Résumé du chapitre 1 :
Ma chaudière au fuel a pris feu, mais n'est-ce pas le propre des chaudières au fuel ? puis elle s'est éteinte dans la nuit sans intervention divine apparente; mais n'est-ce pas le propre des interventions divines ? tandis que je médite sur ce koan devant le cadavre encore fumant de ma Viessmann 13156 T, un cri à l'étage ramène mon attention (...) vers l'escalier.
A l’étage, Jeannette Warsen est beaucoup moins dans la pleine conscience que moi. Ou plutôt, comme en s'éveillant du noir sommeil de l'insomnie elle vient de se moucher et que le contenu du mouchoir est tout noir, elle est dans la pleine conscience qu’il y a un problème qu’elle ne parvient pas encore à identifier, mais quand même. Je lui explique que c'est normal, comme dans la chanson éponyme d'Areski et Fontaine.
Paniquée devant l'absurdité rationalisante de mes explications face à la gravity of ze situation, elle fait venir SOS Médecins, parce qu'on est dimanche, qui nous rassure sur notre degré probable d’intoxication. Elle est beaucoup plus sensible que moi à la qualité de l’air. Faut dire qu’avec ce que je me mets dans les poumons… la moindre saloperie présente dans l'atmosphère lui déclenche une allergie. Alors vous pensez, 1000 litres de fuel cramés en une nuit...bref. Maintenant que nous sommes trompeusement tranquillisés sur notre santé à court terme, nous prenons la pleine mesure des dégâts. Une fine pellicule de fuel s’est déposée sur la totalité des surfaces planes, assombrissant la délicate teinte « tarte meringuée » déposée sur les murs l’année précédente par le célèbre peintre du dimanche Matt Brilland.
Matt Brilland posant devant l’oeuvre la plus emblématique
qu’il nous ait laissée, à part sa facture :
"Le Monolithre de Rouge", un hommage tardif et turgescent
au "2001, l’Odyssée d’mes Spasmes" de Stanley Kubi.
Dénonçant ses emprunts pas toujours avouables
à l'oeuvre monumentale de Jeff Koons, ses détracteurs n'hésitent pas
à le surnommer Matt Brigand dès qu'il a le dos tourné.
La légende de cette photo concourra
pour le prix de l'Hypertélie dès que le jury aura été constitué.
Au rez de chaussée, les traces de suie ont épousé les contours des émanations de chaleur dégagées par le radiateur de l’entrée(1), dessinant comme des zigouigouis charbonneux et rupestres sur la peinture « tarte au citron pas cuite ». Je me dis que je vais pouvoir tester si c’est lavable, comme le fabricant l’a garanti à son client Matt Brilland, en vantant les mérites prophylactiques de son produit, parce que c’est une peinture qui absorbe soi-disant les particules viciées de l’air en recrachant de l’oxygène après avoir respiré dans le mur, c’est tout juste si elle ne fait pas la photosynthèse, bien que depuis plusieurs mois nous nous déplaçions avec un grand luxe de précautions dans la maison, parce que si on frôle un mur du coude, ça fait une trace, difficile à ravoir sur le jaune pâle. Quelques coups d’éponge humide me permettent d’étendre avantageusement le sinistre à peine esquissé. J’insiste à la lessive Saint-Marc, j’obtiens une eau-forte de Jérome Bosch.
Je lâche l’affaire, car il est temps d’aller m’engueuler avec la patronne, qui évoque la nécessité de refaire tous les travaux, que la baraque est foutue, qu’on a failli mourir, et que vraiment sa vie c’est de la merde en ce moment. Je reste discret sur mes travaux de rénovation qui ont commencé à l’étage du dessous, j'attendrai qu'elle soit moins dépressive pour lui faire la surprise.
Le moment me semble tout aussi inopportun pour lui citer la réplique de Morty à sa soeur dans la saison 1 rapportée dans le Télérama de la semaine dernière : « L’existence n’a aucun but. Tout le monde va mourir. Viens regarder la télé. »
Vais-je passer le reste de l'après-midi à regretter de n’avoir pas installé les détecteurs de fumée achetés il y a deux ans et qui trônent flambant neufs, c’est le cas de le dire, entre un paquet de Nicopatch et une pile de Hellblazer en v.o. sur une étagère de mon bureau ?
C'est tentant, mais j’ai mieux à faire : l’inventaire des radiateurs à bain d’huile et autres soufflants trainant dans la baraque, qui sont réquisitionnés et remis en état de toute urgence, sauf celui qui avait tellement mal vieilli que quand on l'allumait ça faisait sauter le compteur, puisqu’en plus d'être confrontés au vide de l'existence, on n’a plus de chauffage, et qu’on a beau avoir un automne clément, je n’avais pas rallumé la chaudière la veille au soir pour en finir avec la vie mais parce que ça caillait grave.
La colère tient chaud, mais à nos âges on fatigue vite.
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(1) 70 kgs de fonte, même qu’on s’est bien pétés le Q avec Matt Brilland à le déplacer pour le repeindre.
(à suivre)
Dans l'adversité ton humour et ton sens du recul sont restés intacts. Tu m'épates. J'espère que c'est quand même pas trop la cata..... Je me sens tout penaude de ne pas pouvoir te proposer mon aide mais je suis de tout coeur avec toi. Courage.
RépondreSupprimerAttends, j’ai un doute sur « adversité », je me renseigne.
RépondreSupprimerAh, voilà.
http://www.cnrtl.fr/definition/adversité
« Sort contraire, circonstances malheureuses (deuil, revers de fortune, etc.) s'imposant comme une épreuve à subir ou à surmonter »
« Je remercie Dieu de ce qu'il a bien voulu faire de moi, de l'épreuve que je subis, de la ruine où je médite. Je trouve bonne l'adversité, bonne l'injustice, bonne la haine, bonne la calomnie qui se glisse comme le ver dans le sépulcre. Si toutes ces choses qu'on est convenu d'appeler le malheur et qui sont sur moi, pèsent le poids d'un caillou dans le progrès humain, je bénis la destinée. » V. Hugo, Correspondance,1854, p. 188.
- antonyme de prospérité, bonheur; il est synonyme de malheur, mais caractérisé par l'idée de lutte, la manière dont on la soutient et les bénéfices moraux qu'on en retire. Fréquent au xixes., notamment chez Chateaubriand.
Dans ma tête, "adversité" renvoyait à la notion d’adversaire, et ici il n’y en a pas : il y a un d’jeun’z, pressuré par son boss et soumis aux cadences du monde moderne, qui a fait une erreur en règlant ma chaudière. Après ça, la loi des causes et des effets s’est appliquée. Elle n'a que ça à faire.
Le plus ennuyeux, c’est que ça va me prendre encore quelques épisodes pour savoir où je veux en venir.
Si entretemps ma crise mystique ne retombe pas comme un soufflé.
Dans ta lutte contre le Capital je t'admire aussi.
RépondreSupprimerQue Dieu te vienne en aide.
Huhuhu
Ne commence pas à blasphémer, sinon je t'excommunie de mon fanclub.
RépondreSupprimerA l'heure qu'il est (05:08), il est inutile de lutter contre le Capital : il a gagné, on a perdu.
Sauf ceux qui ont fait un pas de côté, et sont allés vivre en Corse dans des masures du XVIème siècle, et qui ont une empreinte carbone négative.
J'en connais.
Mais heureusement, le Capital porte en lui les germes de sa propre destruction.
Le match retour risque de se jouer avec des silex, difficiles à identifier au milieu de tous ces gravats.