Cyberdépendance virtuelle, auto-addiction, rédemption de l’objet fascinatoire, progrès dans l’intention de pratiquer le bouddhisme.
mardi 24 novembre 2015
Jean-Pierre Filiu : « Contre Daech, le temps est désormais compté »
Une accumulation d’erreurs
« La montée en puissance de l’Etat islamique s’est nourrie avant tout de nos erreurs collectives accumulées. On a vu grossir ce monstre, on l’a vu devenir de plus en plus menaçant et, très honnêtement, on n’a rien fait. Je ne veux pas accabler nos responsables politiques. En France, on a fait tout ce qu’on a pu, mais à l’échelle française. Or on a beau faire tout ce que l’on peut, face à la vulnérabilité du continent européen et à cette menace transnationale à vocation globale, ça ne peut pas avoir un impact décisif…
On voit bien que les Français embêtaient tout le monde, que, dans toutes les réunions européennes ces dernières années, nos partenaires regardaient leur montre en disant : “Les Français vont encore nous parler de la Syrie, ils vont encore nous parler de Bachar Al-Assad…”
Pareil avec les Américains. Je pense que ce n’est que dans la nuit de vendredi à samedi que Barack Obama a compris que ce n’était pas des histoires de « néandertaliens » euro-arabes, mais qu’était en jeu la sécurité du continent, la sécurité du plus vieil allié des Etats-Unis. J’espère beaucoup de cette prise de conscience nouvelle. »
L’ascension de Daech
« Pour ne parler que de la période la plus récente, trois décisions ou non-décisions internationales se sont traduites par une envolée du nombre des recrues de Daech. Il y a d’abord, en août 2013, le refus d’Obama d’intervenir après l’utilisation des armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. Daech met alors des photos des enfants gazés sur tous ses sites en disant : “Voilà le monde et voilà ce qu’on fait aux musulmans dans le monde. Si vous êtes une bonne musulmane, un bon musulman…” C’est la première fois que Daech recrute sur une base “humanitaire”.
Deuxième temps, août 2014, quand la coalition se contente de bombardements aériens : une situation idéale pour Daech. L’organisation compense très largement les pertes infligées par un recrutement accru.
Troisième temps, dont nous venons de payer le prix dans les rues de Paris, c’est l’entrée en jeu de Poutine et d’une forme renouvelée de la guerre sainte, avec sur le terrain des supplétifs iraniens et chiites. Il faut savoir que les avions militaires russes sont bénis par l’Eglise orthodoxe avant leurs missions. (…) Or Daech s’appuie sur un mythe fondateur, une prophétie apocalyptique, celle de la fin des temps. Dans cette vieille prophétie, il y a des batailles en Syrie, dans des endroits très précis où ont justement lieu des combats en ce moment, et puis surtout, il y a des “Roum” : les “Roum”, ce ne sont pas les Romains, ce sont les orthodoxes et, quand les Roum interviennent en Syrie… bingo ! La puissance de la prophétie se met en marche. »
Relever le défi
« On peut gagner cette guerre. Daech, c’est 30 000 combattants, 5 000 Européens, et une idéologie qui peut se démonter en un recto verso. Simplement, il faut s’en donner les moyens. Il faut commencer par faire mentir les prophéties et donc leur infliger au plus vite une défaite carabinée. Sans s’allier pour autant avec les Russes – ni avec Bachar Al-Assad, qui n’apporte rien à la guerre contre Daech. On peut reprendre assez vite les territoires tenus en Syrie par Daech. Et il faut plus que jamais aider et soutenir les “révolutionnaires syriens” qui combattent à la fois Daech et l’armée de Bachar Al-Assad. Ce sont les seuls à pouvoir l’emporter sur le terrain. Envoyer des troupes occidentales serait tomber dans l’énorme piège que nous tend Daech.
Après, il faut évidemment donner la parole aux victimes musulmanes, qui sont l’écrasante majorité, et aux dissidents de l’organisation qui ne peuvent renouer avec la vie qu’en dénonçant ce qu’ils ont vu. Et là, à mon avis, sur le plan militaire et sur le plan de la communication, on peut reprendre l’initiative assez vite, mais le temps est compté, parce que, pour l’instant, ce sont eux qui décident du calendrier, qui fixent les priorités et on voit bien qu’ils nous ont porté un coup terrible. »
Propos recueillis par Alain Frachon et Vincent Giret
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