mardi 10 décembre 2019

Rebords et soubassements (4)

 « Quand savons-nous que tout est perdu ?
Quand même ceux qui vous aiment se taisent. » 
 Albert Sánchez Piñol, "Victus"


Bonsoir, je suis tellement
conscient de moi-même
que je suis Philippe Sollers.
Putain de moine, quand j'y repense en commençant à galérer sévère pour Silence, ça coince mi-novembre, finalement, le mois dernier, grâce à l'exercice physique, la méditation et une bonne hygiène de vie consistant à éteindre l'ordinateur dès midi, j'étais enfin présent à moi-même, j'étais dans le "je suis là" (vanté par les plus grandes marques de Krishnamurtis et de Kristofandrés du siècle), et je sens bien que depuis, je suis redescendu de quelques marches dans l'escalier conscientiel et énergétique, mon état n'est plus du tout optimisé, certes l'angoisse est muselée par le lithium dont je saupoudre mes corn flakes tous les matins, bien sûr en novembre-décembre les énergies sont basses, tout le monde commence à vivre à crédit dans l'attente du solstice du 22 décembre après lequel les jours commenceront enfin à rallonger, de plus à chaque fois que ma mère meurt à nouveau dans la nuit du 19 au 20 novembre je subis une petite perturbation de l'anticyclone de mes Açores, j'ai beau prétendre que non, je vois bien que chaque année je trouve toujours un prétexte. En 2018 c'était un été indien inattendu en Corse, au cours duquel je me suis mis à imaginer des choses qui n'étaient pas, suivi d'une intervention chirurgicale en zone sensible, j'étais certain d'avoir écrit un billet là-dessus en direct du service d'urologie pour blasphémer contre mes emballements affectifs, mais en remontant dans mes archives, je semble être resté d'une discrétion exemplaire, ce qui m'étonne beaucoup, enfin bref, dès la mi-novembre je regrette amèrement ce mois d'octobre consacré au développement personnel par la réfection victorieuse de mon habitat et la respiration consciente dans les interstices, l'approche scientifique ayant porté ses fruits dans le choix et la pose d'une sous-couche sur le mur d'enceinte avant d'y appliquer du gibolin qui lui, respire consciemment à travers les interstices du mur ; en effet il y a 15 ans j'avais voulu masquer  les joints en ciment vernissé noir sur ma façade en les recouvrant de gibolin, hé bien laissez-moi vous dire que le ciment vernissé n'est pas un support propice au gibolin, qui au fil du temps a commencé à s'écailler par plaques (penser à mettre une photo ou un lien) pour laisser réapparaître l'odieux vernis; alors que là, tout a été fait sous contrôle et dans l'esprit du grand rabbin de chez Monsieur Bricolage.
Et donc, fin octobre j'ai commencé à perdre en clarté car nous sommes allés à Albi superviser le chantier de changement de linoléum chez mamie, les industriels réalisent maintenant des revêtements de sol qui imitent à s'y méprendre l'élégance et le confort du parquet flottant alors que c'est du vil plastoque, il a fallu vider et  démonter des meubles réputés inamovibles et c'était pas une légende, on a dû faire appel à des paysans tarnais tout rocailleux, aller passer une nuit au motel du coin tandis que les ouvriers réagrégaient le sol (à l'aide d'une sorte de gibolin liquide à prise rapide) par-dessus la chape de béton du salon qu'ils avaient non sans peine réussi à mettre à nu alors que des gougnafiers avaient collé l'antique lino directement dessus cinquante ans plus tôt, et j'ai brièvement croisé le démon familial - la colère - qui rôde encore autour de ma belle-famille, ou plutôt ce qu'il en reste : je me suis habitué au fait d'être le seul mec dans une dynastie féminine où tous les hommes, pour la plupart désagréables, ont disparu depuis longtemps, mais c'est toujours malaisant pour moi d'être sollicité par mamie (91 ans) ou encore pire par sa fille (60 ans, et il se trouve que c'est aussi ma femme, quelle tuile) pour du bricolage, et de me retrouver à farfouiller dans des étagères remplies d'outils dépareillés, endommagés et à l'utilité au-delà de ma compréhension, sans y trouver le tournevis cruciforme tout con qui conviendrait pour faire la réparation demandée, à chaque fois je sens le regard des morts par-dessus mon épaule, la moitié des pièces de la maison sont impraticables du fait de renoncements face à des monceaux d'objets, de meubles et d'ustensiles qui s'y sont sédimentés et dont l'usage a été abandonné et la fonction perdue, ça m'épouvante secrètement, surtout qu'il semble qu'un jour c'est moi qui vais hériter de ce merdier, et puis à un moment donné je me suis retrouvé à hurler sur ma belle-mère de 91 ans qui n'avait plus de mots dans son sac à mots pour m'expliquer qu'elle voulait que j'aille vider le sac de l'aspirateur dans le jardin et qui avait fait des gestes que j'avais interprétés peut-être un peu vite comme me signifiant mon incapacité à comprendre facilement ce qu'elle voulait me dire du fait de mon allergie fréquente à l'implicite alors qu'en fait elle maudissait sa perte locutoire, en tout cas elle m'est apparue excédée et je me suis cru à l'origine de son excession, qui n'était peut-êtr qu'un effet de sa vieillerie, à tort ou à raison mon sang n'a fait qu'un tour dans son sac et je l'ai littéralement agonie d'insultes, ce qui n'était jamais arrivé en 30 ans de fréquentation affectueuse, c'est vrai j'ai de meilleurs rapports avec elle qu'avec feu ma mère, mais là je sais pas, comme j'estimais pour ma part n'avoir que des informations tronquées sur ce que je devais faire, que je ne pouvais pas tout deviner, et qu'entre la mère, la fille et la belle-soeur c'était une belle bande de radasses sibyllines qui me disaient jamais les trucs de la façon dont j'aurais compris ce que je pouvais en faire, ça a été la colère, j'en ai eu d'un coup ras-le-cul, ça a duré 30 secondes, je suis allé me calmer au jardin en répandant le contenu du sac de l'aspirateur sur les betteraves d'hiver, après-coup je me dis que c'est peut-être moi qui suis désorienté par le chantier, en tout cas je voulais aborder l'épreuve de montage qui suivit mi-novembre, mais c'est râpé pour ce coup-ci.
Et le chantier lino s'est achevé sans autre incident notable, sinon qu'une fois de plus j'ai raté les Utopiales à Nantes comme chaque fois qu'on va chez mamie à la Toussaint.

(à suivre...)

10 commentaires:

  1. Je ne lis que les commentaires.

    J'ai une connaissance qui a vu J.Krishnamurti dans sa jeunesse, en Suisse, une dizaine de jours.

    Il parait qu'il inspirait l'amour autour de lui, au dela de sa force intellectuelle, c'est bon signe.

    Rien a signaler a part cela, je vois que le Warsen blog s'eteindra avec toi.

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  2. "Je ne lis que les commentaires"
    Sans vouloir être désobligeant.

    Mais ton message (celui là) m'a apporté quelque chose.

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  3. Je ne lis pas les commentaires, c'est déjà suffisamment pénible de lire mes articles.
    Merci pour ton message d'espoir.

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  4. Je ne lis que ce qui a trait au dharma ...

    Mais quand je te vois lutter pour travailler là où j'ai parfois envie de ne plus me faire suer et choisir la solution de facilité, ça fait réfléchir.

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  5. * je ne lis que ce qui a trait au dharma (d'ou ma réponse a tes commentaires sur Krishnamurti, quelqu'un de digne).

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  6. L'intention n'était pas de te chiffonner

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  7. ce qui est hallucinant, c'est que je n'ai fait aucun commentaire sur Krishnamurti, et surtout pas sur ses dialogues avec David Bohm (le temps aboli) que j'ai à nouveau essayé de lire ces dernières semaines. J'ai juste agité un chiffon (même pas rouge) sur lequel il y avait marqué "Krishnamurti" et j'ai collé une image sur laquelle il y avait aussi marqué Krishnamurti.
    Apparemment ça te suffit pour avoir l'impression d'avoir appris quelque chose.
    Tant mieux ! c'est peu onéreux !

    Krishnamurti !!
    ha ha !!

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  8. On ne peut pas parler de la pluie et du beau temps sur internet donc on parle des yeux de J.Krishnamurti sur lesquels tu as attiré mon attention qui rayonnent pareillement une lumière.

    L'idée de fond était juste de te dire bonjour, j'espere qu'on avoir les yeux Soleil de Krishnamurti et pas la pluie de l'ignorance, au revoir.

    Ne nous formalisées pas du reste, qui est accessoire.

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  9. Une histoire tout de même :
    Un "jour un femme se mets à préparer un dîner au chandelle pour son mari. Et elle cuisine quelque chose de nouveau.
    Son mari goûte les nouveaux plats -, bien obligé
    Elle lui demande alors : que preferes-tu ?
    Il cligne des yeux et fini par répondre "les chandelles sont magnifiques" !

    J'ai lu ton dernier article, et j'ai trouvé que tu étais dans un bon élan avec ces notes, et ta volonté d'homme luttant pour faire vivre sa famille m'a travaillé.

    J'ai appris que tu étais plus normal que je ne le supposais.

    Mais bon je venais juste dire bonjour, pas critiquer la cuisine fait avec amour comme un mauvais génie pour bien te casser dans ton élan actuel et voilà, tout est clarifié j'espère du moins.

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  10. Pas de problème. Mais ne va pas croire tout ce qu'on raconte sur internet. Surtout Poutine, Trump et moi. Quand j'écris, en général c'est qu'il y a quelque chose qui coince. Là je l'ai joué "triomphe dans l'adversité", mais au final c'est peut-être plus embrouillé qu'avant que je choisisse d'essayer d'y voir plus clair en m'amusant à l'écrire. Va savoir.

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