mercredi 30 janvier 2008

Edmonds XII (12)



Evidemment, si le malaise n’était que musical, on s’abstiendrait d’écouter des disques qui procurent inoportunément l’impression que le train est passé sans qu’on soit monté dedans, (cf posts précédents) et d’ailleurs où pouvait-il bien aller, surtout si notre besoin de s’emplir de musiques nouvelles évoque d’autres besoins plus anciens, et qu’on sait déjà par expérience que le trou à remplir est sans fond, et se dire (sans le faire) que tant qu’à ressasser, autant ressasser des mantras, ils sont là pour ça à condition d’y mettre du coeur à l’ouvrage. Mais bon, sur un blog consacré à l’auto-addiction®, quand on a épuisé le sujet on peut bien passer un peu de musique, ça finira bien par ramener au Sujet, épuisé. Un peu comme le cinéma, la musique et ses personnages hauts en couleur procurent des plaisirs de substitution à tous ceux dont l’emploi de bureau ne comble guère les besoins d’aventure. ET pourquoi la musique ? c’est aussi un monde d’où le doute est banni, ma perception m’informe immédiatement sur mes goûts et mes dégoûts, je n’ai que des certitudes. De là à croire que partager ses certitudes est enrichissant… c’est comme le gars qui lit la presse d’opinion pour être conforté dans les siennes, ça tourne un peu en rond, mirontaine mironton.
Imaginons donc que je me la joue “aspirant-au-buzz musical se poussant du coude dans sa sphère d’influence réduite à lui-même” et que je me fasse l’avocat du démon du téléchargement; moins évident que les filles d’hier, parce que c’est compliqué de mettre un mp3 en ligne sur un blog du Monde, qui réduirait ma logorrhée à la portion qu’on grute; ayant néanmoins retrouvé le goût de la curiosité pour la chose sonore (pour cause de symptôme baladeur, et parce que j’ai toujours été un gros consommateur de musique, cet espace qui s’ouvre à l’intérieur de l’autre sans le recouper) je tombe récemment dans le bureau d’un collègue sur une obscure compilation d’artistes ayant participé il y a quelques années aux Transmusicales de Rennes, festival réputé à juste titre pour défricher de nouveaux territoires. Et qu’est-ce qui accroche mon oreille, mmh ? un groupe disparu, un disque introuvable (le groupe s’appelle Sweet back et le disque Amok, et le temps que je comprenne les implications il est déjà trop tard pour s’esclaffer) que je me procure donc par des voies licencieuses, et ô surprise, c’est pas comme dans les compils des Inrocks quand le seul morceau potable, celui qui justement était sur la compile, vous a fait acheter une daube pleine d’hormones, là tout l’album est du même tonneau. On dirait des sessions instrumentales inédites de Morphine période “Cure for Pain“. Hallelouia, merci ô démon du téléchargement.
Quelques jours de diète sonore font d’ailleurs remonter à la limite du champ perceptif de vieilles rengaines : Johnny Rotten période Sex Pistols ou Howard Devoto période Magazine, ou encore quelques années plus tard les juifs ashkénazes de Minimal Compact et leur cold wave existentialiste, tous figés/empaillés dans la splendeur primordiale du nihilisme adolescent et jubilatoire, qu’on revisite comme dans un musée, puis qu’on combat avec des antibiotiques à large spectre : faux prêcheurs farceurs d’Alabama 3, ambient-dub de Bill Laswell, qui n’a jamais eu un jeu de basse extraordinaire, mais qui s’est toujours retrouvé au centre de collectifs hallucinants, et c’est peut-être ça la Sagesse, de savoir bien s’entourer, et qui a joué avec tellement d’avant- gardes expérimentales, qui vont du total planant au trash-jazz-métal en passant par une palette de styles musicaux étonnants, dont certains qu’il a inventés lui-même, qu’on se demande quand il a trouvé le temps de dormir, d’aller pisser et d’épouser la chanteuse éthiopienne Ejigayehu Shibabaw (gasp !), lui qui est à la musique moderne frappadingue ce que Steve Roach est au new-age mou du genou : le nouveau Balzac, et je n’en reviens toujours pas de découvrir des allumés qui passent leurs nuits à faire partager leur passion, certes au mépris des droits d’auteur, mais c’est quand même moins prévisible et plus audiovisuel que mes lancinances et rotomontades d’ex-futur rock critic… ceci dit, si je perds mon temps à écrire cet article en faisant comme si je voulais en venir quelque part, alors qu’il serait si simple de mettre en ligne l’intégrale de King Crimson remixant Gérard Manset et tout le monde verrait de quoi il retourne, il est normal qu’en retour je tente de vous faire perdre le votre, je veux dire, c’est humain… bon c’est vrai que je connais aussi des mecs qui mettent à la disposition de leurs frêres affamés leurs collections persos de photos de cul sur des serveurs plus ou moins accessibles, et qu’à une époque tant d’admirable philantropie me scotchait grave à mon écran, me mettant la larme à l’oeil et la goutte au nez… mais aujourd’hui je trouve ça moins élégant que de proposer de la musique en ligne, surtout si elle est très difficilement accessible ailleurs, alors que les robinets à porno sont omniprésents, et diffusent à l’envi leur totalitarisme soft (selon l’expression de Baudrillard) ou hard (selon la tronche défaite de ceux qui ploient sous son joug.)
Après tant d’excès et de rapines sonores, on se surprend à rêver la nuit de gens malhonnètes et de ruelles non éclairées, dans lesquelles on n’ose s’aventurer parce qu’on se doute bien que ce qui nous y guette tapi n’a rien du comité de quartier. Les souvenirs soit-disant personnels deviennent plus précis mais moins accablants qu’on croyait. Si on réussit momentanément à refaire un film tragique à partir du stock mémoriel, l’instant d’après on n’y croit plus, et puis qu’est ce que ça sera dans 20 ans si on n’essaye pas de changer de disque, même en ayant pris la mesure de l’inertie du navire, de moins en moins maniable au fur et à mesure qu’il accomplit son trajet vers sa destination finale et inconnue, ses cales emplies d’un amer bitume ?
“cause the righteous truth is there aint nothin worse than some fool lyin on some third world beach in spandex psychadelic trousers smokin damn dope, pretendin he gettin conciousness expansion, I want conciousness expansion I go to my local tabernacle and I sing!


Alabama 3 “Ain’t Goin’ To Goa” (1997)

Commentaires

  1. A propos de Steve Roach, tu connais “Secret Rooms” de Kevin Braheny ?
  2. non, mais je viens de le trouver là (encore un site de partage, et j’ai même pas fait exprès, décidément…) http://stigmarestroom.blogspot.com/2007/05/kevin-braheny-secret-room-1991.html
    à la première écoute, ça me rappelle plus Vangelis que Roach… et les sons synthétiques m’en semblent bien naïfs…mais vu ce que j’écoute en ce moment, je me rappelle que quand je buvais beaucoup de mezcal je trouvais que la tequila c’était de la flotte… et que quand je trouve quelque chose cucul, j’ai intérèt à gratter pour voir s’il n’y aurait pas une vraie émotion derrière.
  3. Si je l’ai cité avec Steve Roach c’est qu’ils ont fait un album ensemble, Western Spaces (pas inoubliable), et la piste 6 de Dreamtime Return 1 sent très fort le Braheny aussi, mais je ne sais plus où j’ai mis la pochette du CD pour vérifier.
    Ce que j’aime surtout chez lui c’est son violon synthétique qui a une texture sonore très intéressante (et qui est l’élément principal de Dreamtime Return 1-6).
  4. p’tain c’est super-technique comme discussion mélomaniaque… j’ai du mal avec tout ce qui est narratif chez roach, je préfère les immersions ambient gloubi-boulguesques. Bon comme c’est toi la prescripteuse, je vais réessayer dreamtime return, je te l’échange contre les tibétains de mon nouvel ami (essaye de trouver sa photo, c’est une publicité vivante pour ce qu’il écoute)
    http://music-share.blogspot.com/2008/01/3-laswell-ambient.html
  5. Trop chiants les tibétains… Pour le reste, rassure-toi, on n’est pas obligés d’avoir les mêmes goûts musicaux.

mardi 29 janvier 2008

Dém-onze (11)



Ca c’était d’la musique, bon diou !

Janvier c’est pas toujours un mois super-génial, même en imaginant Nicolas et Carla bien au chaud dans leur petit nid douillet, tout vibrillonants d’amour. On repart dans le passé, moins invivable, mais moins accessible. Aiguisé par un article dans Rock et Folk, ou électrisé par un morceau écouté clandestinement sous les couvertures chez Patrice Blanc-Francard ou Bernard Lenoir, qui officiaient nuitamment sur France Inter, affamé dès le lendemain matin de nouvelles claques acoustiques, on dépensait jadis tout son argent de poche en vyniles prometteurs, qu’on ramenait transi d’espoir d’une escapade en vélo au Mammouth de Palavas, mais il fallait parfois plusieurs semaines pour apprivoiser la galette, tant la première écoute pouvait s’avérer rugueuse et déroutante, nous élargissant sans pitié le paysage musical - soumis à cette époque à une expansion qui semblait ne devoir jamais prendre fin… mais on en voulait pour son argent, donc on relisait religieusement l’article prescripteur signé de Philippe Manoeuvre (qui ne s’était pas encore discrédité en passant à la télé) s’imprégnant jusqu’à plus soif de ses justifications autoréférentes, pour se persuader du bien-fondé de notre achat, et on remettait le disque sur la platine jusqu’à ce qu’il soit intégré à notre oreille et acquis à notre sensibilité, pour ne pas dire rallié à notre cause; car à 17 ans on écoute de la musique comme on brandit un étendard. Le mauvais haschich avait tôt fait d’ouvrir les portes de la perception sonore et d’extruder des paysages en 3-D et en temps réel, s’il vous plait (dix ans avant les premières images de synthèse, les images fixes de théières sur fond d’océan glauque qu’on découvrait à Imagina) à partir du premier sous-Pink Floyd venu.

Et puis avec l’âge et la technosphère vint le téléchargement et ses heures sombres, et pas uniquement pour l’industrie du disque, où l’on crut qu’on allait enfin pouvoir assouvir ses désirs insatiables, sans prendre garde à la contradiction dans les termes, on pensait pouvoir s’redilater à nouveau les horizons et pourquoi pas revoir s’ouvrir la Mer Rouge, ou à la rigueur ta mère noire, compensant le haschich perdu par la foi et la sensibilité musicale retrouvées… mais en vain, car en chemin on se perd complètement, et on se retrouve assez vite à servir la Machine, comme le chante Holden. (ou comme le Floyd, justement, le prophétisait dans Welcome to the Machine), et on maudit les rock-critics depuis longtemps vendus aux enseignes commerciales de continuer à nous le cacher, bien qu’à leur place on aurait fait pareil, d’ailleurs on avait la lâcheté, la médiocrité du mauvais musicien (celui qui ne travaille pas assez son instrument pour savoir s’il a un potentiel ou non) et l’aptitude à engranger des informations inutiles qui auraient fait de nous un excellent rock-critic au lieu d’être ballotés sur les océans de la vie, et rappelons-nous tous les disques qu’ils ont prétendus géniaux et qui se sont révélés n’être que la hype de la semaine, ils mériteraient qu’on les pende avec leurs boyaux aux grilles de la première maison de disques en faillite venue, heureusement qu’ils ont perdu toute crédibilité et qu’ils sont gaiement étrillés par une saine jeunesse, qui plus est féminine, et qui rappelle utilement les fondamentaux en des temps d’avant les rock-critics).

Allez, on remplace la presse spécialisée par la blogosphère, et on recommence, avec des jeux d’influences un peu plus élaborés que les injonctions à “acheter ce disque” mais le principe reste le même pour déclencher le buzz et stimuler le commerce défaillant, à coups d’agrégateurs et de flux RSS, et l’érosion/fractalisation du marché va aller s’accélérant. Quelqu’un qui vendra 150 exemplaires de son cédé sur son site web sera considéré à fort potentiel. Car maintenant que les disques ne valent plus rien (à produire dans de bonnes conditions, si, ça reste assez onéreux, mais à dérober à l’étal, franchement, c’est moins chiant que d’aller à la fnac, et un français sur deux télécharge, et le second n’aime pas la musique) et que l’artiste est relégué au rang de support de promotion pour tourneur de spectacle, maintenant qu’on peut se gaver de mp3 jusqu’à s’en faire péter les disques durs sans débourser un liard, on voit bien que la valeur qu’on attachait aux disques, et cette élévation sacrée qu’ils nous procuraient parfois, dépendait d’un rapport intime et cultuel avec l’objet, un rituel complexe (décrit en début d’article, ami égaré par mon slam saoulant) dont la mécanique semble à jamais endommagée. Et puis les journées n’ont que 24 heures, et la production de musique à priori intéressante excède largement les capacités d’écoute attentive de tout auditeur, tout comme l’accroissement incessant du volume de la production culturelle oblige l’amateur éclairé (et même son frère de lait l’amateur dans le noir pendant la panne EDF) à restreindre de plus en plus leur champ d’investigation.

Idem en sciences, ou dans n’importe quel domaine de la connaissance humaine, rappelons-nous l’idéal de l’honnète homme du 17ème siècle de savoir un peu de tout, il serait mal barré aujourd’hui. Essayez de lire Le Monde tous les jours, ou même Courrier International toutes les semaines, qu’on rigole. En tout cas, à céder aux sirènes du Moloch pire-to-pire, vient le jour où tout skeud ne fait que raviver d’anciennes réminiscences, où toute curiosité est morte, où la musique comme la littérature n’évoquent plus que “perte, tristesse, nostalgie d’un monde perdu, enfance brisée et faucheuse omniprésente” (snif) concepts qui peinent à faire vendre de nouveaux exemplaires de quoi que ce soit, à part peut-être des cercueils. On se sent un peu comme le gros bonhomme dans “Le Sens de la Vie” juste avant qu’il mange l’after eight fatal : on n’en peut plus, on regrette déjà, mais le pire reste à venir.



Commentaires

Impressive ! comme dit la voix-off dans Quake III lorsqu’on met en plein dans le mille au railgun. J’aime bien ton analyse.

Sinon, je trouve toujours aussi marrants tes coq-à-l’âne : on part de bon pied un froid matin de Janvier, on fait un petit coucou en passant à Carla et Nicolas dans un lit douillet, et l’on finit dans le resto chic du Sens de la Vie après avoir traversé en courant le cabinet de travail de Pic de la Mirandole. Qui croirait qu’on est en train de parler de musique et de sa consommation ?

jeudi 24 janvier 2008

Démons (10)

Coincé dans les embouteillages en allant bosser ce matin, en songeant à ce présent gris sale qui préfigure comme deux gouttes d’eau la bande annonce d’un avenir noir pâle sous ce ciel d’encrier qui pèse comme un couvercle mal vissé sur la Loire, réécoutant bien trop fort le premier album des Damned que j’écoutais il y a 30 ans pour me désinhiber de mon éducation plombée, et qui me permet de réaccéder instantanément, avec une intensité inattendue, à l’ancrage acoustico-psychico-spatio-temporel de cette stratégie, de son échec et de la frustration subséquente, je me chope une bouffée de “tiens voilà j’ai 45 ans, et qu’ai-je fait de ma vie ?” (d’ailleurs j’ai stabiloté rageur la tendre résine du cédé “succès de ma jeunesse enfuie, la salope !” alors qu’en y songeant, ma jeunesse est restée là où elle était, c’est moi qui suis passé, parti, emporté par la vie en m’accrochant à ce présent qui devenait déjà du passé, ce qui au passage prouve bien l’inconsistance ontologique du moi, qui n’aurait pas besoin de se raccrocher aux branches basses du matérialisme spirituel s’il perdurait dans sa nature) j’écoute sans l’entendre la musique de ces jeunes gens énervés des débuts du punk, et l’effet est aussi dépressif que des cassettes de développement personnel pour reprendre confiance en soi sur de la musique lénichiante, comme si j’utilisais cette musique pour me lamenter de cette révolte qui n’était pas mienne, de cette violence dont je n’étais pas capable jusqu’à ce que je découvre qu’on pouvait en faire usage contre soi-même et qui est aujourd’hui obsolète, dont les échos moqueurs résonnent dans mon tombeau à roulettes qui m’emporte vers l’usine qui va fermer sans que les ouvriers aient pu se résoudre à passer en salle d’incinération, et je m’autopsie en direct le quart d’heure d’auto-apitoiement grave. Comme je garde les yeux ouverts en roulant dessus à petite vitesse sans en rajouter ni en enlever, le temps que j’arrive au boulot, c’est passé. Et L’album des Damned, je le pose là pour ne pas aller dormir avec.


mardi 22 janvier 2008

Démons (6) (9bis)

J’allais poster le (9) mais Flo me l’a chipé , et je me suis aperçu que j’avais oublié le (6); comme je m’en doutais, y’en a deux qui suivent, mon haltère et mon négro, alias Bave l’éponge et Bob l’épave. Tant pis.

Cher Blog,
je viens de me faire enlever une dent de sagesse, et le dentiste me suggère de garder la bouche fermée pour la journée. Tout à l’heure, tandis qu’il m’extrayait les petits bouts de racine cassés en me récurant vigoureusement la mâchoire de sa pince croco, j’avais beau ne nourrir aucune appréhension inutile et bénéficier de tout le confort anesthésique, je voyais bien que mon âme tentait de se réfugier dans ma chaussure gauche, alors qu’elle n’ignorait pas que c’était une impasse.

Comme j’ai quand même envie de l’ouvrir, je vais condenser ma pensée en tournant sur les deux DDS qu’il me reste. Une résidente du Maroc vient de me prospecter téléphoniquement pour me proposer avec un enthousiasme qu’on jurerait non feint, d’aller chercher des cadeaux que je n’ai pas espérés, et dont je n’ai nul besoin, dans un magasin pas très loin de chez moi, dans le cadre du nouveau programme de harcèlement samsarique mondialisé, et il a suffi que je lui élocutionne péniblement ce que je viens de t’expliquer (”MMOORRFF …ENLEVé DENT DE SAGESSE…MMOORRFF…Peux PAS PARLER… MMAALLL…”) pour qu’elle se confonde en excuses, et je crois que j’ai enfin trouvé la parade à cet affreux spam téléphonique qui fournit de l’emploi à la main d’oeuvre qui n’arrive pas à intégrer physiquement l’Europe mais qui concourt comme elle peut au fonctionnement de ses organes économiques, fussent-ils cancéreux, comme ces organismes vaguement suspects qui vous appellent au moins une fois par semaine pour vous proposer des dégrèvements fiscaux conséquents si vous pouvez justifier de tant de K€ d’impôts annuels, et qui eux se traitent par le frauduleux mais imparable “je ne suis pas imposable” qui les fait vous abandonner, brusquement déconfits.

Le 31 décembre 2007, après avoir installé la nouvelle version de DVD Studio Pro (empruntée à un ami qui tient à conserver l’anonymat) sur mon disque de démarrage, sans laquelle j’étais jusqu’alors confronté à la mystérieuse transmutation de tous les menus de mes DVD de films de famille en caractères cyrilliques au moment de leur gravure, j’ai cru utile de défragmenter ce disque avec TechTool Pro, utilitaire de maintenance pour Macintosh, en espérant un gain conséquent de productivité. J’ai légèrement négligé de vérifier la compatibilité de mon système d’exploitation actuel avec ma version piratée de l’utilitaire, qui m’apparaissait certaine, au mépris d’Aragon (“rien n’est jamais acquis à l’homme”, nous rappelait-il, et chacun connait la difficulté qu’il y a à ne pas anthropomorphiser un disque dur).
L’ordinateur a passé quelques heures à ruminer tous mes fichiers avec de petits bruits flippants de déglutition numérique, à partir d’un disque externe sur lequel je faisais tourner une version légèrement antérieure de mon système d’exploitation, ce qui me permet de parer à différentes éventualités, qui ne tardent pas à croître de façon exponentielle dans le cerveau du geek confronté aux éventuels problèmes d’exploitation de l’usine à gaz que devient nécessairement son ordinateur de bureau qui transforme sa demeure en succursale négligée, en entrepôt désaffecté, et j’ai été intrigué par sa lenteur de défragmentation, même si je tourne sur une vieille bécane de 2001 (l’odyssée de mes spasmes). J’ai compris plus tard que Tech Tool n’arrivait pas à interpréter sa nourriture, et que le résultat de ce mâchouillage ne serait pas celui attendu : après une bonne demi-journée suivie d’une nuit d’exécution des routines, quand j’ai voulu redémarrer du disque d’origine, je me suis heurté à la panne-archétype-de-la-terreur du technicien de maintenance : le système qui plante pendant le redémarrage, avec le message d’erreur qui suggére de redémarrer… désopilante boucle infernale, suivie de l’abattement d’avoir trop ri : on se dit que là, on est allé trop loin, que dès le lendemain (on n’est que le 1er janvier, et déjà à deux doigts de la cybercuite émotionnelle) on abdiquera son habileté, sa prétendue connaissance encyclopédique des trucs à pas faire, et surtout son orgueil, en poussant la porte du premier magasin de fournitures informatiques venu, si on a de la chance on acquerra un utilitaire de réparation, si on en a moins il faudra s’engager dans une procédure plus hasardeuse et plus onéreuse de récupération de données sur système de stockage endommagé, en abandonnant sa machine au bon vouloir et à l’incompétence de techniciens vénaux et méprisants… on se dit qu’on commence bien l’année, que c’est là une preuve supplémentaire de la nécessité absolue de s’extirper une bonne fois pour toutes de ces sables mouvants et chronophages de l’informatique domestique, pour passer à des loisirs moins destructeurs - partager ce temps qu’on s’était promis de jeux et de ris entre les siens, tiens, le petit aura déjà 16 ans dans quelques mois - et si on ne se laisse plus déstabiliser émotionnellement, on est quand même usé par les milliers d’heures qu’il a fallu pour acquérir les routines intuitives qui font de nous un demi-dieu dans les arcanes du labyrinthe que nous avons nous-même tracé, et qui ne servent qu’à rien d’autre qu’à s’en remettre une couche dans la cyber-attitude, savoir-faire d’aucune utilité discernable…
Si ça ne tenait qu’à moi, vu la tournure écologiquement viable qu’il nous va falloir prendre si nous voulons survivre à la facture (en cours de calcul) de notre mode de vie à crédit sur le dos de la planète, je me fabriquerais bien un nouvel ordinateur à partir des circuits hors d’usage de ma chaudière à fuel, mais lors des premiers crash tests, la carte mère en fibre de coco s’est mise à fumer méchamment, peinant à être refroidie par les packs de congélation bleuâtres issus de la glacière à pique nique, et malgré les babas qui nous serinent avec raison depuis des lustres “essaye de te fabriquer ce dont tu as besoin”, force est de constater que nous sommes de plus en plus dépendants de technologies qui nous sont vendues clés et ennuis en mains, pour la maintenance desquelles nous dépendons à 100% d’une des maffias les plus obscures et puissantes qui soient, dont la réparation est aujourd’hui moins à notre portée que de produire de l’électricité pour ses propres besoins si on est un rurbain qui peut se payer un capteur solaire. Mais bon, pousser une gueulante contre le cyber-complot galactique, y’a des blogs spécialisés pour, ne nous complaisons pas dans l’attitude de victime consentante, ça serait pousser le bouchon un peu loin du bord.

Je ne sais plus comment j’ai résorbé la panne infernale, sinon qu’après avoir consulté sur le pécé de ma femme les forums de secours d’urgence aux macs en détresse, j’ai trouvé le raccourci clavier ad hoc qui m’a permis de sortir du cercle vicieux, ou d’y re-rentrer selon l’optique où l’on se place, et j’ai fini par dépanner le bouzin après avoir parcouru plusieurs pistes infructueuses pour en explorer une franchement poétique, avec un bout d’extension appartenant au système 9.2.1 (alors que je tourne sous 10.4.10) retrouvé sur un CD de sauvegardes de bouts de trucs gravé en 2002, l’équivalent heuristique du morceau de sparadrap qui vient à bout de la gangrène, et que ça m’a un peu mangé mon week-end du jour de l’an pour retrouver une situation légèrement inférieure qualitativement à ce qu’elle était avant mon intervention.

Flûte, voici que les beugues se mettent dans mon blog : à force d’invoquer les démons, le (6) a réapparu, je rebaptise donc cet article (9 bis) sans trop m’acharner à vouloir les dénombrer, ça ne ferait qu’empirer. Et je ne rejoins pas pour autant les rangs des conspirationnistes, si le (6) avait disparu c’est sans doute parce que je lui avais sournoisement inclus postérieurement une vidéo dedans et j’avais du tripoter le titre sans m’en apercevoir. La science triomphe toujours du chaos quand elle est au service du confort intellectuel.

Je n’ai pas voulu suggérer de conclusion à l’article, sinon la figure imposée qu’en 2008, en ce qui me concerne, je propose de mettre un terme à cette quincaillerie sans conscience qui n’est que ruine de larmes, et dont le lancinant babil n’est pas sans rappeler les grincement obtenus par Bill Laswell en frottant une fourchette sur du métal rouillé.

Commentaires

  1. Un prof de mathématique nous racontait que Neper avait inventé le logarithme dans le seul but de compter les démons. Est-ce une jolie légende ? je n’ai pu retrouver cette information nulle part. Mais c’est une idée bien utile lorsque tu en seras au post Démons (13734983).

  2. “Plus j’essayais de les compter, plus ils se multipliaient” observais-je dans le songe qui inspira le premier article de la série Démons. D’ailleurs,je ne suis pas très féru de théologie mais il me semble bien que les professionnels de la profession insistent bien sur le côté indénombrable.
    Et je sais bien que tout en recensant un certain nombre d’entre les miens, il m’arrive de les créer du regard.
    Sur Neper, j’en connaissais une autre, qui disait que la progression géométrique des motifs de la toile d’araignée répondait à la fonction mathématique du logarithme népérien, que la bestiole “extériorisait” de façon innée, sauf lorsqu’un chercheur farceur (il y en eut) lui avait fait ingérer de la mescaline, et là il faudrait que je retrouve la photo, parce que ça ressemble à tout sauf à une toile d’araignée.

  3. J’ai vu ces photos. D’autant que je me souvienne, ces petites bestioles supportent assez mal la caféine, aussi : c’était la toile la plus abominablement débile de la série…

samedi 19 janvier 2008

Démons (8)

Devant moi, une black entre à la Fnac, traînant derrière elle une énorme valise tachetée façon léopard. Mû par une impulsion naturelle, je la rejoins et lui propose de porter sa valise. Elle me dévisage sans mot dire, m’abandonne son lourd bagage et se dirige vers les rayons. Je tente de la suivre mais elle me sème rapidement. Je me dis que je suis condamné à revenir hanter ce rêve jusqu’à ce qu’elle puisse récupérer sa malle, préposé à la consigne onirique. Je regarde la valise, qui est maintenant d’une ignoble teinte beigeasse, comme celle de mes grands-parents quand ils venaient chez nous en week-end dans les années 60. Sur la fin de sa carrière, mon grand père a fait de longs séjours en Afrique pour le compte du BIT (on ne rit pas du Bureau International du Travail) et nous envoyait du Cameroun des cartes postales pleines d’éléphants, de zêbres ou de crocodiles, qui nous laissaient rêveurs. Au réveil, je pense que maintenant que je sais à qui appartient réellement cette valise, je ferais mieux de l’ouvrir plutôt que de la trimballer partout. Mais ça va pas être facile : il y a quelques jours, j’ai rêvé de mes grands parents, j’étais dans le salon de leur maison de C** et ils se présentaient à la porte de la terrasse. Pas de problème avec ma grand-mère, mais j’étais saisi d’une terreur glacée à l’idée de laisser entrer mon grand-père dans sa propre maison; dans le rêve, j’ai clairement conscience qu’il est mort et enterré, donc que celui que je vois est un fantôme affamé, dont je sens la malveillance rayonner comme de la radioactivité autour de lui (en me remémorant le rêve, je sens qu’il est possible que sa propre terreur à se voir réincarné en fantôme, lui qui fut un indécrottable matérialiste, soit à l’origine du rayonnement maléfique) et je lui envoie à la figure le verre en pyrex que je tiens à la main ; il s’éclate contre le chambranle de la porte, des éclats volent en tous sens et lui interdisent de franchir le seuil.
C’était un article de thérapie transgénérationnelle, reste plus qu’à trouver le thérapeute.

Commentaires

  1. J’aime bien la chute de la BD. Je vois qu’à propos de thérapie transgénérationnelle, on a subi le même type de chantage idiot.

  2. Pour ne pas faire d’erreur d’interprétation, peux-tu s’il te plait développer cette notion de chantage idiot et me dire à qui elle s’applique ? parce que pour tout te dire, j’ai déjà du mal à savoir de quoi je parle, et pourtant j’essaye de clarifier tout ce qui peut l’être, même si mon rappel de rêves est très fragmentaire et leur interprétation tragiquement freudienne, et je ne cesse actuellement de reprocher à certains leur tentation pour l’hermétisme, alors qu’ils ne font sans doute que “résumer” leur pensée dans des termes qu’ils croient à la portée de leur interlocuteur, présumant un référent implicite commun, bref je ne vois pas.

  3. >> peux-tu s’il te plait développer cette notion de chantage idiot et me dire à qui elle s’applique ?

    Quand j’étais petit et que je voulais pas manger ma soupe, ma môman me disait : pense à tous ces petits biafrais qui meurent de faim…

  4. ah oui, c’est furieusement transgénérationnel de reproduire le même genre d’argument débile…

dimanche 6 janvier 2008

Démons (7)



Le 31 décembre 2007, l’oeil aguiché par son sticker fluo, j’ai acquis à vil prix un gigot d’agneau dans les bacs “bidoche en promotion” du Super U; il était clairement référencé comme provenant de Nouvelle-Zélande et devant être consommé dans les meilleurs délais. En l’attrapant par le manche, j’ai brièvement été en contact avec les tonnes de fuel qu’il avait fallu pour l’apporter jusqu’à si près de chez moi, aux milliers d’intermédiaires qui l’avaient élevé, transporté, vendu, mis en rayon, et dont la survie dépendait de la pérennité de cette hérésie écologique : un animal qui a vécu de l’autre côté du monde pour finir mangé en promo - je ne rappelle plus du prix exact, mais c’était autour de 20 euros le kilo et demi - et déréguler l’agriculture locale pourvu que quelques sesterces changent de poche. Mais ma conscience écolo a un prix au kilo, et puis que voulez-vous, quand on ne boit ni ne fume, que les sirènes du sexe, du rock’n'roll et de la drogue se sont tues, ou qu’on s’est enfoncé le coton tellement profond dans les oreilles pour ne plus les entendre qu’on ne peut plus les retirer, il arrive de se laisser tenter par un gigot, selon le principe entendu lors d’une retraite bouddhiste l’an passé : que nous obtenions (ou pas) ce que nous désirions, nous nous mettons alors à désirer autre chose. Il faut nous mettre en route vers autre chose que ce fluctuant et perpétuellement changeant objet de nos désirs, et tâcher de découvrir notre condition… Quant au gigot, je pensais le faire cuire dans la foulée, mais comme on rentrait de chez Mamie qui nous bourre toujours la voiture de glacières pleines de volailles, je l’ai congelé et ne l’ai ressorti que ce matin de dimanche. Mais après décongélation, et une fois sorti de son sac sous vide, il a répandu une odeur franchement excrémentielle du côté qui avait le plus chauffé (il était trop gros pour tourner dans le micro-ondes alors j’avais enlevé le plateau rotatif pour ne pas forcer le mécanisme et casser quelque chose), et même rincé, il dégageait ce fumet peu engageant d’étron humain en putréfaction, rappel judicieux de l’impermanence de toute chair qui peut éventuellement disparaitre à la cuisson, mais qui peut aussi foutre en l’air le repas dominical et plus si affinités, à l’innocent cuistot qui en a été le témoin et qui n’a pas du tout envie de prendre le risque d’en faire manger à ses gosses. Un kilo sept de gigot d’agneau zélandais est donc parti à la poubelle, sépulture peu chrétienne pour un animal qui finit si loin de chez lui, mais si je le mets sur le compost c’est ce con de chien du voisin qui va s’empoisonner. Et puis j’ai failli nourrir plein d’émotions négatives envers -le Super U, -le capitalisme, -mon manque de discernement, -ma femme, qui avait remarqué l’odeur pendant que je prenais ma douche post-jogging et qui me gâchait le plaisir de mon achat Malin à plus d’un titre, et qui me dit qu’elle échappe à ce genre d’entourloupes en n’achetant jamais ce genre d’article, -le fric honnètement gagné que je fous ainsi à la poubelle, etc…

Bref, en 2008, je mange des légumes.

Le vrai-faux déclin de la viande
Article paru dans l’édition du Monde du 23.09.07
Enquête.
N’en déplaise à ses détracteurs, la production animale devrait doubler dans le monde d’ici à 2050. Cela impose la mise en oeuvre de pratiques d’élevage moins nocives pour l’environnement
Une bonne grosse côte de boeuf, régulièrement ? Ce plaisir sera peut-être interdit aux générations futures, tant la production et la consommation de viande font l’unanimité contre elles. Au point qu’un nombre croissant de personnes, dans les pays occidentaux, ont déjà décidé d’y renoncer.
La liste des méfaits de la viande est longue. Risques pour la santé, une surconsommation favorisant les maladies cardio-vasculaires, l’obésité ou le diabète. Mais surtout, au niveau mondial, risque de développement des épizooties et danger pour la sauvegarde de la planète. Les productions d’origine animale - viande, oeufs, produits laitiers - sont en effet extrêmement polluantes. Les milliards de tonnes de déjections qui en sont issus engendrent des rejets azotés dans les sols et les rivières. Et l’élevage, à lui seul, représente 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Soit une contribution au réchauffement climatique plus élevée que celle des transports.
Autre point noir de cette production : sa propre consommation. Les pâturages occupent 30 % des surfaces émergées, et plus de 40 % des céréales récoltées servent à nourrir non pas directement les hommes, mais le bétail. Les zones disponibles étant insuffisantes pour répondre à la demande, l’élevage peut provoquer le défrichage de forêts. Il est gourmand en matière première et en eau… En bref, la production animale pose question. D’autant plus que la Terre, d’ici à 2050, aura 9 milliards de bouches à nourrir.
Dans ce contexte, doit-on prévoir la fin de la viande pour ce siècle, ou du moins son déclin ? On serait tenté de le croire. Pourtant, cette vision est contredite par tous les prévisionnistes. Au contraire, c’est à une augmentation de la consommation mondiale qu’il faut s’attendre. De tout temps, et dans tous les pays, en effet, l’augmentation du revenu est allée de pair avec la progression de la consommation de viande. Il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement dans les pays émergents, d’où viendra l’accroissement de la population.
Entre 2007 et 2016, selon les perspectives communes FAO-OCDE, la production mondiale de viande devrait ainsi augmenter de 9,7 % pour le boeuf, de 18,5 % pour le porc et de 15,3 % pour le poulet. Principalement en Inde, en Chine et au Brésil. D’ici à 2050, la production de viande pourrait même doubler, passant de 229 millions de tonnes au début des années 2000 à 465 millions. Il en va de même pour celle de lait. Du fait de la démographie, bien sûr, mais aussi de l’augmentation des besoins en fonction de l’évolution de la population (plus jeune, plus urbaine, plus grande) et de la modification du régime alimentaire.
« Dans les pays du Sud, la difficulté est de permettre aux gens de manger. Ces trente dernières années, la consommation de viande y a diminué drastiquement, surtout en Afrique, et ce manque de protéines animales fait que les gens sont en état de malnutrition », rappelle Renaud Lancelot, chargé de mission santé animale au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Bruno Parmentier, directeur d’une école d’ingénieurs en agriculture, estime quant à lui que l’évolution de la consommation de produits d’origine animale dépend de trois grandes questions, qui montrent le lien étroit entre consommation de viande et pratiques culturelles. La religion hindoue, comme la religion catholique, va-t-elle décliner, et, dans ce cas, l’Inde va-t-elle consommer beaucoup de viande ? Les Chinois vont-ils se mettre à boire du lait si on leur propose un produit qu’ils parviennent à digérer ? Les Occidentaux vont-ils continuer à manger du porc, si ce dernier devient un réservoir pour les transplantations d’organes ?
Quoi qu’il en soit, une nouvelle répartition géographique de la consommation devrait se mettre en place, qui consistera en un double mouvement de balancier : diminution de la ration carnée dans les pays riches, où il y a excès, et augmentation dans les pays pauvres, où il y a carence. De quoi combler un peu la disparité actuelle : si l’on consomme dans le monde, selon une étude publiée par la revue médicale britannique The Lancet (datée du 13 septembre), 100 grammes de viande par jour et par personne, ce taux moyen atteint 200 à 250 grammes dans les pays développés, et plafonne entre 20 et 25 grammes dans les pays pauvres.
« Si l’on considère que la population globale va augmenter de 40 % d’ici à 2050 et si aucune réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au bétail n’intervient, la consommation de viande devra baisser à 90 grammes par jour et par personne pour stabiliser les émissions de ce secteur », affirment dans The Lancet les auteurs de l’étude. Il faudrait donc, d’ores et déjà, inciter les consommateurs des pays riches à prendre conscience des dégâts provoqués par leur consommation abusive. Et envisager au niveau mondial, non pas de produire moins, mais de produire autrement, afin de réduire les effets négatifs de l’élevage sur l’environnement.
Comment suivre les préceptes de la FAO, selon laquelle les coûts environnementaux par unité de production animale devraient « être réduits de moitié, ne serait-ce que pour éviter d’aggraver le niveau des dégâts » ? En incluant, comme le suggère son chargé des questions animales Grégoire Tallard, « le coût environnemental dans le prix des viandes », selon le principe du pollueur payeur ? En privilégiant la consommation de volailles, écologiquement moins agressive que d’autres productions ? La FAO préconise également l’amélioration des pratiques d’élevage. Une des pistes fort attendues concerne le séquençage des génomes complets des principales espèces (en cours pour la plupart), qui devrait permettre d’accélérer les sélections et de faire coïncider, par exemple, rusticité (donc résistance aux maladies) et productivité.
Les recherches se concentrent par ailleurs sur des rations alimentaires du bétail plus économes, ou encore sur le système digestif des ruminants. La fermentation entérique des bovins (productrice de méthane, lequel agit vingt-trois fois plus que le CO2 sur le réchauffement climatique) pourrait ainsi être mieux maîtrisée. Par exemple par l’utilisation d’additifs alimentaires à base d’huile végétale. Ou encore grâce à une ration plus concentrée en céréales. « Nous avons mené une expérimentation sur de jeunes taurillons et avons ainsi réussi à les faire grandir plus vite, ce qui permettait de réduire les émissions de méthane », explique Jacques Agabriel, zootechnicien à l’INRA de Clermont-Ferrand. Mais la production animale étant un système complexe, ce qui confère ici un avantage écologique entraîne là un inconvénient économique (une plus grande consommation de céréales). D’où la nécessité, pour faire émerger un système d’élevage durable, de s’orienter vers une approche globale. A l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), un groupe de réflexion sur la place des produits animaux dans l’alimentation, qui réunit sociologues, zootechniciens, économistes, nutritionnistes et agronomes, s’est déjà attelé à la tâche.
Alors qu’on parlait il y a dix ans de désintensification des systèmes de production, ce concept a été remplacé par un autre : celui d’agriculture écologiquement intensive. La question de la viande est un excellent exemple de cette quête.

Commentaires

  1. Dans ma quête de sobriété, il y a aussi une réduction importante de ma conso de viande, qui est aussi l’expression d’une résistance à l’industrialisation de l’agriculture. J’ai lu dernièrement l’Etoile de l’Aube, un roman magnifique sur les peuples Khantis, du Nord de la Sibérie. Quand je vois le cérémonial et le respect qu’ont ces hommes et ces femmes, dont la culture a été torpillée par le modernisme à tout crin et par l’alcool, pour demander l’autorisation à la nature de prélever un des siens pour se nourrir, et que je compare le spectacle de la barbaque étalée dans nos rayons de supermarché (animaux dont la mort, pour certains aura servi à remplir les poubelles), cela fait réfléchir.
    Vraiment chouettes tes chroniques, John.

  2. Et bien dis donc ! Vivement qu’ils inventent la vache carnivore qui atteint la taille adulte en une semaine et le steak nanotechnologique qui s’auto-développe à partir d’huile de vidange !

  3. Les Américains viennent d’autoriser la consommation de viande clonée. Ils n’ont pas dit s’ils vont réussir à clôner les pâturages. La vache omnivore qui recycle le CO2 sans produire de méthane et qui boit de l’eau de mer en la repissant désalinisée serait aussi une trouvaille utile. Si les scientifiques sont aussi forts que les auteurs de SF, on va s’amuser. Mais ça m’étonnerait.

  4. Ca t’étonnerait qu’on s’amuse ou ça t’étonnerait qu’ils soient plus forts que les auteurs de SF ? Parce que les auteurs de SF pompent tout bêtement dans ce que font les scientifiques… Et si tu jetais un coup d’oeil sur EurekAlert, Techno-Science.net ou des blogs qui suivent les dernières trouvailles, tu aurais des tas de nouvelles de SF ahurissantes toutes pondues. ;)

mercredi 2 janvier 2008

Démons (6)

Le 31 décembre, dans la journée, un mec m’appelle. En même temps que je le reconnais, j’entends bien qu’il est ivre mort. Carbonisé de chez carbonisé. La dernière fois qu’on s’est vus, il y a 5 ans, il avait essayé de me faire signer une attestation comme quoi il était bien présent aux réunions AA, dans le but d’obtenir un adoucissement de la sanction pénale qui allait lui tomber dessus, suite à récidive de conduite alcoolisée sans permis. Comme il est chef d’entreprise, il n’a pris que 6 mois de gnouf, on le laissait gérer ses 13 salariés dehors dans la journée, il ne réintégrait la prison que le soir. Et puis, plus de nouvelles… là, il prétend en prendre et essaye d’en donner, et que son entreprise va très bien, et qu’il va épouser une africaine (je l’ai connu veuf se consolant au p’tit blanc, qu’il venait siroter avec ma femme vu qu’on était voisins mitoyens fraîchement débarqués dans la région et que j’avais brisé la glace après une soirée entière passée à subir les infra-basses de “Dazed and Confused” de Led Zeppelin qu’il avait passé en boucle et qui pilonnaient la cloison pourtant fort épaisse de ce corps de ferme rénové où nous cohabitions) et qu’il écoute toujours hendrix, mais son élocution est tellement balbutiante et pâteuse, on dirait un mort-vivant combattant sa propre rigidité maxillaire, c’est aussi atroce que rigolo quand on a connu ça et qu’on en est sorti durablement, alors j’abrège ses souffrances. J’ai l’impression de m’entendre il y a 17 ans, et donc je suppose que c’est un appel au secours, et lui suggère d’aller se coucher et de me rappeler quand ça ira mieux, en essayant de ne pas le froisser. Sachant qu’il y a 50% de chances qu’au réveil il ne se souvienne pas de m’avoir appelé, et 49% qu’il en garde un souvenir tellement honteux et confus, et que l’orgueil qui l’a poussé à refuser d’admettre son problème d’alcool lui interdira tout aussi sûrement de recomposer mon numéro. Sur le moment, je lui ai demandé le sien, qu’il m’a débité avec un aplomb suspect, et qui s’est révélé évidemment faux.
Solitude, orgueil et malhonnèteté, le coquetèle des winners. A part le remercier intérieurement du sursaut de gratitude que j’éprouve déjà pour les mouvements d’abstinents, je ne vois pas ce que je peux faire pour lui. Finalement, peu de choses nous séparent : un seul verre, le premier. Et le fait qu’il a peut-être déjà couché avec une noire, l’enfoiré.

En 2008, si je ne tire pas encore sur les ambulances, je laisse la mienne au garage.