu'il n'existe pas : ce monde n'a pas d'envers où fuir une fois qu'il est en faillite. 

Outrageous metaphor of the human family.
A éviter sans modération.
Qu'on puisse jubiler devant un tel spectacle audiovisuel produit par une grande chaine câblée américaine me contraint à y renoncer préventivement (au bout quand même de la première saison, histoire d'en bien comprendre les mécanismes d'attraction du public cible, éventuellement fasciné jusqu'au malaise) saisi d'un profonde gêne devant le déballage de comportements qui me rappellent bien des saloperies intra-familiales, les gros sous en moins.
Le futur ne ressemble jamais à la projection qu'on a pu en esquisser la veille avec les outils disponibles sur le moment. Mais les scientifiques du GIEC n'écrivent pas les scénarios de Black Mirror (dont le showrunner  Charlie Brooker a estimé qu’il n’était pas sûr que "le public puisse supporter une autre saison pour le moment", ce qui me permet de regarder encore moins de séries, au profit des livres de Rich Larson et des films de SF prétentieux et ratés, négligés depuis plusieurs années. 


Nouvelles de science-fiction asphyxiée :
Rich Larson remplit un réservoir inoxydable
d'avenirs dépités pour attraper des mélanomes
sans se soucier du reste
cet été sur les plages mazoutées.
La couverture évoque aussi
les aventures d'une Schtroumpfette chauve
dans un réacteur nucléaire en panne,
mais je ne l'ai pas encore atteinte.
A court terme, donc, adieu l'humanité, et bonjour les hordes. 
Comme dans « Les derniers rois de Thulé » de Jean Malaurie, qui raconte son séjour parmi une tribu d'Esquimaux très au nord du Groënland dans les années 50 : « Cette vie en groupe repose sur des règles sévères d’organisation sociale. Premier principe : le communisme ; le sol, les terrains de chasse, la mer, les grands moyens de production (bateau), les iglous appartiennent au groupe. Seuls, les instruments de chasse individuels sont propriété privée. L’héritage se limite à la transmission des effets personnels à la veuve ; traîneaux, kayaks, fusils, chiens – s’ils ne sont pas sacrifiés et mis près de la tombe – sont attribués, par le Conseil des chasseurs, généralement aux fils ou aux parents masculins les plus proches (frère, oncle). La société égalitaire, ennemie de l’accumulation et du profit, exige le partage immédiat du gibier chassé. La famille, cellule de base, n’est qu’une commodité de regroupement toute provisoire. La promiscuité sexuelle – d’un sens procréatif certain – a aussi pour but de corriger ce que le couple peut avoir d’aliénant pour les parties dans un esprit de possession réciproque. Chacun des conjoints appartient au groupe et il est bon, dans un esprit d’unité politique, que le couple soit de temps à autre cassé ! » 
Pas de propriété privée, échange de conjointes, Pif le chien de traineau toujours en tête de la meute pour sauver l'humanité, et puis ces Esquimaux qui ne cultivent d'autres désirs que ceux qu'ils peuvent assouvir dans un milieu très pauvre en ressources : je sais, je vends du rêve, mais il en faut bien un peu pour repartir en avant, comme avant. 
Quels critères rendront nos enfants plus aptes à survivre, sur une Terre redevenue hostile et concurrentielle, avec la sélection darwinienne jouant de nouveau à plein entre des espèces inédites qui ne sont pas encore apparues ? Vaut-il mieux leur acheter des bitcoins, des appartements à la montagne,  ou les inscrire à des stages survivalistes animés par d'anciens militaires un peu louches ? On voit bien que nos premiers réflexes risquent de ne pas être très pertinents face à l'ampleur du changement qui s'annonce.
Ces questions sont pour l'instant sans réponse. 
«Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement», plaide le rapport du GIEC. «Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation.»
D'habitude les futurologues ont la belle vie : plus on fait des prévisions à long terme, moins on a de chances d'être détrompé de son vivant. Mais là, on parle d'échéances à moins de trente ans.  Ca va venir vite. Au-delà d'une conversion massive au bouddhisme et à son enthousiasmant concept d'impermanence des phénomènes, il va falloir aller un peu plus loin, car on connait la qualité des décisions prises dans l'urgence collective, sous la pression d'évènements pas très joyeux : quasi-nulle. D'ailleurs, j'ai voté écolo aux Régionales, mais j'ai pas été élu. C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir.
Si Pif le chien ne fait rien pour sauver l'humanité, voici à quoi pourrait ressembler le monde de 2050
(©Aâma de Frederik Peeters)

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