Etre ou ne pas être cyberdépendante ?
LEMONDE.FR | 27.08.09 | 08h08 • Mis à jour le 28.08.09 | 08h11
Un grand soleil d'été inonde la cour intérieure de l'hôpital Sainte-Anne. Il est 15 heures. Une dizaine de patients en pyjama discutent sous les marronniers en fleurs. J'ai rendez-vous avec le docteur Dervaux. Psychiatre plutôt costaud dans sa blouse blanche, il est spécialiste en addictologie. Grâce à lui, je vais peut-être enfin comprendre ce qui m'arrive.
• Mission n°4 : Savoir diagnostiquer son état
A peine assise, je déballe tout : ma frustration, mon ennui et mon sentiment de déprime naissante. Lui écoute, les mains croisées sur le ventre. J'insiste. Mes propos n'ont pas l'air de le surprendre. Quand j'ai fini, il hausse les épaules, laisse échapper un sourire. "Vous voyez cette ligne, mademoiselle. – Oui – Sur une échelle de 1 à 10, vous seriez plutôt là : au niveau quatre. – C'est-à-dire ? – C'est-à-dire qu'Internet fait partie intégrante de votre environnement socio-professionnel, mais son usage n'a pas d'impact sur votre entourage. – Donc ? – Vous n'êtes pas cyberdépendante."
Oubliée, la toxicomanie numérique. D'après le docteur Dervaux, seuls 0,5 % à 2 % de la population souffre réellement d'addiction à Internet. "Les vrais accros passent plus de cinquante heures par semaine sur le Web en dehors de leur vie professionnelle. Ils sont rares, à peine 6 % des usagers." Leur dépendance, ou plutôt leur maladie, se traduit par une envie intense, obsessionnelle et irrésistible de se connecter. Le plus souvent, elle se dissimule derrière une addiction à la pornographie, aux chats ou aux jeux vidéo en ligne.
Difficile pourtant de dégager un profil type de l'internaute cyberdépendant. "Autrefois, il s'agissait majoritairement d'hommes âgés de 25 à 35 ans (…). Maintenant, il semble y avoir une certaine parité entre les hommes et les femmes", observe le psychologue canadien Jean-Pierre Rochon. Dans son ouvrage sur Les Accros à Internet, le créateur du site psynternaute.com précise que les adolescents sont proportionnellement plus nombreux à souffrir de troubles obsessionnels que les adultes.
Malgré cela, rares sont les études consacrées exclusivement à la cyberdépendance. Les plus sérieuses, publiées en Asie et aux Etats-Unis dès le milieu des années 1990, se fondent sur le résultat de tests, généralement accessibles en ligne. Le premier de ces questionnaires, mis au point par le docteur Kimberly Young en 1994, se présente sous la forme d'un questionnaire à choix multiples (QCM) en vingt points. Alain Dervaux accepte de m'y soumettre. Avec un résultat de 57 sur 100, je me classe dans la catégorie des usagers abusifs, mais curables.
"Le problème de ces tests, c'est qu'ils s'appuient sur des critères trop larges pour évaluer précisément la cyberdépendance d'un individu", tempère mon docteur. Pour la plupart des internautes, et j'en fais partie, le Web agit plutôt comme une drogue douce. Socialement obligatoire mais rarement néfaste pour la santé, c'est avant tout un instrument de liberté.
Dans le pire des cas, il agit comme un accélérateur de narcissisme. Comme le précise mon docteur, "tout en offrant l'anonymat, Internet permet de diffuser une projection de soi contrôlée, valorisée, sculptée et optimale. Rompre avec ce miroir, c'est se couper de la meilleure partie de soi-même. Un processus d'autant plus douloureux, narcissiquement, qu'on s'exclut de la communauté des internautes". Mais Alain Dervaux en est convaincu, "ce sentiment de frustration dont vous m'avez parlé finirait par se dissiper si vous prolongiez l'expérience".
J'en conclus donc que la consultation est terminée. En quittant l'hôpital, le cœur un peu plus léger, je croise le long des arbres une jeune fille en habit bleu. Elle a le regard vague et les cheveux en bataille. "Vous avez du feu ?" Je crois, oui. Je cherche, farfouille, renverse mon sac, m'excuse. La jeune fille sourit. "Vous êtes hospitalisée ?", me demande-t-elle. Non, juste un peu déconnectée.
Pour en savoir plus :
- Lire La Cyberdépendance en 60 questions, de Jean-Charles Nayebi (Retz, 2007). - Les Accros d'Internet, de Jean-Pierre Rochon (Libre Expression, 2004). - Ces dépendances qui nous gouvernent. Comment s'en libérer ?, du Dr William Lowenstein (Le Livre de Poche, 2007). - Une étude belge sur la cyberdépendance, pédagogique et complète.
Elise Barthet
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire